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Dômu - Rêves d'enfants, de Katsuhiro Ôtomo

Publié le par Nébal

Dômu - Rêves d'enfants, de Katsuhiro Ôtomo

ÔTOMO Katsuhiro, Dômu – Rêves d’enfants, [Dômu 童夢], traduction [du japonais ? par] Anne-France Reycoquais, Genève, Les Humanoïdes Associés, coll. Styx, [1980-1981, 1983, 1991-1992, 1997] 2003, 238 p.

Akira, la BD et le film, a acquis et conservé une telle aura qu’il est parfois difficile de concevoir que son génial auteur, Ôtomo Katsuhiro, a pu faire d’autres choses très intéressantes avant comme après. En l’espèce, c’est l’avant qui va nous intéresser aujourd’hui – et même l’immédiatement avant, puisque, dans la bibliographie de l’auteur, Dômu précède de très peu Akira… et en contient déjà un certain nombre d’éléments : gamins bizarres aux pouvoirs psychiques et notamment télékinésiques incontrôlables, goût prononcé pour la destruction urbaine, subits et douloureux éclats de gore…

 

Cependant, Dômu demeure une œuvre à part entière, ce n’est certainement pas un vulgaire « brouillon » ; et c’est une BD qui, en son temps, a fait beaucoup parler d’elle et a remporté un très légitime succès aussi bien critique (avec une rare récompense pour la meilleure BD de science-fiction) que commercial – au Japon, mais aussi à l’étranger (en version anglaise, ce fut une des meilleures ventes de Dark Horse). De fait, ce manga n’annonce pas une « révolution Akira », mais constitue en fait une révolution en lui-même – qu’Akira prolongera avec une démesure qui lui sera propre, mais, déjà, avant cela, on perçoit bien, au Japon d’abord puis ailleurs également, que Dômu est une œuvre exceptionnelle et d’une originalité marquée, qui ne ressemble alors à aucune autre.

 

Il y a par ailleurs une différence de ton entre les deux BD, si elles sont toutes deux de science-fiction, et, si Akira mettra l’accent sur l'anticipation et le contexte apocalyptique ou post-apocalyptique, Dômu s’en tient à un cadre bien plus réduit, et ses codes sont plutôt ceux du policier, du thriller et de l’horreur – à vrai dire, au cours de cette relecture, c’est plus particulièrement ce dernier aspect qui m’a frappé, car l’ambiance de Dômu me semble annoncer, pour le coup, quelques traits classiques de la J-Horror qui commençait alors tout juste à se développer et connaîtrait son apogée une petite vingtaine d’années plus tard (ce cadre urbain, notamment, m’a rappelé l’excellent Dark Water de Nakata Hideo, et peut-être aussi le Kairo de Kurosawa Kiyoshi, entres autres j’imagine).

 

L’histoire est assez minimaliste – clairement, ce n’est pas l’atout majeur de cette BD, même si elle ne manque pas non plus d’intérêt en tant que telle. Le cadre de l’action est peu ou prou unique – un quartier résidentiel très récent, avec des barres d’immeubles démesurées ; pas forcément que des HLM pour autant, la population est relativement diversifiée, mais ce cadre urbain inexorable marque de son empreinte le quotidien de ses habitants, qui, au fond, n’ont guère l’occasion ou le besoin d’en sortir ; prétexte idéal pour une certaine critique sociale, on s'en doute, d'autant que c'est bien dans la manière de l'auteur.

 

Seulement voilà : cet îlot de béton est affecté par une série de morts suspectes – des suicides, en apparence, mais que l’on ne s’explique pas bien, et on s’explique encore moins leur nombre, qui dépasse largement le stade de « l’anomalie statistique ». Suffisamment pour que la police enquête… mais elle ne sait guère où chercher, et fait chou blanc. Un enquêteur comprend pourtant une chose essentielle – qui vient contredire la thèse des suicides : dans chaque cas, un objet très personnel a disparu…

 

Le lecteur ne patine pas autant que la police (pas vraiment de spoiler, donc…). En accompagnant les inspecteurs, il découvre la faune bigarrée du quartier, avec ses personnages gentiment ou moins gentiment excentriques – la mère traumatisée par la mort de son bébé, Yo-chan le colosse simplet qui colle un peu trop aux enfants, un spécimen d’alcoolique violent parmi tant d’autres… et Chô-san, un petit vieux qui vit tout seul (et c'est un nouveau point de critique sociale), sénile à l’évidence, le sourire aux lèvres en permanence. Or l’innocent vieillard a des pouvoirs psychiques – nous ne saurons pas d’où ils viennent, la BD ne s’embarrasse pas de ce genre d’explications. Ce qui importe, c'est qu'il use de ces pouvoirs pour manœuvrer ses voisins et les pousser à la mort, puis leur voler un objet anodin mais qui enrichit sa collection de babioles – sans doute ne se rend-il pas bien compte de ce que ses méfaits impliquent, pour lui ce ne sont probablement que des blagues agréablement puériles… Car Chô-san est bien retombé en enfance, littéralement ; mais il est un enfant puissant, et donc dangereux – extrêmement dangereux…

 

La police ne peut rien faire contre pareil phénomène, elle est totalement désarmée ; elle ne peut même pas le concevoir ! Pour arrêter le malicieux Chô-san, il faudra un autre enfant – un « véritable » enfant cette fois : la petite E-chan, qui vient tout juste d’emménager dans le quartier avec sa mère. E-chan aussi a des pouvoirs singuliers – et nous ne saurons pas davantage d’où ils viennent. Mais la petite fille identifie tout naturellement la menace constituée par Chô-san, et elle a beaucoup plus de sens moral que lui – et à vrai dire un œil assez sévère, quand elle ne joue pas gentiment avec ses copains (dont Yo-chan, finalement inoffensif), comme la petite fille qu’elle est malgré tout. Elle entreprend donc de lutter contre le vieillard retombé en enfance – de l’empêcher de faire davantage de mal. Mais le déchaînement de leurs pouvoirs réciproques entraînera une frénésie de destruction urbaine totalement incontrôlable… Le combat des dieux multiplie les victimes chez les humains – d’autant que ces dieux sont des enfants qui ne pèsent pas toujours très bien les conséquences de leurs actes, et, parfois, les mieux intentionnés peuvent s'avérer aussi redoutables que ceux, égoïstes, qu'ils visent à empêcher...

 

J’ai lu à plusieurs reprises – notamment, sauf erreur, dans Le Chrysanthème et le sabre, de Ruth Benedict, ouvrage à manipuler avec beaucoup de précautions, même s’il me semble que j’ai retrouvé ce genre de développements ailleurs (méfiance quand même, je vais peut-être rapporter des bêtises…) – que, dans la société japonaise traditionnelle, mais cela aurait laissé encore des traces aujourd’hui, on passe beaucoup de choses aux enfants, et notamment aux petits garçons, parce que l’on voit dans leur « innocence » quelque chose qui relève de la divinité, de la propre nature des kami ; l’école primaire commence à passer gentiment la bride, mais, avant le collège et surtout la frénésie aliénante des concours d’entrée dans les lycées puis les universités, l’enfant japonais bénéficierait ainsi d’une très grande liberté, qui aurait pour partie son explication dans ce ressenti spirituel, pour ne pas dire religieux. Mais ceci serait également vrai, à l’autre bout de la vie, après l’oppression de la vie active, pour les personnes âgées (traditionnellement, hein – là pour le coup c’est très probablement beaucoup moins vrai aujourd’hui, dans ce Japon vieillissant où le sort du troisième âge est tout sauf enviable, et est même parfois carrément tragique…) : l’idée de « retomber en enfance » serait prise au pied de la lettre, et la sénilité justifierait une nouvelle et ultime phase de liberté, et de bienveillance de la part des proches, le vieillard ayant en définitive retrouvé, même dans la folie, la nature des kami, celle qui était la sienne du temps des culottes courtes. Je ne sais pas le crédit qu’il faut accorder à ces développements, mais, en tout cas, ils me paraissent très éclairants au regard de ce qui se produit dans Dômu, et peut-être y a-t-il bien ici une clef d’interprétation ?

 

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas à ce niveau que brille véritablement Dômu. Le vrai point fort de la BD se situe dans son caractère cinématographique, qui se perçoit à deux niveaux : la narration et le dessin.

