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Histoire politique du Japon de 1853 à nos jours, d'Eddy Dufourmont

Publié le par Nébal

Histoire politique du Japon de 1853 à nos jours, d'Eddy Dufourmont

DUFOURMONT (Eddy), Histoire politique du Japon de 1853 à nos jours, troisième édition augmentée, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, coll. Parcours Universitaires – Histoire, 496 p. + [x] p. de pl.

 

PARTIELS

 

Retour après une absence prolongée, due pour une bonne part à ce que je viens de passer mes partiels – ça occupe, eh. Et ça n’a pas manqué d’affecter mes lectures – tant dans le rythme que dans les sujets (en trichant un peu, parce qu’il y avait parallèlement que je devais m’occuper de mes chroniques pour le futur Bifrost). Du coup, j’ai dû laisser ce blog un peu en plan, et, maintenant que j’ai l’occasion d’y revenir, c’est après avoir fait patienter sur ma pile-à-commenter trois ouvrages qui… probablement… n’y ont pas forcément leur place ; parce que chroniquer des « manuels », disons, est problématique, et que je ne me sens pas, en outre, d’en faire des comptes rendus exhaustifs… Mais tâchons peut-être d’en dire quelques mots malgré tout ?

 

« Quelques mots », ouais, tu parles, Nébal...

 

Aujourd’hui, donc, un manuel qui se passe sans doute des guillemets : Histoire politique du Japon de 1853 à nos jours, d’Eddy Dufourmont – la troisième édition augmentée, plus précisément, et toute récente (elle est parue en janvier). Si j’arrive à en tirer quelque chose d’adapté à ce blog, j’envisagerai de causer des deux livres suivants, deux « Que sais-je ? » cette fois (pas exactement le même format, hein), bien plus vieux par ailleurs, ce qui n'est pas sans poser problème, à savoir Le Japon contemporain, de Michel Vié (relativement hermétique, même impression que pour son Histoire du Japon : des origines à Meiji, dans la même collection), et La Pensée politique du Japon contemporain, de Pierre Lavelle (qui m’a passionné – réminiscence, d’une certaine manière, de mes premières études, où l’histoire des idées politiques était ma matière fétiche…).

 

Après, il sera bien temps de revenir à des lectures plus diversifiées…

 

HISTOIRE IMMÉDIATE ? MAIS PAS EXHAUSTIVE

 

Mais donc, pour aujourd’hui, Histoire politique du Japon de 1853 à nos jours. Le Japon contemporain a certes été envisagé dans des dizaines de livres en français, mais celui-ci a donc davantage des allures de manuel, mais aussi d’autres traits qui renforcent sa singularité.

 

Notons déjà la période couverte, qui englobe des questions très, très récentes – relevant de l’histoire immédiate. La quatrième de couverture mentionne Fukushima, notamment (en fait peu traitée dans l’ouvrage…), mais le livre est aussi (et peut-être surtout) « à jour » sur d’autres questions, notamment d’ordre géopolitique, en consacrant par exemple des sections à divers contentieux frontaliers (les Senkaku avec la Chine, les Tokdo avec la Corée du Sud, les « Territoires du Nord » avec la Russie…) ou aux tentatives d’organisation régionale en Asie orientale, matière encore largement indécise et sujette à des évolutions rapides ; également, les orientations politiques récentes du PLD et de ses premiers ministres, notamment dans l'optique nationaliste. Et tout cela a son importance : certes, il est sans doute bien d’autres ouvrages qui abordent ces temps très proches – et si la perspective historique n’y est pas forcément de mise, d’autres approches (géographie et géopolitique, science politique, économie, sociologie…) peuvent s’avérer fructueuses en demeurant accessibles ; mais l’insertion de ces thématiques dans une périodisation plus large, remontant donc à 1853, fait sens à sa manière.

 

Par contre, il s’agit d’une étude historique et politique (géopolitique incluse), ce qui revient sans doute à privilégier thématiques et traitements dans une optique ne pouvant évidemment pas être exhaustive – très peu de développements économiques ici, notamment ; ce qui n’est pas forcément un problème, car on trouvera aisément de quoi envisager les questions posées par l'histoire récente du Japon sous cet angle, mais, à titre d’exemple, c’est un point qui distingue, voire oppose, la perspective du présent manuel et celle du Japon contemporain de Michel Vié, « Que sais-je ? » lu immédiatement après, et où l’économie a une part importante…

 

Même si l’autre raison du contraste entre les deux livres (taille exceptée…) est à l’avantage du présent titre : le « Que sais-je ? », lu dans sa sixième édition corrigée (1995), date un peu… C’est qu’il s’en est passé, des choses, depuis. Mais la perspective, dans le livre d’Eddy Dufourmont, mêle donc histoire événementielle, histoire politique, histoire des institutions et histoire des idées politiques au premier chef – laissant à d’autres ouvrages le soin d’éclairer sous un autre angle l’ample matière de la vie politique japonaise depuis l’ouverture au monde, vers le milieu du XIXe siècle.

 

UNE QUESTION DE PÉRIODISATION

 

Cette Histoire politique du Japon de 1853 à nos jours entend aussi se distinguer – et l’affiche dès sa quatrième de couverture – en faisant usage d’une périodisation « différente ». L’idée, ici, est que les dates couramment utilisées pour marquer les moments où le Japon « bascule » ne sont pas forcément les plus pertinentes.

