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"Trente-trois Sonnets composés au secret", de Jean Cassou

Publié le par Nébal

Trente-trois-Sonnets-composes-au-secret.jpg

 

 

CASSOU (Jean), Trente-trois Sonnets composés au secret ; La Rose et le Vin ; La Folie d’Amadis ; avec un inédit, préface d’Aragon, édition présentée par Florence de Lussy, Paris, Gallimard, coll. Poésie, 1995, 186 p.

 

 

Je vous entends ricaner d’ici. Ouais, ouais, foutez-vous de ma gueule. « Nébal il lit de la polésie, gna gna gna, Nébal il va voir les pouètes à leur Marché, gna gna gna… »

 

Ben oui. Que voulez-vous que je vous dise ? C’est la pure vérité. L’autre jour, ON m’a tendu une embuscade, et je me suis rendu au Marché de la Polésie, place Saint-Sulpice. J’y ai même passé un agréable après-midi, en très bonne compagnie ; et je me suis dit, là, comme ça, que je ne pouvais pas décemment en partir sans un livre de polésie. Mais pas n’importe laquelle, hein !

 

Mon regard a été attiré par la couverture du n° 15 du Visage Vert. Et là, illumination ! Je me suis souvenu que j’y avais lu deux magnifiques textes, très pouétiques justement, de Jean Cassou, qui m’avaient collé une sacrée baffe. J’ai cherché à savoir s’il était possible de se procurer d’autres œuvres du monsieur, du coup, et, au stand de Gallimard (paye ton petit éditeur), j’ai déniché ces Trente-trois Sonnets composés au secret. Et je me suis dit que l’expérience méritait d’être tentée.

 

Voilà.

 

C’est tout.

 

 

Sauf que maintenant faut que j’essaye d’en parler.

 

Contexte : la Deuxième Guerre mondiale. Jean Cassou fait partie d’un réseau de résistance à Toulouse (France dite « libre »…). Il est arrêté, et envoyé en prison (il sera libéré provisoirement, avant d’être condamné à la réclusion). C’est là qu’il compose, de mémoire tout d’abord, ses Trente-trois Sonnets. Qui seront publiés clandestinement par les Éditions de Minuit, sous le nom de Jean Noir, avec une préface d’un certain François La Colère, qui n’est autre qu’Aragon.

 

Arrêtons-nous un instant sur cette préface, parce qu’elle vaut sacrément le détour. D’une plume aussi élégante qu’hargneuse, Aragon nous y dépeint tout d’abord, avant de faire l’éloge du pouète, les prisons de Vichy, et le sort qu’elles réservent aux résistants, et notamment aux communistes. Pages édifiantes, puissantes, d’une beauté qui n’a d’égale que la vigueur. Puis « François La Colère » dissèque la polésie de « Jean Noir » (de manière relativement technique, ce qui m’a plus ou moins parlé).

 

Cette polésie, pour être une émanation de la prison, n’en parle que fort peu. Elle est, à sa manière, une évasion. Mais il est « amusant » (le terme n’est peut-être pas très bien choisi…) de constater que « Jean Noir » s’évade de la prison de Vichy par le biais d’une polésie « recluse », au lourd carcan formel, et qui plus est passablement anachronique. Des sonnets ? Allons bon ! Ben si.

 

J’avoue n’avoir été que moyennement séduit par les rimes de « Jean Noir ». Mais il y a tout de même quelques beaux passages dans ces Trente-trois Sonnets composés au secret. Tenez, par exemple (XXIII) :

 

Aux fées rencontrées le long du chemin

Je vais racontant Fantine et Cosette.

L’arbre de l’école, à son tour, répète

 

Une belle histoire où l’on dit : demain…

Ah ! Jaillisse enfin le matin de fête

Où sur les fusils s’abattront les poings !

 

J’aime bien. J’aime bien ça, aussi (XXXI) :

 

Oh ! ce soir soit pour nous le dernier soir tombé,

Et puisqu’il faut rêver, rêvons la mort des rêves.