 

La narration est bien plus complexe – mais à bon droit – que ce que l’histoire laisserait supposer de prime abord. C’est comme si Ôtomo se promenait dans le quartier avec une caméra et un micro, captant çà et là des bribes de conversation, sans suivi, ou des images saisissantes, même si ancrées dans le quotidien d’un complexe résidentiel qui se voudrait au fond très banal. Pourtant, y bruissent les rumeurs – et les commérages. Le rapport entretenu par l’auteur avec son environnement produit un effet remarquable, notamment dans la première partie de la BD, comme une visite guidée et en même temps aléatoire du quartier, où l’on attrape au vol, et sans toujours bien s’en rendre compte, les éléments clefs de l’histoire. Les scènes impliquant directement la police – conférences de presse, réunions stratégiques, échanges privés – n’en produisent que davantage un fort contraste, qui, d’une certaine manière, appuie encore plus sur l’impuissance des représentants de la loi dans cette affaire qui les dépasse de la première à la dernière page. C’est très malin, très bien fait, et sans doute était-ce alors passablement original, si, depuis, on a pu connaître d’autres œuvres procédant de la sorte, éventuellement avec un égal brio.

 

Mais le point fort, celui qui saute à la gueule, c’est le dessin – qui est absolument parfait. Le style d’Ôtomo est reconnaissable entre mille, et qui a lu Akira ne sera pas le moins du monde dépaysé dans Dômu. Mais, à vrai dire, j’ai l’impression que cette BD incomparablement plus courte fait preuve d’une bien plus grande application, tout du long, avec une égale attention pour chaque séquence. Les personnages sont très bien caractérisés, tous aisément identifiables, et leurs émotions sont merveilleusement rendues – avec une mention spéciale pour E-chan, dont la colère comme les pleurs sont incroyablement authentiques ; mais, à vrai dire, le désespoir ultime du pathétique Chô-san n’en est pas moins poignant.

 

Et le décor, c’est encore autre chose – et de quoi se prendre de sacrées baffes. Ôtomo aime à mettre en scène des cadres urbains qu’il rend avec un souci du détail proprement maniaque. Dômu abonde en planches splendides qui en font l’éclatante démonstration, et nombre d’entre elles mériteraient qu’on s’y attarde pendant des heures. Mais Ôtomo, c’est notoire, aime aussi casser ses jouets : comme Akira bientôt, Steamboy plus tard, et peut-être d’autres œuvres encore, Dômu accorde une place conséquente à des fantasmes de destruction urbaine qui sont proprement bluffants.

 

Le résultat est de toute beauté – jusque dans l’horreur, parce que cela fournit alors un cadre de choix pour quelques éclats de gore bien sentis, pas le moins du monde du gore rigolard, mais du gore qui fait vraiment mal (avec notamment un des plus beaux écrasements de tête de toute l’histoire du gore).

 

Mais il faut ajouter à tout cela un sens du cadrage proprement cinématographique, et qui était sans doute alors d’une audace folle, même si c’est devenu plus commun aujourd’hui. Ôtomo aime les angles de vue incongrus mais jamais gratuits, et sa BD a quelque chose de la transposition sur papier de quelque film à l’esthétique très léchée, sans doute conçu par un réalisateur tout dédié à la composition des images, avec un goût prononcé pour la perspective et les figures géométriques – en Occident, mettons un Kubrick, au Japon peut-être un Kobayashi ou un Oshima ? Mais je dois dire que, là encore, Dômu m’a paru anticiper sur un certain nombre de films de J-Horror – et je cite à nouveau Dark Water et probablement Kairo.


Quoi qu’il en soit, les mots me manquent pour exprimer la force de la composition des planches, et l’incroyable souci du détail dont elles font toujours preuve. Un exemple valant sans doute mieux qu’un long discours, voyez par exemple cette page, vers la fin de la BD (mais elle ne spoile rien), qui m’avait sidéré à ma première lecture il y a une quinzaine d’années de cela, et continue de le faire aujourd’hui avec toujours autant de force… Oui, une de ces planches que je peux fixer pendant des plombes.

Dômu - Rêves d'enfants, de Katsuhiro Ôtomo

Dômu, non, n’est certainement pas un « brouillon » d’Akira – même si les liens entre les deux BD ne manquent pas. Non, c’est une œuvre à part entière – et même, disons-le, un chef-d’œuvre à part entière.

 

Magnifique relecture d’une BD parfaitement splendide.

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Monster, vol. 2 et 3 (intégrale Deluxe), de Naoki Urasawa

Publié le par Nébal

Monster, vol. 2 et 3 (intégrale Deluxe), de Naoki Urasawa

URASAWA Naoki, Monster, vol. 2 (intégrale Deluxe), [Monsutâ kanzenban vol. 02 モンスター完全版02], [histoire coécrite avec Takashi Nagasaki], traduit [du japonais] et adapté en français par Thibaud Desbief, Bruxelles, Kana, coll. Big, [1995, 2008, 2010] 8e éd. 2018, 428 p.

Monster, vol. 2 et 3 (intégrale Deluxe), de Naoki Urasawa

URASAWA Naoki, Monster, vol. 3 (intégrale Deluxe), [Monsutâ kanzenban vol. 03 モンスター完全版03], [histoire coécrite avec Takashi Nagasaki], traduit [du japonais] et adapté en français par Thibaud Desbief, Bruxelles, Kana, coll. Big, [1995, 2008, 2011] 6e éd. 2017, 404 p.

Retour à Monster, d’Urasawa Naoki, avec les volumes 2 et 3 de l’édition dite « Deluxe », et qui comprend donc les tomes 3 à 6 de l’édition originale. Le premier volume m’avait littéralement bluffé : moi qui ne suis pas forcément très client du genre thriller, car je le trouve bien trop souvent prompt aux artifices de narration fainéants, j’avais cette fois bel et bien cédé, toutes préventions mises à part, et succombé à l’efficacité remarquable de ce tome introductif, un vrai modèle du légendaire page-turner.

 

Demeurait cependant la crainte que, par la suite, Urasawa s’égare davantage – car c’était après tout ce qui s’était produit pour 20th Century Boys, à mes yeux du moins (en rappelant que cette série de science-fiction était postérieure à Monster). À la lecture (enchaînée…) des volumes 2 et 3 « Deluxe », je dois hélas constater que c’est bien ce qui s’est produit – heureusement pas au point de me détourner de la BD, qui reste très efficace ; seulement, ces deux volumes ne bénéficient pas de la remarquable unité du premier tome, et avancent plusieurs pistes, dans diverses directions, et avec plus ou moins de réussite. Chacun de ces deux volumes comprend des arcs principaux (j’en compterais pour ma part deux dans le volume 2 et quatre dans le volume 3, de taille donc très variable), entrecoupés de séquences plus brèves – pas forcément les moins intéressantes cela dit.

 

Les arcs principaux du volume 2 ont en commun de revenir sur le passé le plus sombre de l’Allemagne, en deux temps, mais avec des passerelles visibles de l’un à l’autre. Le Dr Tenma, qui s’intéresse à l’enfance de Johann, et indirectement de sa sœur Anna, découvre que les deux enfants avaient fréquenté des orphelinats en Allemagne de l’Est – des institutions cauchemardesques, dont le mauvais souvenir a laissé des traces dans l’Allemagne fraîchement réunifiée. Mais – et on avouera que ça n’est probablement pas une grande surprise –, le bon docteur découvre surtout que les autorités s’étaient alors livrées à des expériences psychologiques sur les enfants, expériences dont on devine que ce sont elles qui ont fait de Johann « le Monstre ». Tenma aura hélas l’occasion d’envisager de lui-même d’autres visages de la monstruosité des adultes à l’égard des enfants… Mais demeure ce point essentiel de la « formation » d’un enfant pour qu’il devienne, disons-le, un grand leader, un nouveau Hitler. Or le deuxième arc principal de ce volume confronte, aussi bien Tenma de son côté qu’Anna du sien, à des brutes néo-nazies, indirectement liées aux responsables de l’expérience de l’orphelinat, et par ailleurs sous les ordres d’un truand sadique, improbablement surnommé Baby, et qui compte faire un sort à la communauté turque de la ville… ce que Tenma et Anna ne permettront pas.

