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"Le Vaillant Petit Tailleur", d'Eric Chevillard

Publié le par Nébal

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CHEVILLARD (Éric), Le Vaillant Petit Tailleur, [s.l.], Les Éditions de Minuit, coll. Double, [2003] 2011, 233 p.

 

Tiens, pour ma peine, encore un livre en provenance directe de la sélection de Fabrice Colin, libraire invité à Charybde. Je n'y étais donc pas, hélas, mais ça ne m'a pas empêché de jeter un œil à ladite sélection le lendemain. Et c'est ainsi que j'ai fait connaissance avec Le Vaillant Petit Tailleur d'Éric Chevillard ; car, à la différence d'Un privé à Babylone dont je vous ai parlé il y a peu, celui-ci je n'en avais jamais entendu parler ; à vrai dire, je ne suis même pas certain de connaître vraiment le conte de Grimm und Grimm qui en fournit le prétexte (même si ça me dit effectivement quelque chose, cette histoire). Mais voilà : une fois n'est pas coutume, j'ai été attiré par la quatrième de couverture, plutôt prometteuse (mais ne le sont-elles pas toutes, ces salopes ?), et quand je me suis adressé à la libraire d'un air étonné, la perfide m'a fait : « Oh, ça, visiblement, c'est tout en digressions. » Et de rajouter, doublement perfide : « ... un peu à la Tristram Shandy... » Aussi, comment voulez-vous ? Hein ? Bon. Ben voilà, Le Vaillant Petit Tailleur de Chevillard a ainsi intégré ma mini-pile à lire temporaire, en très bonne position.

 

Adonc. La base, c'est bien le conte du Vaillant Petit Tailleur tel qu'il a été rapporté par les frères Grimm. Qui n'en sont donc pas l'auteur. Et voilà bien ce qui manque à cette stupide histoire de tueur de mouches : un auteur. Ainsi naît le Projet : « reproduire le conte avec ses imperfections constitutives, ses vices de forme, sa pauvreté d'imagination et de pensée, sa radicale bêtise, et [...] le propulser tel quel au rang d'œuvre littéraire majeure en devenant l'auteur qui lui fait défaut depuis toujours. » Tout de même. Et de se poser la question, bien légitime : au final, qui dans toute cette histoire est le héros ? Le Vaillant Petit Tailleur, ou bien l'Auteur ?

 

L'Auteur. Parlons-en. Il est tellement Auteur qu'on pourrait y mettre un H. Et il déteste le Vaillant Petit Tailleur, de même qu'il méprise Grimm-Grimm et les veuves qui leur ont rapporté semblables sornettes. Il n'y a qu'une seule chose que l'Auteur déteste encore plus que son sujet – qu'il cherchera donc à expédier le plus tôt possible –, et ce sont les mouches. Saloperies. « Sept d'un coup ! » Pas mal. Peut mieux faire.

 

Notre Auteur entreprend donc de réécrire le conte du Vaillant Petit Tailleur, en suppléant aux insuffisances flagrantes du récit originel, qu'il ne cesse de vilipender. Le Projet est arrogant ; mais notre Auteur, il faut bien le reconnaître, l'est vachement. Alors, oui, à la base il y aura bien un conte de fées – avec des géants et des licornes, un roi et une princesse –, il s'agit sous cet angle, de respecter le matériau. Mais notre Auteur ne peut pas s'empêcher d'en rajouter des caisses, et de tourner autour de son sujet (à l'instar d'une mouche, sale bête), à grands renforts de développements incongrus et autres digressions, dont il fait un véritable art. La digression est effectivement au cœur du conte modernisé et doté d'un Auteur. Le moindre prétexte est bon pour parler d'autre chose, et user de cet à-propos qui n'a rien à voir.

 

Et c'est jubilatoire, il faut bien le dire. Chevillard est un maître pour ce qui est de la digression ; de même que son Vaillant Petit Tailleur, mais sous une autre acception, il est insurpassable pour ce qui est de broder. Aussi, au fil des pages, nous le verrons souvent pester, railler, mépriser, mais tout autant nous entretenir de choses et d'autres, dont le rapport avec le conte des Grimm peut être sacrément tordu.

 

Le résultat, c'est un court roman souvent très drôle, et accessoirement – ou pas – superbement écrit. Car, si notre Auteur en rajoute dans la prétention, il ne fait guère de doute que Chevillard est un écrivain doué, qui connaît son métier.

 

Ainsi, au-delà de la farce burlesque et du ton goguenard de rigueur, se dessine une réflexion sur le statut d'auteur, sur ce que c'est que d'être un écrivain, sur le rapport à l'œuvre, sur la paternité littéraire... Et c'est diablement malin, et sacrément bien fait.

 

Le Vaillant Petit Tailleur est ainsi susceptible de nombreuses lectures – sept d'un coup ? –, qui sont toutes aussi enrichissantes et enthousiasmantes les unes que les autres. On voit bien dès lors qu'il s'agit de bien autre chose que d'un pur exercice de style, et c'est tant mieux.

 

Alors merci M. Colin, votre choix fut des plus judicieux.

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