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Recherche pour “Dan Simons”

"Terreur", de Dan Simmons

Publié le par Nébal

 

SIMMONS (Dan), Terreur, [The Terror], traduit de l’américain par Jean-Daniel Brèque, Paris, Robert Laffont, [2007] 2008, 703 p.

 

Bon, ben, je crois que ça y est. On le tient. L’événement, veux-je dire. Le livre important entre tous parmi tous ceux qui ont déferlé dans les librairies au cours de cette Rentrée Littéraire 2008©. Bon, cela dit, mon jugement est peut-être un peu biaisé : c’est que je l’attendais, ce pavé, avec une impatience certaine (mais ça, je l’avais déjà dit).

 

Il y avait plusieurs raisons à cela. La première, bien entendu, étant l’auteur : Dan Simmons est bien à mes yeux un des plus brillants écrivains contemporains, qui a en outre le bon goût de s’exercer dans bien des genres différents. Inévitablement, on pensera ici à Hypérion, sans doute un des plus grands chefs-d’œuvre de la science-fiction contemporaine. Mais Dan Simmons a su également nous régaler avec de superbes romans d’horreur, et en premier lieu L’Échiquier du mal, la plus belle réussite dans le genre depuis, ouf, au moins. Rien d’étonnant, sous cet angle, à ce qu’on trouve régulièrement, en quatrième de couverture de ses romans fantastiques, une citation élogieuse de Stephen King. Et Terreur ne déroge pas à la règle. Vous me direz, Dan Simmons n'est pas le seul dans ce cas, et l'éloge des pairs (essentiellement King et Gaiman... ?) en quatrième de couv' est un travers promotionnel typiquement anglo-saxon, qui n'engage le plus souvent à rien. Sauf que là, ben, effectivement, si si, ça se comprend, c'est mérité, et parfaitement justifié.

 

Mais Terreur n’est pas seulement un roman d’horreur et de suspense. C’est aussi un roman historique et un roman d’aventure, empruntant le plus fascinant des cadres (et qui, personnellement, m’a toujours passionné), celui des grandes expéditions polaires. On ne peut que rester stupéfait devant l’épopée de ces hommes partant pour un voyage de plusieurs années (l’hivernage étant généralement inévitable pour les expéditions maritimes) dans les pires régions du globe, et dans des conditions invraisemblables. Et je ne parle pas ici que de la conquête des pôles, mais plus largement de ces nombreuses expéditions, maritimes ou terrestres, visant à cartographier l’immense continent inhabité qu’est l’Antarctique, ou, à l’autre bout du monde, à traverser l’océan glacial arctique. Ici, l’héroïsme allait de pair avec l’aberration la plus totale, et l’histoire de ces voyages de découverte est une longue succession de drames atroces et d’actes de bravoure indépassables, de bêtises consternantes et de coups de génie. Au-delà de Peary et Amundsen, on peut penser notamment, pour le pôle sud, à la tragique dernière expédition de Scott, ou à l’extraordinaire aventure de l’expédition Endurance, conduite par Sir Ernest Schackleton (si c’était le fruit de l’imagination d’un romancier, on n’aurait probablement pas hésité à le taxer d’invraisemblance…) ; mais le pôle nord n’est pas en reste, et si, cette fois, des hommes parviennent à (sur)vivre dans ses environs depuis des milliers d’années (la civilisation Inuit m’a toujours fasciné ; à ce sujet, je vous recommande chaudement – si j’ose dire… – la lecture des passionnants ouvrages de Jean Malaurie, le fondateur de la collection « Terre humaine », Les Derniers Rois de Thulé, surtout, et, dans un genre un peu différent, Hummocks ; ça peut même être assez utile pour apprécier pleinement certains aspects de Terreur...), l’histoire de son exploration est tout aussi riche en épopées grandioses et horribles, notamment pour ce qui est de la longue quête du mythique passage du Nord-Ouest. Et c’est justement sur l’épisode le plus effroyable de cette folle aventure que se base le roman de Dan Simmons, puisque l’auteur nous conte ici à sa manière le tragique destin des 129 hommes de l’expédition Franklin, partis en 1845 à bord des navires Erebus et Terror… et dont on a perdu toute trace (ou presque).

 

Dan Simmons nous plonge d’entrée de jeu dans le cauchemar le plus total. Octobre 1847. Le Terror et l’Erebus sont pris dans les glaces par 70° 05’ de latitude nord et 98° 23’ de longitude ouest. La température descend fréquemment à – 45 °C, et même au-delà. L’été n’a pas entraîné de dégel, et les membres de l’expédition se préparent tant bien que mal à un troisième hivernage, dans les ténèbres de la nuit arctique. Sir John Franklin (dont Dan Simmons dresse un portrait peu flatteur…) est mort, et c’est désormais Francis Crozier, le rude capitaine irlandais du HMS Terror, qui prend en charge le commandement de l’expédition. Mais inutile de se leurrer : celle-ci, mal préparée (on touche à l'absurde, à vrai dire...) et mal conduite, est d’ores et déjà un échec. Il ne s’agit plus que de survivre. Et la tâche s’annonce rude. Au froid et aux ténèbres, il faut bien vite ajouter la faim et la maladie (scorbut, saturnisme), les conserves embarquées par le navire étant pour bon nombre d’entre elles impropres à la consommation ; et il est impossible de pêcher dans ces conditions, mais aussi de chasser, les ours ne se montrant que rarement, les phoques, jamais.

 

Mais il y a pire : une étrange créature, définie faute de mieux comme un gigantesque ours polaire, s’en prend aux hommes et les massacre les uns après les autres. Et ce n’est pas le seul mystère : il y a aussi cette jeune Inuit à la langue coupée, que les hommes du Terror ont baptisée « Lady Silence » ; on ne sait trop comment elle a pu survivre jusqu’alors dans cette région désolée : peut-être est-elle un peu sorcière ? Serait-elle liée à la créature démoniaque et insaisissable qui sème la terreur parmi les hommes désemparés ?

