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"Les Lais du Beleriand", de J.R.R. Tolkien

Publié le par Nébal

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TOLKIEN (J.R.R.), Les Lais du Beleriand, [The Lays of Beleriand], édition et avant-propos par Christopher Tolkien, traduit de l’anglais par Elen Riot (poèmes) et Daniel Lauzon (commentaires et notes) sous la direction de Vincent Ferré, Paris, Christian Bourgois – Pocket, [1985, 2006] 2009, 794 p. [+ 2 p. de pl.]

 

Suite de ma lecture de « l’Histoire de la Terre du Milieu » avec ce troisième volume – Le Livre des contes perdus comptant pour deux – que je redoutais tout particulièrement. En effet, il s’agit là de polésie. Et vous savez peut-être que la polésie et moi, bon… Je redoutais d’autant plus que je me demandais comment la traduction allait bien pouvoir rendre les vers de Tolkien ; hélas, cette crainte s’est avérée fondée… mais j’y viendrai bien assez vite.

 

Si l’on excepte quelques brefs fragments en milieu de volume, ce gros livre (partiellement bilingue, cependant ; ouf !) comprend pour l’essentiel deux longs poèmes inachevés reprenant des histoires déjà lues dans Le Livre des contes perdus et appelées à connaître bien des états avant leur version « définitive » dans Le Simarillion, etc. Nous avons tout d’abord Le Lai des enfants de Húrin, en vers allitératifs (comme Beowulf, donc, et ce n’est probablement pas un hasard), qui développe l’histoire de Túrin jusqu’à ce que les Orques se mettent à rôder du côté de Nargothrond (dans la version la plus « complète », il y en a une autre plus tardive qui s’arrête à l’arrivée du héros à la cour de Thingol en Doriath) ; ensuite, nous passons au Lai de Leithian, qui rapporte le célèbre conte de Beren et Lúthien, la grande histoire d’amour de Tolkien, en distiques octosyllabiques (dans l’état le plus avancé, le récit s’arrête ici au moment où Carcharoth mord la main de Beren tenant le Silmaril).

 

Il ne me paraît pas opportun de rentrer excessivement dans le détail de ces histoires, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer par ailleurs. On peut cependant noter quelques évolutions majeures, notamment l’insertion de « l’élément Nargothrond » dans les deux lais, qui leur confère une ampleur et une portée plus vastes, et accentue l’importance des Silmarils dans l’histoire par rapport aux Contes perdus.

 

On peut néanmoins, à titre d’exemple, noter quelques-uns de ces changements, frappants dans Le Lai de Leithian. Ainsi, outre « l’élément Nargothrond » déterminant (avec les personnages de Felagund, Orodreth, Celegorm et Curufin), on peut relever quelques autres modifications majeures : notamment, Beren, après moult hésitations, est cette fois un Homme, et non plus un Gnome, ce qui change tout. On notera aussi, par exemple, que l’aspect de « conte animalier » du « Conte de Tinúviel » est ici amoindri, notamment du fait que le chat Tevildo est remplacé par le sorcier loup-garou Thû, qui fait un précurseur plus adéquat au Sauron de l’état final. C’est à vrai dire l’intérêt majeur de ce volume que de permettre d’étudier les variations de Tolkien sur un même thème, son travail méticuleux aboutissant, après bien des textes avortés, à l’histoire telle que nous avons appris à la connaître dans Le Silmarillion. Mais, du coup, comme pour les autres volumes de « l’Histoire de la Terre du Milieu », on en réservera la lecture aux amateurs, non, aux forcenés désireux de se lancer dans l’exégèse tolkienienne.

 

C’est hélas d’autant plus vrai ici que le texte français – je parle des poèmes – ne tient pas la route… Il m’est difficile de porter un jugement en ce qui concerne Le Lai des enfants de Húrin, dans la mesure où je ne dispose pas du texte original, mais c’est tout de même assez moche dans l’ensemble… Cependant, pour ce qui est du Lai de Leithian, nous disposons du texte original en miroir. Et cela permet de confirmer l’ampleur de la catastrophe, pressentie à la seule lecture du texte français. La traductrice a en effet pris le parti – audacieux pour ne pas dire téméraire – de conserver la forme de distiques octosyllabiques du texte anglais. Ce fut à mon sens une mauvaise idée, et il aurait sans doute été plus pertinent de s’en tenir à une traduction plus littérale, surtout étant donné la « fonction » de ce volume. Et il n’est pas certain que l’on y aurait perdu en élégance… En effet, Le Lai de Leithian en français sonne horriblement mal, accumulant les boulettes, et notamment de pénibles erreurs de registre de langue sur lesquelles on ne saurait fermer les yeux. Le texte anglais – que je serais bien en peine de juger en tant que tel – a toute l’apparence que l’on était en droit d’attendre de Tolkien : sérieux, rigueur, registre généralement élevé. Le texte français, lui, qui sacrifie régulièrement l’exactitude au nom du mètre et de la rime, ce qui m’a fait froncer les sourcils plus qu’à mon tour, sonne beaucoup plus « enfantin », et perd ainsi la gravité qui sied à l’œuvre et au propos. Et c’est extrêmement pénible, surtout quand on se retrouve confronté à des traductions « familières » qui rompent brusquement le ton et ne conviennent pas du tout à ce qui est raconté, ou l’emploi de termes malvenus dans ce contexte (« fusiller du regard »…). Bref : lisez-le en anglais sous peine de vous arracher les cheveux… sauf qu’il n’est pas donné à tout le monde, votre serviteur inclus, d’apprécier à sa juste valeur la versification classique anglaise…

 

Une erreur fatale, donc, qui vient considérablement nuire à l’intérêt de ce volume maladroit. Ce n’est probablement pas rédhibitoire, dans la mesure où nous sommes surtout ici pour l’étude, l’exégèse même, et pas tant pour le « style ». Mais tout de même… À revoir.

CITRIQ

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V
Je suis pas experte en poésie mais je me souviens avoir bien apprécié de pouvoir lire la VO, qui est très fluide même quand on ne comprend pas tout. La VF est franchement pas géniale en<br /> comparaison. Y'a des poèmes de Tolkien mieux traduits heureusement !
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