"L'Ere du dragon", de Xavier Mauméjean
MAUMÉJEAN (Xavier), Le cycle de Kraven, II. L’Ère du dragon, Paris, Mnémos – Seuil, coll. Points Fantasy, [2003] 2008, 466 p.
Y’a des fois, c’est horrible, mais, franchement, je me sens seul.
Bouhouhou.
Tenez, par exemple : L’Ère du dragon, de Xavier Mauméjean ; la « suite » (mouais…) de La Ligue des Héros, et donc, à en croire la présentation de cette édition en poche, le second tome du « cycle de Kraven » (mouais…). Voilà un bouquin à propos duquel je n’ai lu, en gros, que des critiques négatives : Mauméjean tire sur la corde, il est agaçant à saturer son bouquin de références, c’est de la pyrotechnie hollywoodienne, on s’ennuie, on souffre… Bref : nul. Raté, monsieur Mauméjean, écrivez donc plutôt La Vénus anatomique, par exemple, histoire de mettre tout le monde d’accord. Alors oui, effectivement, La Vénus anatomique (par exemple) est un bouquin autrement plus intéressant que L’Ère du dragon, c’est vrai ; je ne peux pas dire le contraire, je m’étais régalé avec cette uchronie déjantée (et ultra-référencée là encore, mais ça a moins gêné semble-t-il). Mais le truc, c’est que j’ai quand même passé un très bon moment avec L’Ère du dragon, moi. Si, si.
D’où je me sens seul.
Bouhouhou.
…
M’en fous. J’ai aimé. J’vois pas pourquoi je devrais en avoir honte, après tout. Je ne vais pas laisser la POPULACE INCULTE me dicter ses opinions sur le Vrai, le Beau, le Bon, le Bandant ! Et puis quoi encore ? Me font déjà assez suer lors des élections, non mais c’est vrai, quoi. SEUL CONTRE TOUS, S’IL LE FAUT !
Non, bon, d’accord, j’en fais un peu trop, là. Après tout, je ne suis pas exactement en train de défendre un chef-d’œuvre de la littérature contemporaine, ‘spa.
Non. Imaginez plutôt… allez, une plage. Sans trop de touristes. On peut marcher sur le sable (pas excessivement pollué) sans piétiner un Parisien. Les vendeurs de glaces sont loin, loin. Le gros beauf avec son ghetto blaster aussi. Les badmintonneux bronzés, musclés, huilés ont jeté l’éponge, l’un s’étant crevé l’œil droit lors d’une malencontreuse tentative de revers, juste au moment où son adversaire se foulait définitivement la cheville. Les mioches aussi ont fui, leurs HLM de sable terrassés par la marée, leurs putains de ballons définitivement engagés dans une loooooooongue croisière autout du monde. Aaaaaaaaah. Calme, volupté ; luxe, bof, mais au moins sérénité. FffffffffffffFFFWWWOOOOOOUUUU-TSSSssssssiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiihhh. (Gardons tout de même, pour le principe, deux ou trois frêles naïades au sortir de l’adolescence, gloussant naïvement dans les vaguelettes azurées ; l’écume fouette avec la régularité d’un métronome leur poitrine ferme et arrogante, mmmmh… Ah, et leurs crétins de copains sportifs et pléonasmiques sont tous morts dans un accident de la route la veille – et ils ont beaucoup, mais alors beaucoup, souffert –, mais elles ont bien justement décidé que cela ne devait pas gâcher leurs vacances. Ô, extase.) Vous êtes bien. Il fait bon. Affalé sur votre serviette, au milieu du monde, là où c’est qu’il y a la possibilité d’une île comme le dit si bien Michel, il vous prend l’envie de lire. Vous avez le choix entre Ulysse de Joyce (que vous vous êtes promis de finir un jour, non parce que merde) et L’Ère du dragon de Xavier Mauméjean. Vous choisissez judicieusement L’Ère du dragon de Xavier Mauméjean. C’est bien, c’est drôle, c’est prenant, c’est frais. Aaaaaaaaah…
Ou alors non. Vous êtes dans un train. Le trajet va être long, très long, et ennuyeux, très ennuyeux. Vous n’avez pas le droit de fumer, bien sûr, et il ne faut pas abuser des Ricola, parce que c’est laxatif (vous l’avez constaté lors des sept heures du Strasbourg-Toulouse). Alors que la poufiasse à côté, hein, là, elle ne se prive pas pour beugler dans son portable avec la dernière bouillabaisse de la Starac’ pour sonnerie, elle s’en fout des étiquettes disant que c’est pas très gentil quand même, et donc plus ou moins interdit, rien à battre, elle vous file le cancer du cerveau en plus, cette conne, mais les moralistes fascistes hygiénistes n’y trouvent rien à redire, les enflures. En face de cette vulgaire mijaurée feuilletant de ses doigts boudinnés la rubriques « Ovaires anxieux » de Cosmopolitan (© Pierre Desproges) entre deux de ses trop fréquentes crises d’hystérie téléphonique kikoo lol uh uh les cupiiiiines, un cadre supérieur encravaté, nerveux, psychopathe, et qui ne transpire JAMAIS, s’abrutit frénétiquement sur son ordinateur portable ; il s’accorde une pause-détente toutes les 20 minutes, verrouillant son tableur pour reluquer d’un œil envieux et saturé de tics nerveux une scène d’un DVD tout entier consacré aux ébats artificiels de frêles naïades au sortir de