 

La mutinerie menace, et l’espoir ne semble plus de mise. Au service religieux, Crozier cite le Léviathan de Hobbes : « La vie est solitaire, misérable, dangereuse, animale et brève. » Dans cet enfer blanc plus que partout ailleurs.

 

La construction du roman est relativement classique, mais imparable. Après cette attaque en force digne de Poe et de Lovecraft, Dan Simmons joue des points de vue multiples et des flashbacks pour rapporter en alternance les événements se déroulant à partir de cette introduction et comment on en est arrivé là. Et il fait preuve d’une rare maîtrise du cliffhanger, à la différence de bons nombres d’écrivaillons commettant du thriller. Le suspense est permanent, la passion immédiate et constamment entretenue.

 

Et le cadre est splendide. Terreur est un roman extrêmement documenté et « réaliste », riche en détails facilitant l’immersion du lecteur, sans jamais tomber dans la gratuité ou le didactisme. En suivant Crozier et ses hommes dans leur quotidien, ou en lisant le journal intime du jeune chirurgien Goodsir, on se retrouve ainsi très vite nous-mêmes sur le pont du Terror ou de l’Erebus. On succombre aux morsures du vent glacial, on entend la banquise craquer dans un tonnerre d’artillerie, on peine à distinguer les silhouettes dans la nuit éternelle, sur l'horizon d’une effroyable blancheur, régulièrement tachée de sang. On ressent la faim et la souffrance des protagonistes – tous très humains et détaillés : on croise bien des personnages tout au long du roman, mais l'identification est aisée sans verser dans la caricature (allez, il y a bien quelques exceptions, mais elles sont bienvenues...) et l'on ne s'y perd jamais –, et on vit leur peur.

 

Car, si le fantastique est diffus, la peur est là, et bien là. Simmons a retenu les leçons de ses maîtres, son cadre évoquant immanquablement – référence explicite – La Chose d’un autre monde d’Howard Hawks, mais aussi, aurais-je envie d’ajouter, « Les Montagnes hallucinées » de Lovecraft, superbe nouvelle résonnant de l’écho de l’Arthur Gordon Pym d’Edgar Poe. Mais ce dernier est également convoqué pour son « Masque de la mort rouge », au cours d’un extraordinaire pastiche versant dans l’horreur la plus effroyable. Et la peur dépasse la seule créature mystérieuse, à peine entrevue à l’occasion, à l’instar de l’Alien de Ridley Scott, ou de La Féline de Jacques Tourneur, et qui joue finalement un rôle assez secondaire. Dan Simmons use habilement de tous les registres de la peur, du fantastique le plus « psychologique » et ambigu, celui de l’hallucination et de la folie, au gore démonstratif des démembrements et des festins cannibales. La peur est tour à tour lancinant sentiment d’oppression et de malaise, et brusque montée d’adrénaline, l’horreur inéluctable pouvant susciter le suspense comme la terreur glacée. Il y a la peur de la souffrance et de la mort, une peur matérielle devant le danger imminent et concret, mais aussi une peur plus abstraite, peur des fantômes et des démons, peur du jugement des hommes ou de Dieu. Mais l’Enfer, avec ses flammes éternelles, peut-il vraiment être pire que ce que les hommes du Terror et de l’Erebus ont le malheur de vivre ? Et qu’est-ce qui, dans ces conditions, est le plus à craindre, des démons, de la nature… ou de l’homme ?

 

Terreur, précisons-le, n’est pas un roman « facile ». C’est un roman d’horreur et d’aventure, certes, mais pointu et exigeant : si je me suis régalé du début à la fin, si je ne me suis jamais ennuyé – pas un seul instant, vous dis-je ! – au cours de ces 700 pages denses et resserrées (écrites avec un talent de conteur qui n'est plus à démontrer ; quand à la traduction de Jean-Daniel Brèque, si elle n'a probablement pas été de tout repos, elle est, sans surprise, irréprochable), il m’a néanmoins fallu prendre le temps de vivre au jour le jour cette terrible épopée (cela faisait une éternité que je n’avais pas mis autant de temps à lire un roman, sans m’ennuyer pour autant…). Je ne m’en plains pas, loin de là. Mon scepticisme coutumier à l'encontre des pavés n'a pas fait long feu, et j'ai savouré ce monstre romanesque avec une fascination et un plaisir (malsain ?) permanents. C’est que Terreur touche juste : c’est un roman atroce, terrible, tragique, poignant, oppressant, éprouvant, écoeurant, déprimant, désespéré…

 

Superbe.

 

N'en jetez plus : Terreur est un remarquable roman historique à l'érudition sans faille, un excellent roman d’aventure palpitant de bout en bout, et un très, très, très grand roman d’horreur. Probablement le meilleur du genre depuis…

 



Depuis L’Échiquier du mal ?

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Pub copinage : "Bifrost", n° 60. "Dossier sang pour sang vampires !"

Publié le par Nébal

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Bifrost, n° 60. Dossier sang pour sang vampires !, Saint Mammès, Le Bélial’, octobre 2010, 191 p.

 

Bon, ayant participé – même si ce n’est qu’un chouia – à la chose, il ne me paraît pas honnête d’en faire un compte rendu…

 

Donc je vais faire ma feignasse, et me contenter de rappeler que s’y trouvent six de mes comptes rendus : Interférences de Yoss (pp. 81-82), Nation de Terry Pratchett (pp. 91-93), Le Volcryn de George R.R. Martin (pp. 97-98), Les Femmes vampires de Jacques Finné et Jean Marigny (dir.) (pp. 101-103), et, dans le guide de lecture vampirique, Je suis une légende de Richard Matheson (pp. 161-162) et L’Échiquier du mal de Dan Simmons (pp. 169-170).

 

 

 Hop.

