"Les nuits vénéneuses", de Jérôme Noirez
NOIREZ (Jérôme), Les nuits vénéneuses (Féerie pour les ténèbres, 2), Aix-en-Provence, Nestiveqnen, coll. Fractales / Fantasy, 2005, 347 p.
Depuis la dernière fois, je n’en doute pas, vous avez tous lu et adoré Féerie pour les ténèbres de Jérôme Noirez ; eh ! je sais que vous êtes tous des gens de bon goût. Sans doute, pour cette raison, ne devrais-je pas vous parler trop en détail des Nuits vénéneuses, le deuxième tome de cette trilogie de fantasy psychotrope, que vous avez déjà probablement lu de même. C’est en tout cas ce que me chuchote à l’oreille (gauche) un mesquin petit diablotin, tout de rouge vêtu, et véhiculant sur son passage une tenace odeur de chichon. Les yeux fatigués (et rouges), et d'un large sourire tout en chicots, il me tient à peu près ce langage : « Keep cool, Nébal ! A quoi bon… Profite ! Enjoy, veux-je dire ! Les gens savent que c’est bien, alors tu écris : c’est bien, pour la forme, et tu retournes dormir, man… » Mais surgit alors inévitablement sur ma droite un petit angelot en costume cravate ; agitant frénétiquement son téléphone portable, le petit être ailé hurle : « NON ! N’écoute pas ce héraut de Lafargue ! TRAVAILLE ! TRAVAILLE !!! Et quand tu auras travaillé, tu vas me faire le plaisir de rédiger ce putain d’article, parce que tu te laisses un peu aller, là ; ton blog rank diminue, merde ! Tu n’es plus compétitif ! TRAVAILLE !!! »
Mais c’est que je ne sais pas quoi dire de plus, moi !
« Bah tu vois », reprend le diablotin.
« Sinon, ce sera l’ENFER !!! », gémit l’angelot, qui me fait lire des tracts de Jack Chick pour me convaincre.
Bon d’accord. Remarque, avec toutes ces conneries sans intérêt, j’ai déjà réussi à rédiger quelques lignes sans parler de cet excellent bouquin qu’est Les nuits vénéneuses. C’est vrai, quoi : ça ne servirait pas à grand chose de reprendre pour ce deuxième tome tout ce que j’ai pu mentionner concernant l’auteur et l’univers dans mon compte rendu miteux de Féerie pour les ténèbres ; magie de l’Internet ! Non, il me paraît plus pertinent de continuer à écrire pour ne rien dire, et d’user à cet effet de cet expédient, dont j’avoue raffoler, qu’est la dilatation de phrases sans intérêt aucun sur une longueur que l’on pourrait aisément et très légitimement qualifier de scandaleuse, même si je me vois bien obligé de reconnaître, avec une indéniable honte compensée par un rire bête, que, au bout d’un moment, il est fort probable que le lecteur, qui s’ennuie, prenne conscience de ce que je n’ai absolument rien à dire, ce qui pourrait nuire au peu de crédibilité que j’aurais pu, je ne sais par quel miracle, acquérir à l’occasion de mes pathétiques et fréquentes notules sur ce blog décidément de plus en plus interlope.
Cela dit, maintenant que j’ai achevé – avec brio – la première page, traditionnellement inutile, de mon articulet, je peux bien vous parler de cet ouvrage : après tout, il n’y a sans doute plus personne pour me lire… et le dilemme est ainsi réglé (ou pas ; mais nous verrons cela plus en détail quand je vous parlerai du troisième tome, Le carnaval des abîmes, à moins que je ne trouve une meilleure idée d’ici là). Pour ceux qui n’auraient pas suivi, je suis donc censé vous faire part de ma lecture des Nuits vénéneuses, deuxième tome de l’excellente trilogie de fantasy du non moins excellent Jérôme Noirez intitulée globalement « Féerie pour les ténèbres ».
« Heu, t’es lourd, là… T’as qu’à nous raconter l’histoire, plutôt que de traîner en longueur ! »
C’est que c’est un peu le problème, en fait. A l’instar du premier volume, Les nuits vénéneuses est un roman foisonnant, comme c’est qu’on dit, d’une richesse rare, et multipliant les protagonistes. Du coup, raconter l’histoire n’est guère évident… Et, à vouloir trop en faire, je serais sans doute amené à… en dire finalement trop, ce qui serait absurde, puisque vous allez lire ce livre, si vous ne l’avez pas déjà fait.
