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"L'Histoire de France pour ceux qui n'aiment pas ça", de Catherine Dufour

Publié le par Nébal

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DUFOUR (Catherine), L’Histoire de France pour ceux qui n’aiment pas ça, Paris, Fayard – Mille et une nuits, 2012, 301 p.

 

Qu’on ne se méprenne pas en raison de ce titre fâcheux : Nébal aime l’histoire de France ; même qu’il adore ça. Seulement il aime aussi Catherine Dufour, sa plume et sa verve (zob, c’est bien écrit). Impossible donc de passer à côté de cet ouvrage (au passage, c’est la première fois que je vois un Mille et une nuits en grand format).

 

Une croisière. On embarque avec le capitaine Dufour pour un voyage de 2000 ans (dates arbitraires), tout au long de l’histoire de notre pays. Bien sûr, en fonction des époques, les sources sont plus ou moins abondantes, ce qui explique quelques passages en accéléré, tandis que d’autres émanent de la volonté de l’auteur (qui le rappelle : elle n’est pas une historienne, seulement une amateur de livres d’histoire ; mais son livre  « a été relu et approuvé par un véritable historien »).

 

Un bien beau voyage, même s’il ne fait pas toujours bon accoster auprès de nos ancêtres : famine, peste, guerre en dissuadent souvent. Mais il est un point important à noter, ici, et qui, dans un sens, fait de l’ouvrage de Catherine Dufour un livre d’histoire assez « tradtionnel » : c’est que, dans une large mesure (et là encore les sources ont leur mot à dire), l’histoire de France se confond ici avec celle de ses rois. Approche éminement critiquable, mais très classique.

 

On suit donc toute une kyrielle de Louis et autres, dans leurs difficultés familiales et conjugales. En fonction des époques, les témoignages se font plus ou moins précis, mais toujours colorés. Et Catherine Dufour ne rechigne pas à l’anecdote édifiante, selon un schéma à nouveau très classique : on n’échappera donc pas au vase de Soissons et compagnie.

 

Sans surprise, un tel abrégé de la longue et complexe histoire de France abonde en raccourcis et approximations, mais pas trop fâcheux dans l’ensemble. Il y a cependant à l’occasion des erreurs qui ont de quoi faire tousser, et je me suis pour ma part quasiment étranglé quand j’ai vu le sort réservé par Catherine Dufour à ma période de prédilection, la IIe République, expédiée en quatre lignes tout simplement fausses… Cela dit, j’aurais pu m’y attendre…

 

Enfin, il ne fait aucun doute qu’il s’agit là d’une histoire non seulement partielle, mais aussi partiale, témoignant d’un engagement et de quelques idées bien ancrées (notamment concernant les rois de France, dont le portrait est généralement peu flatteur ; suffit de regarder leur nez…), qu’on peut ne pas partager.

 

Mais on peut très bien passer outre ces « défauts ». Si l’amateur d’histoire n’apprendra probablement pas grand-chose, voire rien, dans ces pages, on peut supposer que l’ouvrage remplit néanmoins parfaitement son rôle auprès des non-initiés. Car, oui, Catherine Dufour nous montre bien, avec son talent habituel, que l’histoire de France n’a rien d’ennuyeux, et se révèle au contraire passionnante.

 

Certains passages sont tout particulièrement réjouissants ; généralement, il s’agit des mieux sourcés, comme celui consacré au Grand Siècle. D’autres révèlent une très belle plume, comme les quelques pages (bien trop courtes, hélas) consacrées à la Révolution, ou cet étrange final en forme de danse macabre.

 

Un ouvrage de vulgarisation plutôt bien foutu, donc ; souvent drôle, parfois beau, toujours intéressant. On ne le recommandera probablement pas aux amateurs d’histoire ; mais si vous êtes de ceux que la simple évocation de cette matière fait bailler, ce livre est fait pour vous.