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"L'Echiquier du mal", de Dan Simmons

Publié le par Nébal

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SIMMONS (Dan), L’Échiquier du mal, [Carrion Comfort], traduit de l’américain par Jean-Daniel Brèque, Paris, Denoël, coll. Présence du futur / fantastique, [1989] 1992, 2 vol., 681 et 533 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 60, dans le dossier vampires (pp. 169-170).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

 

 En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

 Un saisissant prologue dans le camp de concentration de Chelmno, en 1942. Le jeune Saul Laski lutte pour survivre. Puis, sans transition, nous nous rendons à Charleston, Caroline du Sud, le 12 décembre 1980. Trois petits vieux se réunissent pour prendre le thé. Rien de plus innocent, en apparence… Mais les trois convives se livrent à un étrange petit jeu, et comptent les points : un pour chaque mort. Et parmi les victimes, un certain John Lennon… Ces vieillards ne sont en effet pas comme les autres : ils ont le Talent, qui leur permet de manipuler les êtres humains pour leur faire accomplir leurs quatre volontés. Et celles-ci se résument souvent à cette ultime réalité : le meurtre. Pour eux : le Festin, qui entretient leur force et leur permet de « rajeunir ». Ce sont des vampires, à leur manière ; mais pas de vulgaires suceurs de sang, encombrés des oripeaux gothiques, ni même « rationalisés » (à l’instar de ce que Simmons fera un peu plus tard dans Les Fils des ténèbres) : ce sont des vampires psychiques…

 

 Ainsi débute L’Échiquier du mal, à n’en pas douter un des plus fameux romans de Dan Simmons avec le très différent Hypérion. Un roman-fleuve, et un monument de terreur. Et, ce qui nous intéresse ici, une relecture inventive et fascinante du mythe du vampire. Les allusions ne manquent pas, qui émaillent l’ensemble du roman. Un exemple sélectionné dans les premières pages :

 

 « De toutes les terreurs que s’est infligées l’humanité, de tous les monstres pathétiques qu’elle s’est inventés, seul le mythe du vampire conserve encore quelques vestiges de dignité. Tout comme les humains dont il se nourrit, le vampire obéit aux sombres pulsions qui lui sont propres. Mais contrairement à ses ridicules proies humaines, le vampire utilise des moyens sordides pour parvenir à la seule fin qui puisse justifier de tels actes : son but est tout simplement l’immortalité. Quelle noblesse. Et quelle tristesse. »

 

 En bon thriller paranoïaque, L’Échiquier du mal mêle ce canevas de théorie du complot. Derrière les puissants de ce monde se dressent les vampires psychiques, qui tirent les ficelles de leur marionnettes humaines. On les trouve aux côtés du Führer dans l’Allemagne nazie. On les retrouve à Dallas le jour de la mort de John Fitzgerald Kennedy. On les croise enfin sur les scènes de meurtre les plus improbables, celles qui défient en apparence la logique. Ainsi le massacre sur lequel la réunion de Charleston débouche. Un vrai casse-tête pour le shérif Bobby Joe Gentry, et pour la jeune Noire Natalie Preston, dont le père figure parmi les victimes. Seule une explication, aussi improbable soit-elle, peut éclairer le drame ; et c’est le psychiatre Saul Laski qui la leur fournit : Laski est conscient de l’existence de ces vampires psychiques depuis ses cruelles années à Chelmno et Sobibor. C’est là-bas, dans l’enfer des camps d’extermination, qu’il a rencontré l’Oberst, ainsi qu’il désigne encore après toutes ces années son cruel bourreau. Terrible flashback : dans la nuit polonaise, une partie d’échecs où les pions sont des êtres humains, où chaque prise signifie la mort ; puis une chasse à l’homme, où les dés sont pipés… Saul Laski traque l’Oberst, désormais William Borden, depuis toutes ces années. Et Gentry et Natalie de se joindre à lui pour faire la lumière sur les meurtres les plus obscurs, et obtenir enfin justice… quitte à se transformer à leur tour en meurtriers.

 

Mais les vampires psychiques ne se limitent pas au trio de Charleston. On en croise vite d’autres, à Beverly Hills – le producteur Tony Harrod, détestable personnage qui est une des plus belles réussites du roman – ou au FBI. Et la vérité se fait bientôt jour : tous, ou presque, ne sont que des pions dans une gigantesque partie d’échecs à grande échelle. Et le sort du monde entier pourrait bien reposer dans les mains du vainqueur…

 

L’Échiquier du malest assurément un chef-d’œuvre du genre. L’argument promotionnel nous dit que Stephen King, à la lecture de ce roman, a salué en Dan Simmons son rival le plus redoutable. Et on le concèdera volontiers… Rares sont les œuvres horrifiques à dégager une telle puissance narrative, doublée d’un déconcertant sentiment de malaise, provenant de l’arrière-plan de la Shoah – encore imprégné de tabou – et de l’atmosphère générale de théorie du complot.

 

Il serait cependant dommage de s’arrêter sur cette impression, ou d’être rebuté par la longueur, que d’aucuns jugeront sans doute excessive – mais peut-on véritablement y enlever quoi que ce soit ? –, de cette fresque. L’Échiquier du mal se révèle en effet être un page turner d’une efficacité sidérante, et c’est sans effort ou presque que l’on se laisse guider par l’auteur, sûr de son art, tout au long de ce roman-fleuve (parfois scindé, selon les éditions, en deux ou quatre tomes) à la trame complexe. La plume de l’auteur, magnifiquement servie par la traduction de Jean-Daniel Brèque, est d’une justesse constante, et le roman accumule morceaux de bravoure et scènes d’anthologie, palpitantes scènes d’action et séquences cauchemardesques, éclats de suspense et introspection bouleversante. Et l’on se passionne aisément pour l’entreprise folle de ces éternelles victimes que sont Saul et Natalie, et pour les manœuvres obscures et cyniques de leurs puissants adversaires.

 

N’en jetez plus : L’Échiquier du mal est un chef-d’œuvre de terreur, une lecture incontournable pour les amateurs du genre. Et pour les autres aussi, tant qu’on y est.