 

Et cela va au-delà de la référence aux ères japonaises – lesquelles, depuis Meiji, changent avec l’empereur régnant (ce n’était pas du tout le cas auparavant) : ainsi, après l’époque Edo (1603-1868 – mais dans le présent ouvrage nous ne l’envisageons que dans l’optique du bakumatsu, soit l’effondrement du shogunat Tokugawa à partir de l’ouverture forcée, ou plus exactement de l’arrivée des « vaisseaux noirs » du commodore Perry, et donc 1853-1868), nous avons l’ère Meiji (1868-1912), puis l’ère Taishô (1912-1926), puis l’ère Shôwa (1926-1989), enfin la présente ère, qui est l’ère Heisei (depuis 1989). Ces ères peuvent faire sens au regard de l’histoire politique du Japon contemporain, mais elles manquent parfois de précision : l’ère Meiji peut sans doute gagner à être divisée en plusieurs périodes – et ça n’en est que plus vrai pour l’ère Shôwa, d’ailleurs le plus long règne impérial de l’histoire du Japon…

 

Mais où placer ces bascules ? Les plus couramment employées, pour Eddy Dufourmont, ne sont pas forcément les plus pertinentes, au fond. Deux en particulier : 1868 et 1945. Ce sont sans doute des dates cruciales dans l’histoire du Japon, correspondant, la première à la Restauration de Meiji (donc la fin du shogunat et la « restitution » du pouvoir politique à l’empereur), la seconde à la Défaite (l’ère Shôwa se poursuit, mais le régime militaire et ultranationaliste s’effondre d’un seul coup, tandis que le pays, fait inédit dans toute son histoire, est soumis à une occupation militaire s’empressant de le réformer en profondeur). Mais, pour Eddy Dufourmont, la focalisation sur ces dates nuit à l’appréhension d’une histoire politique plus complexe, plus subtile, et qui a ses continuités propres, même opposées à pareils cataclysmes.

 

En fait, l’idée n’est pas forcément si neuve que cela : dans le « Que sais-je ? » de Michel Vié que je vais tenter de vous présenter un de ces jours, l’idée de ces continuités sous-jacentes est déjà là, tout particulièrement concernant 1868.

 

Et, pour le coup, oui : 1868 est assurément une date importante, et éminemment symbolique, mais les processus politiques alors à l’œuvre gagnent sans doute à être envisagés au travers d’une périodisation un peu plus ample, qui englobe les soubresauts du bakumatsu et Meiji ishin entendue au sens le plus strict – l’ensemble constituant une période agitée et largement indécise, au moins jusqu’en 1889, date à laquelle, avec la Constitution, le tennôcentrisme, soit la place essentielle de l'empereur dans le système politique, et dans une optique autoritaire, s’affirme frontalement, tout en mettant en place des institutions politiques qui auront l’occasion d’être subverties ultérieurement dans une optique plus démocratique et libérale... au moins temporairement.

 

À mon sens, le choix de dépasser l’autre date « fatidique » de 1945 est moins convaincant… Mais, bien sûr, je ne suis qu’un couillon d’étudiant qui débute, je n’ai donc pas voix au chapitre. Demeure quand même l’impression que cette bascule-là fait sens en elle-même, qui change radicalement le Japon alors même que l’ère Shôwa se poursuit… Et un fait me paraît l’indiquer dans les choix mêmes de périodisation de l’auteur : l’occupation alliée (lire américaine... 1945-1952) ne rentre pas vraiment dans les cases à mes yeux… Mais j’imagine que c’est une question à creuser, et j'aurai l'occasion de me contredire, si ça se trouve, plus loin dans cette recension.

 

En l’état, voici donc la périodisation retenue par Eddy Dufourmont : 1853-1889, « les transformations du Japon dans un monde nouveau » ; 1889-1922, « le Japon des oligarques, naissance d’un empire » ; 1922-1955, « Washington, Pearl Harbor, San Francisco : entrée, sortie et retour du Japon dans la nouvelle société internationale » (et là, franchement, j’ai l’impression que cette désignation est assez éloquente concernant les difficultés envisagées plus haut, autour de 1945, mais aussi avant… et après) ; 1955-1993, « le Japon du PLD » (le Parti Libéral-Démocrate, soit la droite japonaise, au pouvoir sans interruption sur l’ensemble de la période – qui est aussi celle de la « Haute Croissance », puis d’une croissance encore notable, avant les crises plus récentes) ; enfin, de 1993 à nos jours, « les hésitations d’une puissance mondiale ».

UNE HISTOIRE COMPLEXE

 

Je ne me sens évidemment pas de décortiquer par le menu ce manuel relativement touffu (mais assez régulièrement illustré, par ailleurs). Cela reviendrait bien trop souvent à une bête paraphrase, de peu d’intérêt en tant que telle. J’aimerais seulement essayer de rapporter ici quelques impressions d’ordre plus « général », sur un mode éventuellement subjectif d’ailleurs, mais que j’espère indicateur de pistes à suivre pour approfondir la matière…

 

Une évidence, tout d’abord : l’histoire politique du Japon contemporain est extrêmement complexe. Comme toute histoire politique sans doute… Je ne vous la joue pas Trump, « Oh mais personne ne savait que c’était aussi compliqué… » Andouille, va ! Bien sûr, que c’est compliqué ! Mais pour bien des raisons, et à plus d’un titre – je vais essayer d’en donner un aperçu, même très limité, et en mettant en avant les sujets qui m'intéressent le plus à titre personnel ; du coup, je vais régulièrement m'éloigner de la lettre du présent ouvrage, qui me fournit une opportunité, disons...