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"L'Appel de Cthulhu : Les Ombres de Léningrad & autres contes"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu : Les Ombres de Léningrad & autres contes

 

Une fois n’est pas coutume, on va pouvoir faire vite. En effet, Les Ombres de Léningrad & autres contes, recueil de trois scénarios de la gamme « Age of Cthulhu » de Goodman Games, ne mérite guère que l’on s’y attarde. Si le livre est assez joli et les aides de jeu sympathiques, les scénarios proposés n’en sont pas moins médiocres, et surtout d’un classicisme à faire peur. Les amorces, notamment, sont une véritable caricature : chacun (!) de ces trois scénarios débute par « un affreux suicide » survenant après que les investigateurs aient été contactés par ledit suicidé ! Tout de même…

 

Mort à Louxorest pour le reste un scénario des plus médiocres, et sans surprise. Finalement, c’est Folie londonienne qui s’en sort encore le mieux, malgré son classicisme et sa linéarité. Quant à Les Ombres de Léningrad, c’est un scénario too much, qui en fait des caisses comme c’est pas permis, et se révèle en définitive complètement grotesque, comme un mauvais pastiche lovecraftien.

 

 Un supplément passablement dispensable, donc. À réserver aux collectionneurs et aux gardiens les plus téméraires.

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"Femme qui écoute", de Tony Hillerman

Publié le par Nébal

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HILLERMAN (Tony), Femme qui écoute, [Listening Woman], traduit de l’américain par Danièle et Pierre Bondil, Paris, Rivages, coll. Noir, [1978, 1988] 1989, 252 p.

 

Allez, hop, ça faisait longtemps : un petit polar navajo signé Tony Hillerman. En l’occurrence, Femme qui écoute est la troisième enquête du lieutenant Joe Leaphorn.

 

Celui-ci, un jour, manque de se faire écraser par un chauffard qui en voulait de toute évidence à sa peau. Bien que ce ne soit pas tout à fait dans les règles, il décide d’enquêter là-dessus, et compte bien retrouver la trace du chauffard, qu’il suspecte d’avoir des choses à cacher. Aussi se débrouille-t-il pour éviter de participer au gardiennage de scouts dans la région, tout en rouvrant de vieux dossiers en guise de prétexte. Deux l’intéressent tout particulièrement : un hélicoptère qui a disparu après un vol, et la mort de Hosteen Tso et Anna Atcitty, tous deux assassinés lors d’une cérémonie impliquant Margaret Cigaret, une femme-qui-écoute, hélas aveugle.

 

En chemin, Joe Leaphorn va rencontrer beaucoup de coïncidences. Et ça lui pose problème ; ça ne correspond pas à sa vision du monde, profondément navajo, et qui insiste sur l’harmonie. Il s’agit donc de trouver les liens entre tous ces événements. Joe Leaphorn y parviendra, bien sûr, mais à ses risques et périls…

 

Le roman est un peu lent au démarrage, mais on finit par y retrouver tout ce qui fait le charme des polars navajos de Tony Hillerman, jusqu’à une conclusion très réussie. Il n’en reste pas moins que Femme qui écoute est jusque-là le livre qui m’a le moins convaincu de la part de cet auteur qu’on a pu connaître particulièrement enthousiasmant (ainsi avec le volume précédent, le très bon Là où dansent les morts). De là à vous dire pourquoi, c’est une autre paire de manches. Peut-être le jeu des coïncidences est-il un peu trop artificiel pour que l’on y croie ?

 

Une raison, sans doute, tient au style. C’était déjà plus ou moins le cas dans les précédents romans de Tony Hillerman que j’ai pu lire, mais c’était cette fois particulièrement criant. Cela vient-il du texte original ou bien de la traduction ? Je ne saurais le dire avec exactitude ; toujours est-il que le résultat est un tantinet lourdingue, et c’est dommage.

 

 Parce que, pour le reste, c’est quand même dans l’ensemble fort intéressant. La dimension ethnologique est toujours aussi présente et passionnante, et Tony Hillerman fait des miracles en matière d’action et de suspense.

 

Au final, Femme qui écoute laisse donc un sentiment mitigé ; le bon et le moins bon alternent régulièrement, jusqu’à une conclusion explosive et fort réussie. Mais cette dernière bonne impression ne suffit pas à effacer les défauts incontestables des pages précédentes. Ce qui ne m’empêchera bien évidemment pas de continuer à lire les polars navajos de Tony Hillerman : c’est quand même ma came.

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"La Prière d'Audubon", de Kôtarô Isaka

Publié le par Nébal

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ISAKA (Kôtarô), La Prière d’Audubon, [Audubon no Inori (A Prayer)], traduit du japonais par Corinne Atlan, Arles, Philippe Picquier, [2000] 2011, 440 p.

 

 

Ouin.

 

 

Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin !