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"L'Homme nu", de Dan Simmons

Publié le par Nébal

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SIMMONS (Dan), L’Homme nu, traduit de l’américain par Monique Lebailly, Paris, Albin Michel – LGF, coll. Le livre de poche, [1992, 1994, 1996] 2007, 316 p.
 
Dan Simmons est un auteur qui m’inspire un respect énorme, ne serait-ce que pour ses deux grands chefs-d’œuvre, Hypérion et L’échiquier du mal : d’énormes pavés de science-fiction (et éventuellement de fantastique pour le second, je ne vais pas rentrer dans les querelles de frontières) superbement écrits, très érudits, riches, profonds et en même temps fascinants, parfois terrifiants, parfois touchants et en tout cas remarquablement divertissants, voire jubilatoires, dans leur usage, à l’occasion, des pires clichés des séries B et des « romans de gare », manière de dire aux intégristes de la « littérature blanche » : « Ouais, je fais du genre, et j’vous emmerde ! » (‘fin, c’est comme ça que je le vois, en tout cas, mais j’abuse peut-être un peu…). Simmons est à même de mettre Keats et Stephen King dans le même panier, et d’en tirer le meilleur. Chapeau, Monsieur, vous êtes vraiment très très fort, quand vous le voulez bien.
 
Le problème étant qu’il ne l’est pas toujours autant : Les chiens de l’hiver, par exemple, m’avait un peu déçu… L’Homme nu, par contre, m’a comblé au-delà de toute attente : c’est une petite merveille, qui mérite qu’on en parle bien davantage (j’avoue avoir été assez interloqué par le peu d’écho rencontré par ce roman sur les forums SF…). Un roman difficile à classer, ceci dit ; en dépit de la couverture très noire, le voici publié en poche dans une collection « générale », et l’on y retrouve au final l’éventuel problème de définition suscité par L’échiquier du mal : fantastique ou science-fiction ? Un peu des deux en fait (même si, contraint de choisir, je dirais plutôt SF). Mais jugez-en vous-mêmes.
 
Jeremy Bremen est un mathématicien talentueux. Lui et son épouse Gail forment un couple heureux, mais guère banal, ceci dit. Ils sont en effet tous deux télépathes, liés en permanence, et à même de trouver dans cette union particulièrement profonde un rempart inviolable contre la « neuro-rumeur » formée des « pensées » environnantes – non pas seulement des « bruits », comme on le présente trop souvent dans les bouquins de SF dont Gail raffole et que Jeremy dénigre, mais un flot entier et irrépressible de sons, d’images, de sensations et d’autres choses encore, incommunicables, et qui font l’être à proprement parler.
 
Mais Gail meurt d’un cancer. Terrible épreuve pour Bremen, qui sombre dans la dépression et décide de tout plaquer, abandonnant son poste et son chat et mettant le feu à sa maison, avant de partir au hasard pour « se retrouver ». Pourtant ses malheurs ne font que commencer, et Bremen ne pourra trouver aucun refuge dans une solitude pour lui désormais inenvisageable : après toutes ces années, la disparition de Gail semble avoir affaibli les protections mentales de Bremen, et la « neuro-rumeur » devient subitement un insupportable déferlement de sensations contre lequel il ne peut plus rien faire. Agressé sans répit par les pensées les plus intimes de ceux qu’il croise, pensées souvent sordides, abjectes, agressives, désespérées, Bremen commence à perdre pied, à sombrer dans la folie et la misère la plus totale, s’enfonçant toujours plus profond dans les sombres cercles de l’Enfer : « Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate »…
 
Non, Bremen n’est pas seul, jamais. Et il se trouve à vrai dire quelqu’un – ou une étrange entité ? – pour se souvenir de lui, de Gail et de ses recherches en mathématiques, hautement abstraites ; se souvenir, dans un chaos total, nullement limité par la chronologie, de la mort de Gail, de la rencontre des deux époux, de leurs difficultés à concevoir un enfant – et peut-être de leurs secrets, malgré leur lien télépathique ? Se souvenir, surtout, de l’exaltation de Bremen à la lecture d’un article encore non publié du professeur Jacob Goldmann, dont les travaux pourraient permettre d’expliquer l’étrange faculté du couple Bremen, et au-delà chambouler totalement les conceptions traditionnelles de l’homme et du monde. Mais il est un autre souvenir que l’entité évoque à l’occasion : celui de ce pauvre enfant attardé mental, né sourd et aveugle… Et c’est ce commentateur récurent qui emploie la première personne, en n’étant véritablement aucun de ceux qui ont été cités, ou bien…
 
On l’aura compris : L’Homme nu est un roman étrange, déstabilisant et extrêmement noir. Bremen est un personnage remarquablement bien dépeint, sa souffrance est palpable, sa descente aux enfers est vécue de l’intérieur, partagée par le lecteur ; les quelques tableaux évoquant son heureux couple avec Gail sont d’autant plus touchants. Sur le plan de l’empathie, la réussite de Dan Simmons est donc totale, et contribue à renforcer la puissance à la fois angoissante et fascinante de la réflexion du roman sur l’autre, sur l’homme et sur le monde.
 
Je suis tout sauf un scientifique, et j’ai toujours été une quiche en maths ; je ne saurais donc certainement pas dire si les fort complexes délires mathématiques de Bremen et Goldmann sont véritablement convaincants sur le plan scientifique. Mais, à vrai dire, je m’en moque : les perspectives philosophiques qui s’en dégagent sont remarquablement troublantes, un peu à la manière de ce que l’on peut ressentir à la lecture des meilleurs écrits de Philip K. Dick, mais avec cette touche supplémentaire de « réalisme », en apparence tout du moins, qui contribue à donner des bases d’autant plus solides au sense of wonder qui s’exprime ici à plein. Dans les remerciements, Dan Simmons évoque notamment « le mathématicien Ian Stewart, pour avoir provoqué chez l’ignorant ès mathématiques que je suis une réaction passionnée » ; et il communique cet enthousiasme à merveille.
 