 

Le jeu des factions

 

Notons cependant au préalable que cette complexité ressort, d’une certaine manière, de la forme du manuel : ainsi, passé les époques troubles du bakumatsu et de Meiji ishin, sur lesquelles je reviendrai, le manuel s’attarde volontiers (chiffres à l’appui, et de manière très récurrente) sur les querelles de partis, et de factions au sein de ces partis – avant même que le parlementarisme nippon ne commence à ressembler à quelque chose (avec la « démocratie de Taishô »), car les factions des « oligarques » au pouvoir durant la période antérieure, autoritaire, témoignent déjà de cette vie politique extrêmement complexe. Il est d’autant plus difficile de la suivre qu’elle est en évolution constante, et très, très rapide. En quelques mois, les noms des « partis », « factions » ou « clubs », etc., changent, tout en demeurant suffisamment proches pour susciter régulièrement la confusion. Cela n’en est que plus vrai, d’une certaine manière, après l’établissement du parlementarisme et du suffrage universel…

 

Mais, avant même cela, figurait déjà un trait saillant de la vie politique du Japon contemporain : une extrême volatilité des gouvernements – élections ou pas, majorité à la chambre basse ou pas, les gouvernements ne tiennent pas ou guère : la plupart durent moins d’un an, s’il y a quelques exceptions ici ou là. En fait, c’est cette fois une chose qui demeure pour partie après 1955… et ce alors même que le PLD, jusqu’en 1993, est systématiquement au pouvoir, et avec une confortable majorité ! C’est qu’il est lui-même traversé de factions se livrant une lutte acharnée, via des alliances et contre-alliances changeantes, et parfois très difficiles à suivre.

 

Or, point important, ces « factions » ne sont pas nécessairement « idéologiques », c’est même assez rare, j’ai l’impression. Il y a bien des affrontements d’ordre idéologique dans l’histoire politique du Japon moderne et contemporain, prétendre le contraire serait absurde, mais tout autant et peut-être davantage des « accommodements » réguliers témoignant de ce que la politique est pour une bonne part une affaire de personnes et de liens directs entre personnes – même sans aller jusqu’à la corruption ou au népotisme… mais sans les perdre de vue pour autant, car ils sont bel et bien de la partie.

 

Une succession de paradoxes ?

 

Mais l’histoire politique du Japon contemporain est complexe dans d’autres dimensions. Une m’a frappé tout particulièrement (mais c’était plus une confirmation qu’une découverte), et c’est à quel point cette histoire, tout particulièrement dans ses moments les plus nerveux, est propice aux solutions paradoxales.

 

Bien sûr, le bakumatsu et Meiji ishin en sont d’emblée un indicateur éloquent : la Restauration de Meiji constitue un moment aux frontières plus ou moins floues (dire simplement « 1868 », c'est ne rien dire) et d’une complexité remarquable, défiant l’analyse, a fortiori sur un format aussi restreint – je ne peux même pas, avec mes maigres connaissances en la matière, en donner ne serait-ce qu’une vague idée… Je m’en tiendrai donc peu ou prou, et vous prie de m’en excuser, à des « formules » forcément simplistes, je ne vois pas comment procéder autrement dans ce contexte.

 

Mais voilà : l’ouverture forcée du Japon suscite un mouvement xénophobe (jôi, « expulser les barbares »), dont l’agitation ne fera qu’accroître l’ouverture vilipendée – et parfois du fait même des rebelles d’abord hostiles à l’étranger, une fois en place… Lesdits xénophobes, confrontés aux puissances occidentales, s’allient d’ailleurs parfois avec elles contre le shogunat (c’est ce que fait le fief de Satsuma avec l’Angleterre... après une véritable guerre les ayant opposé tous deux !). Le shôgun, ou plutôt les shôguns, car trois se succèdent sur la période pourtant brève du bakumatsu, d'une quinzaine d'années, organisent pour partie eux-mêmes les conditions de la fin de leur pouvoir, jusqu’au moment décisif de la « restitution du pouvoir à l’empereur » (taisei hôkkan, une initiative shogunale, même si elle sera bientôt suivie par ôsei fukko, plus radicale, et cette fois imposée au shôgun). Le mouvement largement réactionnaire du sonnô jôi (associant donc désormais à « l’expulsion des barbares » la « révérence pour l’empereur »), arrivé au pouvoir, livrera la plus moderniste des politiques, et à marche forcée encore – une politique de modernisation à tous les niveaux, qui est tout autant « occidentalisation », mais nos héritiers du jôi s’en accommodent finalement fort bien, adoptant jusque dans les portraits officiels de l’empereur l’habit occidental, et multipliant tant les ambassades que les invitations à des Occidentaux à venir au Japon afin d’en apprendre autant que possible, et aussi vite que possible, concernant les sciences et les technologies de pointe, et tout autant les conceptions politiques et juridiques des Européens et des Américains, aux antipodes du Japon d’Edo. Quant aux samouraïs emblématiques des premiers temps du mouvement, comme notamment Saigô Takamori, ils perçoivent un peu tard qu’ils ont suscité, sinon accompli eux-mêmes, la vague réformiste qui anéantira le Japon des samouraïs – alors même que l’empereur dont ils ont restauré le pouvoir dénonce bientôt, et finalement logiquement, l’emprise des bushi, les guerriers, qui ont déformé l’essence même du Japon depuis les événements du XIIe siècle rapportés dans les dits de Hôgen, de Heiji et des Heiké. Le mouvement de la restauration impériale, qui aboutira au tennôcentrisme, soit une puissance impériale inédite, ou au moins oubliée depuis un bon millier d’années (mais c'est douteux), génère en même temps, dans l’ouverture même du « Serment en cinq articles » de 1868, la base des revendications du Mouvement pour la Libertés et les Droits du Peuple (jiyû minken undô), qui, au-delà de sa répression violente, suscitera pourtant, et finalement de manière assez douce, la transition ultérieure vers la « démocratie de Taishô », puis, passé l’intermède militaire, ressurgira encore pour fonder la démocratie libérale japonaise d’après-guerre – et dans les propres mots de l’empereur Hirohito, dès 1945. En même temps, ce tennôcentrisme inédit s’accompagne d’une pratique du pouvoir où les « oligarques » ont bien plus leur part que l’empereur Meiji, etc., et ce malgré une idéologie et des professions de foi tennôcentristes qui ont l’air parfaitement sincères, y compris lorsqu’elles appuient sur le fait que l’empereur dispose d’un pouvoir réel, et non uniquement symbolique – en réprimant le cas échéant ceux qui avancent cette dernière possibilité. Des paradoxes qui dépassent la seule scène « strictement politique », enfin : que penser de ces hommes austères, confucianistes (ou néo-confucianistes) jusqu’au bout des ongles, prisant l’esprit et affirmant sa supériorité sur la matière, et qui opèrent la révolution industrielle et l’évolution capitaliste du Japon ? Certes, Meiji ishin met en avant des catégories sociales jusqu’alors guère marquées et en tout cas exclues du pouvoir, en suscitant l’alliance de marchands et de samouraïs de rang inférieur – mais cela va sans doute bien au-delà…