 

Tout ceci… est pour le coup un peu trop convenu. La narration demeure habile, et une pesante ambiance de cauchemar s’impose çà et là, mais j’ai tout de même eu l’impression d’un volume un peu fainéant, car trop téléphoné : en fait, Johann le Monstre, dans le contexte allemand, ne pouvait sans doute qu’être associé au nazisme, et le thème de la partition puis de la réunification de l’Allemagne, en sachant que les enfants venaient de l’Est, impose presque tout naturellement des réminiscences de la RDA – Stasi et orphelinats glauques, ça n’est pas vraiment une surprise là non plus… Un volume un peu faiblard à cet égard, donc, à mes yeux du moins

 

En fait, le propos essentiel de ce volume est peut-être d’abord d’introduire de nouveaux personnages principaux, qui seront autant de compagnons de route improbables pour Tenma : les premières séquences du volume 2 introduisent en effet le personnage récurrent d’Otto, fripouille superstitieuse et pas étouffée par la morale, et qui se retrouve associé plus ou moins malgré lui au docteur japonais traqué par toutes les polices – il l’amène par ailleurs à opérer pour la « pègre » (au sens large), ce qui ne sera pas sans incidence par la suite. Otto ne m’a pas vraiment emballé jusque-là, mais l’arc de l’orphelinat introduit un autre personnage récurrent plus intéressant : Dieter, un petit garçon qui en a vu de dures. L’association d’un gamin au Dr Tenma en fuite ne coulait certes pas de source, mais elle s’avère un plus dans les épisodes suivants – c’est finalement assez bien vu ; et je me suis demandé, bêtement peut-être, si ce duo n’avait pas quelque chose d’un reflet ironique de celui constitué par Ogami Ittô et Daigorô dans Lone Wolf and Cub, avec cette fois un adulte qui sauve plutôt que de tuer, mais toujours l’enfant pour lui rappeler qui il est et ce qu’il fait…

 

Mais le volume 2 comprend aussi des séquences plus brèves, entre les arcs majeurs. Elles sont plus ou moins convaincantes… L’introduction du personnage d’Otto ne m’a donc pas vraiment emballé, et il en va de même quand Runge revient sur l’affaire, ou, surtout, quand nous assistons à la déchéance toujours plus marquée d’Eva, l’ex-fiancée de Tenma – Urasawa, la concernant, fait vraiment beaucoup trop dans le pathos presse-bouton, et on y devine le prélude à un retournement de situation qui opèrera en gros dès le volume suivant, sans surprendre personne… En fin de volume, l’association d’Anna à un ex-tueur de la mafia, chargé de la former, intéresse un peu plus, mais cet épisode est pour le coup très expédié. Cependant, ce volume 2 comprend un petit arc de transition entre les deux arcs principaux, et que j’ai trouvé cette fois très réussi, quand Tenma est amené à suivre et aider un médecin de campagne, belle âme sous ses airs bourrus, et qui, avec Dieter en sus, contribue à rappeler au docteur japonais qui il est au juste. Dit comme ça, ça fait sans doute gros sabots (si j'ose dire), mais ces épisodes fonctionnent vraiment très bien.

 

Le volume 3 est plus dispersé : j’y compte quatre petits arcs, avec deux séquences intermédiaires – pour le coup, ces dernières s’en tirent pas mal, la séquence de l’auto-stop prolongeant d’une certaine manière celle du médecin de campagne, tandis que le piège tendu par Runge à Tenma (et sa résolution pour le coup nécessaire) intéresse davantage que les brèves allusions à l’inspecteur dans le tome précédent (à vrai dire, on pourrait y voir un cinquième arc). Si la séquence impliquant à nouveau Eva, non sans redondance avec le tome précédent (Tenma a dû se faire chirurgien pour un criminel) mais aussi avec le contenu de ce même volume (Tenma bon médecin même avec ses ennemis), ne m’a en toute logique pas passionné, l’arc introductif auprès d’un criminologue, ancien collègue de fac, et suspicieux, fonctionne plutôt bien (avec un côté très Mindhunter mais 25  ans plus tôt), la séquence niçoise avec Anna encore mieux (en dépit d’une compassion de la jeune fille à l’égard d’un des assassins de ses parents que rien ne permet vraiment de justifier…), et il en va de même pour la fin du volume, un arc tout juste entamé pour le coup, qui, loin de Tenma et loin d'Anna, en se focalisant sur un jeune étudiant désespéré du nom de Karl, dans une relation impossible avec son père, ramène Johann au cœur de l’histoire, en préparant le terrain pour de futures monstruosités – méfiance tout de même, car ce genre de ruptures brutales, dans 20th Century Boys, m’a aussi souvent convaincu que déçu ; on verra bien…

 

Pas grand-chose de plus à dire pour l’heure – mais il faut bien toucher deux mots du dessin, qui est toujours aussi parfait. Je l’avais déjà relevé dans 20th Century Boys, Urasawa a un vrai don pour représenter les enfants – Dieter n’est pas le seul à en témoigner ici. Sinon, eh bien, je suppose qu’il a des « personnages récurrents », et aussi bien Otto qu’Anna ou Baby ou Wolf m’ont rappelé des personnages de 20th Century Boys, mais, le cas d’Anna mis à part, qui m’a tout de même pas mal évoqué… Kanna, je ne peux pas prétendre que cela a été problématique (et Anna est, broumf, aussi, euh, craquante, que Kanna).

 

Clairement, le niveau a baissé après l’excellent premier volume – ce qui n’a au fond rien d’étonnant, justement parce qu’il était vraiment excellent… Ceci dit, Monster demeure un thriller efficace et palpitant dans ces deux gros tomes – moins bien, mais bien quand même.

 

À suivre avec le volume 4

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Notre Hikari Club, d'Usamaru Furuya

Publié le par Nébal

Notre Hikari Club, d'Usamaru Furuya

FURUYA Usamaru, Notre Hikari Club, vol. 1, [Boku no Hikari Kurabu ぼくのひかりクラブ], traduction [du japonais] et adaptation par Naomiki Sato et Marie-Saskia Raynal, [s.l.], IMHO, [2011] 2017, 200 p.

Notre Hikari Club, d'Usamaru Furuya

FURUYA Usamaru, Notre Hikari Club, vol. 2, [Boku no Hikari Kurabu ぼくのひかりクラブ], traduction [du japonais] et adaptation par Naomiki Sato et Marie-Saskia Raynal, [s.l.], IMHO, [2012] 2017, 192 p.

Je me sens un peu tout con, là – parce que je vais faire les choses à l’envers, bien obligé. En effet, je vais vous parler d’une BD qui est une préquelle à une autre BD… que je n’ai pas lue. J’aurais pu me renseigner plus avant, au moment de l'achat, mais je me suis fait avoir par la proximité des titres et les vagues souvenirs que j’avais de l’interview de l’auteur dans le n° 2 d’Atom (le premier que j’ai lu) ; l’auteur, en l’espèce, étant Furuya Usamaru, dont je vous avais déjà parlé il y a quelque temps de cela pour une autre série en deux tomes, Je voudrais être tué par une lycéenne. Quand j’ai réalisé le souci, j’ai bien essayé de me procurer la BD originelle, parue chez le même éditeur que cette préquelle, IMHO, mais j’ai fait chou blanc… Bon, peut-être n’est-ce pas si problématique en vérité – je ne sais pas, ceux qui savent pourront me contredire…

 

À l’origine, il y avait donc Litchi Hikari Club – et ce n’était pas une bande dessinée, mais une pièce de théâtre, créée en 1985 par la troupe barrée du Tokyo Grand Guignol, avec un matériel promotionnel signé Maruo Suehiro. Le mangaka Furuya Usamaru, séduit par l’expérience, a obtenu de l’adapter en bande dessinée vingt ans plus tard, sous le titre donc de Litchi Hikari Club, en 2005-2006. Le succès a été au rendez-vous, qui a suscité de nouvelles déclinaisons, en série animée (2012) et en film live (2016). Mais Furuya lui-même n’en avait pas fini avec cette histoire qui l’obsédait, et, en 2011-2012, avec l’accord des créateurs, il avait publié en revue une préquelle, intitulée Notre Hikari Club, et c’est donc la BD dont je vais vous parler aujourd’hui, parue en français chez IMHO fin 2017, en deux volumes.

