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"Batman : The Dark Knight Returns", de Frank Miller, Klaus Janson & Lynn Varley

Publié le par Nébal

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MILLER (Frank), JANSON (Klaus) & VARLEY (Lynn), Batman : The Dark Knight Returns, [The Dark Knight Returns #1-4 ; The Absolute Dark Knight], traduction [de l’américain] de Nicole Duclos, [s.l.], Urban Comics, coll. DC Essentiels, [1986, 2006] 2012, 240 p.

 

Je ne vous apprends rien : Frank Miller est un géant des comics. Je dois reconnaître cependant être loin d’en avoir tout lu, et avoir longtemps apprécié chez lui l’épatant graphisme bien plus que les scénarios (ce qui explique sans doute en bonne partie le culte que je voue à 300, BD ô combien stupide mais d’une beauté inégalée – ce qui, au passage, me donne presque envie de la relire, histoire de vous expliquer tout le bien que j’en pense, et tout le mal et toute la haine que m’inspire la purge de ce connard de Zach Snyder…). Mais j’ai changé, et, au fil du temps, je me suis rendu compte que Frank Miller n’était pas seulement un excellent dessinateur, au style immédiatement reconnaissable, mais aussi un scénariste tout à fait intéressant, habile dans sa construction, percutant dans ses dialogues et très rigolo dans ses provocations.

 

Oui, je vous parlerai sans doute un jour (prochain ?) de 300. De même que je vous parlerai sans doute de Sin City. Mais il y a eu un Frank Miller avant cela, dont je ne trouverai probablement pas l’occasion de parler de sitôt (pour tout un tas de mauvaises raisons). Et c’est un tout jeune Frank Miller, celui qui a fait un extraordinaire et mémorable run sur Daredevil, qui devait chambouler pas mal de choses (tiens, faudrait aussi que je vous parle de l’extraordinaire Elektra Assassin qu’il a scénarisé, illustré par le fantabuleux Bill Sienkiewicz) ; le célèbre héros de Marvel s’est en effet retrouvé transfiguré par ces trois années (en gros) où Miller a été aux commandes, en auteur complet qui s’était vu confier une sacrée responsabilité, sans doute assez rare dans le monde des comics « mainstream ». Le super-héros aveugle, jusque-là pas forcément super intéressant pour ce que j’en sais, a conquis un nouveau public avec ces aventures plus noires et violentes, plus réalistes aussi, servies par un dessin dynamique et un sens du rythme remarquable.

 

Mais c’est en jouant d’un autre super-héros que Frank Miller devait définitivement entrer dans la légende des comics. Et chez la Distinguée Concurrence, comme disait Stan Lee. Et pas le moindre, puisqu’il s’est agi de Bruce Wayne, alias Batman, rien de moins ! Mais Frank Miller a vraiment pris ce « Dark Knight » à sa manière, avec des brûlots qui devaient chambouler sévère la face du monde des comics de super-héros, dans une proportion égale (ou presque ?) à l’indispensable Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons, contemporain. Il y eut (sénario seulement, dessin de David Mazzuchelli) Batman : Année un, qui revisitait la genèse du super-héros…

 

Mais il y eut surtout The Dark Knight Returns (que j’avais déjà, bien sûr, dans la précédente édition chez Delcourt, mais qu’on m’a offert de nouveau dans la belle réédition d’Urban Comics, alors bon), mini-série en quatre épisodes qu’il a scénarisée et dessinée (encrage de Klaus Janson, avec qui il bossait déjà sur Daredevil, couleurs de Lynn Varley – son épouse, je crois ? –, qui saura si bien servir le trait de 300), et dont le postulat est pour le moins audacieux. Il s’agit en effet de nous présenter un vieux Batman. Attention, hein, je n’entends pas par là un Batman remontant à Bob Kane, à la façon de ce qu’a fait plus tard Alan Moore avec Superman dans Suprême ; non, c’est bien le personnage qui se fait vieux : Bruce Wayne, dans The Dark Knight Returns, a 55 ans… et Batman a pris sa retraite depuis une dizaine d’années déjà. Vous vous le sentez, vous, de faire des acrobaties entre les gratte-ciel de Gotham, à cet âge-là ? Non, hein ? Alors, pouet.

 

Mais le monde a changé, en dix ans. Le commissaire Gordon est sur le point de partir à la retraite, lui aussi ; Superman est aux ordres de la Maison Blanche ; le Joker est à l’asile d’Arkham, plongé dans un état catatonique ; Harvey Dent alias Double-Face s’en tire mieux (?), avec une double thérapie, psychique et plastique…

 

Mais si ces géants du Bien et du Mal semblent d’un autre temps, le crime, lui, n’a pas pris sa retraite pour autant… Et quand les jeunes couillons qui se font appeler « Mutants » (…) sèment la zone à Gotham, Bruce Wayne décide de ressortir son vieux costume de chauve-souris. Certes, il n’est plus aussi leste qu’avant ; il a même quelques petits problèmes cardiaques… mais il est plus psychotique que jamais.

