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"La Guerre civile en France", de Karl Marx

Publié le par Nébal

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MARX (Karl), La Guerre civile en France, [The Civil War in France], notes et postface par Grégoire Chamayou, [s.l.], Fayard – Mille et Une Nuits, [1871, 1972] 2007, 124 p.

 

Tiens ! Ça faisait longtemps que je n’avais rien lu de Karlounet ! Presque rien depuis mes lectures et relectures de Les Luttes de classe en France et Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte pour ma thèse avortée, en fait…

 

La Guerre civile en France, justement, s’inscrit dans la droite lignée de ces deux titres : on est bien loin ici du Marx austère et rigoureux du Capital ; il s’agit de faire dans l’histoire immédiate, pour ne pas dire dans le journalisme, et dans le pamphlet ; et une fois de plus, ce sont les événements français qui retiennent l’attention de Marx : cette fois, la Commune de Paris. La Guerre civile en France, bel exemple de réactivité, a en effet été publié en tant qu’adresse du Conseil général de l’Association Internationale des Travailleurs à Londres le 13 juin 1871, et est daté du 30 mai, soit deux jours seulement après la fin des combats… On comprend d’autant mieux pourquoi, dans l’ensemble, le ton n’est guère celui de l’analyse froide et détachée. Le texte vibre d’indignation et de colère, et c’est bien légitime. Avec une cible toute désignée, bien sûr : Thiers, « ce nabot monstrueux »…

 

Il est inutile de refaire ici l’histoire de la Commune de Paris (du moins je le suppose), et pas davantage des autres Communes, qui ne sont de toute façon pas évoquées par Marx, une ligne exceptée. L’expérience, brève mais fondamentale, a marqué les esprits, et véhicule tout un cortège de figures et d’images mythiques, de Louise Michel au Mur des Fédérés. Et puis après tout, hein, c’est la lutte finale, tout ça… Je me contenterai ici de noter deux introductions (et plus si affinités) intéressantes : la BD de Tardi Le Cri du Peuple, d’après le roman de Vautrin, et le (long) (très long) film de Peter Watkins La Commune. Sinon, les ouvrages sur la Commune, ce n’est pas ce qui manque… Raison de plus pour ne pas s’étendre sur le sujet.

 

On notera juste que Marx, malgré le si bref délai entre les événements et la rédaction du texte, est étonnamment bien documenté (bien mieux que dans Les Luttes de classe en France, à titre de comparaison), et que, si l’on excepte quelques ragots pas forcément nécessaires (et pas loin de la calomnie) et quelques « naïvetés » de passage, plus ou moins pardonnables (à mon sens, celle concernant les « otages » ne l’est pas), le texte se tient remarquablement, et, dans l’ensemble, convainc, malgré le sérieux démenti que lui a infligé l’histoire, qui, décidément, ne s’est pas révélée marxiste.

 

Précisons toutefois une chose : peut-être, justement, pour cette raison, La Guerre civile en France, plus que l’histoire de la Commune de Paris, est avant tout celle de sa répression, de la contre-révolution, que Marx qualifie régulièrement de « rébellion de négriers ». Il s’agit ici de démontrer toute l’ignominie de Thiers et des Versaillais, leur hypocrisie, leur haine sanguinaire, leur collusion avec Bismarck. D’où le ton très vigoureux, et même haineux, de ces quelques pages. Le camp de la réaction est implacablement stigmatisé, et rien n’est à mettre au crédit des responsables de la « Semaine sanglante », Thiers au premier chef, bien évidemment. L’insulte, aussi, est fréquente dans ce bref texte tout entier tourné contre l’oppresseur capitaliste, qui a joué son va-tout de la plus détestable des manières.

 

En face, évidemment, l’évocation des Communards est particulièrement lumineuse. Marx excuse tout, à plus ou moins bon droit (j’ai déjà parlé des « otages », et là on sent comme une contradiction…), et dresse un portrait élogieux de cette expérience unique dans notre histoire, et qui, à ses yeux, ne pouvait être que décisive et annonciatrice du « Grand Soir ». Marx note en effet la particularité de la Commune : cette fois, les « ouvriers » (plus exactement, sans doute, les prolétaires et les « prolétarisés ») ne se sont pas contentés de prendre les armes au nom de la République démocratique et sociale, comme en 1848, ce qui faisait l’objet de ses deux précédentes analyses citées au début de ce texticule ; mais ils se sont bel et bien emparés du pouvoir, quand bien même pour une courte période. Cela ne suffit pourtant pas ; ils ont surtout montré ce qu’il s’agissait d’en faire : le détourner, et, à terme, le réduire à néant. Grande originalité de la Commune, annonciatrice à ses yeux de la société sans classes (et donc sans État) devant nécessairement arriver quand la multitude des prolétaires aura triomphé du petit nombre des capitalistes.

 

On avouera cependant que, s’il est quelques pages d’analyse particulièrement brillantes, La Guerre civile en France n’a pas le caractère stupéfiant de justesse et de lucidité du 18 Brumaire de Louis Bonaparte, qui reste à mon sens sa plus grande réussite dans le genre. C’est que, sans doute, l’essentiel est ailleurs, dans ce texte militant : l’heure est à l’action, à la praxis. Aussi, en dehors de ce qui vient d’être dit concernant la prise du pouvoir, il est difficile de voir dans ce texte ce que sont au juste les idées de Marx, de manière générale (il est de toute façon noyé dans les signataires de l’adresse). On ne fera donc pas de La Guerre civile en France un texte marxiste (ou marxien…) majeur : c’est une bouffée de colère, d’indignation et de tristesse… teintée d’espoir, malgré tout. Un pamphlet cinglant, qui doit être pris pour tel, un témoignage sur le vif. C’est déjà beaucoup.

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