 

Nous sommes dans la ville de Keikô – une cité industrielle gangrenée par la pollution, et dont le ciel est invariablement obscurci par les fumées d’usines. On n’y trouve pas moins des gamins qui jouent dans les bâtiments abandonnés, comme partout. Trois écoliers, Tamiya, Kanéda et Daf, sont inséparables – et Tamiya est « leur chef », tout naturellement : c’est ce gamin merveilleusement brillant et péniblement charismatique, qui focalise presque malgré lui l’attention, comme il y en a dans toutes les cours de récréation. Ceci étant, il est très gentil, et pas du genre à se vanter ou à abuser de son autorité naturelle – ses sentiments pour ses deux comparses sont sincères. Et, à son initiative, ils créent, comme tous les gamins, un club, leur club, en forme de plus ou moins société secrète, le Hikari Club – qui a sa base, forcément secrète aussi, dans une usine abandonnée, un terrain de jeu idéal, où s’entraîner à la fronde, ou jouer aux échecs, ou se raconter des histoires et faire de grands projets…

 

Mais l’affaire tourne mal, quand un petit nouveau à l’école découvre l’existence du Hikari Club et obtient de l’intégrer (il sera suivi par d’autres encore). Tsunékawa a tout du petit génie – y compris la psychopathie. Et il joue encore mieux aux échecs que Tamiya. Si le nouveau venu se montre tout d'abord discret, il n'en subvertit pas moins progressivement le Hikari Club – et si Tamiya en demeure le chef nominal, dans les faits c’est le petit garçon à lunettes qui le dirige véritablement. Et, avec lui, le Hikari Club va prendre une tout autre tournure…

 

Tsunékawa ne veut pas grandir – il ne veut pas devenir un de ces haïssables adultes. Sa fascination pour la figure du jeune empereur romain Héliogabale l’amène à imposer au Hikari Club un projet visant à conquérir le monde quand il atteindra l’âge symbolique de 14 ans. Pour ce faire, ils vont construire ensemble un grand robot ! Un vrai robot – car Tsunékawa est un génie, oui, et sait s’entourer d’éléments efficaces, comme le petit programmateur que tout le monde appelle Calcul…

 

Mais le projet va au-delà – car la seconde figure tutélaire de Tsunékawa est... Adolf Hitler. Insidieusement, Tsunékawa, bientôt l’empereur Zéra, subvertit le Hikari Club avec une idéologie mais aussi bien une esthétique ouvertement fascistes ; l’innocent Hikari Club devient une société secrète insurrectionnelle en forme de mini-dystopie, dont les membres vouent une adoration inconditionnelle à Zéra, savamment entretenue par des rites variés et un discours habilement conçu – ce qui passe entre autres par l’apprentissage de l’allemand (en mode aboiements), l’appel et la répétition quotidienne des mêmes dix commandements conçus par Zéra, etc. Les costumes des petits garçons, déjà étonnants au départ, évoluent avec l’entrée au collège – ils incarnent alors un fantasme fétichiste et SM cuir, qui doit beaucoup aux SS…

 

À vrai dire, la sexualité, ou l’éveil à la sexualité, est forcément de la partie – avec cette dimension sadomasochiste. Cependant, la BD met avant tout l’accent sur les questions de genre et l’homosexualité – Raïzo se considère comme une fille, et forcément la plus jolie, tandis que le sadique Jaïbo suce quotidiennement Tsunékawa dès les toutes premières montées de sève. Le trait particulièrement fin de Furuya Usamaru, qui pour le coup emprunte peut-être à Maruo Suehiro, une de ses influences majeures et qui avait eu son rôle dans le Litchi Hikari Club originel, tend d’ailleurs à appuyer sur une certaine androgynie chez ces enfants qui deviennent adolescents : ces petits garçons ont ainsi tous quelque chose d’efféminé. Je dois avouer que je ne sais pas vraiment que penser de cette orientation… Cependant, cette société demeure dans les faits très masculine, l’absence des filles se fait malgré elle sentir – et le robot Litchi, qui devait conquérir le monde au nom de Zéra, se voit confier une mission prioritaire moins ambitieuse : enlever des filles…

 

Zéra n’est pas là pour rigoler. La soumission inconditionnelle du Hikari Club à ses fantasmes puérils dégénère bien vite – humiliation, automutilation, enlèvement, séquestration, torture, meurtre… La société secrète enfantine devient bien vite une association criminelle, quelque part entre la secte fanatisée et le groupuscule terroriste d’extrême droite.

 

Tamiya finit par s’en rendre compte – lui qui demeure le chef nominal du Hikari Club, mais n’en est pas moins soumis de longue date aux diktats de Zéra, comme les autres, sans davantage trouver à y redire. La rébellion n’est pas totalement absente chez lui – mais tient-elle avant tout à son bon fond, supposé, ou à sa jalousie de dépossédé, plus que probable ? La pulsion de la soumission et de l’obéissance inconditionnelle au chef, la lâcheté aussi, car ce ne sont pas tout à fait les mêmes choses si elles sont liées, sont cependant de la partie en égale mesure…

 

Tout cela est extrêmement glauque. Bon, on le sait en s’y engageant, hein – même sans la référence à Litchi Hikari Club. Mais, oui, pour le coup, c’est assez rude – et si le premier volume s’en tient à une approche globalement « psychologique », le second est autrement plus explicite, pour la violence comme pour la sexualité. Il y a notamment une scène d’automutilation parfaitement horrible et qui, je l’avoue, m’a fait détourner, euh, les yeux. Ce qui ne m’arrive pas souvent, même si je me souviens encore en frissonnant d’une séquence particulière du deuxième volume des Carnets de massacre de Kago Shintarô (même s’il s’agissait là de gore rigolo).

 

Mais cette bande dessinée est d’abord et avant tout perverse sur un plan psychologique, oui. À la lecture de Notre Hikari Club, à tort ou à raison, je me suis vaguement souvenu de ce que j’avais pu lire ou voir à propos de certaines expériences psychologiques un tantinet borderline, celle de Milgram, celle de Stanford, celle, surtout, dans un contexte encore plus problématique mais faisant directement référence à la gestation d’un courant fasciste chez des adolescents, celle donc de la Troisième Vague. La seule autre BD de Furuya Usamaru que j’ai lue, Je voudrais être tué par une lycéenne, était focalisée sur des problématiques psychologiques ou psychiatriques – peut-être est-ce aussi pour cela que j’ai été amené à avoir ces références en tête.

 

Ceci dit, puisqu’on en est aux références, je ne peux pas m’empêcher de remarquer combien Notre Hikari Club, à certains égards, constitue un reflet glauquissime du point de départ de 20th Century Boys, d’Urasawa Naoki. Attention, hein : le terme « référence » pourrait induire en erreur, je ne prétends pas qu’il y ait quoi que ce soit de conscient ici – d’autant que la pièce de théâtre Litchi Hikari Club est antérieure de quinze ans à la série d’Urasawa. On est même en droit de se demander, si ça se trouve, si ce ne serait pas Urasawa qui aurait été inspiré par la pièce du Tokyo Grand Guignol ? Il y a même le robot, après tout... Bon, je dis peut-être des bêtises, dans un sens ou dans l'autre, mais, en tant que lecteur, très ignare par ailleurs, je ne peux pas évacuer totalement ces ressemblances, et c'est sans doute ce qui compte. À grande échelle, Zéra n’est peut-être pas aussi inquiétant qu’Ami (dans le contexte du moins de cette préquelle, il en va peut-être autrement dans Litchi Hikari Club), mais, à un niveau plus micro, il se montre d’une perversion bien plus outrancière et frontale – la société en gestation elle-même est cauchemardesque, pas seulement l’aboutissement apocalyptique ; la dystopie est déjà là, au niveau de la simple bande de gosses – bien suffisamment concrète et terrible en tant que telle… Si c’est bien d’un reflet dans un miroir qu’il s’agit, il en résulte un tableau bien plus glauque de l’enfance et de la perversion, qui a quelque chose en même temps d’un grand éclat de rire cynique et/ou sadique, bien dans la manière du personnage de Jaïbo…

 

Tout cela participe de la réussite de la BD – il ne s’agit pas pour autant de crier au chef-d’œuvre : Notre Hikari Club fonctionne très bien sur le moment, mais je doute un peu que cette BD me laisse un souvenir très persistant. La lecture complémentaire de Litchi Hikari Club s’impose sans doute pour mieux trancher cette question. Mais le présent manga bénéficie d’une force indéniable dans ses dimensions de cauchemar pervers – de dystopie fasciste en culottes courtes (et casquettes de cuir).