Mais ce ne sont pas là les seules références de ce très riche roman. Passons sur les références philosophiques pour ne pas en révéler trop (et je serais à vrai dire bien en peine d'aller au-delà de quelques lieux communs...). Mais il est d’autres références, davantage littéraires, qui ressortent très clairement (ainsi que me l’a fait remarquer, notamment, Jean-Daniel Brèque, quand j’ai brièvement évoqué ce roman sur le forum du Cafard cosmique) : ainsi, outre Robert Silverberg et son fameux L'oreille interne dont on rapproche souvent L'Homme nu, on trouve en exergue Dante (et nous avons déjà un peu vu en quoi, même s’il ne faut probablement pas s’arrêter à L’Enfer – c’est après tout ici Le Paradis qui est cité…) et T.S. Eliot, pour son poème Les Hommes creux (The Hollow Men, en anglais : précisons que le titre original du roman est The Hollow Man, et donc « L’homme creux », titre bien plus approprié que cet énigmatique « Homme nu » ; d’après Jean-Daniel Brèque, à nouveau, ce titre français aurait été imposé par l’éditeur – mais pour quelle raison ? ça me dépasse… – contre la volonté de la traductrice, Monique Lebailly, qui en aurait d’ailleurs légitimement conçu une certaine rancœur…), poème dont les vers, démembrés, introduisent les interventions du « commentateur ». Dans les remerciements, Simmons évoque de même Joseph Conrad, ce qui ne surprendra guère. Dans le corps de texte, on retrouve à nouveau Keats… mais aussi Stephen King (qui figure de même dans les remerciements, ainsi que son épouse, « pour leur marathon de lecture », et qualifie ce roman « d’authentique chef-d’œuvre » en quatrième de couv’, comme d’hab’, quoi… mais il a raison, le bougre !) ou encore Alfred Bester.
 
C’est que ce roman n’est pas seulement noir, triste, touchant, profond et riche (ce qui serait déjà pas mal, en même temps !). Il est aussi palpitant, avec même un certain côté série B assez typique de Dan Simmons – voyez certains passages de L’échiquier du mal, ou encore Les fils des ténèbres –, ménageant à l’occasion quelques scènes d’action ou d’horreur pure terriblement efficaces, quelques tableaux érotiques aussi, certains particulièrement bien vus. On pourrait trouver tout cela un peu gratuit, à lire le roman un peu trop vite, et ce fut, je le confesse, ma première impression. Mais le sens qui se dégage peu à peu du roman modifie bientôt ce jugement hâtif, et confirme que ces scènes ne sont pas là par hasard…
 
C’est brillant, tout simplement. Un excellent roman, à tous les points de vue.

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"Endymion", de Dan Simmons

Publié le par Nébal

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SIMMONS (Dan), Endymion, [Endymion], traduit de l’américain par Guy Abadia, suivi d’Endymion de John Keats, préface de Gérard Klein, Paris, Robert Laffont, coll. Ailleurs & Demain, [1995-1996] 2012, [édition numérique]

 

(Des avantages de l’édition numérique : je n’ai pas eu à m’infliger ni à infliger aux autres au cours de ma lecture cette hideuse couverture de l’inénarrable Jackie P. Et c’est pas rien.)

 

J’en aurai mis, du temps, avant de lire ce troisième tome des « Cantos d’Hypérion ». Des années (et des années) après avoir lu (et relu) l’excellentissime Hypérion et le moins bon mais néanmoins très bon La Chute d’Hypérion. Faut dire que ça se tenait tout seul, et n’appelait pas nécessairement une suite. Mais surtout, si j’ai retardé ma lecture d’Endymion (encore un titre emprunté à Keats ; à noter que le poème en question figure en annexe du roman, très bonne initiative dont je ne saurais hélas dire grand-chose de plus, en raison de mon exécration de la polésie – vous êtes peut-être au courant…), si j’ai retardé ma lecture d’Endymion, donc, c’est en bonne partie à cause de la relative mauvaise réputation de ce titre, qui paraissait faire l’unanimité contre lui. Mais la curiosité a fini par l’emporter – associée à mon enthousiasme kindlien –, et j’ai donc entamé la lecture de ce pavé (car pavé il y a).

 

Nous sommes pas loin de 300 ans après les événements cataclysmiques de La Chute d’Hypérion. La majeure partie de l’humanité est dominée par l’Église catholique régénérée et son bras armé, la Pax. Il faut dire que la découverte du cruciforme sur Hypérion a permis de rendre très concrets les espoirs de résurrection… Mais il en est cependant quelques-uns qui n’ont pas embrassé la croix tel, sur Hypérion, le jeune Raul Endymion. Ce qui tombe plutôt mal, dans la mesure où il est condamné à mort pour avoir tué un gros con de chasseur plus ou moins par accident. Mais le vieux – très vieux – poète Martin Silenus, un des fameux pèlerins des Tombeaux du Temps, lui sauve la peau. À charge pour lui de retrouver, accompagner et protéger la petite Énée, la fille de Brawne Lamia et du cybride de Keats, qui s’était il y a bien longtemps réfugiée dans le Sphinx, mais ne va pas tarder à en sortir. Or l’Église et la Pax voient en elle une abomination et une menace. Il y a donc du boulot pour (ce petit con de) Raul Endymion, assisté de l’androïde A. Bettik et du vaisseau du Consul. Boulot d’autant plus compliqué que la jeune fille est quelque peu entêtée, et décide de se lancer, là, comme ça, dans l’exploration de ce qui reste du Thétys, le fleuve qui coulait autrefois entre les mondes grâce aux portes Distrans depuis tombées hors d’usage. Et vogue le radeau !

