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"Le Peuple blanc", d'Arthur Machen

Publié le par Nébal

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MACHEN (Arthur), Le Peuple blanc, préfacé et traduit [de l’anglais] par Jacques Parsons, [Paris], Christian Bourgois, coll. Dans l’épouvante, [1965] 1970, 392 p.

 

Arthur Machen fait à n’en pas douter partie des principales inspirations de Lovecraft. Je ne l’avais jusqu’à présent que très peu lu ; trois nouvelles, en fait : « Le Grand Dieu Pan », bien sûr – c’est son plus célèbre récit –, il y a longtemps, puis à nouveau dans Le Cycle de Dunwich, de même que « Le Peuple blanc », qui figure évidemment aussi dans ce recueil, et enfin « Histoire du cachet noir », un épisode des Trois Imposteurs, dans Le Cycle d’Hastur. L’expérience ayant été concluante à chaque fois, dans les grandes lignes du moins, je me suis dit que je ne pouvais en rester là, et ai cherché à me procurer d’autres œuvres du grand auteur gallois. D’où la lecture de ce Peuple blanc comprenant cinq nouvelles, généralement assez longues (avec une exception notable, « Les Archers »), témoignant des multiples facettes de l’art de Machen dans le registre fantastique.

 

Le recueil s’ouvre tout naturellement sur « Le Peuple blanc ». Une nouvelle assez étrange, et que je ne peux m’empêcher de trouver un brin bancale. La majeure partie du texte – et la plus intéressante – consiste en un journal tenu par une petite fille qui y parle de son initiation à la sorcellerie, où elle s’intègre dans une lignée de femmes remontant fort loin (ce qui ne manque pas de faire penser, ultérieurement, à la thèse de Margaret Murray évoquée ici). Ce journal, écrit dans un style naïf très particulier, est tout à fait fascinant. Mais il est encadré par un prologue et un épilogue qui viennent y rajouter une connotation « mystique », le journal étant censé constituer une illustration du « péché véritable » (voir à ce sujet l’article de Robert M. Price évoqué ici) ; ces développements paradoxaux, dois-je dire, me laissent assez perplexe (et c’était déjà mon sentiment à ma première lecture).

 

On trouve ensuite « Le Grand Retour », nouvelle qui témoigne de la mystique chrétienne de l’auteur (il s’y est investi assez tardivement). Le fantastique, ici, s’il n’est pas totalement dégagé du sentiment primordial de la peur, réside tout de même avant tout dans la fascination, et c’est bien de miracles qu’il s’agit. Ce qui, je le confesse (…), ne m’a pas passionné.

 

Heureusement, la suite est à mon sens bien meilleure, même si, prise isolément, la très courte nouvelle qu’est « Les Archers » pourrait passer pour anecdotique… Elle ne l’est certainement pas. En effet, ce récit prenant pour cadre la Première Guerre mondiale conjugue mystique et propagande, en faisant intervenir, au secours des Anglais battant en retraite devant une percée allemande, les archers d’Azincourt et de Crécy conduits par saint Georges. On aura reconnu ici la légende des « Anges de Mons » : à la suite du texte de Machen (et j’étais totalement ignorant du fait qu’il y avait un de ses récits à l’origine de cette légende dont j’avais toutefois entendu parler), plusieurs soldats ont en effet assuré que les anges étaient véritablement intervenus pour les sauver ! L’histoire, ainsi, est passée de la fiction relativement innocente à la rumeur miraculeuse colportée par tout un chacun ; étrange destinée pour ce texte, qui a dû particulièrement surprendre l’auteur… qui y reviendra ultérieurement lui-même, l’intégrant dans sa prose.

 

Ainsi dans « La Terreur », novella qui atteint à vrai dire les dimensions d’un roman. Dans ce récit prenant à nouveau place pendant la guerre, et très astucieusement construit, il nous est fait part d’étranges et terribles phénomènes dans toute l’Angleterre, mais plus particulièrement dans un comté gallois : les cadavres se ramassent à la pelle, sans que l’on puisse expliquer les circonstances de leur mort ni le lien qui les unit (s’il y en a un). La rumeur enfle (de même que pour les « Anges de Mons », donc…), et l’on commence à parler de contingents allemands infiltrés dans les sous-sols de l’Angleterre pour y susciter la terreur… L’explication finale, bien différente on s’en doute, convainc plus ou moins (dans son aspect moralisant digne d’une fable, je ne peux m’empêcher de voir un brin de naïveté, malgré la tonalité sombre de l’ensemble ; on retrouve aussi sans doute dans cette histoire un peu de mystique chrétienne). Mais peu importe : « La Terreur » emporte l’adhésion du fait de sa superbe ambiance, de l’inquiétant mystère qui en constitue le prétexte, et de l’art du conteur de Machen. Une vraie réussite.

 

Le recueil s’achève enfin sur « La Pyramide de feu », un des récits du « Petit Peuple » de Machen (à l’instar de « Histoire du cachet noir » ; sur ce thème, voyez l’article de Michel Meurger dont je parlais ici). Le récit est conçu comme une enquête policière « à l’ancienne » (une disparition, de mystérieux dessins…), et se révèle tout à fait fascinant. C’est là encore un texte palpitant, témoignant du grand talent de Machen.

 

Aussi, quand bien même j’ai quelques réserves à émettre ici ou là, le bilan ne saurait faire de doute : j’ai passé dans l’ensemble un très bon moment en compagnie de ce grand « fantastiqueur », et il va falloir que je remette ça prochainement…

CITRIQ

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D
Merci, j'essaierai de la trouver aussi!
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L
@demisev : comme Nebal le signale, il y a aussi une nouvelle dans laquelle est évoquée la réception pour le moins étonnante de cette nouvelle (Les archers) sur la bataille de Mons, c'est dans le<br /> recueil Chroniques du petit peuple (et elle s'appelle Sortis de terre, je crois)
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D
Bonjour!<br /> <br /> Je suis originaire de la région de Mons, et je connais cette légende (ainsi que son origine fantastique). Je n'avais pourtant jamais pris la peine de lire la nouvelle en question, je vais donc<br /> ajouter "Le peuple blanc" sur ma liste de livre à lire! Je n'ai jamais lu non plus "Le Grand Dieu Pan", ce sera l'occasion de réparer une double erreur!<br /> <br /> <br /> Merci pour la découverte!
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L
Bonjour,<br /> Deux des meilleurs recueils sont à mon sens Les trois imposteurs et Chroniques du petit peuple (dans lequel est déjà contenu le Peuple Blanc (une nouvelle effectivement très bancale mais qui marque<br /> longtemps, par sa singularité)). Machen est un maître du suggestif plutôt que de l'horreur ou du fantastique, et je ferais volontiers entre lui et Lovecraft un parallèle comparable avec celui qui a<br /> été fait entre Walser et Kafka (pour ce qui est des influences) : des précurseurs inconnus du grand public mais qui ne déméritent pas (par leur subtilité).<br /> Amicalement,
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