 

Une petite déception, tout de même, concernant le dessin – que j’ai trouvé moins convaincant que dans Je voudrais être tué par une lycéenne, laquelle BD bénéficiait notamment d’une grande astuce dans le character design ; Notre Hikari Club use à l’évidence de procédés semblables (la mèche d’untel, la gestuelle de tel autre, la bouche de tel autre encore…), mais avec moins de réussite. Les décors sont très bons, mais cette BD se focalise quand même bien davantage sur les traits des protagonistes, sur un arrière-plan généralement minimaliste, approche qui m’a bien moins convaincu. Par ailleurs, le choix d’un trait particulièrement fin renvoie peut-être à Maruo Suehiro, mais, pour le coup, le champion de l’ero guro se situe indéniablement à un tout autre niveau.

 

Mais l’expérience, si c’est bien de cela qu’il s’agit, en valait la peine, oui. Il me faudrait, maintenant – et donc un peu tardivement – lire Litchi Hikari Club… Bon, on verra si j’arrive à mettre la main dessus.

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Monster, vol. 1 (intégrale Deluxe), de Naoki Urasawa

Publié le par Nébal

Monster, vol. 1 (intégrale Deluxe), de Naoki Urasawa

URASAWA Naoki, Monster, vol. 1 (intégrale Deluxe), [Monsutâ kanzenban vol. 01 モンスター完全版01], [histoire coécrite avec Takashi Nagasaki], traduit [du japonais] et adapté en français par Thibaud Desbief, Bruxelles, Kana, coll. Big, [1995, 2008, 2010] 2015, 428 p.

Je retourne aux mangas d’Urasawa Naoki après une longue pause… et avec une autre série. Jusqu’ici, je vous parlais de 20th Century Boys, série qui a connu des hauts très hauts et des bas très bas – seulement, la récurrence de plus en plus marquée de ces derniers, et le sentiment que tout cela n’allait nulle part, m’avaient amené, la mort dans l’âme, à lâcher l’affaire avec le tome 10 « Deluxe »… Il n’en restait plus que deux, pourtant, mais je ne me le sentais pas, vraiment pas. Peut-être un jour y reviendrai-je… Mais pas tout de suite.

 

Cependant, je n’en avais pas forcément fini pour autant avec Urasawa Naoki – ne serait-ce que parce que mon scepticisme un peu navré concernant l’évolution de 20th Century Boys était partagé par d’autres lecteurs, qui ne manquaient cependant pas de louer d’autres BD de l’auteur, et surtout, de manière assez unanime, Monster ; plus récemment, une longue et très intéressante interview dans la revue Atom a enfoncé le clou, et je me suis dit que je pouvais bien tenter de nouveau de lire une BD de l’auteur, et que cette BD serait Monster.

 

Monster, au milieu des années 1990, est semble-t-il une BD qui a compté dans la carrière de l’auteur – car beaucoup plus personnelle, et beaucoup plus sombre aussi, que la plupart des mangas qu’il avait commis jusqu’alors, des mangas sportifs notamment, qui avaient remporté un immense succès au Japon. Monster, sous cet angle, était donc d’une certaine manière un pari, et même un sacré pari, et il s’est avéré payant : la BD a connu un grand succès à son tour, qui a aussi semble-t-il favorisé l’exportation des œuvres de l’auteur. On semble considérer, dès lors, que Monster est la série qui a ouvert la voie pour d’autres, comme 20th Century Boys, donc, mais aussi Pluto (une BD semble-t-il très bien notée, mais que je n’ai jamais osé lire, de peur que mon ignorance totale du matériau source chez Tezuka m’empêche de vraiment apprécier la chose…) ou plus récemment Billy Bat.

 

Mais Monster se singularise d’emblée par son genre et par son contexte. Si les trois autres séries citées comportent toutes des éléments relevant de l’imaginaire, et notamment de la science-fiction, Monster est, pour l’heure en tout cas, un thriller – il s’y passe assurément des choses très, très étranges, mais rien de frontalement fantastique ou SF dans l'immédiat.

 

Ensuite – et c’est un choix assez surprenant, pour le coup –, la BD se passe bien loin du Japon, en Allemagne, entre les années 1980 et 1990, avec la chute du mur pour point de pivot : les premiers épisodes prennent place en 1986, les suivants neuf ans plus tard – une grosse ellipse qui annonce celles de 20th Century Boys ? Ce pari de délocaliser l’intrigue était pour le coup très casse-gueule – mais je ne me sens vraiment pas de dire si Monster, à cet égard, sonne juste ou faux.

 

Notre héros est cependant un Japonais (faut pas déconner, non plus !), le Dr Tenma. Jeune et brillant chirurgien, il s’est expatrié et travaille dans une riche clinique de Düsseldorf, où il est de toute évidence promis à un brillant avenir. Car il n’est pas seulement doué, il est aussi conciliant. Il obéit aux ordres, se fait piller ses travaux de recherche sans sourciller… Bon, et il va épouser la fille du patron, aussi. Il est assez effacé, finalement... Poli, aimable...

 

Mais un drame se produit, qui lui fait ouvrir les yeux : une nuit, la direction ordonne au médecin de déprogrammer une opération pour s’occuper en urgence d’un chanteur d’opéra – l’ouvrier turc qu’il devait opérer, confié à des mains moins habiles, ne survit pas à ce changement de planning. Tenma perçoit alors seulement combien l’ambiance à l’hôpital est délétère – seul l’argent compte, et la réputation au seul prisme de l’argent. La direction se moque bien des patients – les supérieurs et les collègues de Tenma n’ont pas la moindre éthique – jusqu’à sa fiancée qui est d’un cynisme achevé ! (C’est à vrai dire un personnage beaucoup trop détestable à mes yeux, j’y vois la principale et peut-être la seule fausse note de ce premier volume…).

 

Une autre nuit, l’histoire semble se répéter. On amène en urgence à l’hôpital deux enfants – d’un couple de ressortissants de l’Allemagne de l’Est, qui venaient juste de franchir la frontière… et qui ont été sauvagement assassinés sous les yeux des petits ! La fille est psychologiquement affectée, mais le petit garçon est blessé par balle, et seul un chirurgien d’exception tel que Tenma est en mesure de le sauver… Mais voilà que la direction ordonne à Tenma de laisser tomber, et de s’occuper en priorité d’un autre patient – le maire de Düsseldorf ! Tenma refuse – pas de passe-droit pour les huiles, pas après ce qui s’est passé avec l’ouvrier turc ! Le bon docteur sauve le petit garçon… et le maire meurt dans la nuit. La carrière de Tenma est foutue – on ne le vire pas, il est trop utile pour cela, mais il n’a aucun espoir de progression, ses recherches ne donneront jamais rien faute d'appui, et sa fiancée le plaque aussitôt, et très salement, pour un collègue moins tatillon en matière de morale. Qu’importe ? Tenma, dans cette rébellion, a retrouvé l’âme du vrai médecin ; le sens ultime de son métier...

 

Mais un autre événement se produit bientôt – une série de morts mystérieuses qui affectent la direction et le personnel de l’hôpital. Ces décès très ciblés… arrangent en fait les affaires de Tenma, d’une manière totalement inattendue ! Il peut finalement faire carrière ! Ce qui ne manque pas d’éveiller les soupçons de la police, et notamment de l’intimidant détective Runge… Lequel ne dispose cependant pas du moindre élément à charge contre le jeune et brillant chirurgien japonais.

 

Tout ceci ? Un long, indispensable (et très habilement conçu) prologue – qui occupe la moitié de ce volume, soit, comme pour 20th Century Boys, le premier volume « standard » de la série : cette « intégrale Deluxe » rassemble dans chaque tome deux volumes de l’édition originale.

 

La série prend alors son envol, après une ellipse de neuf ans. Le monde a changé autour de Tenma – le mur est tombé, l’Union soviétique s’est effondrée, la guerre froide n’est plus. Lui ? Il est toujours ce brillant chirurgien, discret mais serviable, que ses patients adorent...

