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CR L'Appel de Cthulhu : Au-delà des limites (04)

Publié le par Nébal

CR L'Appel de Cthulhu : Au-delà des limites (04)

Quatrième séance du scénario pour L’Appel de Cthulhu intitulé « Au-delà des limites », issu du supplément Les Secrets de San Francisco.

 

Vous trouverez les éléments préparatoires (contexte et PJ) ici, et la première séance . La précédente séance se trouve quant à elle .

 

Tous les joueurs étaient présents, qui incarnaient donc Bobby Traven, le détective privé ; Eunice Bessler, l’actrice ; Gordon Gore, le dilettante ; Trevor Pierce, le journaliste d’investigation ; Veronica Sutton, la psychiatre ; et Zeng Ju, le domestique.

 

I : MERCREDI 4 SEPTEMBRE 1929, 1H – ST. MARY’S HOSPITAL, 450 STANYAN STREET, HAIGHT, SAN FRANCISCO

CR L'Appel de Cthulhu : Au-delà des limites (04)

[I-1 : Veronica Sutton : Bridget Reece ; George Hanson] Veronica Sutton a accompagné les policiers et la jeune fille qu’elle suppose être Bridget Reece au St. Mary’s Hospital, dans le quartier de Haight. Il y a de cela quelque temps, elle avait exercé dans ce gros hôpital, où elle a conservé de nombreux contacts – dont le Dr. George Hanson, qu’elle avait appelé pour qu’il s’occupe de la jeune clocharde que les investigateurs avaient rencontrée quelques heures plus tôt, en état d’extrême faiblesse, et dont l’identité n’a pour l’heure pas été établie. L’hôpital est très actif, même au cœur de la nuit, et les couloirs sont encombrés par les brancards ou parfois les lits de patients attendant un examen.

 

[I-2 : Veronica Sutton : Bridget Reece] Durant le trajet en camion du Petit Prince au St. Mary’s Hospital, Veronica Sutton a examiné la jeune femme hagarde, et est parvenue à la sortir vaguement de son état comateux – même si elle demeure perdue, et n’a guère pu que lui confirmer se prénommer Bridget, mais sans savoir le moins du monde ce qu’elle faisait là et ce qui lui était arrivé. Il sera impossible d’en apprendre davantage tant qu’elle n’aura pas récupéré, aussi doivent-ils la confier aux bons soins du personnel de l’hôpital, qui va tâcher de la maintenir éveillée pendant quelque temps, pour éviter tout risque lié à la perte de conscience – une fois sa situation stabilisée, il sera bien temps, pour elle, de véritablement dormir.

 

[I-3 : Veronica Sutton : Bridget Reece] Les policiers ont bien conscience de ce que la présence de Veronica Sutton auprès de la jeune droguée s’est avérée des plus utile – peut-être même cela lui a-t-il sauvé la vie ? Un des deux agents s’était montré très sec, et au mieux sceptique, devant la requête de la psychiatre désireuse de les accompagner, mais l’autre avait choisi de lui faire confiance : tous deux s’en félicitent désormais, et celui qui s’était montré réservé présente même ses excuses à Veronica. A-t-elle pu en apprendre davantage sur sa… « patiente », durant le trajet ? Pas grand-chose : Veronica explique qu’elle disait se prénommer Bridget (elle se doute qu’il s’agit de Bridget Reece, mais ne donne pas le patronyme aux policiers) ; à l’évidence, par ailleurs, elle n’a rien à voir avec les prostituées typiques du Petit Prince – pour la psychiatre, il ne fait guère de doute que la jeune femme détonnait dans ce milieu, et qu’elle est issue d’une « bonne famille ». Les policiers en prennent bonne note : ils vont se renseigner, consulter notamment le registre des disparitions… Ils remercient encore Veronica, et font mine de partir – ils n’ont plus rien à faire ici.

 

[I-4 : Veronica Sutton] Mais Veronica Sutton les interpelle : pensant peut-être profiter de la bonne impression qu’elle a faite aux policiers, elle évoque ses « amis » qui ont été embarqués au poste… Jusqu’alors, les policiers n’avaient pas associé la psychiatre à ces types louches qui se sont battus dans le Petit Prince, et avec des armes à feu – elle le leur révèle donc, d’une certaine manière… Et, aussitôt, le policier qui s’était montré initialement sceptique retrouve ses préventions à l’encontre de Veronica ! Il commence à la presser de questions embarrassantes sur son rôle dans cette affaire et ses liens avec les suspects, d’un ton très sec – mais son collègue, avec une tape amicale dans le dos, le convainc à nouveau de ne pas insister : après ce que le Dr. Sutton a fait… L’autre veut bien se montrer conciliant, mais ses traits sont sévères. Il avait déjà dit à Veronica qu’on la contacterait pour déposer sur cette affaire – et il y a maintenant une raison de plus de le faire… On la joindra très rapidement, dans les quelques jours qui viennent – et mieux vaut pour elle ne pas jouer à la plus maligne ! Le policier plus sympathique entraîne son collègue vers la sortie…

 

[I-5 : Veronica Sutton : George Hanson] Veronica Sutton ne sait donc pas où sont ses associés – elle se doute qu’ils ont été conduits au commissariat du Tenderloin, mais sans avoir la moindre idée de leur sort. Toutefois, tant qu’elle est ici, elle a des choses à faire : elle sait que son ami le Dr. George Hanson est de service, et il ne lui faut guère de temps, à se promener dans les couloirs encombrés des urgences, pour le trouver. Hanson est très occupé et visiblement épuisé – le lot commun aux urgences du St. Mary’s Hospital –, mais il affiche un large sourire quand il aperçoit Veronica, et s’octroie une pause cigarette pour discuter avec sa consœur à l’extérieur, à l’entrée de son service.

 

[I-6 : Veronica Sutton : George Hanson ; Zeng Ju] Tous deux échangent d’abord les banalités d’usage, évoquant notamment la pression des urgences, avant que la psychiatre oriente la conversation sur un sujet qui la préoccupe davantage : le sort de la jeune « clocharde » qu’elle avait recommandée à son collègue. Elle est bien arrivée ici, et Hanson s’en est lui-même occupé ; elle a été placée dans une chambre, où elle se repose, sous surveillance régulière et perfusion – mais il a été impossible de s’entretenir avec elle, elle est bien trop faible et trop déboussolée pour cela… Aucune idée de son identité, par ailleurs – et Veronica n’en sait pas davantage de son côté. Par contre, la psychiatre saisit l’opportunité de parler avec son confrère de cette expression dont avait fait part Zeng Ju, comme désignant, chez les sans-abris du Tenderloin, la maladie dont la jeune femme est visiblement affligée : ils parlent de la « Noire Démence »…

 

[I-7 : Veronica Sutton : George Hanson ; Hadley Barrow] George Hanson affiche un sourire un peu las : oui, il connaît cette expression… Elle désigne, par la force de la coutume, un phénomène étrange, auquel est habitué le personnel des urgences du St. Mary’s Hospital, mais sans vraiment le comprendre… C’est que l’hôpital comprend le Tenderloin dans son secteur – et, bizarrement, ce petit quartier semble être l’unique foyer de ce que l’on serait pourtant tenté d’envisager comme une épidémie, ou du moins une maladie contagieuse ; par ailleurs, ses victimes, au sein même de la population du quartier, présentent un profil spécifique : ce sont, littéralement, « des gens qui vivent dans la rue », essentiellement des clochards, ou quelques prostituées proposant leurs services en dehors du seul cadre des « restaurants français », le cas échéant. L’expression « Noire Démence » traduit la complexité de cette affliction hors-normes : il y a en effet, tout d’abord, un symptôme physique, ces « taches », noires, ou plus exactement sombres – à mesure que la maladie progresse, cette ombre se propage sur tout le corps du malade. Mais l’aspect « démence » doit probablement être mis en avant : les malades sont totalement détachés du monde, ils ne semblent tout simplement pas le percevoir – ceci, alors que leurs organes sensoriels sont en parfait état. Le problème est donc d’ordre psychique ou neuropsychique. En fait, les « taches » mises à part, la maladie ne présente pas directement d’autres symptômes physiques – de manière dérivée, cependant, les malades sont toujours d’une extrême faiblesse, résultant de la sous-alimentation ; mais c’est probablement une conséquence de l’affection psychique plutôt qu’un symptôme à proprement parler. Et c’est pourquoi on tend à considérer la Noire Démence comme une pathologie essentiellement mentale. Du coup, Hanson n’en sait pas beaucoup plus, car les patients ne s’attardent guère au St. Mary’s Hospital : on les adresse très vite au Napa State Hospital, la plus grande institution psychiatrique de la Bay Area et c’est bien ce que l’on fera, dès le lendemain, avec cette nouvelle victime dénichée par Veronica. Si le sujet l’intéresse, Hanson lui suggère de se rendre sur place pour s’y entretenir avec le Dr. Hadley Barrow : s’il y a un « spécialiste » de la Noire Démence, c’est sans doute ce psychiatre. Enfin, « spécialiste » autant qu’il est possible en pareil cas… Le fait est que la littérature scientifique est totalement inexistante en la matière. Au St. Mary’s Hospital comme au Napa State Hospital, on sait que la Noire Démence existe, mais elle est trop incompréhensible, trop bizarre, trop impossible à vrai dire, pour que qui que ce soit ose publier une étude sérieuse sur la question : c’est un coup à ruiner une carrière. Hadley Barrow, à cet égard, est comme tous ceux qui ont eu vent d’une manière ou d’une autre de cette maladie défiant la science médicale ; mais il est probablement celui qui en sait le plus à ce propos, si tant est qu’on puisse en savoir quoi que ce soit ; du moins en a-t-il l'expérience.

