"London Bone", de Michael Moorcock
MOORCOCK (Michael), London Bone, ouvrage publié sous la direction de Jérôme Vincent, avec la collaboration de Charlotte Volper et Eric Holstein, traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque, Nathalie Serval, Benoît Domis, Chantal Plançon et Jacques Chambon, Paris, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, [1966, 1987, 1990, 1997, 2000] 2008, 98 p.
Retour aux chouettes petits bouquins publiés par le beau site ActuSF au travers de sa collection Les Trois Souhaits, avec le dernier rejeton, ma foi fort sympathique. Et une première, si je ne m’abuse, pour la collection : on quitte cette fois l’Hexagone pour aller voir ce qui se fait ailleurs. En l’occurrence du côté de la perfide Albion, et avec rien moins que Michael Moorcock (tout de même).
Ce mini-recueil d’une centaine de pages comprend en effet quatre nouvelles fort différentes du fameux écrivain britannique, qui rappelleront utilement au lecteur françouais que, non, Moorcock, ce n’est pas que Elric et compagnie. Rappel salutaire, dois-je dire, moi le béotien qui n’ai jusqu’alors approché celui qui fut en son temps le rédacteur en chef de la revue New Worlds, et donc un pilier de ce qu’il est convenu d’appeler la « new wave of British science-fiction » (avec des gens comme Ballard, notamment, excusez du peu), qu’au travers de ses cycles de fantasy dits « du Champion éternel », à savoir Elric, Hawkmoon, Corum et (prochainement) Erekosë. Or, ainsi que je m’en suis déjà expliqué (ici, donc, mais aussi là), moi, perso, je n’ai jusqu’à présent guère trouvé d’intérêt à ces œuvres souvent passablement alimentaires…
Cela faisait un petit moment déjà que je souhaitais découvrir un autre versant de l’œuvre de Moorcock, que j’espérais plus reluisant, du côté de la science-fiction ou du fantastique. Mais par où commencer ? Je ne me sentais guère de me précipiter sans autre précaution sur les autres gros Omnibus du bonhomme parus en France (Jerry Cornelius, Les danseurs de la Fin des Temps, le tout récent Cycle du Guerrier de Mars…), ou sur le volumineux Mother London, dont on a dit bien des choses à la fois alléchantes et effrayantes, mais qui, surtout, ne me paraissait guère représentatif de l’auteur. Restaient les nouvelles… En France, en-dehors d’un recueil en Lunes d’encre, c’est pas forcément évident de les trouver. Aussi, quand bien même London Bone a pu s’attirer quelques mini-critiques de la part des fans regrettant qu’il ne soit composé que de textes déjà publiés auparavant en France, pour le grouillot dans mon genre, il se révèle tout à fait utile et appréciable. D’autant que ces quatre nouvelles, dont la plus ancienne date de 1966 et la plus récente de 2000, sont l’occasion d'envisager par la lorgnette l’ensemble de la carrière de Moorcock, et de le voir s’essayer à bien des genres différents.
Détaillons un brin. Le recueil débute très bien avec « Le Cardinal dans la glace » (pp. 9-25 ; 1987 ; traduction de Jean-Daniel Brèque), courte nouvelle de science-fiction « à l’ancienne » teintée de fantastique. Dans un futur indéterminé, une expédition scientifique explore la planète Moldavia, recouverte de glace ; elle fait un jour une découverte étrange et bouleversante : celle d’un cardinal de l’Eglise catholique, dont le costume semble indiquer qu’il a vécu au plus tard au XXe siècle, parfaitement conservé dans la glace… Que fait-il là, à des années-lumières de la Terre ? Et quel va être l’impact de cette découverte ? A la fois classique et déstabilisant, assez angoissant également, un récit très réussi, empruntant une forme épistolaire. Le style n’est pas terrible (comme d’hab’), mais ça se lit très bien ; j’y ai vu pour ma part – mais peut-être dis-je des bêtises… – une variation bien pensée sur « Les montagnes hallucinées » de Lovecraft, une des meilleures nouvelles à mon sens du reclus de Providence ; peut-être cela explique-t-il aussi l’intérêt que j’ai trouvé à cette fort sympathique introduction…
On passe à tout autre chose avec la nouvelle suivante, la plus longue du recueil, et celle qui lui donne son titre, « L’Os de Londres » (pp. 27-60 ; 1997 ; traduction de Nathalie Serval). Etrange récit très vaguement teinté d’un prétexte de SF et de fantastique, contant à la première personne la carrière de Raymond Gold, spéculateur qui s’est considérablement enrichi en vendant l’os londonien, étrange matière unique en son genre, dont les touristes et les collectionneurs ne peuvent bientôt plus se passer, du fait d’un simple effet de mode. Mais cet os n’est-il pas le fondement même de Londres, tant matériel que spirituel ? Une nouvelle étrange et troublante, plus finement écrite que d’habitude, et qui dresse un tableau à la fois cynique et émouvant du Londres post-thatchérien, et plus largement de ce que le monde contemporain a de plus futile et absurde.
« And now, for something completely different… » Le texte suivant, le plus récent du lot, est en effet une succulente petite friandise montypythonesque au possible, délicieusement so british, à la fois hilarante et cruelle, inspirée par Maurice Richardson (jamais entendu parler, honte sur moi...). Joli titre, déjà : « Un samedi soir tranquille à l’Amicale des Pêcheurs & Chasseurs Surréalistes » (pp. 61-79 ; 2000 ; traduction de Benoît Domis). On y croise plus ou moins Jerry Cornelius en toile de fond, mais aussi une Mort passablement pratchettienne, et, surtout, Dieu, qui vient expliquer aux gentlemen du club pourquoi, au Paradis, il y a essentiellement des chats, des chiens et des Américains. Satire jubilatoire de la religion façon baptiste et du libéralisme économique, qui permet en outre de comprendre enfin pourquoi le Titanic a sombré. Indispensable.
Le dernier texte du recueil, le plus ancien, m’a par contre tristement déçu (d’autant qu’on en avait dit ici ou là le plus grand bien). « Le jardin d’agrément de Felipe Sagittarius » (pp. 81-99 ; 1966 ; traduction de Chantal Plançon et Jacques Chambon) est une courte uchronie policière impliquant à Berlin, autour de l’enquêteur métatemporel Minos Aquilinas, l’inspecteur Hitler et son supérieur Bismarck, mais aussi Einstein, Kurt Weill, etc. Style plat, enquête téléphonée, personnages assez creux, cadre laissé dans le brouillard, abondance d’allusions pas forcément utiles… En 1966, c’était probablement original, mais on a lu bien plus intéressant depuis dans le même genre. Pas désagréable, mais plutôt médiocre. On notera en outre une petite bévue de la part des éditeurs, qui auraient semble-t-il bouffé une page (p. 85, entre « […] demandai-je au chef de la police » et « Les tons de rouge foncé […] ») ; c’est ennuyeux sans être dramatique, et ActuSF va probablement remédier à ce petit souci en publiant la page manquante en ligne, ou quelque chose du genre.
Cette dernière petite déception (qui n’engage bien évidemment que moi) mise à part, London Bone est bel et bien un fort sympathique petit recueil, intéressant sans être phénoménal, utile sans doute, et qui fait quelque peu remonter Moorcock dans mon estime. Mission accomplie.
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