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"Lovecraft et la S.-F. /2", de Michel Meurger

Publié le par Nébal

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MEURGER (Michel), Lovecraft et la S.-F. /2, préface de Gérard Klein, Amiens, Encrage, coll. Travaux, série Cahiers d’études lovecraftiennes, 1994, 22 p.

 

Retour auprès du grand Michel Meurger pour une deuxième fournée d’articles passionnants d’érudition consacrés pour l’essentiel aux sources lovecraftiennes. Bon, je vous passe la présentation détaillée du bonhomme, je tombe dans les mêmes refrains extatiques à chacune de mes lectures… Au vif du sujet, hardi, hardi.

 

On commence par « Thyra : les mondes perdus de l’Arctique ». Il s’agit d’évoquer un roman paru en 1901 et dû à la plume de Robert Ames Bennett, Thyra, a Romance of the Polar Pit, qui a pu influencer Lovecraft notamment pour Les Montagnes hallucinées. Mais c’est bien entendu l’occasion d’explorer une multitude de thèmes : mondes perdus, colonie perdue du Groenland (une histoire fascinante), l’idée d’un Éden boréal… Puis on se livre à une étude détaillée de quelques aspects du roman. C’est bien évidemment passionnant, même si encore un peu éloigné de Lovecraft à proprement parler.

 

Le Maître de Providence est déjà plus impliqué dans la communication suivante, « Les rituels sous-marins et leur fonction chez Lovecraft, Wells et Victor Rousseau ». On voit ici toute une chaîne d’influences possibles entre les trois auteurs, et l’on peut s’interroger à bon escient sur la signification profonde (aha) de ces « rituels sous-marins », en l’occurrence en la rattachant à la thématique de l’évolution de sociétés imaginaires.

 

L’article suivant, dès lors, paraît presque couler de source : « Le Monstre marin et la femme » remonte à des robinsonnades du XVIIIe siècle (et au-delà, en fait) pour traiter des accouplements sordides dans lesquels se vautrent les perfides femelles humaines, et qui donnent ainsi naissance à des lignées de monstres hybrides ; thème évidemment très lovecraftien.

 

Autre thème majeur (et tout aussi lourd de relents racistes…) chez le Maître, la dévolution (pas vraiment dans le registre de Devo…). « De l’homme au singe : dévolution et bestialité dans l’œuvre de H.P. Lovecraft » s’intéresse notamment à « Arthur Jermyn », d’abord dans ses sources « non fictionnelles » puis dans ses potentielles sources littéraires. On en vient ainsi à mettre l’accent sur la très forte relation qui unissait Lovecraft à Thomas Henry Huxley, qui n’empêchait cependant pas le papa de Cthulhu de tirer des conséquences très différentes des mêmes problématiques…

 

Un très, très gros morceau ensuite avec le long article intitulé « Beyond the Pole : le romantisme biologique d’Hyatt Verrill ». Le roman sus-nommé de cet auteur quelque peu oublié y est disséqué, qui a pu influencer Lovecraft, une fois de plus, pour Les Montagnes Hallucinées, mais d’autres œuvres sont également étudiées, ce qui permet de mettre en évidence plusieurs thématiques qui, tour à tour, rapprochent ou éloignent Hyatt Verrill de notre auteur adoré. J’en retiens notamment de passionnants développements sur la fiction océanographique et plus encore la « biocratie », ce qui nous amène à de fascinantes annexes sur l’eugénisme, où l’on voit comment celui-ci, conjugué au nativisme et au darwinisme social, a pu dégénérer, si j’ose dire, en un programme atroce de guerre des classes et des races, jusque chez les gens les plus fréquentables en apparence (tel H.G. Wells). Ce qui fait vraiment froid dans le dos et soulève plus qu’à son tour l’estomac…

 

Du coup, l’article suivant constitue un prolongement très intéressant de ce dernier problème. Dans « Des Jukes aux Whateley : « the Menace of the Under-man » », Michel Meurger s’intéresse aux enquêtes eugéniques et à leurs rapports avec la criminologie naissante d’un Lombroso (personnage complexe, cela dit, et à mon sens bien plus fréquentable que Vacher de Lapouge, dont on parle beaucoup depuis l’article précédent) et de ses épigones. On voit bien ici comment tous ces courants de pensée ont pu influencer Lovecraft, mais il était sans doute loin d’être le seul.

 

On change de registre avec « Lovecraft, Newbold et le Manuscrit Voynich ». J’avais déjà vaguement entendu parler de ce manuscrit indéchiffrable, mais ne connaissais pas l’histoire de « l’interprétation » de Newbold, qui en faisait l’œuvre d’un Roger Bacon « en avance sur son temps », ce qui nous ramène à la thématique déjà envisagée dans le premier tome d’une « technologie des anciens » éventuellement supérieure à la nôtre, etc. Tout à fait édifiant.

 

On s’éloigne encore un peu plus de Lovecraft avec le dernier article, « L’Île a des yeux : la faune exceptionnelle de Friedrich Otto ». Deux nouvelles de cet auteur allemand méconnu sont décortiquées, qui ont l’air ma foi fort intéressantes, et font bel et bien penser au Maître de Providence, quand bien même on ne saurait parler ici d’influence ; disons plutôt qu’il y a résurgence des mêmes thèmes.

 

Au final, ce second tome de Lovecraft et la S.-F. tient toutes ses promesses. Je n’ai peut-être pas été aussi bluffé que par les articles du précédent sur le « primitivisme » et les délires ésotériques des surréalistes comme des pulps (encore que tout ce qui touche ici à l’eugénisme m’a franchement passionné), mais cela reste néanmoins une lecture édifiante, érudite sans jamais être pénible : un vrai modèle pour une étude des sources lovecraftiennes.                                                                                              

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