 

Mais la rumeur de meurtres inexpliqués dans plusieurs endroits en Allemagne parvient aux oreilles du chirurgien, qui est bien obligé, une fois encore, d’ouvrir enfin les yeux, lui qui était porté à les garder éternellement fermés. Cette fois, il ne s’agit pas de l’amoralisme d’éminentes figures de sa profession, mais bien de sa responsabilité personnelle. Ces meurtres, Tenma est amené à comprendre qu’ils ont peut-être été commis… par Johann, ce petit garçon qu’il avait sauvé neuf ans plus tôt ! Dès lors, n’a-t-il pas sa part de responsabilité dans les assassinats commis par son patient, qui n'a survécu que grâce à lui ? Il avait pourtant l’air si innocent – comme tout petit garçon de dix ans… Le remords, la crainte d’y être effectivement pour quelque chose, même si cette manière de s’accaparer la responsabilité des actes commis par son patient a sans doute quelque chose d’égotiste et d’invasif, tout cela incite le bon docteur à agir, quitte à sacrifier sa carrière (de toute façon menacée par l'enquête de police, qui rouvre opportunément). Mais la priorité est bien de retrouver la sœur du « Monstre » ; car elle est probablement la seule à même d’expliquer ce qui s’est passé. À ceci près qu’elle est amnésique, comme de juste – et placée dans une famille d’accueil qui n’a jamais pu se résoudre à lui révéler qu’elle a été adoptée, que ses parents biologiques ont été assassinés, et qu’elle avait un frère, de longue date disparu…

 

Je ne suis pas, de manière générale, très client du genre thriller. Laissé entre trop de mains médiocres, il a quelque chose de souvent bien trop mécanique à mon goût, a fortiori quand cette mécanique est très apparente, sans qu’il ne s’agisse pour autant véritablement de jouer de ce dispositif. Il y a certes des exceptions, chez les plus roublards et futés des maîtres du genre – un Hitchcock en tête, comme de juste. Avec Monster, pour l’heure en tout cas, Urasawa Naoki, par chance, se montre un de ces maîtres roublards et futés ; la mécanique est là, voyante, mais elle fonctionne admirablement bien – ce premier volume de Monster est le légendaire page-turner que l’on nous promet toujours dans le genre. Il est clair qu’Urasawa Naoki sait raconter une histoire – lui, et son compère Nagasaki Takashi, qui est discrètement de la partie, comme souvent. Et c’est d’une efficacité admirable – littéralement la BD que l’on ne lâche pas une fois qu’on l’a entamée, et qui, une fois la dernière page retournée, incite à se précipiter aussitôt chez son dealer de BD pour acquérir une dose de plus ; je vous parlerai du coup très prochainement de la suite, les tomes 2 et 3 dans un premier temps…

 

Mais l’habileté narrative d’Urasawa Naoki est en même temps d’ordre graphique. La finesse, la limpidité, la vivacité de son trait sont proprement admirables – comme elles le seraient plus tard dans 20th Century Boys, un point que je n'ai jamais mis en doute, et, je suppose, dans d’autres titres encore. Le style graphique d’Urasawa Naoki bénéficie d’une vraie personnalité, il est immédiatement reconnaissable, mais son principal atout réside dans cette admirable fluidité, qui n’est pas si commune dans le monde du manga – tout particulièrement au regard des scènes d’action. Le découpage précis mais sans esbrouffe s’associe à la clarté des situations comme à la très habile caractérisation des personnages pour donner un résultat impressionnant, qui emporte l’adhésion, tant tout semble couler sans effort – une « simplicité » qui ne vaut que pour le lecteur, car on devine derrière un travail très attentif de l’auteur. C’est remarquable, véritablement remarquable.

 

Autant dire que je suis très enthousiaste au sortir de ce premier volume « Deluxe » de Monster. J’ai vraiment beaucoup aimé, c’est bel et bien un modèle de thriller, très bien conçu, toujours fluide, toujours palpitant, animé par de bons personnages (la fiancée mise à part, trop caricaturale), et avec à l’arrière-plan un fond éthique d’une profondeur insoupçonnée. Ça se dévore de la première à la dernière page, et on réclame illico la suite – qui ne tardera pas, donc.

 

Demeure pourtant une crainte – celle que, sur la durée, Monster s’essouffle, à la manière de 20th Century Boys ; la déception serait alors à la mesure de l’enthousiasme initial… Espérons qu’il n’en sera rien – et gardons-nous de trop anticiper, ici : le plaisir de la BD, c’est d’abord ici et maintenant. Et, ici et maintenant, ce premier tome de Monster emporte sans peine l’adhésion.

 

La suite avec le volume 2.

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Deathco, vol. 2 et 3, d'Atsushi Kaneko

Publié le par Nébal

Deathco, vol. 2 et 3, d'Atsushi Kaneko

KANEKO Atsushi, Deathco, vol. 2, [Desuko デスコ], traduction [du japonais par] Aurélien Estager, [s.l.], Casterman, coll. Sakka, [2015] 2016, [208 p.]

Deathco, vol. 2 et 3, d'Atsushi Kaneko

KANEKO Atsushi, Deathco, vol. 3, [Desuko デスコ], traduction [du japonais par] Aurélien Estager, [s.l.], Casterman, coll. Sakka, [2015] 2016, [192 p.]

Retour à Deathco, de Kaneko Atsushi, avec ces tomes 2 et 3 qui approfondissent l’univers de la série et ses personnages, après un tome d’introduction assez déstabilisant, et qui ne m’avait vraiment convaincu qu’à la relecture. Peut-être cette expérience a-t-elle été formatrice, car la lecture de ces deux tomes suivants a eu un impact positif bien plus immédiat – et, chose à noter je suppose, j’ai rarement passé autant de temps sur des volumes de mangas aussi lapidaires en matière de texte, m’arrêtant sur chaque case pour apprécier le dessin assez singulier de l’auteur ; quand je parle d’un texte limité, ce n’est donc pas du tout avec la même frustration, voire le même agacement, que pour un One-Punch Man, par exemple (par ailleurs pas dépourvu d’intérêt graphique, même si dans un genre bien plus convenu). Le fait est que Kaneko Atsushi fait ici des merveilles, avec ses grands aplats de noir caractéristiques, sa touche cinématographique, son découpage inventif.

 

Par ailleurs, le texte, qui n'est certes pas absent non plus, hein, est bon, le scénario aussi, et un semblant de trame de fond se dessine peu à peu dans ces deux tomes, même si sans rien de vraiment fondamental pour l’heure ; il y a bien une grosse révélation, oui, mais qui n'engage peut-être pas encore à grand-chose. On reste surtout concentré sur les missions confiées aux Reapers, dont Deathko elle-même, par la mystérieuse Guilde. En gros, entre ces deux tomes, on suit trois d’entre elles.

 

On conclut tout d’abord l’arc amorcé dans le tome 1, « Croisière de rêve », et dans lequel notre tueuse gogoth-punk cintrée s’en prend à un escroc sanguinaire qui gagne sa vie en balançant aux requins des clients désireux de fuir à l’autre bout du monde. Le détestable et cynique criminel, et dans une égale mesure l'angoisse palpable de son associé, suscitent une ambiance soignée qui emporte l'adhésion.

 

Un deuxième arc se partage entre ces deux tomes, « Le Terrain de jeux », qui confronte les Reapers à un Trophée de poids : un tortionnaire sadique, bien décidé à extirper la vérité sur la Guilde aux Reapers qu’il capture et met au supplice. Ce qui vaut d’une certaine manière pour Deathko : elle qui, jusqu’alors, éliminait ses proies la fleur au fusil, tombe cette fois sur un os, quelqu’un d’aussi redoutable qu’elle, et qui la capture... Cela pourrait être une étape classique de « montée en puissance » typique de ce genre de BD, mais, dans l’ambiance, il y a quelque chose de bien plus troublant – l’attitude des Reapers, globalement, mais surtout de Deathko, à l’encontre de ce contrat hors-normes, laisse deviner comme une forme de masochisme pour le coup assez inattendue. Un arc cruel et terrible, ce qui n’exclut en rien l’humour bizarre, loin de là, et qui fait dans tous les cas son petit effet.