 

 

J’y arrive pus. Je suis devenu impuissant du blog. Désolé de commencer ce compte rendu miteux en chouinant, mais une fois n’est pas coutume, et je vous dois des explications sur mon retard au chroniquage. Voilà, c’est dit : j’y arrive pus. J’ai de plus en plus de mal à écrire (ça se voyait, de toute façon), et même lire, à la limite… Aussi ai-je pensé remettre ce blog en mode « interruption momentanée des programmes », comme ça m’était arrivé il y a quelque temps de ça, et il n’est pas impossible que je m’y résigne dans les jours à venir. En même temps, j’ai pas grand-chose d’autre à quoi me raccrocher, et ça m’ennuie franchement… Alors on verra bien. En attendant, je vais essayer malgré tout – je dis bien : essayer – de vous causer de mes dernières lectures.

 

Donc : La Prière d’Audubon de Kôtarô Isaka. Un roman étrange, d’un jeune auteur nippon que l’on place d’ores et déjà dans la filiation de Haruki Murakami (que, bordel, je n’ai toujours pas lu, et ça peut pas durer). Chaudement recommandé par quelques connaissances, et doté d’une quatrième de couverture suffisamment intrigante et alléchante pour que je tente l’expérience.

 

Notre héros se nomme Itô, et c’est un informaticien.

 

… Non, mais, partez pas, y en a des biens…

 

Bon, donc, Itô. Il a démissionné de son boulot il y a quelques mois de ça, brisé son couple par la même occasion, et, depuis, il a fait une connerie qui l’a placé entre les vilaines pattes d’un flic psychopathe. Heureusement pour lui (et pour nous), Itô a pu s’échapper… et il a trouvé refuge sur une île bien mystérieuse, sans trop savoir comment. Une île qui s’est refermée sur elle-même et a rompu quasiment tout contact avec l’extérieur depuis près de 150 ans, à l’époque même (Meiji) où le Japon mettait fin au shogunat et s’ouvrait enfin sur le monde. Seul un bâteau fait de temps à autre la liaison entre l’île et le reste du Japon, mais Itô n’est que le deuxième étranger à être débarqué sur l’île depuis sa « fermeture ». Et il pourrait avoir un rôle à jouer dans une prophétie…

 

Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour le moment, Itô se voit confié à un guide, enthousiaste mais un peu bizarre, qui lui fait découvrir tous les (nombreuses) bizarreries de l’île. On ne les citera pas toutes, et on se contentera d’évoquer la plus singulière : Yûgo, un épouvantail parlant et visionnaire. Itô lie amitié avec Yûgo, mais, hélas, cela ne sera que pour une courte durée : on retrouve bientôt l’épouvantail démembré, ce qui s’apparente bel et bien à un meurtre… Et Itô de se mettre en chasse pour essayer de trouver le coupable.

 

La Prière d’Audubon prend ainsi l’apparence d’un policier dilletante et doux-dingue, gentiment barré, et porté par une plume confondante de naïveté (mais qui n’en est pas moins délicieuse). On suit avec beaucoup de plaisir Itô dans son périple insulaire, auprès des habitants si étranges de cette île plus qu’étrange. Il y a là toute une galerie de personnages hauts en couleurs, et le roman fourmille de bonnes idées. D’une grande richesse, La Prière d’Audubon part un peu dans tous les sens, mais sans jamais perdre de vue sa trame essentielle. Car tout, ici, semble lié au reste, et le moindre événement prend des allures d’indice permettant à terme d’identifier le coupable du meurtre de Yûgo, ainsi que de répondre aux nombreuses questions qu’il suscite ; une, notamment, revient sans cesse : si Yûgo pouvait prévoir le futur, alors pourquoi n’a-t-il pas prévu sa mort, ou du moins n’en a-t-il parlé à personne ? Cela a-t-il un rapport avec l’arrivée d’Itô sur l’île, d’ailleurs ?

 

Je n’en dirai évidemment pas plus ici (je crois de toute façon en être incapable…). Je ne peux guère, à mon tour, que vous recommander ce roman joliment fou et enthousiasmant. Pour ce premier livre traduit en français, le moins que l’on puisse dire est que Kôtarô Isaka a réussi son coup à tous points de vue. Le voyage dans cette île étrange est aussi fascinant que dépaysant, souvent drôle, et toujours astucieux. Bien ouéj’.