 

[I-8 : Veronica Sutton : George Hanson] George Hanson présente ses excuses à Veronica Sutton, mais il ne peut pas prolonger cette appréciable pause outre-mesure : le devoir l’appelle… Il a été ravi de revoir sa collègue, ceci dit ! Hanson retourne à son travail, et Veronica rumine ce qu’elle vient d’apprendre auprès de lui… et elle prend conscience d’une chose très étrange : la discussion est restée relativement vague à ce sujet, mais donnait l’impression que la Noire Démence était une maladie contagieuse, et opérant probablement par le contact physique. Mais, d’après Hanson, cela fait des années, des décennies peut-être, que des malades transitent, au moins, par le St. Mary’s Hospital. Là, par la force des choses, ces victimes de la Noire Démence entrent forcément en contact avec des aides-soignants, des infirmières, des médecins, que leur travail oblige à les manipuler… Mais le personnel soignant dans son ensemble ne semble pas le moins du monde avoir jamais été affecté par la maladie, sans quoi Hanson l’aurait mentionné – d’autant que, du fait de son poste aux urgences, cela aurait très bien pu être son cas ! Une « impossibilité » de plus, concernant cette maladie incompréhensible…

 

II : MERCREDI 4 SEPTEMBRE 1929, 2H30 – ST. MARY’S HOSPITAL, 450 STANYAN STREET, HAIGHT, SAN FRANCISCO

CR L'Appel de Cthulhu : Au-delà des limites (04)

[II-1 : Gordon Gore, Eunice Bessler, Zeng Ju, Bobby Traven, Trevor Pierce : Veronica Sutton] Pendant ce temps, Gordon Gore, Eunice Bessler, Zeng Ju, Bobby Traven et Trevor Pierce sortent enfin du commissariat du Tenderloin, après avoir tous déposé et fait les frais des lenteurs narquoises de la police de San Francisco. Gordon, tout spécialement, est très agacé par la tournure des événements : son nom, cette fois, ne l’a pas totalement protégé, et il a fallu y adjoindre une somme plus que conséquente pour éviter d’avoir des ennuis avec la justice ; et, réputation ou pas, ils ont tous perdu leurs armes au passage, confisquées « temporairement » par ordre du commissaire… Ils n’ont aucune idée de ce qu’a fait Veronica Sutton depuis qu’ils ont été embarquées dans le « panier à salade », par ailleurs. Toutefois, Bobby est dans un sale état – il a à peine été hâtivement rafistolé au commissariat avant de déposer ; et Zeng Ju lui aussi a pris quelques coups dans la bagarre au Petit Prince. Des soins s’imposent, et, en dépit de l’heure tardive, Gordon décide, ainsi que Eunice et Trevor, d’accompagner leurs camarades blessés à l’hôpital le plus proche – qui se trouve être le St. Mary’s Hospital où s’est rendue Veronica…

 

[II-2 : Veronica Sutton, Bobby Traven, Zeng Ju, Eunice Bessler, Gordon Gore, Trevor Pierce : George Hanson, Jonathan Colbert, Andy McKenzie] C’est ainsi qu’ils se retrouvent tous au St. Mary’s Hospital en fait, peu ou prou à l’entrée des urgences, où Veronica Sutton venait de conclure il y a peu sa discussion avec le Dr. George Hanson. Tandis que Bobby Traven et Zeng Ju vont se faire soigner, Eunice Bessler souhaitant leur tenir compagnie, Gordon Gore et Trevor Pierce restent donc avec la psychiatre, et font le bilan de ce qui leur est arrivé. Gordon tient tout particulièrement à revenir à Jonathan Colbert, qu’il avait aperçu devant le Petit Prince au moment de monter dans le « panier à salade ». Veronica explique qu’elle l’a suivi et interpellé, ce qui a certes permis de déterminer que c’était bien le peintre, mais ils n’ont guère... discuté, et la psychiatre n’en a donc rien obtenu de probant. Par contre, Colbert était accompagné d’un autre homme, et tout indique qu’il s’agissait d’Andy McKenzie. Les deux hommes n’ont pas l’air de s’entendre, mais sont tout de même partis ensemble, l’escroc pressant le peintre, bien plus insouciant que lui-même, de filer sans plus attendre.

 

[II-3 : Veronica Sutton, Gordon Gore : Bridget Reece, Mack Hornsby, Byrd Reece, Jonathan Colbert, Andy McKenzie, Clarisse Whitman] Mais il y a plus intéressant, suggère Veronica Sutton : les policiers ont déniché, à l’étage du Petit Prince, une jeune femme lourdement droguée qui est très probablement cette Bridget Reece dont avait parlé Mack Hornsby, et qu’avait déjà croisée Gordon Gore… Et c’est d’ailleurs pour cela que la psychiatre est venue au St. Mary’s Hospital : elle a accompagné la jeune fille, et s’est occupée d’elle, avec la bénédiction de la police. Toutefois, il est clairement impensable d’aller la voir maintenant, et sans doute est-elle encore trop déboussolée pour leur être d’un quelconque secours. Mais Gordon entend bien la voir dès le lendemain, et sans doute également contacter son père, Byrd Reece : cette disparition, impliquant Jonathan Colbert au moins, et probablement aussi Andy McKenzie, est forcément liée à celle de Clarisse Whitman !

 

[II-4 : Bobby Traven, Zeng Ju, Eunice Bessler : Gordon Gore, Veronica Sutton] De leur côté, Bobby Traven et Zeng Ju, veillés par une Eunice Bessler très maternelle, reçoivent les soins dont ils avaient besoin. Pour le domestique, cela ne prend guère de temps, et il ne tarde ensuite pas à retrouver son employeur Gordon Gore. Le cas de Bobby est toutefois plus compliqué : il n’est pas nécessaire de l’hospitaliser (il n’y tient certes pas), mais il faut tout de même passer un certain temps à panser ses plaies et ses bosses. Le détective badine avec l’infirmière, et l’actrice le voit faire, amusée… Mais ils en profitent pour se renseigner concernant la jeune « clocharde » anonyme qu’ils ont adressée à l’hôpital. Cependant, au-delà de quelques généralités et remerciements d’usage (mêlés d’une vague gêne tenant au secret médical – l’infirmière a un peu de mal à manier cette notion…), ils se heurtent vite à un mur – plus encore que Veronica Sutton avant eux. Seule chose de certaine : personne ne peut aller voir la jeune femme maintenant, elle n’est pas en état de rencontrer qui que ce soit.

 

[II-5 : Bobby Traven, Eunice Bessler, Gordon Gore, Zeng Ju, Trevor Pierce, Veronica Sutton : Daniel Fairbanks] Ses associés attendent tous poliment que l’on libère Bobby Traven, mais il est bien tard quand cela se produit, près de 4h du matin, et ils sont tous horriblement fatigués – notamment, outre le détective, Eunice Bessler, qui presse Gordon Gore pour qu’ils rentrent à la maison ; Zeng Ju les accompagne, bien sûr, mais aussi Trevor Pierce : Gordon peut héberger tout le monde dans son manoir de Nob Hill, et renouvelle son offre – d’autant qu’il faudrait qu’ils se retrouvent tous vers 8h pour décider du contenu du rapport téléphonique à Daniel Fairbanks, qui doit avoir lieu à 9h… Mais Bobby, têtu, refuse : il se rend de ce pas à son domicile (pas très éloigné, certes, du côté ouest de Mission District), et s’effondre aussitôt dans son canapé. Quant à Veronica Sutton, elle a bien trop négligé ses chats, aujourd’hui… Elle gagne donc par ses propres moyens Fisherman’s Wharf.

 

III : MERCREDI 4 SEPTEMBRE 1929, 8H – MANOIR GORE, 109 CLAY STREET, NOB HILL, SAN FRANCISCO

CR L'Appel de Cthulhu : Au-delà des limites (04)

[III-1 : Gordon Gore : Daniel Fairbanks, Timothy Whitman, Clarisse Whitman, Bridget Reece] Tous les investigateurs se retrouvent à 8h chez Gordon Gore. Le repos a été bien court – tout au plus quatre heures d’un sommeil très bienvenu… Mais ils doivent faire leur rapport quotidien à Daniel Fairbanks, et Gordon préfère qu’ils en discutent d’abord tous ensemble. Se pose notamment une question particulièrement délicate : doivent-ils tenir au courant le secrétaire de Timothy Whitman de ce qui s’est passé la veille au Petit Prince ? Ils pèsent le pour et le contre – mais en définitive le dilettante y est plutôt favorable : Fairbanks l’apprendra sans doute d’une manière ou d’une autre, autant que ce soit par eux ; par ailleurs, raconter ce qui s’est passé permettra de bien montrer que l’enquête avance – car, outre Clarisse Whitman, ils peuvent maintenant rapporter qu’au moins une autre jeune fille riche était liée à l’affaire, Bridget Reece, et peut-être une troisième, dont ils n’ont pu encore établir l’identité… Tous finissent par se rallier à l’opinion de Gordon.