 

C’est BATMAN ! Le vrai. Le méchant ! Celui qui ne tue pas, certes – il se l’est juré, même si des fois, hein, bon –, mais qui aime FAIRE MAL. Dans la famille des super-héros DC, c’est définitivement celui qui n’est pas fréquentable, a fortiori avec le traitement que lui inflige Frank Miller. À la base, il y a un peu de la recette Daredevil dans The Dark Knight Returns : c’est plus noir, plus violent ; plus réaliste ? ça, faut voir, surtout dans l’épisode final, où tout le monde pète un câble…

 

Mais, surtout, c’est « politiquement très, très, très incorrect ». Manière polie de dire que Batman, sous la plume de Frank Miller, est complètement facho.

 

Ou pas.

 

Anar, peut-être ?

 

 

Libertarien, probablement.

 

Très, très, très incorrect…

 

Et, du coup, sa croisade ultra-violente pour ramener l’ordre à Gotham suscite immédiatement la polémique. Il y a les partisans – et vive l’auto-défense, y en a marre des petits voyous, etc. – et les adversaires, qui en viennent peu ou prou à imputer à Batman la responsabilité du crime qu’il combat… Il est vrai que Batman a toujours son aura charismatique, et qu’il suscite l’exemple ; ainsi chez la jeune et ô combien attachante Carrie, qui s’improvise nouveau Robin (ben oui : Robin, ici, est une fille…). Batman, mâchoire carrée, psyché en vrac, sourire sadique et voix inquiétante, ne laisse personne indifférent, en tout cas. Et, au fil de ces quatre épisodes, il va passablement remuer Gotham, jusqu’à ce que l’on décide de faire intervenir le Grand Boy-Scout en Pyjama Bleu pour régler la question…

 

Et c’est absolument génial. Le graphisme est brillant, bien sûr, remarquablement dynamique, et bien servi par les couleurs de Lynn Varley (même si elle fera encore mieux sur 300). Mais le scénario vaut aussi son pesant de cacahuètes. Riche en punchlines définitives et autres répliques hilarantes, le texte très dense (…) de Frank Miller (on prend son temps pour lire The Dark Knight Returns…) secoue et réjouit par ses excès. Tout cela est passablement dingue, voire complètement débile, mais qu’est-ce que c’est bon ! C’est à la fois très drôle et palpitant, en tout cas, et d’une violence et d’une noirceur délicieuses. Mais le pire, dans tout ça, le pire… c’est qu’on trouve ça aussi pertinent. Pas seulement l’idée de génie consistant à ramener un Bruce Wayne quinquagnéraire dans une Gotham plus décadente que jamais ; non, derrière tout ça, on a un peu honte de le reconnaître, mais il y a quelque chose de très juste, à un double niveau, tant dans la perception « politiquement très, très, très incorrecte » de la délinquance et de la criminalité… que dans le discours finalement porté sur le genre super-héroïque en lui-même. Et l’on rejoint ici Watchmen, mais avec une ambiguïté déstabilisante…

 

The Dark Knight Returns, vous l’aurez compris, est un chef-d’œuvre. Ce Batman-là est unique. Résolument hors-continuité, il a pourtant imprimé sa marque sur les aventures ultérieures du « Chevalier noir », pour le meilleur… et pour le pire (sans doute faut-il le préciser ici, au cas où : les abjects « Dark Knight » de ce tâcheron de Nolan – hop – n’ont rien à voir avec le Dark Knight de Frank Miller, au-delà de ce titre, et du côté facho, certes, mais nettement moins réjouissant sur pellicule…). Avec Watchmen, donc, il a généré toute une vague de comics plus noirs et violents, qui en ont plus ou sutout moins bien tiré les leçons. Mais qu’on ne le juge pas à sa postérité (si ce n’est sa suite, titrée en France La Relève, plus décriée, plus dingue encore il est vrai – à l’instar des couleurs pétantes de Lynn Varley –, mais assez intéressante, et parfois franchement réjouissante : « Get out of my cave ! ») : le Batman de Frank Miller, et surtout dans sa version quinquagénaire, reste pour moi définitivement le Batman par excellence.

CITRIQ

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F
Bonne critique pour une excellente BD.<br /> <br /> Miller reviendra plus tard sur cette version de Batman dans son All Star Batman and Robin the boy wonder (uniquement au scénario, le dessin est assuré par le dessinateur star de DC Jim Lee).<br /> C'est beaucoup plus récent, Miller a déja completement pété les plombs.<br /> Son Batman est ultra bourrin et complétement taré (difficile de dire si c'est du 1er degré débile, ou du 2d degré).<br /> J'ai trouvé ça très mauvais, à un point que ça en devient sympa a lire.<br /> La série est inachevée, et depuis Miller n'a plus retravailler pour un gros éditeur (étrangement son projet suivant, "Batman vs Ben Laden", a été refusé).
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C
L'adaptation animée est aussi très bien faite.
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L
Un des chefs d'oeuvres de la BD, selon moi. Il y en a peu de ce niveau.
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