 

Et on pourrait continuer longtemps ainsi.

 

Bien sûr, d’autres moments de l’histoire politique du Japon moderne et contemporain pourraient donner lieu à ce genre de constats effarés (mais simplistes, donc). La question du rôle de l’armée, notamment, doit être envisagée ainsi – mais cela implique à mes yeux de mettre d’abord en avant un autre trait de cette vie politique tumultueuse, pas forcément décisif mais qui m’a marqué à la lecture de ce manuel : sa violence.

UNE HISTOIRE VIOLENTE ?

 

Assassinats politiques et terrorisme

 

C’est un des points qui m’a le plus marqué à la lecture de ce manuel – et ce alors même qu’il ne le met certainement pas en avant, c’est vraiment du ressenti personnel, pour le coup.

 

La base, j’en avais une vague idée – mais la lecture suivie de cette Histoire politique du Japon contemporain de 1853 à nos jours a d’autant plus attiré mon attention sur les très nombreux « incidents », comme on le traduit le plus souvent (pour jiken, en principe), qui émaillent cette histoire.

 

Ces incidents sont en fait très divers – cela va de la brouille parlementaire marquée à l’action militaire non concertée, en passant par de nombreux assassinats politiques. Très nombreux… En fait, chaque période pourrait mettre en avant sa propre litanie d’ « incidents » ; et assez nombreuses, finalement, sont les personnalités politiques, quel que soit d’ailleurs leur camp, à en avoir fait les frais.

 

Certaines périodes y sont peut-être plus propices, cela dit – notamment celles du bakumatsu et de Meiji ishin, d’une part, ensuite la période allant de la « démocratie de Taishô » à la prise du pouvoir par les militaires dans les années 1930. Dans les deux cas, ces assassinats me paraissent surtout être le fait de jeunes gens d’extrême droite (l’expression fait sens dans les années 1920 et 1930, elle est peut-être plus critiquable concernant les années 1850 et 1860) ; et leur nombre est assez impressionnant… C’est sans doute un aspect de la vie politique du Japon moderne et contemporain (mais surtout avant la Défaite – même si depuis il y a eu d’autres cas, y compris en provenance de l’extrême gauche, bien sûr) qu’il faut avoir en tête, en contrepoint des événements politiques « officiels », disons, à la Diète ou ailleurs.

 

Bien sûr, les bouleversements rapides des années 1850 et 1860 y fournissaient un terrain très favorable, et qui change en tant que tel la donne : dans ces jiken demeure quelque chose de la « justice privée », peut-être, et éventuellement des privilèges des bushi – dont l’attitude peut varier du tout au tout : voyez Shimazu Hisamitsu, par exemple, du clan de Satsuma ; parmi les jiken du temps, certains le voient agir en justicier et, de manière surprenante, en défenseur de l’ordre établi (quand il abat les shishi complotant contre le shôgun à Kyôto), affichant son attachement au mouvement kôbu gattai, prônant l’alliance de la cour impériale et du shogunat... quand d’autres, dépassant éventuellement son autorité, rappellent ses liens avec le mouvement jôi qu’il semblait avoir lâché : ainsi, très peu de temps après, l’assassinat d’Anglais ne s’étant pas montré suffisamment déférents à son égard aux yeux de ses hommes…

 

Dans ce contexte de quasi-guerre civile, des affrontements du genre pouvaient être monnaie courante – au point de susciter quasiment des légendes, ainsi avec le groupe de rônin dénommé shinsen gumi. Et, bien sûr, ces troubles prennent une tout autre ampleur quand ils virent sans ambiguïté à la guerre civile – notamment les deux expéditions contre Chôshû dans les derniers temps du bakumatsu, et bien sûr la guerre de Boshin (1868-1869), qui signe la défaite irrémédiable du shogunat, ou la rébellion de Satsuma (1877), illustration de la fin des samouraïs ; mais là, nous dépassons largement la seule thématique des assassinats politiques, même si le déclenchement de ces divers événements passe éventuellement par des jiken.