 

[III-2 : Gordon Gore : Daniel Fairbanks ; Eunice Bessler, Bobby Traven, Timothy Whitman] À 9h pile, Gordon Gore téléphone donc à Daniel Fairbanks, qui décroche aussitôt : « M. Gore» Le dilettante procède ainsi qu’il a été convenu. Fairbanks laisse passer un silence avant de répondre, pesant visiblement sa décision. Il finit par concéder que c’est un avancement significatif de l’enquête – aussi peut-il fermer les yeux sur les ennuis des investigateurs avec la police… D’autant que M. Gore semble s’en être bien tiré, sans impliquer le moins du monde son employeur. Le secrétaire laisse planer un nouveau silence… Puis il dit qu’en décrochant le téléphone quelques minutes plus tôt, il était à peu près persuadé de mettre fin au contrat – car on lui a rapporté une activité très suspecte à la Résidence Whitman, hier matin ; Mlle Eunice Bessler s’est nommément présentée à la porte, tandis qu’un individu doté d’une forte carrure, et arborant pour il ne sait quelle raison des sous-vêtements féminins sur le visage, en a de toute évidence profité pour pénétrer par effraction dans la demeure, ou du moins tenter de le faire – un individu qu’il est aisé d’identifier comme étant « votre gorille, ce M. Traven »… Quand M. Whitman l’a appris, il est bien sûr devenu furieux, et les instructions de Fairbanks étaient sans ambiguïté. Mais le secrétaire prend bonne note de l’avancement de l’enquête, donc, et va tenter de ménager la colère de son employeur ; il espère toutefois que ce genre d’incidents ne se reproduira pas, de quelque manière que ce soit : il ne se montrerait certainement pas clément une deuxième fois... Gordon n’insiste pas ; par contre, il évoque la « Noire Démence » afin de compléter son rapport, mais le secrétaire lui répète, « une dernière fois », qu’il n’est intéressé que par les faits – pas ce genre de spéculations saugrenues, hors-sujet et qui ne mènent nulle part. Gordon, de plus en plus agacé par la tournure de la conversation et la suffisance menaçante de Fairbanks, y coupe court en raccrochant brusquement. Sa colère est palpable.

 

[III-3 : Bobby Traven, Gordon Gore : Daniel Fairbanks] Bobby Traven, s’il n’a pu intervenir dans la discussion téléphonique entre Gordon Gore et Daniel Fairbanks, a cependant fait de son mieux pour la suivre. Quand le dilettante raccroche, furibond, le détective revient à son intuition depuis le début de cette affaire : le secrétaire de Timothy Whitman n’est pas seulement agaçant, il est éminemment suspect… Et, en tout cas, il ne dit pas tout ce qu’il sait, il garde des choses peut-être cruciales pour lui. Gordon partage cet avis – mais ne voit pas bien ce qu’ils pourraient faire à ce propos, pour l’heure du moins.

 

[III-4 : Gordon Gore, Veronica Sutton, Eunice Bessler, Zeng Ju, Trevor Pierce, Bobby Traven : Bridget Reece, Hadley Barrow] Il est temps pour les investigateurs de décider de leur emploi du temps pour la journée. Tout d’abord, Gordon Gore, Veronica Sutton, Eunice Bessler et Zeng Ju vont retourner au St. Mary’s Hospital, pour prendre des nouvelles des deux jeunes femmes qu’ils ont rencontrées dans le Tenderloin, Bridget Reece et celle dont ils ne savent pas le nom. Après quoi Veronica Sutton, au moins, se rendra au Napa State Hospital pour s’entretenir avec le Dr. Hadley Barrow à propos de la Noire Démence on verra le moment venu si quelqu’un doit l’y accompagner. Pendant ce temps, Trevor Pierce va fouiner dans les archives de la rédaction du San Francisco Call-Bulletin, essentiellement dans la presse, en quête d’informations pertinentes pour leur affaire – et Bobby Traven, en piètre état, choisit de l’assister dans cette recherche. Gordon, avant de partir, prend soin d’accéder à sa réserve, où il conservait un autre Luger modèle P08, pour lui-même, ainsi qu’un Derringer cal. 25 pour Eunice.

 

IV : MERCREDI 4 SEPTEMBRE 1929, 10H – ST. MARY’S HOSPITAL, 450 STANYAN STREET, HAIGHT, SAN FRANCISCO

CR L'Appel de Cthulhu : Au-delà des limites (04)

[IV-1 : Veronica Sutton, Gordon Gore, Eunice Bessler, Zeng Ju : Bridget Reece] Arrivés au St. Mary’s Hospital, les investigateurs, dans la foulée du Dr. Sutton qui y a ses entrées, prennent bientôt des nouvelles des deux jeunes filles qu’ils y ont amenées, celle dont l’identité demeure inconnue, et Bridget Reece. Concernant la première, il n’y a pas grand-chose à en dire : elle est toujours très faible et hébétée ; elle sera transférée au Napa State Hospital dans la journée. Concernant la seconde, son identité a bel et bien été confirmée, elle va mieux, et ne devrait pas tarder à rentrer chez elle ; elle est pour l’heure toujours dans sa chambre, et libre au Dr. Sutton de la voir.

 

[IV-2 : Gordon Gore, Veronica Sutton, Eunice Bessler : Byrd Reece, Bridget Reece] À ceci près que la chambre de la riche jeune fille est gardée, par un homme qui n’est de toute évidence pas du personnel, et pas non plus un policier. Gordon Gore comprend sans peine qu’il s’agit là d’un employé de Byrd Reece ayant pour mission d’assurer la sécurité de sa fille Bridget. Une hâtive présentation le confirme. L’homme, certes pas hostile, après s’être assuré de l’identité de Veronica Sutton, et lui avoir prodigué quelques remerciements au nom de son employeur, l’autorise à pénétrer dans la chambre, accompagnée de Eunice Bessler. Bridget va visiblement mieux, mais elle dort pour l’heure – elle en a bien besoin. Mieux vaut la laisser tranquille…

 

[IV-3 : Gordon Gore : Edward Flanagan ; Byrd Reece, Bridget Reece, Veronica Sutton, Mack Hornsby] Pendant ce temps, Gordon Gore discute avec le garde du corps, un certain Edward Flanagan, qui l’a d’ailleurs reconnu. Byrd Reece a été mis au courant de l’affaire, et il tient à récompenser ceux qui lui ont permis de retrouver sa fille Bridget – soit le Dr. Sutton, et, par une heureuse coïncidence, son vieil ami Gordon Gore. Le dilettante, bien sûr, lui répond qu’une récompense n’est en rien nécessaire le concernant, il n’en a certes pas besoin, mais Flanagan lui fait comprendre qu’il ne s’agit pas que de cela – tout autant de garder le secret sur ce qui s’est passé, et les circonstances de la découverte de la jeune fille ; du côté de Mack Hornsby, cela ne devrait pas causer de problème, et quelques billets bien placés au commissariat du Tenderloin devraient suffire à acheter le silence des policiers. Mais… Gordon Gore l’interrompt : il sera parfaitement discret, bien sûr. Toutefois, peut-être lui faudrait-il tout de même s’en entretenir avec son vieil ami Byrd Reece ? Un chauffeur ne devrait guère tarder à arriver, pour reconduire Bridget chez elle. Flanagan sera du voyage – M. Gore pourrait peut-être les accompagner ? Le dilettante accepte.

 

[IV-4 : Veronica Sutton, Eunice Bessler, Zeng Ju, Gordon Gore : Bridget Reece, Byrd Reece, Hadley Barrow] Et concernant le Dr. Sutton ? La psychiatre vient tout juste de sortir de la chambre de Bridget Reece, accompagnée de Eunice Bessler. Désire-t-elle les accompagner à la Résidence Reece ? Son rôle dans cette affaire le justifierait, et sans doute Byrd Reece aimerait-il la remercier de vive voix… Mais Veronica décline l’invitation : elle a du travail, il lui faut se rendre au Napa State Hospital pour s’entretenir de la Noire Démence avec le Dr. Hadley Barrow ; et, entre le ferry et le train, cela prendra bien trois heures pour s’y rendre, autant pour en revenirEunice Bessler choisit de l’accompagner – mais aussi Zeng Ju, qui en fait la « proposition » assez brutalement, ce qui surprend un peu tout le monde, tant il colle d'habitude à Gordon Gore comme une ombre, d’autant qu’il est d’un naturel effacé et soumis ; il ne dit rien de ses motivations, mais personne n’ose le contredire : il se rendra donc au Napa State Hospital avec Veronica et Eunice, tandis que Gordon se rendra seul chez Byrd Reece.

 

V : MERCREDI 4 SEPTEMBRE 1929, 10H – RÉDACTION DU SAN FRANCISCO CALL-BULLETIN, 207 NEW MONTGOMERY STREET, SOUTH OF MARKET, SAN FRANCISCO

CR L'Appel de Cthulhu : Au-delà des limites (04)

[V-1 : Trevor Pierce, Bobby Traven] Trevor Pierce, accompagné de Bobby Traven, se rend à la rédaction de son journal, le San Francisco Call-Bulletin, dans le quartier de South of Market, pour y faire quelques recherches dans les archives, notamment concernant la presse. On trouve non loin, dans le quartier de Downtown, et plus précisément à Civic Center, divers établissements publics pouvant également contenir des documents intéressants, et faire l’aller-retour entre les deux est parfaitement envisageable.