 

Parallèlement – mais, au passage, ça ne s’emmanche pas toujours très bien –, nous accompagnons également les soldats de la Pax lancés à la poursuite de nos héros, à savoir le père-capitaine de Soya, jésuite et commandant de vaisseau-torche revêtu d’une autorité démentielle du fait d’un disque papal en sa possession, et ses trois gardes du corps. Mais, pour passer d’un monde à l’autre à bord de leur vaisseau ultra-perfectionné le Raphaël, ces adeptes du cruciforme n’ont d’autre choix que de se lancer dans un perpétuel et douloureux cycle de mort et de résurrection… Autant le dire de suite, cependant : en dépit de la richesse et de la densité des mondes traversés par Raul Endymion, Énée et A. Bettik, on prend très vite beaucoup plus de plaisir dans les chapitres consacrés à de Soya et compagnie, personnages bien mieux campés et autrement complexes, dont le sort nous émeut bien davantage que celui de nos héros.

 

C’est là une des faiblesses du roman. Ce n’est pas la seule. L’essentiel, le pire dans tout ça, c’est que c’est long. Atrocement long. Beaucoup trop long. Entendons-nous bien, Dan Simmons n’est pas un manchot ni un imbécile, et ça tourne à plein régime dans son cerveau : les idées sont là, nombreuses et bonnes, qui font d’Endymion une fresque riche de détails superbement composés. Aussi ne serai-je pas aussi sévère que beaucoup concernant ce troisième tome des « Cantos d’Hypérion » : non, Endymion, c’est pas si pire. C’est même plutôt pas mal.

 

Mais c’est long.

 

Atrocement long.

 

Beaucoup trop long.

 

Aussi s’ennuie-t-on régulièrement, malgré les efforts de l’auteur, au long de ces pages. Le lecteur est pris d’une irrésistible envie d’accélérer la cadence – ce qui entre en contradiction avec la lenteur certes nécessaire du périple sur le Thétys : fail – et compte les pages qui restent avant la fin (ou, sur son Kindle, a les yeux rivés sur le pourcentage). Et c’est quand même sacrément dommage. Parce qu’il y a malgré tout bien des choses intéressantes dans Endymion. Objectivement, ce n’est pas un mauvais roman. Il est certes bien inférieur à La Chute d’Hypérion, qui était lui-même bien inférieur à Hypérion. Mais cet ennui frappe en dépit de la bonne volonté du lecteur (or, dès qu’il s’agit de – ce gros con talentueux de – Dan Simmons, je suis clairement bon public, ainsi que vous avez pu le constater à plusieurs reprises dans ces lieux interlopes), lecteur qui rame autant que les principaux protagonistes ; on ne va pas pousser le vice jusqu’à y voir un effet d’identification, hein : c’est clairement, à cet égard, un échec. Regrettable, donc, mais indéniable.

 

Dommage. Ça ne m’empêchera pas de lire un jour prochain le quatrième et dernier tome, L’Éveil d’Endymion, mais j’avoue craindre que les défauts de ce roman-ci y réapparaissent, peut-être en pire étant donné la jusqu’à présent constante baisse de qualité du cycle au fil des volumes. Bon, on verra bien ; et je ne manquerai pas de vous tenir au courant, bien entendu.

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"Démences", de Graham Masterton

Publié le par Nébal

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MASTERTON (Graham), Démences, [Walkers], traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par François Truchaud, Paris, Bragelonne – Milady, [1989, 2009] 2011, [édition numérique]

 

Tiens, ça faisait un moment que je ne m’étais pas fait un petit roman de terreur, moi. Et avouons que j’aime bien ça, de temps à autre, même si les bisseries douteuses sont autrement plus fréquentes que les plus belles réussites du genre, de celles que l’on doit à des auteurs du calibre de Stephen King ou Dan Simmons. Peu importe : j’avais envie de quelque chose de distrayant, et ne redoutais pas la nanardise éventuelle. D’où ma lecture de ce roman de Graham Masterton, auteur que je n’avais par ailleurs jusque-là jamais lu, même si je le connaissais de réputation (et puis il y a le prix Masterton…). Et faut avouer : lire un roman d’horreur qui se déroule pour sa plus grande partie dans la maison de santé Les Chênes, quand on se trouve soi-même à la maison de santé Les Pins (nettement moins gothique il est vrai), ça ne manque pas de sel.

 

Nous sommes dans les environs de Milwaukee et Madison, aux États-Unis. Jack Reed est un connard et un entrepreneur, dans cet ordre, dont le couple bat de l’aile. Pas grave : il a une secrétaire (modèle dinde). Un soir, il a un accident de la route (…), heureusement sans trop de gravité, qui l’amène, en suivant les traces d’un mystérieux enfant tout de gris vêtu, à faire la découverte d’une ancienne maison de santé abandonnée (Les Chênes, donc), qui le séduit comme c’est pas permis. Jack Reed se recyclerait bien, en faisant de la chose un centre de loisirs sans pareil. Il se lance donc sur les traces des propriétaires, et l’affaire est sur le point de se conclure.

 

Mais, évidemment, il va y avoir une couille dans le paté. C’est que le bâtiment a son histoire, mystérieuse of course : un soir, il y a de cela bien longtemps, tous les patients – nécessairement des psychotiques dangereux – ont disparu sans laisser de traces. Et pour cause : ils sont en fait encore là, dans les murs et le sol… Et ils enlèvent Randy, le fils de Jack, pour disposer d’un moyen de pression sur lui. À partir de là, les morts violentes s’enchaînent…

 

Démences est à l’évidence une grosse bisserie qui tache, pour l’essentiel, avec des côtés sous-Shining et d’autres sous-Clive Barker. Cela dit, on en a en gros pour son argent, et ça se lit tout seul, malgré le caractère foncièrement antipathique du « héros ».

 

Mais avouons-le : régulièrement, Démences tend plus que de raison vers le gros nanar, quand ce n’est pas vers le navet (du coup, ça a rappelé à mon bon souvenir Brian Lumley…). On rigole régulièrement, parfois avec le roman, le plus souvent de lui. Ce qui n’empêche étrangement pas le tout d’être efficace – si –, et de contenir – c’est rare, mais il y en a – quelques beaux moments de terreur, saupoudrés de gore bien craspec.