 

Le cas des années 1920 et 1930 est sans doute différent : le Japon féodal encore du bakumatsu voire de Meiji ishin paraît appartenir à un lointain passé ; le tennôcentrisme s’est instauré entretemps, qui s’est aussi accommodé, après le décès de l’empereur Meiji, d’une orientation plus démocratique et libérale, parlementaire aussi, généralement désignée sous le nom de « démocratie de Taishô ». Aussi la connotation de ces jiken – de ceux qui consistent en assassinats politiques, car il y en a d’autres d’une ampleur bien différente, ainsi les manigances de l’armée du Kwantung en Mandchourie – est-elle désormais tout autre : cette fois, on est tenté de parler de terrorisme ; mais un terrorisme d’extrême droite, donc, et souvent le fait de jeunes gens, des militaires à peu près systématiquement, « plus royalistes que le roi » si j'ose dire, et tellement obsédés par l’idée de kokutai (« l’essence nationale du Japon », disons, mais aucune traduction ne correspond parfaitement, semble-t-il ; c'est en tout cas un concept essentiel de la pensée politique japonaise, et par-delà les compartimentations parlementaires, etc.), ainsi que par leur lien direct avec l’empereur (conséquence particulièrement fâcheuse de leur interprétation d’une disposition ambiguë de la Constitution de 1889, outre l’endoctrinement résultant de l’Admonestation impériale aux soldats et marins de 1882), qu’ils prennent sur eux de bouleverser la marche du Japon par la force – au nom d’un principe supérieur découlant de l’image même de l’empereur (pourtant guère favorable à ces chiens fous, Shôwa – ou Hirohito si vous préférez – a eu régulièrement l’occasion de le montrer, même si son cas est peut-être encore ambigu…) ; le même principe les incite à tenter des coups d’État, ainsi avec « l’incident du 26  février » (1936). Autant d’actions entretenant des rapports complexes, tant avec l’empereur qu’avec l’armée (l’état-major est loin d’approuver systématiquement les initiatives de ces « jeunes officiers » incontrôlables), mais qui préparent le terrain à la prise du pouvoir par les militaires à la fin des années 1930 – car si l’incident du 26 février 1936 est réprimé, et les instigateurs de la tentative punis (condamnés à mort pour bon nombre d’entre eux), l’armée pourtant, et des politiciens conservateurs sentant le vent tourner, sauront jouer de cette effervescence pour en obtenir le pouvoir politique… mais discrètement, sans effusions de sang, et sur la durée.

 

En résultera un Japon militariste, ultranationaliste, parfois dit totalitaire mais c’est une question plus complexe (à titre d’exemple, même si s’instaure au bout d’un moment un système de parti unique, c’est de manière éventuellement ambiguë, et, de manière plus surprenante, on trouve encore dans le Japon de 1940-1945 des opposants à la politique militariste en mesure de s’exprimer assez librement dès lors qu’ils ne s’en prennent pas à l’empereur, intouchable – mais, certes, nombre d’opposants sont enfermés, et au premier chef les communistes, dès avant la guerre), parfois dit fasciste aussi (dans le présent manuel, d’ailleurs), ce qui paraît plus contestable – même si les mouvements fascistes européens ont pu jouer un rôle sur l’idéologie des « jeunes officiers », il n’en reste pas moins que les mouvements indubitablement fascistes, dans le Japon d’alors, sont très minoritaires, et que l’idée d’un parti de masse n’y a jamais vraiment convaincu – le nationalisme japonais, très divers (j’essayerai d’y revenir en traitant du « Que sais-je ? » de Pierre Lavelle), pouvait se montrer agrarien, ou favorable à une socialisation et planification de l’économie par l’autorité, mais les autres critères identifiant sans l’ombre d’un doute le fascisme ne sont pas présents, semble-t-il.

 

Le rôle des militaires

 

Au-delà de ces « jeunes officiers » incontrôlables, mais sans doute en même temps du fait de leur agitation fanatique, utilisée sinon entretenue et sinon suscitée, l’armée acquiert un rôle de plus en plus important à l’époque – et d’une manière assez stupéfiante. Héritiers des samouraïs, dit-on, mais sans être samouraïs eux-mêmes, Meiji ayant aboli ce statut et ses privilèges (le droit au nom, le droit de porter le sabre, etc.), et liés par ailleurs aux fiefs rebelles avant suscité le bakumatsu, tout particulièrement Chôshû et Satsuma (ce dernier a fait de la marine impériale sa chasse gardée jusqu’en 1945), les militaires japonais acquièrent bien vite un pouvoir considérable. Endoctrinés par l’Admonestation impériale aux soldats et aux marins de 1882, ils tirent argument des dispositions de la Constitution de 1889 instituant un lien direct entre l’empereur et son armée pour considérer qu’ils dépendent de la seule autorité de l’empereur, et non du gouvernement – tout en profitant d’autres dispositions constitutionnelles réservant aux seuls militaires les postes de ministre de l’Armée et de ministre de la Marine (car les deux sont systématiquement différenciés – comme dit plus haut, tous les ministres de la Marine venaient ainsi de Satsuma).

