"Zendegi", de Greg Egan
EGAN (Greg), Zendegi, [Zendegi], traduit de l’anglais (Australie) par Pierre-Paul Durastanti, Saint-Mammès, Le Bélial’, [2010] 2012, 370 p.
Si Zendegi est le huitième roman du génial et mystérieux auteur australien Greg Egan, c’est aussi, je le confesse, le premier que j’ai l’occasion de lire. Je ne connaissais en effet jusque-là l’auteur que pour ses brillants recueils de nouvelles, déjà publiés par le Bélial’, Axiomatique, Radieux et Océanique. J’avoue avoir eu un peu peur de m’attaquer à Egan romancier : il avait en effet une réputation d’auteur hard science particulièrement velu sur la longue distance… Et là, je ne me sentais pas de le suivre. Zendegi, cependant, n’avait pas cette réputation. Et, effectivement, ce n’est pas du Egan hyper velu, mais plutôt proche de la majeure partie de ses excellentes nouvelles. Attention, cependant, citoyens : pour évoquer ce qui fait vraiment l’intérêt de ce roman, je vais devoir spoiler grave. Vous êtes prévenus…
Le roman commence… en 2012 (couillu !), alors que l’Iran connaît une révolution (rappelons que le roman est antérieur au « printemps arabe ») (oui, je sais très bien que l’Iran n’est pas un pays arabe, mais laissez donc ces mouches tranquille, je vous prie). Sur place, à Téhéran, Martin Seymour, journaliste australien, est aux premières loges pour assister au mouvement de contestation (qui brille par son astuce pour contourner les mesures de répression du régime).
Pendant ce temps, nous suivons aussi Nasim Golestani, une jeune scientifique iranienne en exil aux États-Unis, qui, tout en suivant les événements du pays natal, consacre l’essentiel de son temps à ses travaux sur le PCH (via des oizouilles), « un projet de cartographie des connexions neuronales du cerveau humain ».
2027. Martin Seymour est toujours en Iran, devenu démocratique, et a épousé une jeune révolutionnaire, avec laquelle il a eu un enfant. Nasim, de son côté, n’a pas résisté à la tentation, et, comme nombre d’anciens exilés, elle est retournée au pays. Elle travaille désormais sur Zendegi, une sorte de jeu de réalité virtuelle (ou plutôt un ensemble de ces jeux particulièrement immersifs). Zendegi, cependant, ne fait pas le poids face à ses concurrents les plus directs. Du moins jusqu’à ce que Nasim ressorte de ses cartons ses travaux du PCH pour les appliquer au jeu, ce qui crée des êtres virtuels d’un réalisme sans pareille… ce qui ne va pas sans susciter la controverse, voire pire ; on aborde déjà sous cet angle de passionnants questionnements d’ordre éthique, soulignés par la citation en quatrième de couv’ : « Créer un logiciel conscient incapable de prendre en main son destin est contraire à l’éthique… » Mais ce n’est là qu’un aspect du problème.
Spoilons comme des porcs
Gruik.
La femme de Martin Seymour meurt dans un accident de voiture, et Martin lui-même, au sortir d’une batterie d’examens, apprend qu’il n’en a plus pour longtemps. Mais il y a son fils ; et, quand bien même Martin dispose d’amis très chers désireux de venir en aide au petiot, Martin n’en considère pas moins que c’est à lui, son père, de lui fournir une éducation et une assistance. Sous la forme d’un avatar… et c’est pourquoi il contacte Nasim, et les deux se lancent dans un détournement de Zendegi.
Et là, ça devient vraiment très fort. Jusque-là, le roman était déjà assez intéressant, notamment dans ses aspects politiques et les premières controverses philosophiques suscitées par Zendegi et le PCH. Mais quand la « survie » de Martin entre en jeu, le roman prend une tout autre dimension, tout à fait fascinante, et qui n’a pas été sans me rappeler certaines des meilleures nouvelles de Greg Egan (rhââââââ, « Des raisons d’être heureux » !). Le roman acquiert au passage une forte dimension humaine, sincèrement émouvante, qui montre bien qu’on aurait tort de réduire la production de l’auteur australien à de la « SF d’ingénieur ».
Bon, maintenant, calmons-nous. Je ne vais pas crier au chef-d’œuvre : Zendegi n’en est pas un. Il est à l’occasion un peu bancal, tend à se disperser, et on peut se demander si la forme romanesque était réellement la plus appropriée pour traiter de ces sujets (une novella, peut-être ?).
Il n’en reste pas moins que ce roman vaut beaucoup mieux que sa réputation – je l’avais entendu/vu qualifié de « mineur » – et que les amateurs de Greg Egan auraient tort de faire l’impasse dessus. Certes, ce n’est pas le plus hard des Egan, ce qui pourrait décevoir certains fans ; mais un peu de douceur dans ce monde de brutes, ça fait du bien aussi, parfois, non ?
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