 

[V-2 : Bobby Traven, Trevor Pierce] Avant de se lancer dans les rayonnages, les deux investigateurs décident d’abord de leurs axes de recherche. Bobby aimerait déterminer l’identité de la jeune clocharde qu’ils ont trouvée hagarde dans une ruelle du Tenderloin – et qui n’était probablement pas une clocharde il y a peu encore. Trevor, de son côté, va chercher des informations sur la Noire Démence. Enfin, à l’instigation d’un Bobby pourtant pas très clair quant à ce qu’il souhaite fouiller exactement, tous deux envisagent, mais ensuite seulement, de chercher la trace d’autres « phénomènes bizarres » à San Francisco. Bien sûr, c’est une grande ville : du bizarre, il y en a tous les jours… Mais « pas ce genre de bizarre. Des trucs vraiment bizarres, à la Charles Fort, tout ça »… Trevor est plus que sceptique, mais plus tard, peut-être…

 

[V-3 : Bobby Traven, Trevor Pierce : Lucy Farnsworth, Arnold Farnsworth, Clarisse Whitman, Bridget Reece, Timothy Whitman, Byrd Reece] Bobby Traven se montre extrêmement efficace dans la détermination de l’identité de la jeune clocharde : les bons recoupements dans les bons registres le mettent sur la piste d’une certaine Lucy Farsnworth, la fille d’un riche magnat du fret de San Francisco, Arnold Fansworth. Quelques recherches supplémentaires permettent bientôt de confirmer que Bobby a vu juste – car il tombe sur des photos de la jeune fille faisant ses débuts dans la bonne société san-franciscaine. Lui ne l’avait jamais vue, mais il fait signe à Trevor Pierce, qui interrompt brièvement ses propres recherches, et l’assure qu’il s’agit bien de la même jeune femme qu'il avait vue dans la rue – sa condition physique s’est bien dégradée depuis la photographie, pourtant récente, mais il n’y a aucun doute : c’est bien elle. Tous deux relèvent que cette Lucy Farnsworth présente un profil social très proche de celui de Clarisse Whitman et Bridget Reece. Bobby cherche des éléments concernant la disparition de ces dernières, mais il n’y a absolument rien. Tout indique que, s’ils sont pu trouver dans les archives la trace de Lucy Farnsworth, c’est parce qu’Arnold Farnsworth a signalé à la police la disparition de sa fille, ce que n’ont pas fait Timothy Whitman et Byrd Reece.

 

[V-4 : Trevor Pierce : George Hanson, Veronica Sutton, Curtis Ashley] Les recherches de Trevor Pierce sont plus compliquées, car autrement abstraites. En fait, la remarque de George Hanson à Veronica Sutton se confirme bientôt : il n’y a tout simplement pas de littérature scientifique, en tout cas médicale, sur ce phénomène incompréhensible qu'est la Noire Démence, car personne n’est prêt à risquer sa carrière dans un article un tant soit peu aventureux. Et, au-delà de la presse scientifique, il n’y a quasiment rien de plus – éventuellement quelques allusions ici ou là, cryptiques, et sur lesquelles on ne s’étend de toute façon pas. La matière aurait pourtant un certain potentiel journalistique, ne peut s’empêcher de se dire Trevor… Mais non : rien. Et peut-être pour des raisons politiques ? Qui s’intéresserait au sort des clochards du Tenderloin, de toute façon, pense le journaliste socialisant… Ce qui le met sur une autre piste – et lui permet enfin de trouver quelque chose de plus intéressant, dans une feuille socialiste san-franciscaine à très petit tirage, et qui ne paye vraiment pas de mine, le Worker’s Sunset… S’y trouve un article long et fouillé, signé Curtis Ashley ; un article résolument engagé (et qui tire la même conclusion que Trevor de ce que les autres journaux n’en parlent pas : ils se moquent de ce qui peut bien arriver aux pauvres), mais qui adopte en même temps, dans une optique sans doute marxiste, un ton très scientifique : l’approche est économique et sociologique, mais avant tout statistique. Et c’est justement ce qui permet d’identifier le phénomène de la Noire Démence (l’article use expressément de ce terme) comme une épidémie. En fait, la maladie en elle-même n’est pas directement décrite, ce n’est pas ce qui intéresse l’auteur : il tient avant tout à établir son existence indéniable en tant que fait social. En compulsant les archives du St. Mary’s Hospital où sont donc envoyés les malades du Tenderloin, l’auteur a pu relever des pics de l’épidémie en 1877, 1889, 1894, 1911 et 1920 (l’article date de cette dernière année). Entre ces pics, la maladie n’est pas totalement absente, mais beaucoup moins virulente et fatale. L’article comprend aussi une étrange mention d’ordre comparatiste : l’auteur dit avoir cherché à établir l’existence de ce phénomène en d’autres endroits, mais être peu ou prou rentré bredouille – à une exception près : il a pu déterminer qu’une maladie probablement similaire, ou, en tout cas, présentant les mêmes symptômes, a été signalée en 1898… à Clifton Hill, en Australie. Un cas unique, mais l’auteur se montre ici moins rigoureux qu’il le prétend : cela lui suffit pour affirmer que le phénomène de la Noire Démence n’affecte pas que San Francisco, mais a tous les traits d’une pandémie. Rien de plus, hélas – d’autant que cet article figurait dans le dernier numéro du Worker’s Sunset, et Trevor n’a pas trouvé trace d’autres articles de Curtis Ashley.

 

VI : MERCREDI 4 SEPTEMBRE 1929, 11H – RÉSIDENCE REECE, 223 GEARY BOULEVARD, RICHMOND DISTRICT, SAN FRANCISCO

CR L'Appel de Cthulhu : Au-delà des limites (04)

[VI-1 : Gordon Gore : Bridget Reece, Jeremy Blackwell, Franklin Gay, Edward Flanagan ; Veronica Sutton, Zeng Ju, Eunice Bessler, Byrd Reece] Gordon Gore patiente devant la chambre de Bridget Reece, au St. Mary’s Hospital, mais guère longtemps : une demi-heure environ après le départ de Veronica Sutton, Zeng Ju et Eunice Bessler, arrivent à l’étage Jeremy Blackwell, le chauffeur de Byrd Reece (un bonhomme un peu sec…), ainsi qu’un infirmier privé qui se présente comme étant Franklin Gay. Tous deux sont au courant de ce que Gordon Gore va les accompagner, car ils ont été prévenus par Edward Flanagan, qui a passé un bref coup de fil après le départ des associés de Gordon ; Byrd Reece est donc lui aussi au courant, et tout à fait ravi de cette visite. Gay réveille doucement Bridget, puis ils descendent tous au rez-de-chaussée.

 

[VI-2 : Gordon Gore : Jeremy Blackwell, Edward Flanagan, Franklin Gay, Bridget Reece ; Byrd Reece] Ils montent dans la luxueuse voiture de Byrd Reece, Jeremy Blackwell bien sûr au volant, Edward Flanagan à la « place du mort », les trois autres à l’arrière, Gordon Gore et Franklin Gay entourant Bridget Reece. La jeune fille n’est pas très bien réveillée, mais Gordon tente tout de même de discuter avec elle. Il est toutefois repris (courtoisement mais sèchement) par le chauffeur, qui, sans se retourner, dit qu’il vaut mieux attendre d’arriver à la résidence pour parler de tout cela – avec Byrd Reece. Gordon obtempère.

 

[VI-3 : Gordon Gore : Byrd Reece, Bridget Reece, Franklin Gay, Edward Flanagan] Ils arrivent à la Résidence Reece, une belle propriété dans Richmond District. C’est un Byrd Reece ému et souriant qui les accueille, et qui fait démonstration de sa reconnaissance envers Gordon Gore. Il demande cependant au dilettante de patienter quelques minutes dans le salon, où on lui servira du thé, le temps qu’il veille en personne à l’installation de sa fille Bridget Reece dans sa chambre à l’étage – il y monte, accompagné de Franklin Gay ainsi que d’Edward Flanagan. Gordon ne connaissait pas Byrd Reece plus que cela, mais son amour paternel paraît sincère, il a visiblement craint le pire pour Bridget. Le dilettante se rend donc dans le salon, qui fait aussi office de bibliothèque, et attend sans rien faire de spécial – il n’est certes pas ici pour fouiner.

 

[VI-4 : Gordon Gore : Byrd Reece ; Veronica Sutton] Environ un quart d’heure plus tard, Byrd Reece redescend et retrouve Gordon Gore dans le salon. Les deux hommes richissimes échangent pour la forme quelques courtoisies de rigueur, mais en viennent bien vite à des sujets autrement importants – et le dilettante comprend qu’il a le propriétaire foncier dans la poche : Byrd Reece a confiance en Gordon, il lui est très reconnaissant de ce qui s’est passé (ainsi qu’envers le Dr. Sutton, qu’il mentionne à plusieurs reprises), et est tout disposé à lui confier bien davantage qu’à qui ce soit d’autre, incluant la police et l’agence Pinkerton

 

[VI-5 : Gordon Gore : Byrd Reece ; Bridget Reece, Timothy Whitman] Le début du récit de Byrd Reece correspond en tous points à celui de Timothy Whitman : Bridget était une jeune fille un peu délurée, rebelle, qui faisait des bêtises… Byrd Reece plaide coupable : il n’y prêtait guère attention, alors que c’était sans doute un appel du pied, de la part de sa fille, pour qu’il s’intéresse davantage à elle – et il a bien compris la leçon. Quoi qu’il en soit, elle fréquentait des hommes, dont Reece serait bien en peine de dire le nom… Gordon Gore l’interrompt : est-ce que les noms de Jonathan Colbert, ou peut-être Andy McKenzie, lui diraient quelque chose ? Absolument pas. Il note ces noms, cela sera sans doute utile, mais il lui faut d’abord poursuivre son récit – justement parce qu’il fait intervenir des individus douteux qui pourraient bien être ces deux-là… En effet, très vite après la disparition de Bridget, alors que Byrd Reece hésitait sur les initiatives à entreprendre, et notamment celle de contacter la police, avec le risque d’un scandale à la clef, il a reçu une lettre anonyme, qu’il n’hésite pas à montrer à Gordon, ayant suffisamment confiance en lui pour cela (une confiance qu’il n’avait pas éprouvée à l’égard de l’agence Pinkerton).