l’adolescence, qui… Passons. A côté de vous, une mémère à moustache s’aggripe à son sac à main et à son panier avec un caniche qui pue dedans, au cas où il vous viendrait l’idée saugrenue de la braquer, on sait jamais avec l’insécurité qu’y nous font. Elle fait un joli duo avec le maniaque d’en face, rivé sur la fenêtre, et qui suit sur une carte le trajet du train, notant sur son calepin, avec un soupir de soulagement et de joie pure, que oui, nous avons passé à l’instant Saint-Jérôme-sur-Pauline, et nous sommes toujours vivants. Quant au type en face de vous, il délaisse bien vite ses exemplaires flambant neufs de Valeurs actuelles, L’Expansion et Scrotuma pour se lancer dans l’assemblage d’un truc bizarre et volumineux, avec plein de diodes et de boulons, que vous aimeriez bien savoir au juste ce que c’est, mais il vous fait peur, le type, alors vous vous taisez. Et trois sièges derrière vous, deux gniards terribles chantent (faux, bien sûr ; c’est des gniards) depuis le départ du train une insipide comptine à base de caca et de pipi ; l’aîné tape régulièrement un sprint dans le couloir, et se casse très logiquement la gueule sur vous à chaque passage ; la dernière fois, l’ignoble pouacre vous a bavé dessus et roté à la face, et ça a fait rire les autres passagers, oooooooooh si c’est pas meugnon les pitinenfants. C’est horrible. Vous n’en pouvez plus. Il faut faire quelque chose. Non, pas manger, vous n’en êtes pas au point d’oser le sandwich SNCF. Lire, tiens. Ça, c’est une idée. Vous avez le choix entre Ulysse de Joyce (que vous vous êtes promis de finir un jour, non parce que merde) et L’Ère du dragon de Xavier Mauméjean. Vous choisissez judicieusement L’Ère du dragon de Xavier Mauméjean. C’est bien, c’est drôle, c’est prenant, c’est frais. Aaaaaaaaah…
Ou allez, tiens, un dernier exemple, pris totalement au hasard (et avec quelques anachronismes dedans s’il le faut, mais je m’en fous, je sais que vous avez déjà arrêté de lire ce compte rendu où au bout de trois pages je n’ai toujours pas parlé du bouquin – et puis de toutes façons, ailleurs on en a dit du mal, et Nébal est un con). Vous êtes en Dordogne. Au hasard, hein. Il fait atrocement chaud. Vous n’avez RIEN à faire. Ici, il n’y a jamais RIEN à faire. Et non, pas la peine de le suggérer d’un air vicieux et moqueur, comme je vous y prends, il n’y a PAS de frêles naïades au sortir de l’adolescence. Juste des gros cons de chasseurs, probablement zoophiles. Alors, vous avez fait une sieste, normal. Après le confit, ça s’imposait. Manque de bol, quand vous vous réveillez, votre père est toujours en train de regarder le Tour de France ; aujourd’hui, c’est une étape de montagne, on espère un mort. Laurent Jalabert commente, il trouve qu’on en fait un peu trop avec le dopage. Du coup, une chanson stupide vous reste dans le crâne. A la radio, dans la cuisine, vous venez d’entendre le programme politique pour demain : Nicolas Sarkozy se rend en Irlande pour défendre la démocratie pendant que des parlementaires irréductibles se réduisent à Versailles ; vous imaginez, le soir, Rachida Dati sourire à la télévision – vision d’horreur : vous avez envie de vomir. Il faut faire quelque chose. De toute urgence. Lire, tiens ; c’est une idée, ça. Les Sud-Ouest et Télé 7 Jours épars parlent d’Ingrid Bétancourt et de Plus belle la vie, donc non, et vous avez déjà lu Le Canard enchaîné de cette semaine ; et puis vous en avez un peu marre de Naboléon, à force. Non, autre chose. Vous avez le choix entre Ulysse de Joyce (que vous vous êtes promis de finir un jour, non parce que merde) et L’Ère du dragon de Xavier Mauméjean. Vous choisissez judicieusement L’Ère du dragon de Xavier Mauméjean. C’est bien, c’est drôle, c’est prenant, c’est frais. Aaaaaaaaah…
Alors voilà. En ce qui me concerne, L’Ère du dragon est un bon roman de plage, ou de gare, ou de Dordogne. Oui, c’est ultra-référencé, plus encore que La Ligue des Héros ; mais en ce qui me concerne, ce n’est pas lourd : non, j’y vois davantage, comme dans les chouettes bandes-dessinées du Divin Alan Moore qui l’ont inspiré, un réjouissant jeu de piste, passionnant et bien vu. Oui, c’est pyrotechnique ; mais avec une efficacité rare : j’ai déjà eu l’occasion de le mentionner, et je le maintiens, Xavier Mauméjean est quelqu’un qui est remarquablement doué pour écrire des scènes d’action. On a dit que ça partait en couille, aussi ; je n’en suis pas si sûr : si le roman est bien plus long que son prédécesseur, il est construit de manière plus simple, moins « expérimentale », et je n’y ai pas ressenti la lassitude que La Ligue des Héros pouvait commencer à générer à enfiler les fragments d’action et à multiplier les ellipses. Loin de là, j’ai trouvé ce roman très prenant, fluide, et souvent très drôle.