 

 

Je m’en veux de ne pas être capable de faire mieux que ça, ce roman le mériterait assurément. Enfin bon, on verra bien dans les jours à venir ce qu’il en sera…

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"Le Château d'Eymerich", de Valerio Evangelisti

Publié le par Nébal

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EVANGELISTI (Valerio), Le Château d’Eymerich, traduit de l’italien par Sophie Bajard avec la collaboration de Doug Headline, [s.l.], La Volte, [2001] 2012, 371 p.

 

Celui-là, on pourra dire que je l’ai attendu, sans trop y croire : cela faisait des années que plus personne ne publiait en France les enquêtes de Nicolas Eymerich… Heureusement, il y a La Volte, qui a eu la double bonne idée de rééditer les premiers volumes (très jolie présentation, par ailleurs), et de commencer à traduire les inédits au fur et à mesure. Attention donc, toi le lecteur qui aurais découvert Eymerich avec La Volte : avec Le Château d’Eymerich, tu n’as pas entre les mains le troisième volume des aventures de ton inquisiteur préféré – c’est Le Corps et le sang d’Eymerich –, mais le septième. Cela dit, et quand bien même on y retrouve deux personnages apparus plus tôt dans la série, on peut parfaitement lire ce volume-ci en troisième position sans que cela jure trop.

 

L’essentiel de l’intrigue – celle où intervient Eymerich, donc – se déroule en 1369 en Castille, alors que notre salopiaud d’inquisiteur adoré est convié, avec un collègue, par le roi Pierre le Cruel, alors en fort mauvaise passe : son rival Henri de Trastamare, secondé par Bertrand Du Guesclin (guest star !), lui a quasiment tout bouffé, sauf une ultime forteresse, l’énigmatique château de Montiel, construit selon des plans kabbalistiques et théâtre d’étranges manifestations qui ne sauraient bien évidemment être que diaboliques… Du pain sur la planche pour l’inquisiteur, qui se retrouve, à la cour du roi, entouré par les Juifs et les mahométans. Et ce sont bien les Juifs et leur Kabbale qui sont au cœur de l’histoire, ainsi qu’on le devine très tôt ; or Eymerich ne porte pas vraiment dans son cœur le peuple déicide, auquel on impute par ailleurs des sacrifices rituels… Mais il en est une, pourtant, que l’inquisiteur retrouve ici, et qui lui inspire bien malgré lui des sentiments contrastés : Myriam, la « fille » de Ha-Levi…

 

Comme il est d’usage dans la série, l’intrigue se développe parallèlement, encore que de façon bien moindre, à d’autres époques. Tout d’abord, vingt ans plus tôt, nous assistons à la réunion de cinq mystérieux dominicains à Gérone. Ensuite, en 1944, au camp de concentration de Dora, nous suivons le Sturmbannführer Von Ingolstadt dans ses expériences inédites. Mais ce ne sont là, très franchement, que des épisodes négligeables en comparaison avec la trame principale, et qui, dans le cas de l’intrigue nazie, ne rejoignent que fort indirectement le propos (le but de l’auteur, bien entendu, est d’établir un lien entre la Shoah et les persécutions des Juifs au Moyen-Âge, et c’est surtout à cela que servent ces chapitres). On pourra regretter, d’ailleurs, que Valerio Evangelisti, dans ce volume d’Eymerich, ne mette pas en place une mécanique aussi bien huilée à cet égard que d’habitude, pour livrer un roman plus conventionnel, ne jonglant pas avec les époques. Mais bon…

 

En tout cas, les amateurs ne seront probablement pas déçus : Le Château d’Eymerich est un page turner redoutablement efficace, et le lecteur se laisse balader par un auteur très professionnel le long d’une intrigue palpitante en diable et riche en rebondissements. Eymerich est toujours autant un salaud magnifique dévoré par la haine, un personnage génial même si unilatéralement décrié par son auteur – on ne reviendra pas là-dessus –, une ordure de choix que l’on prend plaisir à suivre, et que l’on peut même admirer pour sa sagacité et sa droiture. Les autres personnages ne sont d’ailleurs pas en reste, et Valerio Evangelisti livre ici une belle galerie d’hommes (et de femmes…) singuliers.

 

Une remarque, pourtant, qui n’est pas tant une critique qu’un constat : cette fois, Valerio Evangelisti se livre clairement au fantastique le plus débridé, ni la science ni la pseudo-science ne venant « justifier » les événements les plus étranges ayant lieu à Montiel ; ce sont bien la Kabbale et la démonologie qui sont au cœur de cette enquête. Ce qui n’en rend pas le roman moins palpitant, mais simplement lui confère une place bien particulière dans la série.