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[VI-6 : Gordon Gore : Byrd Reece ; Bridget Reece, Mack Hornsby] La lettre anonyme était effectivement accompagnée de photographies pour le moins « salées », que Byrd Reece préfère, cette fois, de honte à l’évidence, ne pas montrer à Gordon Gore. Mais la crainte du scandale était ainsi devenue très concrète… Il en allait toutefois de même de l’inquiétude de Byrd Reece à l’égard du sort de sa fille Bridget, visiblement entre de très mauvaises mains – et Gordon perçoit bien qu’il est tout à fait sincère, et rongé par un profond sentiment de culpabilité. Le propriétaire foncier ne pouvait pas rester sans rien faire – mais il se méfiait bien trop de la police notoirement corrompue de San Francisco pour lui confier l’affaire ; il s’est donc tourné, un peu par défaut, vers l’agence Pinkerton, qui a mis sur le coup un détective du nom de Mack Hornsby – et Gordon explique l’avoir rencontré ; Reece fait part de ce qu’il n’a pas reçu de rapport de l’agence quant aux événements de la veille… Finalement, elle n’a absolument rien accompli. De toute façon, l’affaire est conclue, les concernant – même si par quelqu’un d’autre ; Byrd Reece explique en effet qu’il n’avait confié à l’agence que la seule tâche de retrouver sa fille – il n’avait pas osé mentionner le chantage…

 

[VI-7 : Gordon Gore : Byrd Reece : Bridget Reece, Veronica Sutton] Mais, dans les faits, l’affaire n’est bien sûr pas terminée : Bridget a été retrouvée, et c’est une immense joie, mais les maîtres-chanteurs courent toujours. D’ailleurs, l’implication de la police dans cette affaire a changé, avec l’identification de Bridget au Petit Prince – elle a contacté Byrd Reece, qui ne pouvait plus dissimuler l’affaire de chantage, car on a découvert une chambre à l’étage du « restaurant français » spécialement aménagée en studio photographique, et c’est là que Bridget a été retrouvée, inconsciente… Mais la police n’a pas fait mentions de photographies ou de négatifs – et il faut les trouver pour mettre fin au chantage ! Byrd Reece s’interrompt, fixant Gordon dans les yeux – car c’est ici qu’intervient le dilettante, dont il sait qu’il apprécie de mener des enquêtes pour se distraire… De toute évidence, il était engagé dans une affaire du même ordre ? Tout à fait – Gordon l’admet sans la moindre hésitation, mais explique à un Byrd Reece très réceptif qu’il ne peut bien évidemment pas lui donner le nom de son commanditaire… Cela va de soi, Reece ne comptait certainement pas obtenir ce renseignement. Par contre, il est prêt à payer lui aussi Gordon et ses associés (au premier chef le Dr. Sutton, il y revient) pour qu’ils retrouvent les photographies et les négatifs. Gordon y est tout à fait disposé : il ne réclame pas d’argent pour lui-même, mais ne doute pas que ses associés apprécieront le geste ; et comme il n’y a pas de conflit d’intérêts…

 

[VI-8 : Gordon Gore : Byrd Reece ; Bridget Reece, Veronica Sutton] Gordon Gore demande à Byrd Reece s’il serait possible de s’entretenir avec sa fille Bridget ; mais le propriétaire foncier explique que sa fille est encore bien trop hagarde pour pouvoir soutenir pareille conversation. Toutefois, elle devrait se remettre assez rapidement. Tout laisse à croire qu’elle sera autrement plus réceptive en fin d’après-midi, si le dilettante souhaite repasser – avec ses associés le cas échéant (« dont Mme Sutton ») ; c’est entendu !

 

VII : MERCREDI 4 SEPTEMBRE 1929, 14H – NAPA STATE HOSPITAL, 2100 CALIFORNIA STATE ROUTE 221 (NAPA VALLEJO HIGHWAY), NAPA

CR L'Appel de Cthulhu : Au-delà des limites (04)

[VII-1 : Veronica Sutton, Eunice Bessler, Zeng Ju : Hadley Barrow] Veronica Sutton a donc décidé de rendre une visite au Dr. Hadley Barrow, le « spécialiste » de la Noire Démence, qui exerce au Napa State Hospital, tout au nord de la Baie de San Pablo. À cette époque où le Pont du Golden Gate n’est pas encore construit, ce qui implique de prendre le ferry puis le train, le trajet entre San Francisco et Napa prend bien trois bonnes heures. La psychiatre est accompagnée par Eunice Bessler, toujours curieuse, mais aussi par Zeng Ju, ce qui a un peu surpris l’ensemble du groupe, même si personne n’en a fait ouvertement la remarque. Mais il a ses raisons pour effectuer le voyage – raisons qu’il ne confie pour l’heure qu’à la seule Veronica, à bord du ferry. C’est qu’il se demande s’il n’aurait pas été lui-même contaminé par la Noire Démence… Il n’a pas encore repéré de « taches » sur son corps, mais a tout de même l’impression que sa perception, notamment visuelle, connaît quelques « ratés » depuis ce matin… C’est difficile à décrire ; mais tout lui semble… plus flou ? Vague ? Les couleurs, notamment ; la météo est plutôt clémente aujourd’hui, mais c’est comme si les couleurs autour du domestique étaient toutes ternes – comme sous la pluie… Et ces teintes changent : il a l’impression d’un monde, disons, « grisâtre »… Et Zeng Ju se souvient bien sûr des clochards du Tenderloin, qui lui intimaient de ne toucher personne. Mais il est sans doute trop tôt pour sauter aux conclusions. Le Dr. Sutton remercie Zeng Ju de lui avoir fait confiance, prend bonne note de ses inquiétudes, et, pour l’heure, l’assure qu’elle n’en fera pas écho.

 

[VII-2 : Veronica Sutton, Eunice Bessler, Zeng Ju : Hadley Barrow] Veronica Sutton, en tant que psychiatre, ne se voit opposer aucune difficulté pour pénétrer à l’intérieur du Napa State Hospital, la plus grosse institution psychiatrique de la Bay Area, et cette faveur s’étend à ses compagnons. Le tableau fourni par l’asile ne surprend hélas guère Veronica : elle est bien placée pour savoir qu’en cette époque où continue de s’opérer la longue transition passant d’une psychiatre destinée à cloître et contrôler, à une psychiatrie vouée à soigner, la Californie, même si elle a certaines ambitions appréciables, n’a pour l’heure guère obtenu de résultats concrets – par la force des habitudes, et (surtout ?) le manque de moyens. Elle sait cependant que la situation ici est globalement un peu meilleure que partout ailleurs, mais il faudra encore bien du travail pour changer véritablement les choses. Habituée de par sa profession à fréquenter des individus tourmentés, elle sans doute quelque peu immunisée à ce que la scène peut avoir de plus inquiétant – Eunice Bessler et Zeng Ju, s’ils parviennent à se contenir, sont probablement bien plus affectés par le triste spectacle des patients hagards, car lourdement sédatés, qui déambulent la mort dans l’âme et les yeux vides dans des couloirs austères et des services visiblement surchargés. Il y a peu d’espoir que nombre de ces malades retrouvent un jour une vie « normale » – et, comme tout le monde le sait, la crainte que ces pathologies mentales soient héréditaires a servi à justifier une politique de stérilisation de masse des malades mentaux, ce qui en dit long à sa manière sur la perception de ces pathologies.

 

[VII-3 : Veronica Sutton : Hadley Barrow] Veronica Sutton, davantage focalisée sur sa tâche, demande à l’accueil si elle peut rencontrer le Dr. Hadley Barrow. Celui-ci achèvera bientôt sa tournée, et pourra la recevoir ainsi que ses amis dans son bureau, d’ici quelques minutes. Ils patientent un petit moment dans une petite salle d’attente plus que sobre, puis sont rejoints par un médecin d’allure relativement jeune, un peu échevelé, et souriant – c’est le Dr. Barrow, et il sera ravi de discuter avec le Dr. Sutton dans son bureau, une pièce minuscule, encombrée de dizaines de dossiers, et où le ménage laisse à désirer. Barrow libère quelques chaises pour ses invités, puis s’assied derrière son bureau, plus souriant que jamais. Quelques banalités d’usage permettent déjà de poser le caractère du personnage : compétent probablement, mais aussi (paradoxalement ?) ambitieux ; son sens de l’humour très pince-sans-rire séduit facilement ses interlocuteurs (et Eunice Bessler, surtout, est d’emblée acquise à sa cause – elle est d'ailleurs fascinée par la discussion parfois très pointue des deux psychiatres), en même temps qu’il peut donner une impression, fondée ou pas, de cynisme, au sens où sa considération à l’égard de ses patients paraît globalement assez limitée – ce que perçoit bien davantage Veronica, sans bien sûr en faire la remarque. Zeng Ju est tout ouïe, mais encore moins disposé à intervenir que d’habitude.

