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"L'Homme aux pistolets", de James Carlos Blake

Publié le par Nébal

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BLAKE (James Carlos), L’Homme aux pistolets, [The Pistoleer], traduit de l’anglais (États-Unis) par Danièle et Pierre Bondil, Paris, Rivages, coll. Noir, [1995, 2001] 2002, 569 p.

 

« Western Summer », suite, avec cet étrange premier roman de James Carlos Blake qu’est L’Homme aux pistolets, qui me fut recommandé par quelqu’un de bon goût décidément et même que merci. Mais étrange, disais-je. Voire bizarre. Je dirais même étonnant. En effet, il s’agit là d’une biographie romancée du hors-la-loi texan John Wesley Hardin ; bon, jusqu’ici, ça va ; mais c’est formellement que James Carlos Blake signe quelque chose de passablement original : cette biographie prend en effet la forme d’une succession de témoignages reconstitués ; on compte ainsi, en dépit de l’unité du sujet, des dizaines de narrateurs dans L’Homme aux pistolets. Procédé un peu déconcertant de prime abord, mais à n’en pas douter astucieux, et finalement très convaincant, du fait du talent de l’auteur qui parvient à insuffler vie et personnalité à chacun de ces « témoins ». Jolie performance en soi, qui mérite déjà d’être saluée.

 

John Wesley Hardin. Ange, ou démon ? Es-tu mon ange, ou mon démon ? C’est la question que se pose (en d’autres termes, certes) la quatrième de couverture. Il s’agirait en somme de savoir si John Wesley Hardin fut un hors-la-loi dégueulasse, ou un héros admirable. C’est sans doute en partie le propos. Mais qu’on ne s’y trompe pas : les témoignages présentés par James Carlos Blake sont généralement le fait d’amis, de proches ou du moins de partisans (rares sont les exceptions), et le portrait du tueur est ainsi pour le moins unilatéral ; oui, semble nous dire l’auteur, John Wesley Hardin fut bel et bien un héros. Mais c’est au lecteur, confronté à ces prétendus « documents », de faire la part des choses. Et il est clair que, en détaillant la vie et les œuvres de John Wesley Hardin, James Carlos Blake questionne bel et bien le mythe américain – c’est semble-t-il courant dans son travail – et, au-delà, sa transmission culturelle, notamment populaire, des dime novels au cinéma (le nom du dernier témoin est assez éloquent à cet égard...). Et il en ressort un portrait complexe, naturellement, qui ne permet pas de trancher la question de manière aussi manichéenne : John Wesley Hardin, tel qu’il nous est montré dans cette biographie romancée, est à la fois un hors-la-loi dégueulasse et un héros admirable ; il est aussi répugnant que sympathique, tour à tour, oui, mais aussi parfois en même temps. Comme un vrai type, quoi. Qui vit vraiment. Et, là aussi, la plume de James Carlos Blake se montre très habile tant pour dresser le portrait du personnage, sous son meilleur profil donc, que pour le questionner.

 

John Wesley Hardin fut donc... un tueur. L’homme le plus dangereux du Texas, disait-on. Il produit son premier cadavre à l’âge de quinze ans ; à dix-huit, ce petit con « défie » Wild Bill Hickok ; il est emprisonné à vingt-cinq, et l’on pense alors qu’il a tué au moins quarante hommes, nombre record – un journal précisant candidement que c’est « sans compter les Nègres et les Mexicains », sans même parler des Indiens, bien sûr (mais le lecteur en compte deux ; les Nègres, très vite, on ne les compte plus...).

 

Mais il ne fut pas un simple tueur (si tant est qu’une telle chose existe), et ses motivations étaient complexes, et en tout cas fort éloignées de celles du truand commun : John Wesley Hardin était un tueur, oui, mais pas à gage ; c’était un hors-la-loi, oui, mais pas un voleur ou truc. Il l’a toujours clamé, jusqu’à sa mort, se posant plus ou moins en victime : il n’a jamais tué qu’en état de légitime défense. Mais, comme le note à un moment du roman Wild Bill Hickok himself, « ça a l’air d’être de la légitime défense pure et simple, mais je veux bien être pendu si j’ai jamais rencontré quelqu’un qui était obligé de se défendre de manière légitime aussi souvent que ce garçon ». Car John Wesley Hardin, disons-le, avait quand même un peu tendance à chercher la merde... et il avait le sang chaud ; or, au Texas à cette époque, la réponse aux emmerdes, c’est de dégainer son flingue : la question, dès lors, est de savoir qui dégaine le plus vite et tire le plus précisément ; et la réponse, bien sûr, c’est John Wesley Hardin... jusqu’à ce qu’une enflure l’abatte dans le dos.