 

Alors, certes, on ne va pas crier au chef-d’œuvre : Le Château d’Eymerich n’en a de toute façon pas l’ambition. Mais c’est toujours autant du divertissement fort bien troussé et diablement efficace, et c’est tout ce qu’on lui demande. Aussi ne s’attardera-t-on guère sur les quelques critiques – habituelles – que l’on pourrait formuler à l’encontre de l’auteur, notamment dans son jugement aussi sévère de son personnage comme de l’institution qu’il représente. Là n’est pas le propos, et nous avons affaire en Valerio Evangelisti à un romancier, non un historien : il peut bien violer l’histoire, si c’est pour lui faire de beaux enfants. Or, il se place décidément dans la filiation d’un Alexandre Dumas (la comparaison vient de l’auteur lui-même, dans sa postface sur la tombe de l’inquisiteur), et fait avec Eymerich ce que son prédécesseur avait fait avec D’Artagnan. On ne s’en plaindra pas, loin de là, et même : on en redemandera.

 

Encore ! Encore !

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"Le Roi en jaune", de Robert W. Chambers

Publié le par Nébal

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CHAMBERS (Robert W.), Le Roi en jaune, [The King in Yellow], traduit [de l'américain] et présenté par Christophe Thill, Noisy le Sec, Malpertuis, coll. Absinthes, éthers, opiums, [1895] 2008, 269 p.

 

Quand on évoque Le Roi en jaune à un amateur de Lovecraft et de lovecrafteries, normalement, ça fait tilt. Et d'enchaîner sur ce livre maudit (une pièce de théâtre, en fait) qui rend fou, et fait allusion à l'Indicible Hastur, à Carcosa dans les Hyades, aux étoiles sombres et au lac de Hali... Mais tout cela – c'est moins connu – est en fait antérieur à Lovecraft, même si l'insertion du Roi en jaune parmi les volumes du Mythe de Cthulhu a beaucoup fait pour sa postérité. Le Roi en jaune est à l'origine un recueil de nouvelles fantastiques et décadentes de l'Américain Robert W. Chambers (dont j'avais déjà pu lire Yue Laou. Le Faiseur de lunes) ; et encore ! Si l'idée du livre qui rend fou vient bien de Chambers, tout ce lexique que nous venons d'utiliser a en fait été piqué à Ambrose Bierce... Toujours est-il que, dès que j'ai appris l'existence d'une traduction intégrale (et critique) du recueil de Chambers, je me suis emparé de la chose et l'ai intégrée dans ma volumineuse commode de chevet. Les astres étant propices, je me suis dit qu'il était bien temps de le lire, et donc voilà.

 

Un livre étrange, que ce Roi en jaune, que l'on peut très nettement scinder en deux parties. La première, et de loin la plus intéressante, est composée de nouvelles fantastiques reliées entre elles par quelques personnages communs et ces allusions inévitable au livre qui rend fou et donne son titre au recueil. La seconde partie est quant à elle composée de nouvelles décadentes et « bohémiennes » narrant les frasques et les amours de quelques étudiants américains en art dans le Quartier latin ; et, de ces dernières, on se contentera de dire qu'elles sont interminables, chiantissimes, et pour ainsi dire à peu de choses près illisibles aujourd'hui (malgré quelques bonnes idées ici ou là, comme celle qui consiste à déployer le récit dans Paris assiégé par les Prussiens, pour « La Rue du premier obus »). Passons donc outre, on ne s'en portera que mieux.

 

Ce qui précède est autrement plus intéressant, même si ce n'est pas exempt de défauts. Robert W. Chambers sait créer des ambiances étonnantes et de délicieux frissons qui le placent dans la postérité d'un Poe ou d'un Bierce (justement). Parfois, il se montre étonnament inventif – ainsi dans la première nouvelle du recueil, un brin confuse, mais qui fait en outre dans l'anticipation sur une vingtaine d'années. Et l'on comprend, du coup, l'influence qu'a pu avoir ce livre bancal sur un Lovecraft, parmi d'autres : il y a bien de temps à autre des traits d'horreur cosmique dans tout cela, qui sont tout à fait saisissants.