 

Alors, de toute évidence, Graham Masterton – pour ce roman-ci, en tout cas – n’est certes pas de la trempe d’un Stephen King ou d’un Dan Simmons, même s’il entend jouer sur leur terrain. Objectivement, le moins que l’on puisse dire est que tout cela n’est « pas très bon » (restons polis)… Mais c’est en même temps rigolo comme une bonne bisserie bière-pizza, et on a ce qu’on venait y chercher. Aussi n’est-il pas exclu que, par désœuvrement, je lise un de ces jours un autre roman de Graham Masterton, comme ça, par pur mauvais goût, et donc malgré les défauts évidents de ce Démences ; là, j’ai envie d’être outrancièrement bon public… J’assume.

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Fog, de James Herbert

Publié le par Nébal

 

HERBERT (James), Fog, [The Fog], traduit de l’anglais par Anne Crichton, Paris, Bragelonne – Milady, [1975, 2008] 2009, 347 p.

Ma chronique se trouvait sur le défunt site du Cafard cosmique... La revoici.

 

Au sein de la pléthorique et, euh, « peu ragoûtante » production du label Milady, il est cependant une dimension qui me paraît tout à fait louable : si l’on excepte quelques parutions épisodiques et hors-collection d’un Stephen King ou d’un Dan Simmons, l’éditeur est aujourd’hui le seul à publier en poche et pour un prix décent des romans de « terreur » (ou « mainstream horror »), et en l’occurrence des « classiques » depuis longtemps indisponibles du fait de la disparition de la totalité des collections dévouées au genre. En témoigne aujourd’hui, par exemple, cette réédition du deuxième roman du Britannique James Herbert, un best-seller de sa catégorie.

 

La couverture fait « étonnamment » penser au film éponyme réalisé par John Carpenter en 1980, mais, autant le préciser tout de suite, cela n’a en fait rien à voir du tout. Si l’on devait établir une comparaison cinématographique, ce serait bien plus probablement avec le nettement moins connu (et antérieur) The Crazies de George A. Romero, bêtement sorti en France en son temps sous le titre putassier et ridicule de La Nuit des fous vivants. L’horreur, en effet, ne relève en rien ici du fantastique, mais bien davantage de la science-fiction, le résultat n’est pas sans évoquer un « film de zombies » (ou « d’infectés »...) des plus classiques, et, sous le pur divertissement (car c’est bien d’un roman de gare qu’il s’agit), perce une charge anti-militariste et écologiste, plutôt grossière certes, mais qui n’est décidément pas sans évoquer le réalisateur de La Nuit des morts-vivants. Pour un roman de 1975, on avouera que c’est relativement original, si c’est convenu aujourd’hui.

Tout commence par un tremblement de terre pour le moins incongru en Angleterre. Au cours du séisme, le sous-sol libère une étrange brume jaunâtre qui se met à vagabonder de par le pays, emportée par un vent qui ne la dissipe pas. Or tous ceux qui se retrouvent au contact de ce brouillard sont pris à plus ou moins court terme d’une folie homicide et/ou suicidaire. Bientôt, dans le sillage de la nappe meurtrière, massacres sanglants et suicides collectifs s’enchaînent... et le brouillard semble progresser vers les zones les plus peuplées d’Angleterre.

John Holman fut un des premiers infectés, lors du séisme. Il tenta bien de se suicider, mais fut maîtrisé, et survécut au drame. Il est le premier à prendre conscience de l’étrange phénomène, et de ses terribles conséquences. Dès lors, le roman alterne en gros un chapitre sur deux les tentatives d’Holman pour éviter le pire, et les morts atroces de victimes par dizaines, par centaines, par milliers...

Construction qui tend à devenir rapidement assez lassante, trop systématique, tournant un peu à l’expédient permettant de tirer à la ligne. Pourtant, on avouera que James Herbert, à l’occasion, sait concocter des scènes de terreur pure absolument saisissantes, en jouant tant sur le « gore » que sur la violation des tabous (même si, pour ce qui est de la sexualité, le roman accuse son âge...) ou la froideur des statistiques (la superbe séquence de Bournemouth... et une cinglante « prémonition » des attentats du 11 septembre 2001 !), et que celles-ci se montrent de plus en plus efficaces à mesure que l’on avance dans le roman, tandis que le brouillard, inexorablement, inévitablement, se rapproche de Londres... Les derniers chapitres, impressionnants de chaos apocalyptique et de tension permanente, sont à cet égard tout à fait réussis, malgré quelques clichés ici ou là.

Mais il faut y arriver. Car, en dehors de ces morceaux de bravoure occasionnels, le roman n’a pas grand chose pour lui, et l’on voit bien ce qui fait toute la différence entre un James Herbert et un Stephen King ou un Dan Simmons. S’il parvient étonnamment à éviter de se montrer trop répétitif, en variant les saynètes d’horreur et les implications du brouillard avec une astuce indéniable, il a néanmoins pris un petit coup de vieux, et pèche surtout par de nombreux autres aspects : on regrettera, notamment, ces personnages insipides et unidimensionnels, et plus encore ce style au mieux médiocre, au pire laborieux...

 

Aussi Fog n’est-il pas le « chef-d’œuvre de la terreur » annoncé par la quatrième de couverture. Reste un roman de gare relativement correct, mais qui, en fonction de l’humeur du lecteur, fera presque autant bailler que frissonner.

 

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"Nous sommes tous morts", de Salomon de Izarra

Publié le par Nébal

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IZARRA (Salomon de), Nous sommes tous morts, Paris, Rivages, 2014, 131 p.