 

Mais Wes était un homme de convictions, sans doute. Trop jeune pour prendre part à la guerre de Sécession dans les rangs confédérés, il n’en est pas moins profondément sudiste dans l’âme (ce qui ne le rend pas forcément très sympathique, et James Carlos Blake nous décrit bien un personnage profondément raciste, mais contexte, contexte, et nous autres Français ne sommes sans doute pas très bien placés pour comprendre la guerre civile américaine, qui impliquait davantage que la seule question de l’esclavage). Et son combat – en position de légitime défense, donc –, c’est d’abord celui de la liberté texane contre l’oppression des Yankees ; c’est ce qui, aux yeux de bon nombre de Texans, en fait un héros : Hardin s’est dressé contre l’occupant et les forces de police de l’État, imposées de l’extérieur et corrompues comme c’est pas permis (enfin... on se comprend). C’est du moins ce qui se passe au début de sa carrière de tueur (sa première victime se trouvait être un ancien esclave, au passage...). Mais l’impératif de défense, l’instinct de conservation en somme, a « justifié » la suite, quand Hardin devint cow-boy (au sens strict), ou bien prit part, à regret, à la guerre privée opposant les clans Taylor et Sutton (ce qui l’a ramené au combat contre les Yankees, néanmoins). Le livre de James Carlos Blake peut dès lors passer pour une apologie de la légitime défense, que l’on serait en droit, au-delà de ses incontestables mérites littéraires, de trouver un poil nauséabonde... Mais sans doute, une fois de plus, la réalité est-elle plus complexe (et le lynchage, en tout cas, est impitoyablement condamné ; il faut dire que le frère de Wes en a fait les frais, alors qu’il n’avait clairement rien à se reprocher...).

 

D’autant que L’Homme aux pistolets, c’est aussi l’histoire d’une phénoménale rédemption (quand bien même temporaire…). Fait prisonnier, John Wesley Hardin tente pendant les premières années de sa réclusion de s’évader à plusieurs reprises, et se montre particulièrement dur à cuire. Et puis, presque du jour au lendemain, il change, devient un prisonnier modèle, étudie dans sa cellule, fait son droit, obtient une remise de peine et le pardon du gouverneur (le premier à être texan…). Homme libre, il entend se poser en citoyen respectable, s’établit avocat, renonce au meurtre bien sûr, mais aussi à l’alcool, au jeu, au bordel… en digne fils de pasteur qu’il aurait toujours dû être. Mais ses démons finissent hélas par le reprendre, la solitude n’arrangeant rien sans doute, et il finit par tomber pour une histoire particulièrement stupide, mêlant petites trahisons, adultère et inimitié personnelle…

 

Quoi qu’il en soit, L’Homme aux pistolets se montre très convaincant. Biographie romancée astucieuse et palpitante d’un personnage complexe et bigger than life, c’est aussi, au-delà du divertissement fondé sur la légende populaire, une œuvre habile dans sa composition et qui sait poser moult bonnes questions sans avoir l’air d’y toucher. C’est bien vu, et tout à fait remarquable. On m’a conseillé d’autres romans de James Carlos Blake ; après cette première expérience concluante, il n’est donc pas exclu, loin s’en faut, que je vous en recause un de ces jours…

CITRIQ

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T
On ne l'avait plus en stock ce jour-là mais Crépuscule sanglant à lire absolument aussi. Clairement le chef d'oeuvre du bonhomme (du moins sur les 4 que j'ai lus de lui).
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N
<br /> <br /> Faudra me mettre ça de côté, alors, citoyen. Et merci.<br /> <br /> <br /> <br />
H
Cet homme était vraiment le diable incarné comme vous le suggérez. On dit même de lui qu'il était si souvent blessé que plus d'une livre de plombs était dans son corps !
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