 

Et je pourrais sans doute livrer d’autres exemples. Mais bon, sans plus, quand même (ben oui, c’est de la polésie…).

 

La Rose et le Vin, également composé en prison si j’en crois les dates et la dédicace, présente une autre facette, bien différente, de la polésie de Jean Cassou. Dans le « Commentaire » qui accompagne cette œuvre, le pouète renvoie dos à dos les « mathématiciens » et les surréalistes. On sent quand même énormément l’influence de ces derniers. Ce qui donne des pièces plus ou moins convaincantes à mon (mauvais) goût. J’avoue y avoir particulièrement goûté les pièces les plus « libres », et surtout de délicieux petits poèmes en prose, qui m’ont ramené aux « nouvelles » qui m’avaient tant parlé. Tenez, un exemple (XXX) :

 

C'est toi, musicien ? Une ombre tenant haut la lampe va vers la porte et l'ouvre solennellement à l'ombre visiteuse. Entre, tu peux entrer à présent, ma chambre est nue et j'ai les épaules brisées d'avoir porté longtemps un lourd fardeau. Mes cheveux sont gris. Alors qu'ils étaient noirs, tu venais souvent chez moi et nous chantions comme des aveugles. Puis je t'ai chassé, mais tu te rappelles ta promesse, musicien ? Celle de revenir, tu sais, pour… le scherzo. Une singulière idée qui m'était venue là ! Mes cheveux sont gris et j'ai porté un lourd fardeau.

Toi, tu n'as pas changé. Le visiteur est un long personnage, son plastron glacé luit comme un clair de lune. Le visiteur s'assied. Un silence, plus épais qu'aucun silence au monde, s'étend dans la chambre. Vois-tu, je n'ai jamais connu un aussi total silence, et pourtant j'ai vécu dans une telle solitude ! Il n'était personne qui sût qu'il fallait venir, entrer par cette même porte et me tendre la main, personne. C'est ce qu'on appelle un petit malentendu, un affreux petit malentendu. Pourquoi regardes-tu autour de toi ? Il n'y a rien d'intéressant pour personne ici. C'est ma chambre.

Tu vas te lever, sans doute. Et tu vas t'avancer vers moi, et poser tes mains sur mes épaules, et me regarder dans les yeux, et je verrai ma face sur la tienne. Oh ! Je n'ignore pas la vieille histoire : qui a vu son ombre doit mourir. Mais pas avant le scherzo, n'est-ce pas ? Non, pas avant... Le moment est venu, je crois. L'atroce moment où la mesure est comble. Ma mesure et la mesure du monde. L'heure avait tout noyé de sa stupeur lorsque, je ne sais pourquoi, – un pur hasard dans ce désordre final, – j'ai vu cette fleur et ce verre de vin, et tout est venu de là, comme le mourant revoit sa vie, et à présent c'est fini, il ne reste plus qu'une immense joie, légère, légère... Et je t'ai appelé, oh ! d'une voix si rauque de sanglots. Mais je t'ai appelé, je pouvais t'appeler à présent, et je t'ai ouvert cette triste, obscure porte qui ne s'ouvrait plus jamais, cette inexorable porte. Dehors, il fait une nuit de sang, et dans ma chambre il n'y a que la lampe, la lampe et moi, et puis toi, fantôme terrible, vieil ami ! Tu m'apportes ton présent de retour et d'adieu, ton délicieux présent. Qui a chanté une fois ce chant ne le chantera plus de sa vie. Qui a dansé cette danse n'est déjà plus qu'une ombre, comme toi et moi. Le musicien s'est pris à sourire, de son trois fois triste sourire d'ombre. Nul ne saurait voir ce sourire sans se sentir le cœur glacé. Sans se sentir le cœur prêt à battre une dernière fois d'un battement de joie légère, impalpable, pareille au souffle de l'inutile printemps à travers les cyprès des morts et l'ombre des ombres.