 

Le résultat est proprement catastrophique. L’armée, sous Meiji, avait sans doute joué un rôle moteur dans les premières entreprises d’expansion coloniale, en « testant » le terrain à Taïwan, puis en remportant la Première Guerre sino-japonaise (1894-1895), ensuite la Guerre russo-japonaise (1904-1905) – les victoires dans ces deux conflits ont accru le rôle de l’armée japonaise, et favorisé les premières entreprises coloniales, tout en suscitant la méfiance, voire la crainte, des puissances occidentales. Mais le Japon, allié à l’Angleterre, profite aussi de la Première Guerre mondiale, où il faisait donc partie du camp des vainqueurs, pour accroître son pouvoir en Asie orientale. À Versailles, les représentants du Japon plaident pour « l’égalité des races »… et on ne les écoute pas. Le Japon n’en intègre pas moins la Société des Nations voulue par le président américain Wilson, et se satisfait de la place unique qu’il a acquise dans la géopolitique mondiale, de seule puissance non occidentale ayant véritablement une voix dans le règlement des conflits internationaux.

 

Mais les militaires sont d’un autre avis… Guère favorables à la « démocratie de Taishô », et convaincus de leur autonomie comme de leur bon droit, ils prennent des initiatives folles sans même en référer au gouvernement – et tout d’abord en Corée (avant la colonisation officielle en 1910) ainsi qu’en Mandchourie, un peu plus tard : des assassinats politiques, là encore (dont la reine Min de Corée, ou des seigneurs de guerre chinois, pourtant pas forcément les plus hostiles à l’encontre des Japonais dans le cadre de la lutte commune contre le Kuomintang…), puis encore au-delà, des mises en scène destinées à provoquer la guerre ; c’est ainsi que l’armée du Kwantung décide d’elle-même d’envahir la Mandchourie, en 1931 (les amis rôlistes pourront jeter un œil à la campagne pour L'Appel de Cthulhu Les 5 Supplices, même si...), puis, du fait d’un autre jiken, de provoquer enfin la nouvelle lutte officielle contre la Chine, avec la Seconde Guerre sino-japonaise, qui débute en 1937. Le gouvernement, semble-t-il, n’y a eu aucune part… mais doit bien faire avec – dès 1933, en fait : quand la Société des Nations condamne l’invasion japonaise en Mandchourie et la création de l’État fantoche du Mandchoukouo, le Japon réagit… en quittant la Société des Nations ; ce qui revient à valider l'initiative de l'armée du Kwantung.

 

Et l’armée ne cesse de gagner du pouvoir – profitant tant de ses victoires militaires que du chaos politique d’alors, où les assassinats politiques ont donc leur part. L’armée, consciente de son pouvoir, se met à bloquer systématiquement le jeu parlementaire, en favorisant des cabinets non gouvernementaux mais pourtant dotés du véritable pouvoir, et où la place des militaires est toujours accrue. Bientôt, plus aucun doute : ce sont les militaires qui dirigent le pays.

 

Vous connaissez la suite des opérations, et je ne vais pas y revenir en détail – mais les militaires, secondés par l’idéologie ultranationaliste, ont bien joué un rôle déterminant dans toutes ces tristes affaires, jusqu’à l’issue fatale de 1945… mais non sans semer des milliers et même des millions de morts sur les champs de bataille de la « Sphère de Coprospérité de la Grande Asie Orientale », en lançant le pays dans une guerre folle qu’il ne pouvait tout simplement pas remporter. La question des responsabilités est sans doute complexe – elle a épargné en tout cas l’empereur, volonté marquée de la part de l’occupant américain, semble-t-il conseillé à cet égard par des chercheurs tels qu’Edwin O. Reischauer (voyez ici) ou Ruth Benedict (voyez ). Le regard sur les militaires, au Japon même, a cependant changé – et si, à droite, les héritiers de l’ultranationalisme sont toujours à cran sur la question, et prompts au révisionnisme voire au négationnisme (et ce n’est certainement pas une métaphore ni une exagération), le peuple semble globalement suivre encore aujourd’hui l’orientation pacifiste de la Constitution de 1946, par laquelle le Japon renonce à la guerre et à la possession de forces militaires… à ceci près que les Forces d’Auto-Défense ressemblent de plus en plus à une armée qui n’en porte pas le nom. Mais ça, c’est une autre question.

Les mouvements sociaux et leur répression

 

À envisager la question de la violence dans la vie politique japonaise, je suppose qu’il me faut aussi traiter, pour le peu que j’en sais (très peu, vraiment trop peu), des mouvements sociaux et de leur répression. Là, c’est une question qui me dépasse vraiment, hélas – mais il s’agit d’y remédier un de ces jours.

