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La Princesse qui aimait les chenilles

Publié le par Nébal

La Princesse qui aimait les chenilles

La Princesse qui aimait les chenilles, contes japonais réunis et racontés par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura, Arles, Hatier – Philippe Picquier, [1987, 1999] 2017, 138 p.

 

CONTES JAPONAIS

 

Sous le titre La Princesse qui aimait les chenilles, René de Ceccatty et Ryôji Nakamura, à qui l’on devait notamment l’excellente anthologie Mille Ans de littérature japonaise, ont constitué un petit volume de contes japonais des plus goûtu. L’ouvrage, dans sa forme initiale, a trente ans : il était originellement paru en 1987 dans la collection « Fées et gestes » chez Hatier, agrémenté d’illustrations signées Claude Lochu qui n’ont hélas pas subsisté dans cette réédition toute récente chez Picquier poche.

 

On s’en accommodera tant bien que mal – car demeure un très charmant petit livre, à même de séduire un large public, d’amoureux des contes ou du Japon ou a fortiori des deux ; un livre par ailleurs éminemment « accessible », qui se passe de notes scientifiques et autres commentaires érudits sans que cela ne lui soit nuisible, bien au contraire, mais qui n’a pour autant rien d’infantilisant – aussi peut-il constituer une porte d’entrée idéale vers tel ou tel domaine qu’il peut incarner, sans jamais rabaisser le lecteur, mais en faisant appel à sa curiosité.

 

Ces contes sont tous empruntés au folklore japonais, et puisés dans des ouvrages « classiques » ou « académiques » qui, pour la plupart, n’ont pas eu l’heur d’être traduits en français – ainsi le Nihon minzoku jiten (« Dictionnaire du folklore japonais »), le Nihon mukashibanashi jiten (« Dictionnaire des légendes anciennes japonaises »), le recueil Nihon no densetsu (« Légendes du Japon ») de Miyoko Matsutani, le Tsutsumi chûnagon monogatari (« Contes du conseiller Tsutsumi »), et, accessoirement, Le Dit des Heiké. Les anthologistes ont également pu puiser dans les ouvrages de Lafcadio Hearn, Kwaidan et Esquisses japonaises. On peut, j’imagine, envisager d’autres « sources » encore – un des récits, notamment, est évocateur de Ryûnosuke Akutagawa… Mais ces références diverses sont lapidairement énumérées dans une brève note en fin de volume : les six contes ne renvoient pas spécifiquement à telle ou telle source.

 

RÉUNIS ET RACONTÉS

 

Mais j’ai dit « les anthologistes », et « six contes »… Expressions en fait des plus contestables.

 

René de Ceccatty et Ryôji Nakamura, ici, à la différence de ce qui s’était produit pour Mille Ans de littérature japonaise, ne sont à proprement parler, ni des anthologistes, ni même des traducteurs. Les contes figurant dans La Princesse qui aimait les chenilles sont réarrangés, adaptés (« librement », disent-ils, l’assumant parfaitement), réécrits par les deux auteurs – qui méritent bien ce qualificatif. Ils le font, d’ailleurs, dans une langue assez belle, très appropriée à l’essence même de ces contes, avec quelque chose de léger et de frais à même d’enchanter tout lecteur.

 

Par ailleurs, si la table des matières singularise six textes, le fait est qu’il y a bien plus de six contes dans ce petit recueil : la plupart, sinon tous, de ces « textes » renvoient en fait à plusieurs contes, assemblés avec habileté pour produire un ensemble cohérent – même si, au cœur même de ces textes, le passage d’un conte à l’autre est le plus souvent flagrant : pas un problème, cela fait partie de la relation de complicité entre les conteurs et leurs lecteurs/auditeurs… Et, d’autres fois, les enchaînements, les retours, les rappels, peuvent surprendre – mais la cohérence essentielle demeure, aussi ces procédés relèvent-ils eux aussi d’une forme de complicité.

 

C’est tant mieux ! Et c’est aussi la raison pour laquelle il ne faut pas, en fait, s’attarder sur le sommaire – ou pas tant que ça… Car les titres « génériques » de ces six ensembles ne dévoilent parfois qu’une partie infime de leur contenu. À feuilleter l’ouvrage, à me focaliser sur ces titres, j’ai en effet vaguement craint une certaine redite – car plusieurs de ces titres ne m’étaient pas inconnus… « Hôichi sans oreilles » ? J’avais lu ça dans Kwaidan – et l’avais également vu dans son extraordinaire adaptation cinématographique par Masaki Kobayashi… Même chose, un peu plus loin, pour « La Femme des neiges ». « Les Kappas » ? Dans Rashômon et autres contes de Ryûnosuke Akutagawa, bien sûr ! Quant à « La Princesse qui aimait les chenilles »… eh bien, j’avais déjà lu ça dans Mille Ans de littérature japonaise – anthologie due aux mêmes René de Ceccatty et Ryôji Nakamura.