 

Je ne vais pas faire le détail des nouvelles et de leur contenu, cela me paraîtrait quelque peu absurde. Du coup, je n'ai plus grand-chose à dire sur cet étrange bestiau... Si, tout de même : on remerciera Christophe Thill pour cette édition critique d'un classique oublié (c'en est la première traduction intégrale en français, au passage), et l'on s'arrêtera aux premières nouvelles du recueil, celles qui correspondent véritablement à son si célèbre titre, faisant l'impasse sur ce qui suit et qui mérite bien aujourd'hui d'être oublié. Un livre schizo, donc ; pas étonnant qu'il rende fou...

 

EDIT : Gérard Abdaloff en cause un peu, .

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"Women in chains", de Thomas Day

Publié le par Nébal

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DAY (Thomas), Women in chains. Petite pentalogie des violences faites aux femmes, préface de Catherine Dufour, Chambéry, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, 2012, 194 p.

 

Chose promise, chose due : après vous avoir fait part de ma déception suite à la lecture du mauvais roman jeunesse qu'est Du sel sous les paupières, je reviens aujourd'hui sur l'actualité de Thomas Day, sous son autre visage, et c'est rien de le dire. Women in chains, c'est autrement plus violent et dérangeant, et, ma foi, intéressant. Le sous-titre nous éclaire sur les intentions de l'auteur : il s'agit ici de livrer cinq nouvelles sur les violences infligées aux femmes de par le monde. Ah, tout de même. Mais en même temps, pourquoi pas ? Pour ma part, je faisais pleinement confiance à Thomas Day pour traiter de ce sujet au mieux. Et il s'avère que j'avais raison d'en attendre beaucoup de bien : Women in chains est peut-être bien la meilleure chose écrite par Thomas Day qu'il m'ait été donné de lire. Sans blague. D'où contraste...

 

Les hostilités s'engagent sur un texte que j'avais déjà lu dans Utopiales 2010, « La Ville féminicide ». J'en avais pensé et dit beaucoup de bien à l'époque, et il n'y avait pas de raison pour que cela change. Cette plongée dans l'enfer des mortes de Juárez est absolument terrible, mais tout aussi saisissante. Le recueil s'ouvre ainsi sur une nouvelle sans concessions, qui laisse augurer du pire (on se comprend) pour la suite, et laisse déjà planer sur l'ensemble du volume une ombre de fascination sadienne. Une grande réussite, qui, en maniant intelligemment des clichés, éveille chez le lecteur des sensations fortes, aussi troubles qu'intenses.

 

Suit « Eros-Center », longue novella « déchronologisée » sur la prostitution et la sorcellerie africaines en Europe. Le sujet est aussi fascinant que sordide, et poursuit de la meilleure manière ce tour du monde du sexe glauque que l'on a entamé au Mexique avec la nouvelle précédente ; ici, le récit se partage entre l'Allemagne, la France et le Cameroun. Le résultat ? En ce qui me concerne, c'est là un des tous meilleurs textes de Thomas Day que j'ai jamais lus. Tout simplement bluffant.

 

La tension redescend d'un cran (à mes yeux en tout cas) avec « Tu ne laisseras point vivre... », nouvelle groenlandaise dotée d'une belle ambiance (enfin, belle, on se comprend...) et d'un personnage principal remarquable. Cette nouvelle, probablement la plus ouvertement pornographique du recueil, est cependant un peu moins efficace que ce qui précède, sans doute du fait de sa thématique fantastique assez classique.

 

On repasse à quelque chose d'effroyable avec « Nous sommes les violeurs », atroce anticipation afghane sur le viol en tant qu'arme de guerre, que j'aurais normalement déjà dû lire dans Bifrost si je n'avais pas accumulé un tel retard dans ma lecture de la revue... Quoi qu'il en soit, cette nouvelle qui prend la forme de témoignages des violeurs et d'une femme violée devant une commission d'historiens fait froid dans le dos, et réussit parfaitement son coup. Un très bon texte, à n'en pas douter.

 

Et le recueil de s'achever sur quelque chose de (comparativement) plus léger avec « Poings de suture », courte nouvelle de science-fiction sur les violences domestiques, en forme de revanche. Classique, un peu convenu peut-être, mais néanmoins efficace ; et c'était sans doute la meilleure manière de conclure ce recueil aussi brillant qu'horrible.

