"Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons", de Jasper Fforde
FFORDE (Jasper), Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons, [The Last Dragonslayer], traduit de l’anglais par Michel Pagel, Paris, Fleuve Noir, coll. Territoires, [2010] 2011, 294 p.
Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 63 (pp. 102-103).
Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.
En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…
EDIT : Hop :
Pour inaugurer sa nouvelle collection « Territoires », destinée au public « young adults » (puisque c’est comme ça qu’on dit, paraît-il), le Fleuve Noir aurait pu tomber plus mal : Jasper Fforde, que l’on connaissait jusqu’à présent en France pour sa géniale et indispensable série des aventures de Thursday Next, voilà bien un nom qui inspire confiance, et qui donne assurément envie d’y jeter un œil (bien plus que la couverture, terne et inadéquate au possible…). Voyons donc ce qui se cache derrière ce titre à rallonge (plus explicite que le The Last Dragonslayer original, mais bon…).
« À une époque, j’ai été célèbre. On a vu ma tête sur des T-shirts, des badges, des tasses à thé et des posters. J’ai fait la Une des journaux, je suis passée à la télé, et j’ai même été invitée au Yogi Baird Show. Le Quotidien des Palourdes m’a proclamé « L’adolescente la plus remarquable de l’année » et j’ai été élue femme de l’année par Mollusque-Dimanche. On a deux fois essayé de me tuer, on m’a menacée de la prison, j’ai reçu seize demandes en mariage et j’ai été déclarée hors la loi par le roi Snodd. Tout cela, et plus encore, et en moins d’une semaine.
« Je m’appelle Jennifer Strange. »
XXIe siècle. Mais dans une Grande-Bretagne différente. Nous sommes dans les Royaumes Désunis, plus particulièrement au royaume d’Hereford. Dans ce monde-là, il y a encore de la magie (et une curieuse obsession pour le massepain, mais c’est une autre histoire). Il y a encore de la magie, donc. Mais plus des masses ; et le respect pour le sacerdoce s’est perdu… Aussi les quelques mages encore dotés de pouvoirs se voient-ils contraints d’offrir leurs services pour des tâches a priori peu glorieuses : transport d’organes en tapis volants, réparation d’installations électriques, etc. Kazam est une des entreprises gérant ces affaires. En l’absence – momentanée, bien sûr – de son fondateur le Grand Zambini, Kazam est gérée par l’enfant trouvée Jennifer Strange – bientôt seize ans, et serve. Elle est un peu jeune, certes, mais comme elle est à peu près la seule à avoir toute sa tête dans cette maison de dingues, elle ne se débrouille pas trop mal.
Et puis, tout à coup, l’énergie sorciérique se met à connaître des pics d’intensité qu’on n’avait plus connus depuis fort longtemps. Et tout cela semble coïncider avec la dernière prophétie en date, selon laquelle le dernier dragon des Royaumes Désunis, Maltcassion, qui, ça tombe bien, vit dans la dragonie d’Hereford, doit mourir le dimanche suivant. De la main d’un tueur de dragons, forcément, puisque seul un tueur de dragons peut pénétrer les frontières de la dragonie.
Le titre français lâchant le morceau – mais, de toute façon, on s’en doutait un peu –, on peut bien le dire ici : par un étrange concours de circonstances, Jennifer Strange se trouve hériter du titre de dernière tueuse de dragons, et se voit donc confier ladite tâche glorieuse, peut-être, mais très certainement dangereuse.
D’autant que cela lui pose un problème de conscience : elle n’a pas vraiment – non, pas du tout – envie de le tuer, ce dragon. Déjà, parce qu’elle craint, ce faisant, de faire disparaître la magie pour de bon, pour des raisons qu’elle ne parvient pas très bien à s’expliquer elle-même ; ensuite et surtout, parce qu’elle se rend compte que ledit Maltcassion est une créature noble, érudite et intelligente, et que, pour le moment en tout cas, il n’a pas brisé le Pacte : elle n’a donc aucune raison de le tuer, et d’accomplir la prophétie !
Mais on la presse de toutes parts. Des milliers de personnes s’amassent aux frontières de la dragonie, désireuses de s’accaparer ces terres dès que le dragon aura rendu son dernier souffle. Et le roi Snodd, son ennemi de toujours le duc de Brecon, et les grandes entreprises des Royaumes Désunis (voire un car de Danois trahis par leurs rollmops) sont de la partie…
Au début, on a un peu peur : on sent en effet que Harry Potter est passé par là, et on craint de voir Fforde succomber à son tour à la tentation du clonage… Mais, heureusement, cette impression disparaît assez vite, et on retrouve bientôt le ton joyeusement délirant et bourré d’inventivité de l’auteur, bien que dans une veine plus « gentille », dirons-nous, que pour les Thursday Next – on sent tout de même la différence de public –, mais qui peut également faire penser à du Pratchett honnête.
Le roman, très court – 300 pages mais en gros caractères – se dévore, passées les premières pages un peu douteuses, avec un plaisir constant. Léger et drôle sans jamais être creux, il offre à n’en pas douter un bon divertissement, bref mais tout à fait honorable.
Seulement voilà, c’est un peu le problème. Non, Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons n’est pas un mauvais roman ; on peut même dire, en desserrant un peu les dents, qu’il est plutôt bon… Mais de la part de Jasper Fforde, le fait est que l’on peut se sentir en droit d’en attendre davantage. Plus d’exubérance, de folie, de style, de sens, de double sens ; de tout ce qui a fait qu’on a tant aimé les Thursday Next (et plus si affinités). Mais, ici, même si on ne s’ennuie pas, même si – oui – on passe un bon moment, on a quand même un peu l’impression d’un auteur, certes talentueux, mais qui livre le minimum syndical.
Du Fforde moyen sera toujours largement meilleur que la plupart des sorties habituelles en fantasy, « jeunesse » ou pas. À ce compte là, nul doute que Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons sortira du lot, et constituera – par exemple – un cadeau de choix à votre ado préféré(e) (en attendant de lui refiler les Thursday Next), que vous pourrez lui piquer à l’occasion. Ce qui n’empêche pas une déception relative…
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