 

Ne me restaient donc, d’inédits, que « Le Village des vieillards sans enfants » (le plus long de ces six textes, certes…) et « Le Spectre sans visage » (le plus court, cette fois…) ? Erreur ! Certes, « Hôichi sans oreilles » demeure pour autant que je m’en souvienne relativement proche du récit de Kwaidan – même si j’ai l’impression que les auteurs se montrent peut-être un peu plus amples sur le contexte historique et culturel du conte (en l’espèce, la défaite du clan Taïra à la bataille de Dan-no-Ura, dans Le Dit des Heiké) ; de même sans doute pour « La Princesse qui aimait les chenilles »… à ceci près que la manière de raconter me paraît cette fois très clairement différente (et ça se tient : on ne lit pas Mille Ans de littérature japonaise de la même manière et pour les mêmes raisons que le présent recueil de contes) ; les histoires sont donc peut-être connues, mais l’art narratif est inédit. Mais ce sont là des cas particuliers, et les autres récits sont bien différents de ceux auxquels je croyais pouvoir les rapporter : « Les Kappas », titre et thème mis à part, n’ont finalement pas grand-chose à voir (pour autant que je m’en souvienne, en tout cas) avec la fameuse nouvelle d’Akutagawa, qui use d’un dispositif narratif tout autre ; quant à « La Femme des neiges », ici, elle désigne un récit bien plus long et complexe que chez Lafcadio Hearn – comme une sorte d’anthologie de mariages maudits… On ne peut plus loin de la « sècheresse anecdotique » d’un certain nombre de contes rapportés dans Kwaidan.

 

Ce recueil a donc été en maintes occasions une véritable redécouverte. Loin d’être une simple compilation, La Princesse qui aimait les chenilles a quelque chose d’une œuvre dérivée – elle a ses sources, indéniablement, mais aussi sa singularité essentielle, passant par l’adaptation, la réunion et la réécriture. Pour un résultat que j’ai trouvé très convaincant.

 

Je vais maintenant tâcher de dire quelques mots, un peu plus en détail, de ces six « contes » qui sont donc en fait des assemblages de contes.

 

HÔICHI SANS OREILLES

 

« Hôichi sans oreilles », qui sauf erreur ouvre le fameux recueil de Lafcadio Hearn Kwaidan, en est aussi un des moments les plus forts – sans même parler de l’adaptation cinématographique, extraordinaire, qu’en a tiré Masaki Kobayashi : le présent conte, à l’instar de « La Femme des neiges » un peu plus loin, fait partie des « sketchs » retenus dans ce film composite.

 

Mais, dans le cas présent, la « réécriture » demeure globalement « sage » : entendre par-là qu’elle s’en tient à une unique trame, qu’elle dévide de bout en bout. Je ne vais pas revenir sur l’histoire à proprement parler, aussi belle qu'inquiétante – notons cependant qu’il s’agit d’un récit assez clairement horrifique, avec des fantômes et un peu de sang…

 

Le recueil, à ce propos, envisage les « contes » d’une manière assez large : globalement, la dimension fantastique/horrifique est la plus marquée ici, quitte à emprunter les tortueuses voies de l’humour, mais d’autres contes tirent davantage du côté du merveilleux (même un merveilleux triste, le cas échéant) ; à vrai dire, le surnaturel n’est même pas forcément toujours de mise, si c’est le cas le plus fréquent…

 

Maintenant, mais c’est sans doute un effet de mes lectures récentes, cette « révision » d’une vieille légende m’a peut-être d’autant plus saisi que j’appréhendais mieux le contexte culturel qui la fonde : la lecture, bien sûr, du Dit des Heiké, ne pouvait que changer mon regard sur cette histoire. Et je n’ai pas manqué, aussi, de repenser à un passage particulièrement édifiant de l’essai de Maurice Pinguet La Mort volontaire au Japon

 

À maints égards, même « sage » par rapport à ce qui va suivre, cette relecture m’a donc été tout à fait profitable.

 

LES KAPPAS

 

Avec « Les Kappas », on change radicalement de registre : les fantômes cèdent la place à ces étranges bestioles du folklore japonais, caractérisées notamment par leur « creux » sur la tête où se trouve un liquide dont dépend leur force vitale. Ces créatures, par ailleurs, sont aussi fantasques dans leur comportement, très variable – aussi les récits portant sur elles peuvent-ils osciller entre une sorte de merveilleux loufoque, et, comme dans le cas présent, la fable teintée d’horreur mais bien plus fondamentalement humoristique.