 

La plume de Thomas Day, impeccable, fait des miracles dans chacun de ces cinq textes ; malgré la thématique aisément porno-trash, l'auteur stupéfie par son sens de la mesure ; les textes sont justes, sans jamais sombrer sur les écueils de la complaisance comme de la dénonciation qui ne coûte rien. L'auteur manie ainsi son sujet avec une adresse digne des plus grands, pour un résultat qui ne saurait laisser indifférent.

 

Au risque de me répéter, c'est là peut-être ce que j'ai lu de mieux de la part de Thomas Day ; un recueil à ne pas mettre entre toutes les mains, probablement ; un recueil ardu, difficile, sans doute ; mais une franche réussite, qui coupe le souffle et laisse le lecteur K.O.

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"Sans nouvelles de Gurb", d'Eduardo Mendoza

Publié le par Nébal

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MENDOZA (Eduardo), Sans nouvelles de Gurb, [Sin noticias de Gurb], traduit de l'espagnol par François Maspero, Paris, Seuil, coll. Points, [1990-1992, 1994] 2006, 125 p.

 

Je ne sais pas, peut-être s'est-il agi de publicité subliminale ; toujours est-il que l'autre jour, en déambulant dans MA librairie à moi que j'ai, quand je suis tombé sur Sans nouvelles de Gurb d'Eduardo Mendoza, j'étais persuadé d'en avoir entendu parler, plusieurs fois et en bien – même si je suis bien incapable aujourd'hui de dire quelles étaient les sources de ces éloges. Alors évidemment, la chose étant courte et pas chère, je m'en suis emparé, et l'ai lue aussitôt ou presque.

 

Deux extraterrestres, sous forme d'intelligences pures, atterrissent dans les environs de Barcelone. L'un d'eux, le sous-fifre Gurb, est envoyé en mission de reconnaissance, sous les traits de Madonna. Las, le temps passe, et l'autre extraterrestre, notre narrateur et héros, est sans nouvelles de Gurb. Aussi décide-t-il de partir à sa recherche dans Barcelone, sous une apparence moins voyante (encore que), et note-t-il fidèlement le résultat de ses observations dans son journal.

 

On l'aura compris aisément à ce résumé : nous sommes ici en présence d'une fable satirique sur le mode des Lettres persanes de Montesquieu. Simplement en plus délirant, et contemporain.

 

Il s'agit donc d'un livre qui se veut drôle. Il l'est à l'occasion, je ne saurais le nier : quand l'humour de l'auteur lorgne vers l'absurde ou la satire sociale grinçante, il fait généralement mouche. Hélas, ce n'est pas toujours le cas, et l'on ne compte pas les blagues qui tombent à plat, pour une raison ou pour une autre ; et je dois dire que, bien loin du récit jubilatoire auquel je m'attendais pour je ne sais trop quelles raisons, j'ai trouvé dans l'ensemble Sans nouvelles de Gurb plutôt lourdingue (d'autant qu'il n'hésite pas de temps à autre à verser dans le pipi-caca). Certes, je n'étais pas armé pour apprécier tout le sel de ce très court roman, et j'imagine que seul un Barcelonais en serait vraiment capable. Mais voilà : pour une blague qui fonctionne bien, il y en a au moins une qui ne fonctionne pas. Or l'auteur jouant volontiers du comique de répétition – c'est une formule que l'on voit très tôt se mettre en place –, c'est particulièrement périlleux...

 

Aussi, malgré son postulat délectable et quelques gags vraiment réussis, j'ai été plutôt déçu par Sans nouvelles de Gurb, dont j'attendais il est vrai beaucoup sans trop savoir pourquoi. À l'heure où j'écris ces lignes, le mystère reste entier... Subliminal, moi j'vous l'dis.

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"Le Voyage imaginaire", de Léo Cassil

Publié le par Nébal

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CASSIL (Léo), Le Voyage imaginaire, [Schwambrania], traduit du russe par Véra Ravikovitvh et Henriette Nizan, dessins de Julien Couty, appareil (auto)critique de Vladimir Tchernine et Benoît Virot, Paris, Attila, [1931, 1937] 2012, 253 p.