 

[VII-4 : Veronica Sutton : Hadley Barrow ; George Hanson] La conversation porte bientôt sur la Noire Démence – le Dr. Barrow affiche un grand sourire quand le Dr. Sutton avance cette qualification, et admet avec une fausse pudeur être probablement « le spécialiste » de cette pathologie, s’il doit y en avoir un – mais, bien sûr, sans que cela ait jamais pu déboucher sur une publication scientifique, qui aurait eu pour effet de hisser le jeune psychiatre hors de l’anonymat dans lequel il végète ; le risque de ruiner sa carrière était autrement plus probable... Dans les grandes lignes, Veronica obtient ainsi de Barrow la confirmation, point par point, des éléments que lui avait avancé George Hanson, avec quelques détails plus précis, d’ordre pleinement médical, qui passent complètement au-dessus de la tête de Eunice Bessler et Zeng Ju, lesquels ne pipent mot. Puis Veronica demande au Dr. Barrow combien de patients atteints par la Noire Démence sont actuellement soignés au Napa State Hospital. Barrow, après un temps d’arrêt, affiche un sourire plus éclatant que jamais – et un peu malsain, cette fois ? Il semblerait bien que le Dr. Sutton ne sache pas vraiment de quoi elle parle… Nulle offense, car c’est tout à fait normal, au regard du flou entretenu autour de la Noire Démence. Bref : il n’y a pour l’heure qu’une seule victime de la Noire Démence au Napa State Hospital – et depuis peu, puisqu’il s’agit de la jeune clocharde que le Dr. Sutton avait confiée aux bons soins de George Hanson, au St. Mary’s Hospital. Nul autre – même s’il y en a eu beaucoup. Et il y a une explication très simple, quoique fort triste sans doute, à cela : les victimes de la Noire Démence… ne durent pas. Incapables de s’alimenter par elles-mêmes, et guère plus sensibles aux tentatives pour les nourrir de force, y compris par intraveineuse, elles sombrent bientôt dans l’anémie, et meurent en une ou deux semaines au plus, de sous-alimentation. Veronica, un peu surprise, demande s’il n’y a jamais eu d’exceptions, mais non… « À moins, bien sûr, d’accorder quelque crédit aux rumeurs idiotes voulant que des victimes de la Noire Démence survivent des années durant dans les rues du Tenderloin... » Ce qui ne saurait faire sens, de quelque manière que ce soit.

 

[VII-5 : Veronica Sutton : Hadley Barrow ; George Hanson] Ce qui amène les deux psychiatres à envisager des questions connexes : l’improbable localisation très spécifique de l’épidémie, tout d’abord. Le seul Tenderloin... C’est bien un des nombreux éléments incompréhensibles en rapport avec cette pathologie hors-normes : pour le Dr. Barrow, rien ne saurait l’expliquer – c’est tout bonnement absurde. Autre question liée, le mode de propagation de la maladie : Veronica Sutton fait part à Hadley Barrow de sa réflexion, au sortir de son entretien avec George Hanson, concernant l’absence d’infection constatée chez le personnel soignant, au sens large, du St. Mary’s Hospital, où semblent être envoyés toutes les victimes de la Noire Démence infectées, a priori par contact, dans les rues du Tenderloin. Le Dr. Barrow confirme qu’elle a vu juste, et, affichant un sourire pour le coup des plus déconcertant, il relève la manche gauche de sa chemise : « Vous voyez une de ces "taches d’ombre? Pas la moindre ! Et je manipule des patients atteints par la Noire Démence depuis des années, et en nombre – en fait, personne n’en a autant touché que moi, c’est sûr. Mais pas la moindre tache ! Enfin, à ce bras, comme vous pouvez le constater… Je puis vous assurer que l’ensemble de mon corps en est vierge, mais peut-être voulez-vous que je vous montre et voir par vous-même ? » Veronica Sutton écarquille les yeux, stupéfaite par la légèreté vaguement grivoise du Dr. Barrow… Visiblement content de son petit effet, le psychiatre redevient cependant sérieux : effectivement, c’est tout aussi inexplicable que la localisation très spécifique de l’épidémie… Veronica le reprend : il y a forcément une explication, peut-être même plusieurs ! C’est simplement qu’ils ne cherchent pas dans la bonne direction, en se laissant impressionner par l’apparence d’absurdité du phénomène. Hadley Barrow perçoit bien que le Dr. Sutton, d’une certaine manière, le remet à sa place ; mais il riposte en souriant, plus narquois que jamais : « Je vois ! La méthode Sherlock Holmes, hein ? Comment est-ce, déjà… Ah ! Oui : “Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité.” Pourquoi pas ! Avez-vous quelques idées à ce propos ? » Il se trouve que oui – elle y a réfléchi : on pourrait concevoir, par exemple, l’effet d’une substance, quelle qu’elle soit, spécifique au Tenderloin, et qui serait à la base de l’épidémie, sans impliquer, comme on le croyait, le contact ; cette substance, peut-être le résultat d’une pollution, mettons, pourrait même entretenir un rôle plus ambigu, à la fois en infectant les clochards, mais en leur fournissant en même temps un mode d’alimentation spécifique, ce qui expliquerait à la fois l’anémie générale des malades, a fortiori au Napa State Hospital, si loin du foyer de l’épidémie… et la rumeur voulant qu’au Tenderloin des malades vivent malgré tout pendant des années ! Hadley Barrow est bien obligé de reconnaître que cette théorie, aussi gratuite soit-elle, demeure plausible et en même temps parfaitement rationnelle : le Dr. Sutton l’a « coincé », dans un sens… Mais il prend cette suggestion à la blague : « Oui, cela pourrait être une explication valable… J’en prends bonne note ! Quand je rédigerai enfin mon grand article sur la Noire Démence, je ne manquerai pas de vous citer dans les remerciements ! »

 

[VII-6 : Veronica Sutton, Zeng Ju : Hadley Barrow] Trêve de plaisanterie : mieux vaut revenir à des choses plus concrètes, et laisser là les spéculations, pour l’heure. Le Dr. Sutton et le Dr. Barrow discutent donc des symptômes de la Noire Démence. La question est plus compliquée qu’il n’y paraît – car les patients qui sont accueillis au Napa State Hospital sont le plus souvent à un stade déjà assez avancé de la maladie ; ce n’est qu’alors qu’on les « remarque »… « Enfin, si on les remarque : ce sont des clochards, nous avons tous l’habitude bien compréhensible de ne pas leur accorder beaucoup d’attention. » Au niveau physique, il n’y a pas forcément grand-chose – si l’on excepte, bien sûr, ces « taches d’ombre » fort curieuses, qui se répartissent progressivement sur tout le corps, mais à un rythme variable, et avec une intensité tout aussi variable. L’anémie, quant à elle, est probablement davantage une conséquence qu’un symptôme – « même si cela peut favoriser l’identification des malades, oui ». Les troubles de la perception sont probablement davantage cruciaux – mais justement : sur le plan physique, rien à signaler à cet égard : les yeux, les oreilles, etc., bref, tous les organes sensoriels, fonctionnent parfaitement – et pourtant les victimes ne voient pas, n’entendent pas, ou, plus exactement, elles semblent ignorer ces signaux, ce qui induit donc la part psychique ou neuropsychique de la pathologie. Mais les témoignages des malades – quand ils sont repérés assez tôt pour que l’on puisse tenter d’en discuter avec eux, et c’est très rare – se recoupent, à cet égard : tous parlent d’un monde subtilement différent, de l’impression de naviguer au milieu de… « sphères », grisâtres le plus souvent, en même temps que toutes les couleurs de leur environnement sont progressivement atténuées… Zeng Ju, qui avait fait de son mieux pour rester stoïque, ne peut cette fois se retenir de tousser. Les deux psychiatres s’interrompent brièvement, Hadley Barrow adressant au domestique chinois un regard interloqué, mais Veronica Sutton le ramène aussitôt à leurs échanges médicaux. Ces « symptômes », il y a donc des patients qui ont pu en faire part… Oui. Mais guère, car rares sont ceux qui sont hospitalisés à ce stade précoce de la maladie. Et, après, pour s’entretenir avec eux… C’est un aspect de ces troubles de la perception, après tout : ils ignorent le médecin qui aimerait leur poser quelques questions, ils ne le voient pas, ne l’entendent pas… Dans la très grande majorité des cas, du moins. Très exceptionnellement, un patient peut, et de manière très brusque, revenir temporairement « parmi nous », mais c’est très fugace, et le retour à la catatonie est tout aussi brutal… Hadley Barrow se lève et va fouiller dans un tiroir, dont il extrait bientôt une unique feuille : « Ceci pourra vous intéresser, Dr. Sutton… Il s’agit de la transcription d’un entretien – fort bref, comme vous pouvez le constater – que j’ai eu avec un malade temporairement revenu de sa catatonie, il y a quelque années de cela. Et… C’est assez éloquent. »

