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"Little Brother", de Cory Doctorow

Publié le par Nébal

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DOCTOROW (Cory), Little Brother, [Little Brother], traduit de l’anglais (Canada) par Guillaume Fournier, postfaces de Bruce Schneier et Andrew « Bunnie » Huang, Paris, Pocket, coll. Jeunesse, [2008] 2012, 442 p.

 

Ayant adoré Dans la dèche au Royaume Enchanté et Overclocked, je ne pouvais logiquement que me précipiter sur ce Little Brother, son étiquette « jeunesse » ne constituant en rien un frein (d’ailleurs, Overclocked, à la limite…). C’est que ces deux premières lectures m’avaient déjà amplement convaincu que Cory Doctorow était un des auteurs de science-fiction (même si, cette fois, on pourrait à la limite y mettre des guillemets, encore que… le roman est en tout cas publié hors « genre ») les plus intéressants du moment. Et ce n’est pas Little Brother qui va me faire changer d’avis.

 

Le titre, vous l’aurez sans doute noté, est (encore une fois) une référence évidente à George Orwell. Pourtant, il ne faut pas s’attendre ici à une affreuse dystopie totalitaire, ou du moins assumée comme telle, dans un futur encore relativement lointain. Little Brother, qui se déroule à San Francisco, relève du « présent visionnaire » : en l’occurrence, à l’époque de sa rédaction, l’Amérique de George W. Bush ; « la plus grande démocratie du monde », comme c’est qu’y disent, mais avec quelques fâcheuses entorses type Patriot Act, et une tendance au flicage exacerbée.

 

Pour notre narrateur et héros, Marcus (alias W1n5t0n), 17 ans, tout ça, c’est le quotidien. Mais il sait y faire. Geek jusqu’au bout des ongles, et petit génie de l’informatique, notre hacker en herbe n’a pas son pareil pour déjouer les innombrables systèmes de sécurité de son lycée, ambiance carcérale. Avec ses amis Darryl, Van et Jolu, il joue à un ARG (« alternate reality game ») du nom de Harajuku Fun Madness, ce qui est tout de même beaucoup plus intéressant que les cours. Aussi, un jour, ils décident de faire l’école buissonnière, et partent en ville en quête d’indices pour leur jeu.

 

C’est ainsi qu’ils se retrouvent au mauvais endroit au mauvais moment : des terroristes font sauter le Bay Bridge et noient le métro, « le pire attentat que notre pays ait jamais connu », comme on ne cesse de le marteler. Embarqués par la DHS (la Sécurité intérieure), Marcus et ses amis se voient détenus en toute illégalité pendant plusieurs jours, et interrogés à la dure. Aussi, quand ils sortent enfin de ce mini-Guantanamo – tous sauf Darryl… –, Marcus n’a plus qu’une seule idée en tête : faire payer ses bourreaux. Mais un Patriot Act II est voté dans l’urgence, Frisco tombe aux mains de la DHS, et les jeunes – Marcus en tête – sont plus fliqués que jamais… Qu’à cela ne tienne ! Marcus va utiliser ses connaissances en sécurité (informatique ou pas, d’ailleurs) et en cryptographie, et monter à l’aide de Xbox un réseau secret, Xnet, rassemblant bon nombre des jeunes geeks de la ville. Et tout ça commence à avoir comme un parfum de révolution assaisonnée de clash générationnel…

 

Marcus est un ado, avec des préoccupations d’ado (et des hormones en ébullition) : en cela, Little Brother est bel et bien un roman « jeunesse », ou disons plus exactement « young adult ». Mais il a le bon goût de ne pas prendre son cœur de cible pour un ramassis de crétins, ce qui en fait donc un bon roman « jeunesse ». À vrai dire, quand Doctorow part dans certains délires informatiques ou cryptographiques, ce qui arrive régulièrement, Little Brother devient même parfois relativement ardu… Quoi qu’il en soit, si ce roman peut séduire les plus jeunes lecteurs, il gardera la majeure partie de son intérêt et de son efficacité auprès d’un public plus âgé, qui ne sera en rien entraîné dans un trip régressif.

 

Et c’est un vrai page-turner. On se prend très vite de sympathie pour Marcus et sa cause, et son astuce nous enchante. Il y a quelque chose de jubilatoire dans Little Brother, et quelque chose d’indéniablement subversif. Petit manuel de rébellion informatique, ce n’en est pas moins un roman palpitant de bout en bout (même si certains épisodes – je pense notamment à la « grande folie vampire »… – sont un peu plus faibles que le reste). Type même du divertissement intelligent, Little Brother entraîne son supposé jeune lecteur dans un sous-monde interlope et réjouissant, une subculture geek où la rébellion devient ludique.

 

Le fond n’en est pas moins terriblement sérieux, et, là encore, Cory Doctorow ne prend pas ses lecteurs pour des buses. Belle réflexion sur la liberté et la sécurité, Little Brother dresse un tableau particulièrement noir de l’Amérique contemporaine, montrant comment une société peut très vite « dérailler », sous une façade toujours respectable. De l’obsession sécuritaire à la propagande qui s’insinue jusque dans les lycées – et fait passer les Xnautes pour des « terroristes », le mot étant, comme on le sait, employé à tort et à travers –, Cory Doctorow envisage avec son astuce coutumière, son brillant, une multitude de thèmes graves, et sait en traiter sans trop sombrer dans le manichéisme ou la naïveté.

 

Cela dit, on le sait, Doctorow est un optimiste et un volontariste. On s’attend – et on a raison, aussi ne pensé-je pas faire de spoiler ici – à un happy end, malgré tout, et on l’aura. C’est peut-être la limite de ce roman, d’ailleurs, et, à ce niveau, les pessimistes dans mon genre pourront trouver le propos général un brin candide, si les détails ne le sont pas, et si la subversion reste bien présente… Mais c’est là un jugement qui n’engage que moi, et, après tout, cela participe peut-être de la dimension « jeunesse » de l’ouvrage.

 

Peu importe. Si, avec Little Brother, je n’ai pas pris une baffe comme avec Dans la dèche au Royaume Enchanté et Overclocked, je n’en ai pas moins passé un très bon moment. Aussi, malgré quelques petites baisses de régime et autres petits défauts, conseillera-t-on sans hésiter ce réjouissant brûlot aux plus jeunes lecteurs, et aux moins jeunes aussi, tant qu’on y est : ils y trouveront probablement tous leur compte.

CITRIQ

Commenter cet article

U
Pas tant optimiste que cela le dénouement puisqu'il me semble que les tortionnaires s'en tirent, sous couvert de mission en Irak. Comme après Abu Ghraid, en somme.<br /> <br /> ps : Tu es bigrement rapide !
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N
<br /> <br /> Certes. Mais l'idée qu'un gamin de 17 ans doué en informatique parvienne à tout foutre en l'air et à sauver sa ville et sa peau, je trouve ça quand même plutôt optimiste...<br /> <br /> <br /> <br />
E
A l'époque j'avais suivi l'avis de Gromovar et avait beaucoup apprécié aussi.
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C
je note ! J'adore la bonne littérature jeunesse, notamment, je l'avoue sans honte, parce qu'elle se veut généralement plus optimiste que celle pour les "grands", et que je n'ai pas besoin qu'on me<br /> le rabâche à longueur de bouquins pour savoir qu'on ne vit pas au pays des bisounours !
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G
Vraiment beaucoup aimé.
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