 

Quelques éléments, quand même – qui peuvent remonter au bakumatsu (et avant, en fait, bien avant) : au moment où le shogunat Tokugawa s’effondre, il est confronté à de très nombreux mouvements populaires – des insurrections paysannes (ikki ; un livre consacré à la question me fait de l’œil, dû à Katsumata Shizuo, mais, d'ici-là, je peux vous renvoyer à l'Histoire du Japon médiéval de Pierre-François Souyri), mais aussi urbaines (comme par exemple le mouvement eijanaika, mis en en scène par Imamura Shôhei dans un film du même nom, qui ne m’avait pas plus emballé que ça, mais dont la scène finale est très forte) ; autant de mouvements dont le régime de Meiji a en fait hérité (notons par exemple l’insurrection de 1873, suscitée par une réforme agraire mal conçue, très lourde à supporter pour les paysans pauvres, et doublée par une loi de conscription qui faisait l’horreur de tous – notamment, dit-on, parce que l’idée d’un « impôt du sang » avait peut-être été interprétée trop littéralement…).

 

Mais l’ouverture au monde suscite d’autres mouvements – à mesure que les théories politiques occidentales gagnent le Japon. Le Mouvement pour la Liberté et les Droits du Peuple pouvait regrouper des tendances assez diverses, mais d’abord libérales ; par la suite, le socialisme se développe progressivement, dans des formes variables – et éventuellement susceptibles de trajectoires étonnantes, ainsi avec Katayama Sen, dont le socialisme est d’abord chrétien (et le christianisme, même très minoritaire au Japon depuis la fin de son interdiction en 1873, a joué un grand rôle dans le pays à cet égard), avant de devenir d’inspiration bolchévique après 1917 (ce qui l’amènera à être un des membres fondateurs du Parti Communiste Japonais, immédiatement interdit et réprimé) ; il s’était auparavant illustré en 1904 par sa poignée de main avec le socialiste russe Plekhanov, en pleine guerre russo-japonaise – mettant en avant une composante essentielle du socialisme japonais, le pacifisme. D’ailleurs, parmi les autres figures de cet engagement socialiste et pacifiste, on peut mentionner le journaliste Kôtoku Shûsui, quant à lui plutôt tourné, au bout d’un certain temps, vers l’anarchisme (ou le communisme libertaire, je vous laisse choisir)… et condamné à mort avec plusieurs de ses camarades en 1911, accusé de « trahison » ; peut-être la plus importante affaire de « lèse-majesté » jugée à l’époque au Japon, et qui choque… Le fait est que les socialistes puis les communistes ont tout particulièrement fait les frais de la répression gouvernementale, avec l’interlude peut-être de la « démocratie de Taishô ».

 

Dans un registre différent, mais en gros à la même époque, il y aurait sans doute beaucoup à dire concernant le développement du féminisme dans le Japon de Meiji, même si l’on dépasse largement les questions de répression politique, je suppose – ça reste un sujet très intéressant, qu’il faudra que je creuse.

 

Je passe sur la période militariste – au fond, j’en ai traité plus haut.

 

Pour la suite, je ne peux guère donner que quelques aperçus… Le pacifisme a joué un rôle moteur dans la société japonaise d’après-guerre, donc – avec notamment les manifestations monstres contre l’Anpo, l’alliance militaire nippo-américaine, en 1960. Après, cependant, le passage de la « saison politique » à la « saison économique » calme le jeu – et c’était après tout pour partie son objet. Cela ne signifie bien sûr pas la disparition des mouvements de contestation : en 1968, notamment, les étudiants japonais se rebellent comme bien d’autres de par le monde ; et, à l’évidence, la proximité du Vietnam, et le fait que les Américains lançaient leurs bombardements depuis des bases militaires japonaises, a rendu le mouvement anti-guerre nippon bien autrement concret que beaucoup d’autres (la question du nucléaire, forcément, n'arrangeant rien à l'affaire). Notons aussi d’autres formes de mouvements populaires – par exemple celui, très long, s’opposant à la construction de l’aéroport de Narita (les ZADistes de Notre-Dame-des-Landes sont des fans, je suppose).

 

Et, bien sûr, il y a des formes d’opposition plus violentes – comme dans le cas légendaire de l’Armée Rouge Japonaise ; à l’autre bout du spectre politique, je suppose que la « Société du Bouclier » de Mishima Yukio tient davantage du folklore « héroïque »…

 

Reste que la « saison économique », avec la « Haute Croissance », a changé la donne ; sur cette base, j’imagine que les crises à répétition depuis les années 1990 peuvent la changer une fois de plus…

 

CONTINUITÉS

 

Je me suis bien trop étendu, en même temps sans en dire beaucoup – mon souci… Il est temps de conclure ?

 

C’est, j’imagine, une sorte de cliché, quand on traite du Japon – le pays « entre traditions et modernité »… Cela dit, il est des clichés qui font malgré tout sens, et je suppose que celui-ci, au regard de l’histoire politique du Japon moderne et contemporain, n’est pas totalement inapproprié. Trop réducteur sans doute, mais pas inapproprié. En fait, le questionnement même de la périodisation peut, dans une certaine mesure, nous ramener à cette conception : si des dates telles que 1868 et 1945 peuvent faire l’effet de césures brutales, il ne faut cependant pas en déduire que tout change, absolument tout, en l’espace de quelques mois au plus.