Et c’est donc avec beaucoup de plaisir que j’ai retrouvé ici Lord Kraven et English Bob, Lord Africa et le Maître des Détectives, le charismatique Baron Rouge et cette enflure de Bud Colt, parmi bien d’autres. La première partie du roman (un peu moins de la moitié) revisite avec brio Les 55 jours de Pékin à la sauce Kraven, et c’est diablement efficace. L’action est rondement menée, les personnages sont tous bigger than life, tout est jubilatoirement excessif, comme dans des chouettes comics de super-héros. Et après… vous verrez bien (ou pas). L’hommage à la littérature populaire est en tout cas bien senti, la figure du héros est à nouveau questionnée (superbe passage que le one shot consacré à Lord Carnavon ! Mais on notera aussi, dans un autre registre, les fragments expliquant, à la Watchmen peut-être, pourquoi il s’agit là de « héros » et non de « gentlemen »…), le tout est finement écrit, inventif, déjanté, jusqu’à une conclusion surréaliste et casse-gueule, mais donc Xavier Mauméjean se tire avec les félicitations du jury (composé de Moi, Je et Moi-Même). Surtout, l’auteur, tout en jouant de son érudition en matière de culture populaire, sait garder le ton juste, à la manière de ce que Moore a pu faire, notamment, dans Suprême, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires et Tom Strong : l’action est contée sur un mode assez sérieux, relativement premier degré, tout en s’autorisant des délires tenant dès lors plus du pastiche et de l’hommage que de la parodie bêtement moqueuse. Suspension de l’incrédulité (à un double niveau, se rappelleront ceux qui ont lu le premier tome) : le Baron Rouge canardant des dragons au-dessus de la Cité Interdite, English Bob dans son costume aux couleurs de l’Union Jack usant de la capoeira pour vaincre les boxers, quand il n’emploie pas son mécanhomme digne d’Iron Man, le Capitaine Crochet et Sindbad le Marin (pour le coup très Nemo) en pleine bataille navale, Cavor exténuant Niels Bohr et compagnie avec sa cavorite, tout cela est parfaitement normal. Après tout, le grand méchant est bien Peter Pan, à la tête de son Internationale Féerique, et le gamin vert est plus régressif que jamais…
Oui, tout cela est passablement régressif. Et jouissif. Le pur plaisir de lire une aventure bien ficelée et totalement improbable, avec l’inévitable méchant qui fait MOUHAHAHAHAHAHA !!! et ne peut s’empêcher de dévoiler son plan diabolique au héros fait prisonnier, lequel en profitera bien sûr pour faire triompher la justice et le bon droit. Bien sûr.
…
Bien sûr ?
Non, franchement, j’ai bien aimé. Y compris les « prémonitions » de l’expérience du Club Van Helsing, avec Bedlam Asylum et l’Exécutrice Rouge, Tatiana Dovchenko, inévitablement armée d’une faucille et d’un marteau (c’est d’autant plus triste de voir comment le CVH a tourné ; maintenant que Xavier Mauméjean a lâché l’affaire, sans doute est-il temps de tirer le bilan ; ça sera pour bientôt, quand je vous causerai d’Outback de Pierre Pelot…). J’ai aimé le panache du chasseur chez le Baron von Tod. J’ai aimé les Tueurs Existentialistes, et leurs chorégraphies fatales. J’ai aimé Bud Colt bastonnant des zombies teutons, tandis que Kraven règle son compte au prince Spada et à son humour douteux dans Big Ben’s Balls. Et les autres méchants, bien sûr : le docteur Fatal, Mathias Strachnov, Masque de Jade… J’ai aimé la pub pour le jouet Lord Kraven, et la bibliographie en fin de volume.
J’ai aimé L’Ère du dragon, quoi. Comme un bon divertissement, que j’ai lu le sourire aux lèvres, avec un plaisir constant. Je n’en demandais pas plus. Visiblement, ça fait de moi un cas à part, mais c’est pas grave. Na. Prout. Et je régresse si je veux.
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