 

Ma (très brève) chronique se trouve dans le Bifrost n° 75 (pp. 93-94).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant quelque temps.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

Le jeune Nordnight, second d’un baleinier norvégien en 1927, nous rapporte dans Nous sommes tous morts (OK, pas de spoiler…) le terrible calvaire enduré par son équipage quand ledit bateau s’est retrouvé pris dans les glaces, là où il n’aurait pas dû y en avoir… Un effroyable cauchemar polaire, qui transforme les hommes, et notamment notre narrateur dont on a retrouvé le journal en partie illisible ; Nordnight, mais il n’est pas le seul, tourne ainsi au salaud dans cet enfer glacé, et nous sommes témoins de cette horrible dégradation…

 

Premier roman du jeune Salomon de Izarra, Nous sommes tous morts affiche d’emblée ses références. On parle ainsi de Stevenson, mais aussi de Lovecraft (et ce n’est sans doute pas un hasard si le baleinier cadre de l’intrigue se nomme Providence…) ; on pense, forcément, au Moby Dick de Melville, très tôt cité ; mais, au-delà, ce mélange d’aventure maritime et de fantastique horrifique peut aussi évoquer Les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Allan Poe, et peut-être plus encore William Hope Hodgson (Les Pirates fantômes, par exemple). Plus récemment, on évoquera également Terreur de Dan Simmons… C’est dire, à la fois, l’ambition de ce très court livre, et en même temps la rude concurrence à laquelle il doit faire face.

 

Et, hélas, il ne se montre pas à la hauteur de ces prestigieux modèles. Le récit relativement convenu, les personnages à peine esquissés (sauf Nordnight et le capitaine) et bien trop caricaturaux, pèsent déjà douloureusement sur la balance… Mais c’est le style défaillant, souvent lourd et perclus de clichés, qui fait en définitive de la lecture de Nous sommes tous morts un calvaire presque aussi terrible que celui enduré par l’équipage du Providence.

 

C’est dommage. Le cadre est fascinant, les bonnes idées émergent de temps en temps, que l’on aurait souhaité voir mieux traitées, le propos est assez intéressant, mais cela ne suffit pas à emporter l’adhésion du lecteur, qui renacle à chaque page ou presque (heureusement, c’est très court… probablement trop, d’ailleurs). Un triste ratage que l’on fera bien d’éviter ; lisez plutôt les modèles cités plus haut…

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La Mort du fer, de Serge Simon Held

Publié le par Nébal

 

HELD (Serge Simon), La Mort du fer, préface de Juan Asensio, Talence, L’Arbre Vengeur, [1931] 2019, 420 p.

 

Ma chronique, rédigée pour le Bifrost n° 98, a été mise en ligne directement sur le blog de la revue, dans la rubrique « Objectif Runes en plus », et vous la trouverez ici.

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"Court Serpent", de Bernard du Boucheron

Publié le par Nébal

 

DU BOUCHERON (Bernard), Court Serpent, Paris, Gallimard, coll. Folio, [2004] 2006, 149 p.

 

Voilà un petit livre (même pas de SF, c'est scandaleux) que je comptais lire depuis un petit moment déjà, ayant lu ici et là (notamment à l'occasion de ma lecture du très différent mais également très bref Bastard Battle de Céline Minard) des avis dithyrambiques émis par des personnes hautement autorisées. Un premier roman publié à 75 ans (tout de même), simplement envoyé par la poste chez Gallimard... et qui a obtenu le Grand Prix du roman de l'Académie française 2004 (re-tout de même). Je sais, à vue de nez, ça fait un peu peur ; mais en fait, non. C'est un prix amplement mérité pour cette petite merveille, on peut bien d'ores et déjà le dire. L'occasion de vérifier que, comme disait l'autre, « rien ne sert de courir... », et que la sagesse populaire a bien raison ma bonne dame quand elle assure que « ce qui est petit est joli ».

 

Adonc, Court Serpent. Après l'excellent (mais rien à voir) Terreur de Dan Simmons, ce fut pour moi une nouvelle occasion de visiter l'enfer blanc du grand Nord. Et, oui, on y trouve bien des chômeurs (techniques), des pédophiles et des consanguins.

 

Nous sommes à la fin du XIVe siècle. L'Europe a depuis longtemps perdu le contact avec sa petite communauté installée à la Nouvelle Thulé (que je suppose se trouver au Groenland). L'abbé Montanus est chargé d'y conduire une expédition, à bord du bateau spécialement conçu d'après les techniques des anciens et baptisé Court Serpent, afin de retrouver cette colonie perdue et de lui porter secours, notamment en matière de foi.

 

Commence alors une terrible épopée, faite d'horreurs sans nom et de morts innombrables, dans un climat impitoyable.

 

La plume de l'auteur, volontiers archaïsante, est tout simplement parfaite. Tantôt laconique, tantôt délicieusement contournée, elle sait en toutes occasions dresser le tableau cruel des conditions de vie implacables à bord du Court Serpent et à la Nouvelle Thulé. L'horreur se déploie ainsi insidieusement au fil des pages, glaçante et saisissante. Les points de vue multiples (l'abbé Montanus, ou un regard externe) participent de cette horreur dantesque, pour un résultat sec et bluffant.

 

L'histoire est passionnante et fascinante, parfois portée par un souffle digne des sagas, d'autre fois cruellement naturaliste (d'une manière qui a pu me faire penser au très beau film de Shohei Imamura La Ballade de Narayama, d'après le très beau également roman de Shichirô Fukazawa). L'alternance entre ces deux méthodes est judicieusement pensée, et le résultat se révèle d'une justesse rare. Le récit se double ainsi d'un réquisitoire cinglant et fort contre le prosélytisme dans ce qu'il a de plus aveugle et mesquin.

N'en jetez plus (et je préfère ne pas en dire davantage...) : ce
Court Serpent est une merveille, un court roman historique éprouvant et beau comme un bateau tout vieux, original et fort, un sale petit chef-d'œuvre, dans tous les sens du terme, dont je vous recommande chaudement (aha) la lecture.

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