Ah si, une chose, quand même : j’ai souvent lu ici ou là que l’on pouvait très bien commencer par Les nuits vénéneuses, entendons par-là que la lecture préalable de Féerie pour les ténèbres n’était pas un passage obligé. Je veux bien le croire, hein ; mais, pour ma part, je déconseillerais autant que possible cette manière de faire : déjà parce qu’il serait fort dommage de se passer de la lecture de Féerie pour les ténèbres ; ensuite parce que l’on retrouve dans Les nuits vénéneuses bon nombre de personnages du premier volume, et que – me semble-t-il – le lecteur qui aurait fait l’impasse sur celui-ci pourrait manquer d’éléments concernant les rioteux, la Technole, le personnage d’Estrec et la ville de Gourios, qui lui seraient d’une certaine utilité pour pleinement comprendre et apprécier le présent ouvrage.
Ah tiens, si (en fait, y’a plein de trucs à dire…) : on peut poursuivre la comparaison avec le premier volume sur un autre point, au passage. Quand bien même la couverture (plus acceptable, même si…) n’en réserve cette fois pas la lecture à un « public averti », le fait est que Jérôme Noirez se lâche un petit peu plus (même si ça reste très lisible, pas aussi dingue qu’on a pu le laisser entendre), et c’est tant mieux : ça nous fait encore plus de cadavres et de sadisme, et même un peu de zoophilie (pour la forme). Miam. Mais c’est surtout terriblement drôle, d’un humour que ne renierait probablement pas Catherine Dufour (ou Terry Pratchett, mais en un peu plus rock’n’roll), voire, à l’occasion, un Pierre Desproges, ou un Didier Super qui soignerait son français (heu...). Tenez, par exemple, j’aime beaucoup les titres des chapitres, qui sont autant de réjouissants proverbes rioteux ; je ne résiste pas à l’envie de vous en livrer un petit florilège de mes préférés : « Chat écorché ne craint plus l’eau froide » (p. 5) ; « Honni soit qui pense » (p. 19) ; « L’enfer n’est même pas pavé » (p. 49) ; « Il n’est pire sourd que celui à qui on a crevé les yeux » (p. 73) ; « Tourne sept fois la langue d’autrui dans ta bouche avant de mordre dedans » (p. 95) ; « Le bonheur d’un seul fait le malheur des autres » (p. 99) ; « Il y a loin de la coupe aux lèvres, sauf quand les lèvres reposent au fond de la coupe » (p. 113) ; « Il ne faut pas mettre la charrue dans les bœufs » (p. 167) ; « Qui veut noyer son chien se rend à la rivière sans faire de manières » (p. 177) ; « Rien ne sert » (p. 191) ; « Il faut battre la jeunesse pendant qu’elle se passe » (p. 197) ; « Qui peut le plus, peut pire encore » (p. 245) ; « Tous les métiers sont sots » (ah, vous voyez bien ! p. 307)… J’aime. Et, oui, bien sûr, c’est très bien écrit ; vraiment.
C’est très bien, mais alors vraiment très très bien, ouh la, oui.
« Mais, bordel, DE QUOI CA PARLE ?! »
Eh bien, de panneaux de signalisation et de crème au chocolat ; de nazis et d'instituteurs ; de Grenotte et Gourgou (la première étant pire que jamais) ; de Malgasta qui fait dans l’héroïsme avec un pirate tentaculaire (mais non !) et des chevaliers crétins ; d’un gros tas de viande et de zombies (ça va toujours bien avec les nazis, les zombies) ; d’inquisiteurs et d’hérétiques ; de poésie et d’étoiles filantes ; de montagnes et de souterrains ; de massacres inhumains et de conduite automobile ; de féerie et de rioteux ; de Technole et de charcuterie ; d’orties et de méduses ; des Brolhs et de Gourios… De beaucoup de choses, quoi. Tant... qu’on ne peut rien en dire ; laissons ça à Jérôme Noirez, il le fait très bien.
« Bon, mais, t’as pas, je sais pas, moi, une toute petite critique à formuler ? Tu pinailles, d’habitude ! »
Bon, allez, d’accord, juste un petit pinaillage, mais c’est vraiment parce que c’est vous, hein : sur le plan de la construction, j’ai trouvé Les nuits vénéneuses un chouia moins convaincant que Féerie pour les ténèbres. Une fois de plus, et en dépit de la richesse de la chose, on ne s’y paume pas vraiment, ce qui est bien ; mais la conclusion du roman, je trouve, laisse un peu sur sa faim, et trop de questions restent en suspens, ce qui est tout de même un tantinet frustrant.
« Ben… Ouais, mais, c’est une trilogie, aussi ! »
Exactement. D’où cette critique n’en est pas totalement une. A suivre avec Le carnaval des abîmes, donc ; et, promis juré, j’essayerai de faire mieux…
Désolé.
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