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"Coup de tabac", de Terry Pratchett

Publié le par Nébal

"Coup de tabac", de Terry Pratchett

PRATCHETT (Terry), Coup de tabac, [Snuff], traduit de l’anglais par Patrick Couton, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2011] 2012, 478 p.

 

On retourne donc aux romans des « Annales du Disque-Monde » avec ce Coup de tabac qui s’inscrit dans le cycle intérieur du Guet. Les personnages récurrents du Guet des Orfèvres ne sont pas mes préférés des « Annales » (je crois que j’ai un faible pour les sorcières de Lancre), mais j’aime généralement bien retrouver la route du commissaire Vimaire et de ses agents, même (surtout ?) Chicard Chique.

 

Mais, dans ce volume-ci, on ne va guère arpenter les rues nauséabondes d’Ankh-Morpork. En effet, Vimaire y est contraint par sa fascinante épouse dame Sybil Ramkin (avec peut-être un coup de pouce du Patricien Vétérini) à faire une chose parfaitement ignoble : prendre des vacances à la campagne. Le duc d’Ankh-Morpork se rend donc dans l’arrière-pays, dans la propriété des Ramkin, pour y jouer bien malgré lui au hobereau, avec sa femme et leur fils le petit Sam, obsédé comme de juste par le caca, obsession qui se trouve renforcée par la rencontre de l’auteur jeunesse mademoiselle Félicité Bidel (voir Le Monde merveilleux du caca, que je lis prochainement, et j’en ai des frissons d’appréhension…).

 

C’est horrible, la campagne. Pire que la ville. Et les gens y adoptent des comportements déconcertants, des roturiers confits d’admiration pour leurs bons maîtres aux infects nobliaux des environs, qui ne cessent de donner des bals pour tenter désespérément de marier leurs filles ingénues. Vimaire, bien évidemment, supporte très mal tout cela, lui qui n’est un aristo que bien malgré lui. Et il ne rêve que d’une chose : que du boulot lui tombe dessus, tant qu’à faire en provenance d’Ankh-Morpork histoire d’écourter ses congés.

 

Mais la campagne aussi connaît son lot de crimes. Les gens d’ici ont bien des choses à cacher, et certains puent la culpabilité. Assisté par son valet plein de ressources Villequin, Vimaire va ainsi soulever un lièvre, une sombre histoire impliquant des gobelins, ces méprisables vermines qui passent leur temps à voler les poules et à manger leurs propres enfants, rendez-vous compte ma bonne dame. Et on n’apprécie guère de voir Vimaire remuer ainsi la merde ; à tel point que quand le forgeron Jethro disparaît, dont on savait qu’il avait une dent contre les aristos en général et le duc d’Ankh-Morpork en particulier, on s’empresse de saisir l’occasion de mettre le commissaire en état d’arrestation… Enfin, d’essayer, du moins.

 

Coup de tabac est donc une sorte de polar rural qui fait intervenir une thématique chère à l’auteur, et déjà abondamment traitée dans des volumes précédents : le racisme. Cette fois, il porte donc sur les gobelins, ces étranges petites créatures barbares en apparence, mais peut-être pas tant que ça au fond, forcément. Pratchett avait déjà donné (avec les nains, les trolls, etc.), et se répète du coup un poil ici, même si les chapitres faisant intervenir les gobelins figurent parmi les meilleurs de Coup de tabac.

 

Ou les moins mauvais… En effet, n’y allons pas par quatre chemins, ce trente-quatrième (!) livre des « Annales du Disque-Monde » est probablement le moins bon (pour rester poli) qu’il m’a été donné de lire jusqu’à présent. Outre que Pratchett se répète, deux choses essentiellement m’ont gêné dans cet épisode raté.

 

Tout d’abord, l’humour. C’est quand même un trait fondamental du cycle de « fantasy burlesque », même si on aurait bien tort de le limiter à cela. L’humour n’a jusqu’à présent jamais empêché Terry Pratchett de parler de choses sérieuses, et il l’a parfois fort bien fait (le meilleur exemple étant probablement à mon sens l’excellent Les Petits Dieux, mon volume préféré des « Annales », aussi drôle qu’adroit et intelligent). Il a pu le mettre parfois un peu de côté, sans le remiser totalement. Mais ici, ça ne marche tout simplement pas… Or on sent que Pratchett a voulu être drôle dans Coup de tabac : simplement, ça tombe systématiquement à plat. Il y a des gags (des pseudo-gags…) à la pelle, mais ils ne font pas rire, pas même sourire, jamais (le pompon, c'est sans doute les notes de bas de page, toutes plus inutiles les unes que les autres). C’en est même assez désespérant. C’est du Pratchett tellement mauvais qu’on a l’impression d’un auteur à bout de souffle contraint à se parodier lui-même, et qui ne parvient plus à livrer qu’un pâle ersatz de ce qu’il avait si bien réussi auparavant, à peine digne des tâcherons qui se réclament de lui, généralement encore moins drôles qu’une blague Carambar. On ne rit pas, non ; et on s’inquiète même pour la suite des opérations, craignant que Pratchett ait perdu une fois pour toutes son talent… Le pire étant probablement que, pour tenter vainement de faire rire, Pratchett a régulièrement recours ici à des artifices qui me paraissent peu dignes des « Annales », en tout cas sous cette forme : la scatologie (pas seulement dans les passages consacrés au Petit Sam et à Félicité Bidel, d’ailleurs ; à vrai dire, Pratchett en use peu ou prou dès la première page, consacrée aux rites des gobelins…) et la grivoiserie beauf, qui donnent une impression de bien triste grossièreté à laquelle l’auteur ne nous avait guère habitué jusqu’à présent…

 

Et puis le roman est tout simplement mal conçu. Il tire atrocement à la ligne pendant un bon moment (il faut attendre près de la moitié du livre avant que la trame ne se mette véritablement en place, et c’est un calvaire que d’arriver jusque-là), use d’expédients faciles et de procédés éculés dès lors, avant de s’achever dans la précipitation, Pratchett ayant atteint et même sans doute dépassé son quota de signes. La fin est ainsi parfaitement bâclée, tandis que ce qui précède, à force de gags pas drôles et de péripéties inutiles ou téléphonées, plonge le lecteur fan dans l’embarras. À ce titre, les scènes qui s’éloignent de Vimaire, notamment pour revenir à Ankh-Morpork en coup de vent, sont généralement assez éloquentes, et pour le moins calamiteuses en plus d’être gratuites. De tout ce désastre, je ne sauve qu’un bref chapitre (en hors-champ, pourtant) sur les ruminations d’un ancien colonel de dragons quant à la noblesse rurale : c’est là, et seulement là, que l’on retrouve le vrai bon Pratchett. Quatre ou cinq pages sur près de 480…

 

N’ayons pas peur des mots : Coup de tabac est affligeant. Le plus mauvais tome des « Annales » à ce jour, raté de bout en bout. J’ai plus d’une fois hésité à l’abandonner en cours de route, ne poursuivant que par un automatisme gêné de petit fan à la peine… J’espère que Déraillé (un roman qui se situe dans l’optique plus « moderniste » du Disque-Monde, que j’ai plutôt appréciée jusqu’à présent) saura relever le niveau ; sinon, je pourrais bien être contraint d’arrêter les frais avec cette série, qui m’a pourtant procuré tant d’heures de lecture enthousiaste…

Commenter cet article

L
Mais T qui toi pour faire des critiques assassines?
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E
J'ai été bien calmé par celui-ci, rendez nous le Pratchett de Timbré !
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N
Ou mieux encore, celui des "Petits Dieux"...