 

C’est, comme de juste, bien plus compliqué que ça. Car il y a bien des continuités, donc – il est sans doute pertinent d’envisager ensemble bakumatsu et Meiji ishin ; et, si le choix de minimiser l’importance de 1945 me convainc un peu moins, il est clair cependant qu’il y a des continuités significatives jusque dans cette période troublée… Et pour une raison finalement simple : le maintien des hommes en place ! En fait, les acteurs de la politique japonaise des années 1950 avaient souvent exercé des responsabilités avant, ou en avaient « hérité » d’une certaine manière ; or la purge entreprise par le SCAP (« Supreme Commander of the Allied Powers »), MacArthur à sa tête, a très vite été invalidée... par lui-même : la Guerre Froide changeant la donne politique, au point d’inquiéter énormément les États-Unis, qui regrettaient finalement bien vite d’avoir imposé au Japon l’article 9 de la Constitution de 1946 prohibant le recours à la guerre, nombre de « purgés » ont été remis en place – une vaste majorité, dont des individus condamnés pour crimes de guerre lors des procès de Tôkyô !

 

Et sans doute peut-on repérer, sur cette période allant de 1853 à nos jours, d’autres continuités, du même ordre ou encore autre chose.

 

ET L’AVENIR…

 

Et que nous réserve l’avenir ? Je ne me sens pas de jouer au prophète – sur un mode Cassandre ou quelque autre que ce soit. L’histoire peut fournir des outils spéculatifs, mais je doute qu’elle puisse vraiment prédire le futur – d’autant que je ne crois pas, contrairement à une remarque couramment lancée avec un peu trop de légèreté, que « l’histoire se répète ».

 

Cela dit… Je suis d’un naturel pessimiste, certes. Et, de manière plus ou moins fondée, certains « signes » me paraissent inquiétants.

 

Il en est un que je ne vais pas développer ici – et c’est la perpétuation, voire le regain, du nationalisme japonais, et éventuellement de l’ultranationalisme. J’avais pu en parler au travers de lectures très variées, comme l’essai de Takahashi Tetsuya Morts pour l’empereur : la question du Yasukuni… ou la novella de science-fiction signée Ken Liu, L’Homme qui mit fin à l’histoire ; mais je vais essayer d’y revenir plus en détail en traitant d’un autre ouvrage : le « Que sais-je ? », donc, que Pierre Lavelle a consacré à La Pensée politique du Japon contemporain. Il date un peu, certes : 1990… Mais il accorde beaucoup de pages au nationalisme japonais sous toutes ses formes, qui me paraissent nécessaires à l’appréhension de la situation actuelle, 27 ans plus tard – et qui me semble encore pire à cet égard.

 

Sur la scène intérieure, par ailleurs, il faut aussi prendre en compte que la situation n’est plus la même qu’en 1955-1993 : la suprématie du PLD a depuis été remise en cause, même si, la plupart du temps, il ne s’est guère éloigné du pouvoir – ou y a même participé, via des coalitions. Vous vous en doutez : je ne suis pas exactement du genre à déplorer la fin de la suprématie de ce grand parti de la droite japonaise, et ne porte vraiment pas dans mon cœur des premiers ministres tels que Koizumi Jun’ichirô ou l’actuel, Abe Shinzô – autant de représentants d’une branche « dure » du parti, et de fervents ultranationalistes, associés dans leur volonté de réhabilitation du Yasukuni, ou leurs tentatives révisionnistes – concernant les manuels d’histoire japonais à « modifier », ou, plus récemment, consistant à nier purement et simplement la réalité des « femmes de réconfort ». Je note ceci simplement pour établir que le système politique japonais n’est peut-être plus aussi stable qu’il l’avait longtemps été (en dépit des fréquents changements de gouvernements du fait du jeu des factions au sein du PLD) ; mais je ne ferai pas de pronostics quant à ce qui en sortira.

 

Mais les questions touchant au révisionnisme/négationnisme nous ramènent à l’international, où la situation n’est guère rassurante non plus ; au-delà des difficultés concernant l’intégration régionale de l’Asie orientale, la suprématie chinoise peut assez légitimement être perçue comme une menace par le Japon – et le rôle de la Russie dans ces relations globales n’est sans doute pas à négliger. Sans même parler, bien sûr, de notre Cher Leader Kim Jong-Un, qui s’agite en Corée du Nord : que ses fanfaronnades soient fondées et redoutables ou pas, reste que le Japon est aux premières loges – et que l’indécision de Trump en la matière, lui qui prônait le retrait des Américains dans la région avant d’être élu, mais qui semble désormais plus va-t-en-guerre, n’arrange absolument rien à l’affaire. Si l’on y ajoute que le Japon, a fortiori avec des néo-ultranationalistes à sa tête, n’entretient pas forcément d’excellentes relations avec tous les autres pays de la zone (Corée du Sud et Taïwan en tête)…

 

Je ne me sens pas d’en conclure quoi que ce soit. Et n’ose jouer la Cassandre, donc – même si je ne peux m’empêcher de redouter (pas « prévoir », allons bon, simplement « redouter ») que, sur le mode d’un autre cliché, navrant, et censément chinois celui-ci, le Japon soit en train de vivre « une époque intéressante »...

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G
Tout cela est sans doute vrai, mais le bouleversement à mon sens le plus important de la société japonaise depuis un siècle au moins tient à sa production de whisky - et jamais de bourbon, à ma connaissance, d'une qualité au moins égale et à mon goût parfois supérieure aux meilleurs écossais. <br /> Seule la Suisse fait, à l'occasion, parfois aussi bien. <br /> En revanche tous les whisky(ies) français que j'ai bus sont dans le meilleur des cas à réserver à la désinfection d'une plaie. <br /> Les japonais ont été également très bons dans les chaines haute fidélité très haut de gamme mais les anglais et les américains les avaient précédés. Et les Français parfois égalés.
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