 

De temps à autre, les décidément ben chouettes éditions Attila exhument des perles injustement sombrées dans l’oubli. Parmi les dernières en date, on retiendra notamment ce Voyage imaginaire de Léo Cassil, jamais réédité en France depuis 1937. Premier constat : l’objet est aussi beau que déconcertant. Maquette en deux colonnes, polices originales, illustrations sous forme d’images autocollantes en couleur (si), etc. Du beau travail, comparable à celui qui avait été effectué par le même éditeur pour Gog (notons d’ailleurs que Le Voyage imaginaire, à l’instar de Gog un an plus tôt, était en lice pour le prix Nocturne, qu’il n’a cependant pas remporté).

 

Nous sommes en Russie, au début du XXe siècle. Deux enfants, deux frères, Lolia et Osska (comprendre, largement : Léo Cassil et son frère), fils de médecin, donc petit-bourgeois, à Pokrovsk, inventent pour se distraire un pays imaginaire, la Schwambranie en forme de molaire. Ils élaborent son histoire et sa géographie, et le peuplent de héros et autres personnages moins signifiants.

 

Mais les événements extérieurs ont bientôt de l’influence sur le destin de la Schwambranie : la Première guerre mondiale, les révolutions de février et octobre 1917, la guerre civile… Lolia et Osska, qui vivent au quotidien tous ces bouleversements, les répercutent sur leur création. Le récit, dès lors, s’il est essentiellement centré sur le vécu des deux enfants, mêle réalité (dans ce qu’elle a parfois de plus sordide) et imaginaire.

 

Question, cependant : peut-on vraiment se fier à ce titre français dû à André Malraux, et parler d’imaginaire pour Schwambrania ? La Schwambranie est-elle véritablement comparable au pays des merveilles d’Alice, à Neverland, Oz ou Narnia, comme le suggère Benoît Virot dans l’appareil (auto)critique qui conclut l’ouvrage ? Pour ma part, je ne le pense pas. Ne serait-ce que parce que Lolia et Osska ont pleinement conscience du caractère imaginaire de la Schwambranie. Mais, plus prosaïquement, le récit est de toute façon centré sur Pokrovsk ; rares sont les chapitres purement schwambraniens, et donc purement imaginaires, dans le livre de Léo Cassil. Aussi me semble-t-il quelque peu abusif de mettre ce roman dans la même catégorie que Gulliver ou Alice au pays des merveilles, pour citer les deux titres évoqués en quatrième de couverture.

 

Bien entendu, cela n’enlève rien à sa valeur, et je m’en voudrais de donner cette impression ! Le Voyage imaginaire – on voit ce que ce titre a de contestable – est à n’en pas douter un très bon roman, plus ou moins tourné vers la jeunesse, et dont on peut très bien comprendre le retentissement, en Russie où c’est devenu un classique, mais aussi de par chez nous où, malgré l’absence de rééditions, l’ouvrage est semble-t-il devenu culte pour les situationnistes, notamment. Cette ode à l’imagination enfantine, inscrite dans son temps, regorge de douceurs et de merveilles, qui en font un livre résolument à part, un petit bijou sans véritable rival.

 

Mais voilà : ce qui fait l’intérêt de Schwambrania, ce n’est pas tant la fiction géographique de Lolia et Osska que l’impact global des événements extérieurs sur le vécu des deux enfants. Et si l’on passe bien, de temps en temps, quelques pages avec Jack le Compagnon des marins ou le sinistre capitaine Urodonal, c’est néanmoins assez anecdotique, en comparaison du temps passé à Pokrovsk, chamboulée par la Révolution et la guerre. Mais les personnages « réels » ne sont pas moins pittoresques que les inventions des deux enfants, ainsi le commissaire « Un point c’est tout ! ».

 

C’est avec un plaisir constant que le lecteur, à l’instar de Lolia et Osska, joue à la Schwambranie. Mais c’est aussi, sans doute, avec un regard différent : sous la fantaisie perce la comédie de mœurs, voire la satire, très libre et enthousiasmante. Léo Cassil livre une peinture pittoresque de la Révolution russe, qui ne manque pas de piquant. À ce titre, la lecture du Voyage imaginaire est des plus instructives sur l’esprit du temps et les implications parfois farfelues des bouleversements politiques et sociaux.

 

On recommandera donc chaudement la lecture de ce Voyage imaginaire, avec toutefois les précautions qui s’imposent quant à son contenu. Et, pour ma part, j’attends avec une certaine impatience l’édition prochaine du Cahier de conduite, roman antérieur à Schwambrania et qui vient le compléter, en dépeignant l’école de Pokrovsk sous le tsarisme et la Révolution de Février…

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