 

La nouvelle du même titre signée Ryûnosuke Akutagawa (en français, elle clôt le splendide recueil Rashômon et autres contes) a mis en avant ces thématiques, et d’autres encore sans doute : j’ai le souvenir d’un texte plutôt « léger »… mais c’était il y a longtemps de cela, et, sauf erreur, il s’agit d’une des dernières nouvelles de l’auteur, achevée somme toute peu de temps avant son suicide... Je suppose dès lors que son traitement de la folie chez son personnage humain peut avoir d’autres connotations. Par ailleurs, Akutagawa présente l’idée d’une véritable « civilisation des kappas » dans son texte, c'est peut-être moins sensible ici. Mais, passé l’introduction destinée à nous décrire ces étranges créatures sans véritable équivalent en Europe (ou alors il faudrait adopter une conception très large des fées ou du Petit Peuple), le récit bifurque radicalement, en adoptant donc une posture censément horrifique, mais avant tout humoristique.

 

Car nos kappas, ici, ne sont pas forcément très sympathiques… Le folklore les concernant ne manque pas de récits colportant leurs mauvaises blagues, parfois guère nuisibles (voler de la nourriture ou lâcher des pets…), mais qui peuvent aller jusqu’à l’enlèvement d’enfants ou le viol de femmes ! Or nous avons ici cinq vilains kappas qui se mettent au défi d’embobiner des humains des environs – et cruellement, encore ! Le meurtre est à l’ordre du jour…

 

Mais, heureusement pour nos semblables, il n’est pas si difficile de leurrer les kappas – pas toujours bien futés… Comme en témoigne la célèbre anecdote du salut à la japonaise : on incline la tête devant le kappa, et celui-ci, poli, fait de même en retour… mais le liquide dans son crâne déborde alors de son creux pour se répandre par terre, rendant la bestiole inoffensive ! Et les rusés paysans des environs connaissent bien d’autres astuces pour se prémunir des mauvaises blagues des kappas…

 

L’enchaînement de ces cinq tableaux produit un ensemble convaincant, piochant sans doute dans plusieurs sources, mais avec une belle cohérence dans le résultat. Délicieux – comme la nouvelle d’Akutagawa, peut-être, mais d’une manière tout autre : nulle redondance dès lors entre les deux lectures, mais plutôt une appréciable complémentarité.

 

LA FEMME DES NEIGES

 

Avec « La Femme des neiges », nous retournons au Kwaidan de Lafcadio Hearn – et, car là encore ce récit a débouché sur un « sketch », tout autant au Kwaidan de Masaki Kobayashi.

 

Ou du moins nous y retournons en apparence… En fait, seuls quelques brefs passages du début et, plus fondamentalement, les dernières pages du récit correspondent vraiment au conte rapporté par Lafcadio Hearn. De manière très bien vue, René de Ceccatty et Ryôji Nakamura ont concocté sur cette base comme une anthologie de « mariages maudits », où le surnaturel a toujours sa part. En font les frais deux pauvres bucherons, qui décidément n’ont vraiment pas de chance en amours…

 

« Les Kappas », juste avant, empruntait probablement à plusieurs sources, mais cette dimension est nettement plus marquée dans ce récit plus long et complexe – car il ne s’agit pas que de faire se succéder les contes, ils sont plutôt sempiternellement mêlés, intriqués, dans une architecture étonnante mais pertinente ; aussi le récit est-il joliment construit, et l’acharnement du sort sur les deux pauvres bucherons en vient à détourner le ressenti produit par la seule anecdote de « la femme des neiges » au sens le plus restreint – mais qu’on ne s’y trompe pas : cette dimension qui aurait pu déboucher sur du grotesque, ici, produit plutôt l’effet d’une amère mélancolie… C’est bien vu, et très beau.

 

LE VILLAGE DES VIEILLARDS SANS ENFANTS

 

« Le Village des vieillards sans enfants » est le plus long récit ici compilé – c’est aussi le plus complexe et varié ; au point, en fait, où l’assemblage est peut-être moins cohérent, et donc réussi, que dans « La Femme des neiges » ? C’est à discuter… Mais le récit demeure tout à fait savoureux.

