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"Elephant Man", de Frederick Treves

Publié le par Nébal

Elephant-Man.jpg

 

 

TREVES (Frederick), Elephant Man, [Elephant Man], traduction de l’anglais et postface d’Anne-Sylvie Homassel, Paris, Les Éditions du Sonneur, coll. La Petite Bibliothèque, 2011, 68 p.

 

Bon. Vous avez nécessairement tous vu le film de David Lynch Elephant Man, son deuxième long-métrage et – horreur glauque – un Lynch compréhensible, mais néanmoins très bon (et superbement interprété). C’est bien. Moi aussi. Et, du coup, peut-être par un certain voyeurisme bien compréhensible (on aura sans doute l’occasion d’y revenir), j’ai voulu en savoir plus sur cet étrange et fascinant personnage historique que fut John Merrick – ou plutôt Joseph Carey Merrick, de son vrai nom. J’ai quelques vagues souvenirs d’un documentaire sur ce freak entre les freaks et les causes de ses difformités passées dans la légende. Mais j’avais aussi envie de lire un témoignage d’époque, en l’occurrence celui du docteur Frederick Treves, celui qui a sorti l’Homme-Éléphant de sa misère noire pour lui donner enfin une vie à peu près humaine. Chance : les Éditions du Sonneur ont publié l’an passé dans leur Petite Bibliothèque ce récit hors du commun. Bon, c’est un peu cher (6,50 €) pour une lecture pliée en une demi-heure (sans se presser), mais on ne va pas faire la fine bouche (d’autant que traduction et postface de l’indispensable Anne-Sylvie Homassel). Alors hop.

 

Elephant Man n’est qu’un extrait des souvenirs du chirurgien Frederick Treves (1853-1923), mais c’est à n’en pas douter la pièce de choix. Une histoire vraie, donc, passablement étrange, et qui nous est confiée sur le mode édifiant, quasiment celui d’une parabole. Le distingué médecin commence par nous raconter comment, en 1884, il a fait la rencontre de Joseph Carey Merrick, lors d’une « représentation privée » ; fasciné par l’odieux spectacle qui se présentait à lui, Treves demanda à son « propriétaire » – le bon docteur n’en envisage qu’un seul, représentation idéalisée de l’exploiteur – de lui confier Merrick pour des examens approfondis.

 

Deux ans plus tard, après une malheureuse « tournée » sur le continent, où son exhibition a été interdite pour indécence de même qu’en Angleterre, Merrick se retrouve seul et en proie au désarroi le plus total ; son aspect pour le moins insolite suscite à peu de choses près une émeute, mais il n’a personne à qui se livrer… Personne, sauf le docteur Treves, dont la carte figure parmi ses rares possessions. Treves obtient de son hôpital – qui n’accepte normalement pas les incurables, ce qu’est Merrick de toute évidence – un petit appartement dans lequel il va installer le ci-devant Homme-Éléphant, et lui permettre d’avoir une vie à peu près normale.

 

Treves se donne tout naturellement le beau rôle dans cette histoire – et sans doute, à bien des égards, est-ce justifié. Il n’en livre pas moins Merrick à la visite de spectateurs d’un nouveau genre, des ladys moins portées sur l’indignation et davantage sur la commisération… Voyeurisme, là encore ? Peut-être. Mais la condition de Merrick – malgré quelques autres visites non désirées, celles-ci… – s’en retrouve sensiblement améliorée (même si l’instructive postface, se fondant sur des travaux récents, relativise le sort horrible de notre héros avant l’intervention de Treves).

 

Il est alors possible pour le docteur de dresser un portrait fort émouvant – attention, c’est du concentré – de son « patient » : un jeune homme qui a beaucoup souffert, et a quelque chose d’un enfant dans son état d’esprit, mais qui n’en est pas moins doté d’une grande sensibilité, exacerbée notamment à la lecture de romans sentimentaux – les femmes lui ont toujours fait beaucoup d’effet –, qu’il avait tendance semble-t-il à prendre au pied de la lettre.

 

On a l’impression, à la lecture de ces quelques pages, que le chirurgien écrit la larme à l’œil, et celle-ci pointe plus qu’à son tour chez le lecteur complice. Il faut dire qu’il ne lésine ni sur le pathos, ni, de manière plus générale, sur le touchant, dressant un tableau terriblement poignant de la vie de Joseph Carey Merrick, de l’enfer des foires à sa « rédemption » ultime, jusqu’au jour où – et là il devient vraiment difficile de retenir un sanglot – il meurt, pour avoir tenté de dormir comme un homme « normal ».

 

Récit émouvant, donc, mais aussi édifiant, dressant un parallèle entre la vie de Merrick et Le Voyage du pèlerin de John Bunyan, explicitement cité dans les dernières lignes. Le texte du docteur Treves a ainsi une dimension profondément chrétienne, et volontiers didactique. Ce qui pourrait rebuter, mais non : le caractère poignant l’emporte. Et s’il est sans doute bon de ne pas tout prendre au premier degré dans le témoignage du chirurgien – la postface nous aidant à faire le tri –, il n’en reste pas moins que cette courte lecture, comme les meilleures, laisse un souvenir durable, et touche directement au cœur.

 

Sortez vos mouchoirs…

CITRIQ

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D
Un grand merci, hein. Quand on lit des recensions comme ça, on est quand même drôlement content d'avoir bossé.
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N
<br /> <br /> Ah ben de rien, hein. Et merci pour cette belle lecture, surtout.<br /> <br /> <br /> <br />
B
!! Sans parler des autres titres parus dans cette édition :<br /> - Quiconque nourrit un homme est son maître, de Jack London (cf. un billet ici : http://www.e-litterature.net/publier2/spip/spip.php?page=article5&id_article=975)<br /> - Les éperons de Tod Robbins<br /> - Du péril de l’ignorance, de Victor Hugo<br /> ...me tentent énormément.<br /> <br /> Merci pour la découverte !
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N
<br /> <br /> De nada. Faudra peut-être que je jette un oeil à tout ça moi aussi.<br /> <br /> <br /> <br />
B
Très intéressante et saisissante chronique. Je me procurerai ce petit livre atypique d'autant plus qu'en ce moment, je prévilégie la forme courte car les paupières sont lourdes.
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N
<br /> <br /> Merci.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Et les paupières lourdes, je comprends ça...<br /> <br /> <br /> <br />