 

Enfin, un troisième arc est initié dans le tome 3, « Le Fluide », qui confronte assez classiquement Deathko à un savant fou dont les recherches pourraient bien annihiler l’humanité, mais avec ces petits trucs en plus qui assurent la singularité de la BD, là encore bien moins convenue qu’elle n’en a l’air – dans l’obsession froidement misanthrope du savant, plus encore dans les rêveries puériles de son soutien plus ou moins politicard, à fond dans un ego-trip digne d'un Trump (mais en probablement bien moins stupide). L’ensemble conserve ainsi la saveur de Deathco, outrance et folie, dans un contexte noir, excessif, drôle et repoussant à la fois.

 

Entre ces arcs, Kaneko Atsushi ménage aussi des épisodes isolés qui approfondissent l’univers, notamment via les personnages – ceci étant, chaque épisode intégré dans un arc comprend aussi ce genre d’apartés bienvenus, assez comics dans l’esprit, mais qui s’intègrent parfaitement à Deathco. Notre héroïne y passe elle-même, toujours aussi dingue, menteuse compulsive et dépressive démonstrative – voyez la séquence excellente dans laquelle la gamine tueuse erre dans une supérette, un nuage noir de convention au-dessus de sa tête !

 

Mais, à mon sens, c’est surtout quand la série s’arrête sur des personnages secondaires, ici, qu’elle emporte vraiment l’adhésion – cette construction plus complexe bénéficiant à l’ensemble de la BD. Cela vaut tout d’abord pour les compagnons directs de Deathko : Madame M., la propriétaire du château où se morfond notre héroïne entre deux contrats, et qui a bien des choses à révéler (elle n’a absolument rien de la caricature de nerd que j’avais cru y voir dans le premier tome – je ne m’étais décidément pas montré assez attentif, c'est peu dire…) ; mais aussi et surtout Lee, le chauffeur de Madame M., assigné par ladite au convoyage et à la protection de Deathko – qu’il hait profondément et de manière très ouverte. Ce petit bonhomme aux traits de vampire cartoonesque est un des plus enthousiasmants apports de ces deux tomes.

 

Mais d’autres personnages sont aussi approfondis, du côté de la concurrence (bien à la traîne…) de Deathko, les autres Reapers – notamment les pom-pom girls psychopathes emmenées par cette connasse de Kaho, un personnage qu’on adore détester, ou encore, faire-valoir comiques de premier choix, les ridicules et attachants Super Skull et Hyper Skull, notamment quand ils flippent sur le terrain de jeux, avec leur compte à rebours avant d’agir qui recule sans cesse, gimmick tout con mais magnifiquement efficace…

 

Tout ceci contribue à l’ambiance de la série, noire et drôle dans ses excès – finalement, le premier tome, d’introduction, porte bel et bien ses fruits ; et ça valait le coup de s’y remettre puis de poursuivre, car la suite est cette fois immédiatement enthousiasmante. Bon, il faut raison conserver : je ne suis pas en train de vous parler d’un chef-d’œuvre indispensable, mais d’un chouette divertissement bien troussé, efficace, et moins convenu qu’il n’en a l’air. Ceci pour le fond : la forme, le dessin en l’espèce, est bien l'atout majeur de Deathco, série qui, oui, vaut bien qu’on prenne le temps de savourer chaque case, et qui pour le coup convainc bien autrement que le seinen lambda.

 

La suite un de ces jours…

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Gérard Abdaloff te parle d'Umezu Kazuo

Publié le par Nébal

Gérard Abdaloff te parle d'Umezu Kazuo

Parce qu’on lui a fait un pont d’or (forcément) et qu'on lui a promis un nouveau fauteuil (à roulettes) pour balbutier de la merde dans un micro, ce connard de Gérard Abdaloff a refait un saut à la Salle 101 (de sinistre mémoire).

 

Ses victimes ? Les (excellentes) BD d’Umezu Kazuo publiées au Lézard Noir, soit La Maison aux insectes, Le Vœu maudit, La Femme serpent, et plus particulièrement Je suis Shingo (tomes 1, 2 et 3).

 

C’est vraiment un enfoiré qui pue. Vous pouvez en juger par vous-mêmes en écoutant cette émission dégénérée ici. Plus précisément de 12,42 jusqu'à 30,40.

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Yuko, de Ryôichi Ikegami

Publié le par Nébal

Yuko, de Ryôichi Ikegami

IKEGAMI Ryôichi, Yuko – Extraits de littérature japonaise, [Ikegami Ryôichi jisenshu Yuko 池上 遼一自選集], traduction [et] adaptation [du japonais par] Patrick Honoré, Paris, Delcourt – Tonkam, [2010] 2016, 448 p.

Ikegami Ryôichi est un dessinateur (surtout) assez singulier dans le monde du manga – au style très personnel, souvent très réaliste aussi, bien éloigné des codes généralement associés au registre. On le connaît essentiellement pour des œuvres « adultes » (seinen est une catégorie peut-être trop restrictive ?), et, en France, plus particulièrement pour Crying Freeman, BD scénarisée par Koike Kazuo – qui a fait partie des premières traductions populaires de manga en France, du temps de la revue Kameha de Glénat. Mais c’est surtout, donc, un dessinateur – généralement associé à un scénariste (et, en fait de revue, c'est à nouveau Atom qui m'a amené à faire l'acquisition de ce volume).

 

Le cas de Yuko – Extraits de littérature japonaise n’en est que plus particulier… et peut-être un peu trompeur ? En effet, nous avons ici bien plus de Yuko que d’Extraits de littérature japonaise… De fait, les éditions Tonkam avaient publié en 1999 un recueil intitulé Nouvelles de littérature japonaise (traduction de Kindai Nihon bungaku meisaku-sen 近代日本文学名作選), dans lequel Ikegami Ryôichi, grand amateur de cette littérature, adaptait cinq nouvelles japonaises classiques, datant pour l’essentiel du début du XXe siècle, et notamment de l’ère Taishô. Mais seulement trois de ces histoires ont été reprises pour les présents Extraits de littérature japonaise – les adaptations d’Akutagawa Ryûnosuke, Kikuchi Kan et Izumi Kyôka ; celles d’Edogawa Ranpo (hélas ?) et de Yamamoto Shûgorô sont donc passées à la trappe, pour une raison qui m’est inconnue. Je le regrette d’autant plus que, pour être franc, c’était cette dimension de ce recueil qui m’attirait le plus – et, après lecture, les trois adaptations qui demeurent sont probablement les récits qui m’ont le plus parlé dans ce gros volume.

 

Or ils n’en représentent qu’une petite part : le plus gros du recueil porte sur des nouvelles (au nombre de neuf, dont une en deux parties) dont Ikegami Ryôichi est à la fois le dessinateur et le scénariste – chose rare, donc. Ce sont par ailleurs des récits où le sexe est souvent au premier plan, avec une dimension perverse voire malsaine assez clairement revendiquée, pour un résultat étonnamment cru même sans être à proprement parler pornographique. Je ne suis pas un père-la-pudeur, en matière de BD du moins (...), mais je suppose qu’il vaut mieux préciser que ce recueil est, selon la formule souvent un brin ridicule, « réservé à un public averti ».

 

Ceci étant, nous avons là un très bel objet, bien édité, et qui met en valeur le dessin si particulier d’Ikegami Ryôichi ; à vrai dire, c’est même un recueil de toute beauté au plan graphique, et, décidément, fort de sa singularité, même si, parfois, on peut avancer que ça se répète un peu (dans le dessin peut-être, dans le scénario sans doute). Ikegami Ryôichi livre bel et bien un travail graphique admirable, et la précision de ses décors comme la beauté presque palpable de ses personnages, hommes ou (surtout) femmes (pour le coup) dont il restitue le corps avec une délectation presque maniaque, ne peuvent qu’emporter l’adhésion du lecteur.

 

La composition de cette anthologie est un peu étrange, dans la mesure où elle opère à reculons : les histoires les plus récentes précèdent systématiquement les plus anciennes – nous commençons ainsi avec « Elle s’appelait Yuko », qui date de 1999, et nous finissons avec « Source profonde », qui date de 1991 (et toutes ces nouvelles ont été pré-publiées dans la même revue, Big Comic) ; les trois adaptations littéraires se suivent, mais ne sont pas autrement distinguées dans cet agencement général du recueil (elles datent de 1995 à 1997 – enfin, de 1997 à 1995, donc – bref, on se comprend…). Il est d’ailleurs à noter qu’il existe au Japon un second recueil du même tonneau, qui, en toute logique, comprend des récits antérieurs à ceux ici compilés (je ne sais pas ce qu’il en est pour les adaptations « oubliées » d’Edogawa Ranpo et de Yamamoto Shûgorô).

