"Au nord du monde", de Marcel Theroux
THEROUX (Marcel), Au nord du monde, [Far North], traduit de l’anglais par Stéphane Roques, Paris, Plon – 10/18, [2009-2010] 2011, 347 p.
Une fois n’est pas coutume, ce livre a été lu sur les conseils avisés de l’immense Alice Abdaloff ; et sans être aussi dithyrambique qu’elle, force m’est de constater que c’est là une lecture des plus recommandables. Premier roman de son auteur, Au nord du monde réussit en effet la gageure d’être un roman post-apocalyptique (oui, malgré sa publication en « blanche », à l’instar de La Route, disons) relativement original, ce qui, vous en conviendrez, n’arrive pas tous les jours.
Et ceci doit beaucoup à son cadre : Au nord du monde, c’est la Sibérie la plus reculée ; un Far North qui ne manque bien entendu pas d’évoquer le Far West, mais qui a néanmoins ses caractères singuliers. Cette contrée perdue a été colonisée, sur l’invitation du gouvernement russe, par des sectes américaines comme les quakers, qui y ont établi plusieurs villes, préludes à la création d’un monde nouveau.
Mais ça, c’était avant la catastrophe… Quelle forme a-t-elle pris, au juste ? On ne le saura jamais avec précision. Une pluralité de facteurs, notamment écologiques et politiques, ont sans doute joué dans une égale mesure. On sait que le monde a été plongé à feu et à sang, que la civilisation a été anéantie ; et, au nord du monde, dans la colonie d’Evangeline, la nature impitoyable a repris ses droits…
La ville est à vrai dire quasi déserte. Mais c’est celle du shérif Makepeace, qui y erre quotidiennement, à l’affût, en quête de quoi survivre un peu plus longtemps ainsi que de reliques du monde d’antan – des livres, par exemple, et peu importe que le shérif ne les lise pas.
Un bien étrange personnage – mais très réussi – que ce narrateur de shérif, qui a bien des secrets, lesquels seront révélés en temps utile ; procédé qu’on peut juger à première vue un brin artificiel, mais qui est d’une efficacité indéniable. Le lecteur avance ainsi dans Au nord du monde comme dans un hypothétique bon thriller, une surprise l’attendant régulièrement au détour d’une page… Aussi ne vais-je pas m’étendre sur le sujet.
On notera juste qu’après quelques rencontres marquantes, Makepeace décide de quitter Evangeline en quête d’un mystérieux avion, témoignage a priori de ce que la civilisation existe encore quelque part. C’est le point de départ d’une odyssée aussi macabre que fascinante, à la fois horrible et belle, dans ce Nord lointain en proie au chaos. Un monde où la cruauté, l’atrocité et la folie guettent toujours, un monde largement désespéré, mais dans lequel Makepeace, et d’autres sans doute, s’accrochent encore à de futiles croyances en un ailleurs plus beau et plus sûr, qu’il soit de nature religieuse ou plus concrète.
Marcel Theroux, ainsi que je l’ai déjà laissé entendre, est à n’en pas douter un conteur astucieux, qui sait balader son lecteur et lui assener quelques uppercuts quand il s’y attend le moins. Aussi Au nord du monde est-il un remarquable page turner. Mais il est bien plus que cela. Porté par une plume à la fois sobre et juste et des personnages très empathiques, il parvient à décrire un monde d’une sauvagerie aussi séduisante que déstabilisante, un monde qui parvient à rester beau malgré les calamités qui se sont abattues sur lui. Mais un monde rude avant tout, un monde où le lecteur ressent le froid et la faim qui tenaillent Makepeace, et la peur, toujours… et l’espoir, aussi, envers et contre tout. Ce qui vaut pour le cadre est aussi vrai pour les personnages, tous d’une humanité et d’une empathie remarquables, dans leur abjection comme dans leur grandeur. L’homme est finement questionné, et peint avec adresse. Tout cela n’est certes guère joyeux, mais c’est indubitablement très fort.
Roman aussi palpitant qu’intelligent, aussi beau que terrible, Au nord du monde constitue bel et bien, à sa manière, un sommet du genre post-apocalyptique, digne de ses plus belles réussites, qu’elles aient été publiées en science-fiction ou en « littérature générale » (mais j’aurais envie de dire que le « déplacement » de ce genre en « blanche » à l’heure actuelle – que l’on pense à La Route, à Plop, à Enig Marcheur… – est sans doute assez révélateur). Alors merci, très chère Alice, vous fûtes une nouvelle fois de très bon conseil.
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