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[VII-7 : Veronica Sutton, Eunice Bessler, Zeng Ju : Hadley Barrow] Le Dr. Barrow laisse au Dr. Sutton le temps de lire, puis, quand il constate son effarement, il reprend aussitôt : « Texto. Il n’a pas dit un mot de plus. Plus jamais. Il a aussitôt sombré de nouveau dans la catatonie, n’a cessé de dépérir dans les jours qui ont suivi, puis est mort d’anémie dans la semaine. » Veronica Sutton tend la retranscription à Eunice Bessler et Zeng Ju. La comédienne est très intriguée : « "Yog-Sothoth" ? Qu’est-ce que c’est ? » Eh bien, le Dr. Barrow n’en a pas la moindre idée… Déjà, c’est une reconstitution phonétique de ce qu’il a cru entendre – pour autant qu’il s’en souvienne, cela sonnait comme ça… Probablement, croit-il, une construction aléatoire, un borborygme sans vraie signification. Non, fait-il au Dr. Sutton, il n’a pas pris cela à la légère, il a fait quelques recherches – peut-être cela signifiait-il quelque chose dans une autre langue que l’anglais ? Car ce n’était certainement pas de l’anglais… Le malade, un clochard san-franciscain pure souche, n’avait sans doute jamais parlé d’autre langue, tout au plus baragouiné deux ou trois mots d’espagnol, mais ce n’était pas davantage de l’espagnol, à l’évidence. Et nulle autre langue pour autant qu’il le sache : ses recherches n’ont rien donné. Ergo : du délire à l’état pur. Mais Eunice ne lâche pas l’affaire, maintenant qu’elle a osé s’immiscer dans la conversation entre les deux savants : ce « mot », n’est-il pas revenu dans d’autres entretiens auprès d’autres malades ? Ces entretiens ont de toute façon été fort rares – mais non, ce « Yog-Sothoth » n’a jamais été émis que par le patient en question : raison de plus d’y voir un borborygme sans queue ni tête, le délire d’un homme très malade et qui ne tarderait plus à mourir.

 

[VII-8 : Eunice Bessler, Veronica Sutton : Hadley Barrow] Eunice Bessler se penche à nouveau sur la transcription : « Et cette allusion, à la fin, cette histoire de "chaman du grizzly"... » Effectivement, Mlle Bessler a raison : cette mention, ou d’autres du même ordre, sont récurrentes, cette fois – pour autant que cela soit significatif, tant ces entretiens ont été rares. Mais oui, plusieurs patients ont évoqué ce genre de choses, à connotation « indienne »… « Faut-il s’en étonner ? Nous sommes aux États-Unis – même à San Francisco. Dans ce foutu pays, au moindre truc un peu bizarre, on est comme compulsivement tenté d’y voir la patte des Indiens… Je dois avouer que ce n’est guère mon domaine – même si j’ai entendu parler, à l’occasion, je ne sais plus bien où ni comment ni pourquoi, de ces "chamans du grizzly", qui semblent associés à la protohistoire de la Bay Area. Mais je ne suis pas compétent, ici. Si vous voulez en apprendre davantage à ce sujet, eh bien, les anthropologues ne manquent pas dans la région – mais je suis convaincu que vous perdrez votre temps : c’est du pur délire. » Eunice n’ose pas en dire plus – elle baisse les yeux sur la transcription, en se demandant, elle qui vient de la côte Est, si l’ours figurant sur le drapeau de la Californie pourrait être un grizzly [et c’est bien le cas]. Le Dr. Sutton prend bonne note des dernières remarques du Dr. Barrow : pour sa part, elle s’intéresse fort à l’anthropologie, et suppose qu’il pourrait être intéressant de suivre cette piste ; elle qui a beaucoup pratiqué Le Rameau d’or de Frazer, elle est à peu près persuadée, maintenant qu’on lui en a fait la remarque, qu’elle y trouvera quelque chose à ce propos – ce qu’il faudra sans doute approfondir à partir d’études plus spécifiques à l’histoire indienne de la Californie, qui, effectivement, ne manquent pas.

 

[VII-9 : Veronica Sutton, Eunice Bessler, Zeng Ju : Hadley Barrow] Veronica Sutton sait qu’elle n’en apprendra pas davantage ici, et prend congé du Dr. Barrow. Eunice Bessler et Zeng Ju lui emboîtent le pas – ce dernier affichant un air vaguement inquiet qui ne correspond guère à sa nature. Il leur faudra trois bonnes heures pour retourner à San Francisco

 

VIII : MERCREDI 4 SEPTEMBRE 1929, 14H – RÉDACTION DU SAN FRANCISCO CALL-BULLETIN, 207 NEW MONTGOMERY STREET, SOUTH OF MARKET, SAN FRANCISCO

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[VIII-1 : Trevor Pierce, Bobby Traven] Pendant ce temps, Trevor Pierce et Bobby Traven continuent leurs recherches, essentiellement dans les archives du San Francisco Call-Bulletin. Ils ont un troisième et dernier (pour l’heure) axe de recherches à creuser, auquel Bobby tient particulièrement, tandis que Trevor se montre davantage sceptique. Le détective a l’impression, sur la base de la Noire Démence si fondamentalement incompréhensible, qu’il faudrait peut-être se pencher sur les trucs « bizarres » ayant eu lieu à San Francisco et sa région, ces phénomènes que l’on qualifierait de « paranormaux »… « Le genre de machins dont parle Charles Fort, quoi... » Ce qui laisse Trevor plus que perplexe : San Francisco est une grande ville, et passablement bohème – le « bizarre » y est la norme… Le détective l’admet, mais il veut croire qu’il y a des choses à dénicher sous les couches de potins et autres billevesées faussement ésotériques.

 

[VIII-2 : Trevor Pierce, Bobby Traven] Alors Trevor Pierce s’attelle à la tâche, en affichant une moue sceptique… Dans un premier temps, ses trouvailles ne font que confirmer ses craintes : quantité de sottises à la façon des articles dits « insolites » qui servent de bouche-trous dans la presse locale, et quelques pseudo-polémiques impliquant des sociétés plus ou moins secrètes telles que la Franc-Maçonnerie, bien sûr, qui a en fait pignon sur rue, la Théosophie, même si son heure de gloire est passée depuis pas mal de temps déjà, ou encore les Rose-Croix de l’AMORC… Mais, au moment où il songeait à arrêter les frais, il tombe sur quelque chose qui pourrait s’avérer plus intéressant : l’évocation, dans quelques articles épars, d’une collection de livres et artefacts occultes semble-t-il fort importante, mais pas moins secrète, et qui se trouverait quelque part dans la Bay Area – la collection dite « Zebulon Pharr », du nom d’un singulier personnage qui, au XIXe siècle, et notamment dans la région de San Francisco, avait acquis une certaine réputation en tant qu’anthropologue et philologue, tout ce qu’il y a de sérieux, mais dont les recherches poussées l’avaient conduit à s’intéresser toujours un peu plus à l’occultisme, jusqu'à rassembler cette colossale somme d'objets et de documents. Mort sans héritier, il avait légué l’ensemble de ses biens à une fondation. Les articles sont assez évasifs, et ne permettent même pas de localiser cette « Collection Zebulon Pharr », si ce n’est pour dire qu’elle se trouverait bel et bien quelque part dans la Bay Area. Mais cela paraît bien plus solide à Trevor que tout ce qu’il avait pu trouver autrement dans ses recherches. Certes, il ne s’agit pas à proprement parler des « phénomènes étranges » qui suscitaient la curiosité de Bobby Traven, mais cela pourrait être un endroit où poser des questions, et où trouver des réponses, concernant lesdits phénomènes, si l'on veut y croire…

 

IX : MERCREDI 4 SEPTEMBRE 1929, 19H – RÉSIDENCE REECE, 223 GEARY BOULEVARD, RICHMOND DISTRICT, SAN FRANCISCO

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[IX-1 : Gordon Gore, Veronica Sutton, Eunice Bessler, Trevor Pierce : Zeng Ju, Bobby Traven, Bridget Reece, Jonathan Colbert, Andy McKenzie] En fin d’après-midi, la plupart des investigateurs se retrouvent chez Gordon Gore, à Nob Hill, où ils font le point sur leurs découvertes. Gordon suppose qu’il est maintenant possible de retourner à la Résidence Reece, où Bridget Reece devrait pouvoir se montrer plus réceptive à leurs questions ; Veronica Sutton, Eunice Bessler et Trevor Pierce décident de l'y accompagner, tandis que Zeng Ju, qui ne s’y sentirait guère à sa place, préfère arpenter les rues du Tenderloin pour dénicher quelque indice sur la localisation de Jonathan Colbert et Andy McKenzie (Bobby Traven se livre à ses propres occupations de son côté).

 

[IX-2 : Veronica Sutton : Byrd Reece, Bridget Reece, Franklin Gay, Edward Flanagan] Arrivés à destination, dans Richmond District, les investigateurs sont accueillis chaleureusement par Byrd Reece, qui tient à remercier plus particulièrement et en personne Veronica Sutton pour ce qu’elle a fait. Effectivement, Bridget a un peu récupéré, et son père suppose qu’un entretien avec elle pourrait s’avérer fructueux, tout en comprenant très bien que sa fille ne se sentira pas aussi libre de parler s’il est lui-même présent, ou quelque autre de ses employés de maison. Il guide donc les investigateurs à la chambre de Bridget, à l’étage, et redescend aussitôt, accompagné du garde-malade Franklin Gay et du garde du corps Edward Flanagan, autrement affectés à la surveillance de la jeune fille.