 

‘tain, ça, ça en pète, tout de même. Et c’est là, dans ces trop rares pièces, que j’ai pu retrouver l’auteur qui m’avait tant séduit. Le reste, hélas, m’a le plus souvent laissé de marbre…

 

Pas grand-chose à dire sur La Folie d’Amadis, si ce n’est que c’est assez joli…

 

Au final, sentiment très mitigé, et qui ne fait que confirmer que la polésie et moi, ça fait plus d’un. Sauf à l’occasion de quelques pièces qui s’éloignent heureusement de la rimaille, et dans lesquelles la plume libérée s’offre de beaux tableaux fantastiques. C’est dans cette direction que je vais donc creuser, car je compte bien, malgré ce bilan en demi-teinte, lire encore du Jean Cassou.

CITRIQ

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P
Verhaeren, c'est pas lui qui a fait Robocop, aussi ?
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K
Le lien est mal passé désolé.<br /> <br /> http://fr.wikisource.org/wiki/Verhaeren_-_Po%C3%A8mes_(nouvelle_s%C3%A9rie_:_Les_Soirs,_Les_d%C3%A9bacles,_Les_Flambeaux_noirs)
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K
Salut Nébal tu dois lire au moins "Les débacles" d'Emile Verhaeren que Zweig comparait au Dostoïevski des carnets du sous-sol.<br /> Et si après ça tu l'appel encore polésie on ne pourra plus rien pour toi.<br /> C'est très sombre je te préviens. http://fr.wikisource.org/wiki/Verhaeren_-_Po%C3%A8mes_(nouvelle_s%C3%A9rie_:_Les_Soirs,_Les_d%C3%A9bacles,_Les_Flambeaux_noirs)
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N
<br /> <br /> Je note, merci.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Le sombre ne me fait pas peur, loin de là, mais la polésie...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> (Eh eh.)<br /> <br /> <br /> <br />
S
Je repense à Robert Desnos (autre poéteu)déporté successivement en l'espace d'un an (à cause de l'avance des alliés)à Auschwitz puis Buchenwald puis Flossenburg puis Soha puis Terezin ou il mourut<br /> en 45.<br /> Aragon lui dédia ces vers :<br /> Je pense à toi Desnos qui parti de Compiègne<br /> Comme un soir en dormant tu nous en fis récit<br /> Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie<br /> Là-bas où le destin de notre siècle saigne
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N
<br /> <br /> Certes.<br /> <br /> <br /> <br />
C
Bon, je ne le connaissais pas celui-ci, et les passages que tu cites me semblent sympa (mais si le reste n'est pas à l'avenant...). Mais surtout, maintenant, tu n'as plus le choix, ton excuse de<br /> "Nébal n'aime pas la poésie" a fait long feu : tu DOIS lire Le fou d'Elsa, d'Aragon ! Et aussi, je pense que ça pourrait te plaire, "à une heure incertaine" de Primo Levi - un scientifique qui ne<br /> "croit" pas en la poésie, et pourtant parfois, c'est le seul langage possible... et "il neige dans la nuit" de Nazim Hikmet, poète turc communiste mais anti-stalinien qui a passé la majeure partie<br /> de sa vie en prison et qui parvient tout de même à écrire des poèmes lumineux d'espoir...<br /> Allez, pour la route, un poème "coup de poing" de la même époque, de Pierre Emmanuel :<br /> <br /> Les dents serrées<br /> <br /> Je hais. Ne me demandez pas ce que je hais<br /> il y a des mondes de mutisme entre les hommes<br /> et le ciel veule sur l’abîme, et le mépris<br /> des morts. Il y a des mots entrechoqués, des lèvres<br /> sans visage, se parjurant dans les ténèbres<br /> il y a l’air prostitué au mensonge, et la Voix<br /> souillant jusqu’au secret de l’âme<br /> mais il y a<br /> le feu sanglant, la soif rageuse d’être libre<br /> il y a des millions de sourds les dents serrées<br /> il y a le sang qui commence à peine à couler<br /> il y a la haine et c’est assez pour espérer.
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N
<br /> <br /> Ouh là, ouh là, du calme !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> ...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bon, peut-être un jour.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> (Pas mal, "Les Dents serrées", merci.)<br /> <br /> <br /> <br />