 

Le village du titre constitue pour l’essentiel un décor, un arrière-plan – et, bien sûr, un motif d’introduction. Ces vieillards, comme de juste, se languissent de ne pas avoir d’enfants – curieuse malédiction pesant sur leur hameau, et dont nous ne connaitrons jamais véritablement les raisons, à supposer qu’il y en ait. Sur cette base, le texte nous décline en fait toute une théorie d’enfants à la naissance improbable, et proprement surnaturelle. Plusieurs récits découlent donc de cette situation de base, qui, comme dans « La Femme des neiges » juste avant, s’emmêlent plutôt qu’ils ne se suivent – au moyen en tout cas de rappels bienvenus, de temps à autre, qui permettent de tisser un complexe récit d’ensemble.

 

On trouve bien des enfants différents – sur la base de ce village qui ne connaît en principe pas d’enfants… Mais au fil d’une narration étendue, sur plusieurs années, qui permet donc de conserver ce caractère d’ultime étrangeté au hameau. Ici, un enfant est trouvé vivant dans la tombe de sa mère, décédée avant que d'accoucher – mais elle a quitté un temps le monde des morts pour acheter à son petit du sucre d’orge auprès du vieux confiseur du village, dont on suppose que le commerce ne doit guère être florissant… Là, un enfant nait d’une coquille. Là encore, un homoncule s’éveille d’un noyau de pêche ; et là, plus loin, nous avons la femme des neiges qui ressurgit, avec un enfant participant de son essence ; tandis que là-bas, ce sont des fantômes qui, la nuit, rendent difficile le sommeil d’un marchant…

 

Sur cette base, se construisent des récits finalement bien différents : tel enfant sera propice à des développements passablement tristes, tel autre sera un véhicule d’une forme d’humour tordu…

 

Mais, mon préféré dans tout ça, c’est clairement le petit Momotarô, né donc d’un noyau de pêche. C’est un tout petit bonhomme, bien sûr – à peine un mulot… Par ailleurs, quand il sort de son noyau, il sait déjà parfaitement parler le japonais, et les jérémiades de la vieille qui l’a découvert le chagrinent, voire l’agacent : même s'il est petit, il n’en est pas moins un homme ! Il en fera la démonstration… en se lançant dans une quête : lui, si minuscule, saura affronter le cruel et gigantesque oni qui terrorise le village, et qui a enlevé il y a si longtemps de cela une petite fille (une princesse ?) dont on est depuis sans nouvelles ! Le courageux petit bonhomme se trouve des alliés en chemin – des animaux plein de ressources… Qui, chose, amusante, l’interpellent tous en japonais, en usant exactement de la même phrase – qui, pour le coup, figure donc à chaque fois d’abord en japonais, ensuite en français, procédé déconcertant, mais assurément musical ! « Momotarôsan, Momotarôsan, okoshi ni tsuketa kibidango hitotsu watashi ni kudasai na » (« Monsieur Fils-de-pêche, Monsieur Fils-de-pêche, donne-moi une des brochettes qui pendent sur ta hanche… »). J’aime beaucoup cette histoire dans l’histoire, où le merveilleux enfantin et animalier se teinte de quête, évocatrice de Tom Pouce (mentionné, d’ailleurs) ou de haricots géants… C’est très drôle, et très... charmant ! Pourquoi pas ? Si d’autres enfants suscitent bien plutôt la compassion voire les pleurs, Momotarô émerveille et fait sourire. Merci à lui !

 

LE SPECTRE SANS VISAGE

 

Tout autre chose, encore une fois, avec « Le Spectre sans visage » – récit qui se singularise très vite à deux titres : d’une part, il est bien plus court que tous les autres récits du recueil – adoptant plus frontalement une dimension « anecdotique » que l’on pouvait ressentir, par exemple, dans le Kwaidan de Lafcadio Hearn, mais dont ici « Hoîchi sans oreilles » et « La Femme des neiges » s’éloignaient en développant le contexte de l’histoire. D’autre part (et surtout ?), si le conte a des bases fort anciennes, il délaisse cependant le Japon ancien pour adopter un cadre contemporain (ou qui s’en rapproche pas mal).

 

Ça a son impact sur l’ambiance du conte, bien sûr… En fait, ce texte, empreint d’une certaine critique sociale par ailleurs, aurait très bien pu fournir une scène emblématique d’un film de la vague « J-horror » qui n’atteindrait toutefois l’Europe qu’à la fin des années 1990, et donc bien après la constitution de ce petit recueil. Mais, oui, nous avons ici une sorte de Sadako, disons… Très convaincante par ailleurs. La nouvelle (pour le coup, le qualificatif de « conte » sonne un peu bizarrement) est d’ailleurs passablement cinématographique. Et quand la nuance de critique sociale s’associe au grotesque, sur un mode à la lisière de l’humour, l’impression d’être confronté à un texte d’horreur « moderne », louchant sur le septième art, n’en est que plus saisissante. Même si, pour le coup, le procédé employé renvoie peut-être, quitte à jouer de ces références cinématographiques ultérieures, à quelque chose de bien différent – une scène marquante de l’excellent Pompoko d’Isao Takahata… Manière de boucler la boucle ? Le merveilleux et l'horrible se mêlent dans le Japon contemporain comme dans l'ancien...