 

[IX-3 : Veronica Sutton, Gordon Gore, Trevor Pierce, Eunice Bessler : Bridget Reece, Byrd Reece] Bridget Reece va effectivement beaucoup mieux, même si elle est encore fatiguée. Elle accueille « ses invités » avec un sourire resplendissant, et se confond en remerciements pour leur aide. Mais, à la différence de son père, il devient vite très clair qu’elle ne compte pas s’attarder outre mesure sur les soins pourtant très concrets que lui a prodigués Veronica Sutton : c’est Gordon Gore qu’elle rend responsable de tout cela, et elle n’a d’yeux que pour le jeune et beau dilettante. En fait, tous à l’exception de Trevor Pierce, un peu aveugle en la matière, comprennent au fur et à mesure de leurs échanges que la jeune fille est follement amoureuse : elle a d’ores et déjà réinterprété son vécu récent comme un conte de fées où Gordon tient le rôle du prince charmant… Ce dernier s’en rend compte, et n’hésite pas à en jouer, mais Eunice Bessler, d’abord très bien disposée à l’égard de la jeune fille (au cours du trajet, elle parlait déjà de la présenter à quelques producteurs hollywoodiens…), perçoit de plus en plus Bridget comme une rivale potentielle : elle en est peut-être la première surprise, d’autant qu’elle sait que la situation a quelque chose d’un peu absurde, mais elle est bel et bien dévorée par la jalousie…

 

[IX-4 : Gordon Gore, Veronica Sutton : Bridget Reece ; Jonathan Colbert, Clarisse Whitman, Lucy Farnsworth] Mais il est bien temps de passer à des choses plus sérieuses, et les investigateurs commencent à interroger Bridget Reece. Celle-ci est d’abord un peu réticente à s’exprimer, surtout devant tant d’étrangers, mais Gordon Gore use de son avantage pour la faire parler. Elle explique enfin qu’elle sortait avec Jonathan Colbert depuis quelque temps déjà (elle semble incapable de se montrer plus précise), mais avait appris, ces derniers jours, qu’il voyait au moins une autre fille, et peut-être d’autres encore ! Elle ne connaît pas l'identité de ces rivales : on lui suggère les noms de Clarisse Whitman et Lucy Farnsworth, mais cela ne lui dit absolument rien. Que faisait-elle avec ce « Johnny » ? Eh bien, selon les propres termes du peintre, elle « apprenait à être libre »… Au fil de soirées qu’elle admet avoir été « un peu coquines », en rougissant, et sans vouloir en dire davantage. Mais elle aimait bien ça, oui… Et le fait de poser nue ? Bridget, un peu embarrassée, demeure d’abord évasive, puis prétend que Jonathan Colbert l’avait droguée dès le départ à son insu. Mais elle ne sait pas mentir, et personne dans la chambre n’y croit… Non, elle consommait bien, et tout à fait volontairement, un peu d’opium : « Tout le monde le fait, après tout... » Quant à l’idée de poser nue, dans l’absolu, elle ne la choquait pas, et même l’excitait, à vrai dire. Elle jouait de ses caprices en la matière auprès du peintre, soufflant le chaud et le froid... Pour elle c’était somme toute une forme de badinerie « un peu piquante »… Mais elle a ensuite seulement appris qu’il comptait, avec ces photos, faire chanter son père – elle n’en avait pas idée, et, pour le coup, elle dit vrai ; elle ne s’en est rendue compte que tout récemment, en même temps que le fait que son amant voyait « d’autres filles »… Ce qu’il a bien compris. Alors même que Bridget jouait avec lui la scène de la rupture, il a su l’amadouer, lui suggérer de consommer un peu d’opium et de reparler plus calmement de « ses fantaisies »… sauf que cette fois il a forcé la dose – d’où l’état lamentable dans lequel l’ont trouvée les policiers et le Dr. Sutton.

 

[IX-5 : Gordon Gore, Eunice Bessler, Veronica Sutton : Bridget Reece ; Jonathan Colbert, Andy McKenzie] Mais il s’agit maintenant de mettre la main sur ce Jonathan Colbert, il faut l’empêcher de nuire – aussi les investigateurs ont-ils besoin de la collaboration de Bridget Reece, il faut qu’elle leur dise absolument tout ce qu’elle sait de lui, car tout pourrait s’avérer utile. Par exemple, a-t-elle vu Jonathan Colbert ailleurs qu’au Petit Prince ? Un endroit où, peut-être, il conserverait photographies et négatifs ? Car rien de la sorte n’a été retrouvé à l’étage du « restaurant français »… Effectivement : la chambre au Petit Prince n’était qu’un studio de photographie, Colbert n’y vivait pas – il était installé ailleurs, avec son comparse, « Andy », un type répugnant… Où ça, précisément ? Eh bien, elle n'y est pas allée très souvent ; c’était dans un appartement minable qu’ils venaient tout juste de louer - « Johnny » lui avait dit auparavant, en colère, qu’ils étaient obligés de changer de logis en permanence… C’était dans le Tenderloin, oui… Plus exactement ? Bridget se creuse la tête… Elle n’y avait pas vraiment fait attention, et avoue qu’elle n’était pas forcément très lucide lors de ses excursions là-bas… Elle retrouve cependant le nom de la rue : Geary Street. Mais impossible de se souvenir du numéro ; et c’était à un étage, oui, mais lequel… Le troisième ? Peut-être – elle n’est pas sûre. Et à quoi cela ressemblait-il ? Un endroit horrible, hideux, sordide – et sale ; en fait, elle n’aurait jamais cru possible qu’on puisse vivre dans pareille décharge… Des choses plus spécifiques, peut-être ? Oui – les tableaux... Pas les nus, elle en avait vu au Petit Prince et en d’autres occasions. Non, d’autres tableaux – qui représentaient pour la plupart... une sorte de vieil Indien. En fait, elle n’a compris qu’il s’agissait d’un Indien qu’après coup : il portait une peau d’ours, mais le tableau donnait l’impression que ce n’était pas un vêtement, mais bien la véritable tête du personnage représenté ! Toute une série de tableaux très déconcertants – et très proches les uns des autres, mais en même temps subtilement différents. Les titres ? Mon cauchemar 1, Mon cauchemar 2, Mon cauchemar 3, etc. Évoquer ces peintures met la jeune fille visiblement mal à l’aise – il y a plus, mais Gordon Gore doit intervenir pour qu’elle veuille bien en parler : il y avait encore un autre tableau… Le pire de tous ! Elle ne se souvient pas du titre – un truc incompréhensible… Mais il ne représentait rien à proprement parler, c’était comme… un entassement de… de sphères, ou de bulles… et comme en mouvement ; ces sphères donnaient même parfois l’impression d’être… des yeux ? On la presse de poursuivre, et elle confesse en rougissant qu’elle avait eu l’impression d’être aspirée par le tableau, de ne pas le regarder depuis l’extérieur, mais de se retrouver piégée à l’intérieur, environnée par ces sphères, ces yeux ! Une sensation très désagréable, qui lui a paru durer mille ans, mais n’a en fait pas dépassé quelques secondes, à en croire Jonathan Colbert. Qui n’a pas voulu en dire davantage – et Bridget avait mis cela sur le compte de la drogue… Mais cette description intéresse particulièrement Eunice Bessler, qui en fait part à Gordon et à Veronica Sutton : cela rappelle ce qu'ils ont appris au Napa State Hospital...

 

[IX-6 : Gordon Gore : Bridget Reece ; Jonathan Colbert, Andy McKenzie] Il leur faut maintenant d’autres renseignements, plus pratiques : Jonathan Colbert est-il armé ? Non – ça ne serait vraiment pas son genre… Et « Andy » ? Lui, oui – en tout cas, Bridget Reece l’a vu à plusieurs reprises brandir un couteau à cran d’arrêt, pour un oui, pour un non… Il faut dire qu’ils se disputaient tout le temps, « Johnny » et lui – ils se détestaient visiblement ; ils n’étaient associés que pour l’argent, parce qu’ils n’avaient pas le choix, ce qui les mettait encore plus en colère, car ils se haïssaient. Elle n’est certes plus du tout amoureuse de « cet horrible peintre », mais Colbert était à l’évidence d’une certaine classe ; en comparaison, le petit escroc « Andy » n’en paraissait que plus minable. Il ne faisait pas du tout peur à « Johnny », en tout cas – même quand il prétendait recourir à ses contacts parmi les Combattants Tong : cela faisait rire le peintre, qui n’était pas dupe : un raté et un médiocre comme McKenzie n’avait assurément rien à voir avec les Tong – c’était juste un de ses trucs pour intimider les gens, mais il faudrait être totalement stupide pour croire une bêtise pareille…

 

[IX-7 : Gordon Gore, Eunice Bessler : Bridget Reece] Bridget Reece n’a sans doute pas grand-chose de plus à leur dire… Gordon Gore remercie chaleureusement la jeune fille, et lui assure qu’ils mettront la main sur les photographies, les négatifs, et Jonathan Colbert, qui paiera pour ses méfaits ; Bridget fond littéralement d’adoration pour l’héroïque dilettante… Les investigateurs quittent la pièce, mais Eunice revient brièvement en arrière, se penche sur Bridget, et lui chuchote à l’oreille : « Gordon est à moi ! Pas touche ! » Puis elle se retire à son tour, laissant Bridget stupéfaite.

 

À suivre...

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