 

LA PRINCESSE QUI AIMAIT LES CHENILLES

 

Reste un ultime texte, qui tient à cœur aux auteurs sans doute, puisqu’ils en avaient déjà livré une version (assez différente dans mon souvenir, sur le plan narratif du moins) dans l’anthologie Mille Ans de littérature japonaise : nous retournons donc au Japon médiéval, avec le récit qui donne son titre au recueil (décidément) « La Princesse qui aimait les chenilles »…

 

Ici aussi, la qualification de « conte » peut à nouveau être problématique – en français s’entend : en japonais, on rend parfois ainsi monogatari, mais cela peut désigner des œuvres extrêmement diverses… Mais, pour le coup, il s’agit bien d’un extrait du Tsutsumi chûnagon monogatari (« Contes du conseiller de second rang de la rive de la rivière »), recueil dont la forme originelle remonterait à l’ère Heian (mais, dans Mille Ans de littérature japonaise, on parlait plutôt d’un texte de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle – une histoire d’achèvement, peut-être ?). Seulement, en fait de conte, nous avons ici un récit absolument dépourvu de merveilleux ou de fantastique. Sans doute joue-t-il sur « l’étrangeté », c’en est même tout le propos, mais on serait plutôt tenté d’y voir avant tout une nouvelle au contenu essentiellement satirique.

 

Cela dit, ce qui est peut-être le plus intéressant dans ce texte, c’est justement la difficulté qu’il pose au regard de ses intentions moqueuses : qui l’auteur anonyme raille-t-il au juste ? On peut en effet supposer que la réponse diffère éventuellement selon le contexte historique et culturel du lecteur… mais peut-être aussi « l’adaptation » de René de Ceccatty et Ryôji Nakamura change-t-elle à son tour la donne ? C’est assez probable, en fait.

 

Peut-être le texte original, émanant d’un certain conservatisme sarcastique, visait-il, au travers de ce personnage de jeune fille refusant, par goût, affectation ou les deux, d’adopter le comportement attendu d’une princesse de son rang pour se consacrer, jusqu’à la dévotion, à ses passions bizarres, peut-être donc le texte original visait-il à railler les excentricités des personnages prétendant ne pas tenir compte des comportements normés que leur extraction et leur sexe devraient leur imposer ? Lu en 2017, et/ou dans cette version, le propos peut être perçu tout différemment : n’est-ce pas plutôt l’excentricité de la princesse qu’il faudrait louer, justement ? Car la jeune femme n’a pas que des goûts étranges – elle est aussi intelligente, érudite, habile à tourner des réponses cinglantes aussi bien que de délicieux poèmes, et se moque éperdument du qu’en-dira-t-on, jusqu’à – horreur glauque ! – ne pas tenir compte de ce qu’un homme pourrait la voir ! Et de s’engager avec lui dans un jeu de séduction où la galanterie compassée de l’ère Heian, même au travers des échanges de poèmes de rigueur, a quelque chose de brut de décoffrage, assez savoureux pour le coup…

 

Faut-il se moquer d’elle, ou l’admirer ? Si un texte, au-delà de ses intentions, doit aussi être apprécié en fonction de sa réception, alors peut-être peut-on, en refermant cet agréable petit ouvrage, conclure sur une note rebelle et excentrique : la princesse aux goûts inconvenants aurait alors conservé son potentiel de subversion parfaitement intact – au travers des siècles, et par-delà les océans et les continents…

 

Il n’est certes pas dit qu’on ait à s’en féliciter – le corollaire étant que notre monde est parfois tout aussi porté que l’ancien à railler les comportements soi-disant « déplacés » au seul motif du sexe ou de l’ascendance. Travaillons...

 

UNE BELLE INTRODUCTION

 

Au travers de ces textes variés, mais tous joliment rendus, La Princesse qui aimait les chenilles atteint parfaitement son objectif : introduire les amateurs de contes ou les amateurs du Japon (a fortiori les amateurs des deux) à un folklore fort de sa singularité comme de sa diversité, et qui, pourtant, à quelques adaptations près, peut aussi toucher à l’universel – en véhiculant les plus forts des sentiments, la peur et l’émerveillement. Vraiment un très agréable petit volume.

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