 

Rien, donc, ne distingue vraiment ici les trois Extraits de littérature japonaise de l’ensemble Yuko, mais, dans la mesure où c’est ce qui m’a avant tout attiré dans ce recueil, il me paraît sensé de commencer par là – d’autant que c’est donc ce qui m’a le plus emballé après lecture, et probablement aussi ce qu’il y a de plus subtil dans cet ensemble. Noter un autre point commun, non négligeable : ces trois histoires adoptent un cadre historique, plus ou moins défini, qui tranche sur les récits contemporains qui les précèdent dans le recueil (il y en a par contre deux autres cas dans les récits qui concluent l’anthologie). Je connaissais déjà une de ces histoires : en effet, sous le titre « L’Enfer », nous avons droit ici à une adaptation en bande dessinée de la fameuse et géniale nouvelle d’Akutagawa Ryûnosuke traduite sous le nom de « Figures infernales », dans l’excellent recueil Rashômon et autres contes. Adapter pareil chef-d’œuvre était forcément casse-gueule, mais Ikegami Ryôichi s’en tire remarquablement bien, et ceci alors même qu’il commet (à mon sens…) une « erreur » en « montrant » le paravent créé par le peintre au spectacle de la mort ignoble de sa propre fille ; la nouvelle est superbe, l’adaptation très réussie – et, même si le sexe n’est pas vraiment (?) de la partie, le ton très rude et malsain de cet épisode entre en résonance, de manière pertinente, avec le contenu plus érotisant de l’ensemble du recueil. Cela vaut, globalement, pour les deux autres adaptations, et d'abord « Le Donjon », d’après Izumi Kyôka, qui bénéficie également d’une certaine approche épique cette fois absente du reste du recueil, mais dont le fantastique plus ou moins appuyé suscite également des échos dans le reste de Yuko – avec à mon sens davantage de réussite, d’ailleurs, que dans « Le Serpent », par exemple. La troisième adaptation, de Kikuchi Kan, est « Un amour de Tôjûrô », une vraie merveille, qui atteint en cruauté, mais à sa manière bien particulière, purement psychologique, les sommets de « L’Enfer », ce qui n’avait rien d’évident. Vraiment, ces trois adaptations sont admirables, et je n’en regrette que davantage l’absence des deux autres adaptations originelles (en m’avouant très curieux, notamment, de ce que pouvait bien donner celle d’Edogawa Ranpo, maintenant que j’ai appris à apprécier cet auteur séminal ; j'aurais probablement été tenté de comparer avec les adaptations signées Maruo Suehiro, comme L'Île panorama et surtout La Chenille...).

 

Mais le reste du recueil (un peu plus des deux tiers) est donc consacré à des histoires scénarisées par Ikegami Ryôichi. Je suppose qu’on peut les diviser en deux groupes – séparés par les trois adaptations, de manière approximative, hein ; mais peut-être parce que la lecture, entre-temps, des trois adaptations, change le regard du lecteur sur le reste ? Le début du recueil est à vrai dire très surprenant – car c’est là que sont concentrés les récits les plus frontalement érotiques, avec un goût marqué de la perversion, sadomasochisme, fétichisme, bondage ; même si, à chaque récit, le sentiment redoutable d’avoir affaire à la plus terrible des cruautés dépasse largement les seuls jeux sexuels déviants. « Elle s’appelait Yuko », qui est non seulement le récit donnant son titre au recueil, mais aussi le plus récent de l’ensemble, est à mon sens le plus réussi dans ce registre, car il parvient remarquablement à faire l’équilibriste en étant en permanence sur la corde raide, mais aussi en « synthétisant » d’une certaine manière l’ensemble du recueil, par sa tension redoutable, sa beauté graphique contrastant avec la hideur morale du propos, mais aussi en proposant des échos singuliers aux récits qui suivent – antérieurs, donc, et cela inclut de toute évidence « L’Enfer ». Chose appréciable également, dans ce registre tout périlleux, Ikegami Ryôichi parvient à éviter l’écueil du machisme (il n’y parvient pas toujours dans les autres récits), en dessinant un portrait fascinant de femme forte jusque dans son exploitation, dont le charisme et la détermination écrasent littéralement la figure pathétique du mangaka désargenté qui lui est tout d’abord associée. Une vraie réussite, clairement. Les récits suivants (ou précédents, donc…) sont souvent assez proches dans l’esprit, mais avec des degrés de réussite variables : les fantasmes malsains de « La Cité maléfique » remuent à défaut de toujours convaincre, ce qui est toujours bon à prendre, mais pas totalement satisfaisant ; « Fleur noyée » anticipait joliment « Elle s’appelait Yuko », avec un même couple dysfonctionnel, mais l’accent narratif est cette fois mis sur l’homme passablement lamentable – le résultat est très convaincant. J’ai été moins convaincu par « L’Anneau » et surtout « Le Serpent », récit en deux parties dont j’ai l’impression qu’il a été plébiscité, à parcourir les critiques du recueil sur le ouèbe ; je les trouve inutilement tordus, et – surtout ? – un peu puérils, dans leur fixette fétichiste, même si c’est sans doute à propos dans le cadre du « Serpent », focalisé sur les fantasmes les plus moites (et convenus ?) d’un lycéen en pleine crise. En tout cas, ces deux récits m’ont bien moins parlé que ceux précédemment cités, à la fois plus subtils et plus outranciers dans leur perversion affichée.

 

Après les trois adaptations, il reste encore quatre récits scénarisés par Ikegami Ryôichi, généralement plus courts que les précédents. « Tu m’as touché en rêve » n’aurait pas dépareillé dans la première partie du recueil – en tant que récit contemporain jouant sur les fantasmes les moins avouables ; une dimension traitée sur un mode plus humoristique, ai-je l’impression, mais qui a encore quelque chose de la relative puérilité du « Serpent », aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à ce que cette histoire ne m’ait guère plu davantage – mais peut-être bénéficie-t-elle malgré tout d’une certaine ambiguïté morale, qui lui serait profitable ? Notamment concernant le machisme sous-jacent, cette fois – que faut-il penser de cette douloureuse scène d’attouchements dans les transports en commun (chikan), ou plutôt de ce qu’en déduit le personnage point de vue, et qui est si fondamental dans le récit ? Mais « Mémoire de la peau », histoire plus condensée et globalement plus subtile, m’a bien davantage parlé – et surtout les deux ultimes récits du recueil, très brefs et dénués de dialogues, qui renouent avec les cadres historiques des trois adaptations, avec une dimension poétique plus appuyée : « Feu follet » ne joue pas de la carte de l’érotisme, mais « Source profonde » bel et bien ; ces deux dernières nouvelles, très fortes, et joliment épurées, emportent l’adhésion.

 

Tout ne m’a donc pas plu dans Yuko – Extraits de littérature japonaise, et peut-être bien parce que je m’étais fait une image erronée de ce recueil. Cependant, il m’a plus d'une fois surpris, ce qui est généralement appréciable – et certains de ces récits, très érotiques, toujours un brin pervers, parfois malsains, ne m’ont certainement pas laissés indifférent. Seulement, certaines de ces nouvelles m’ont paru moins convaincantes, et peut-être même un peu nuisibles à l’ensemble, car mettant en avant, délibérément ou pas, une certaine répétition un peu regrettable. Le bilan demeure cependant positif, largement – et ceci même sans prendre en compte le dessin, lequel justifie assurément qu’on s’y arrête, à lui seul : le trait d’Ikegami Ryôichi est vraiment admirable. Demeure ce vague regret de ce que la partie Yuko domine autant sur la partie Extraits de littérature japonaise… Mais, au fond, cela n’a rien de rédhibitoire, je suppose.

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Je suis Shingo, vol. 3, de Kazuo Umezu

Publié le par Nébal

Je suis Shingo, vol. 3, de Kazuo Umezu

UMEZU Kazuo, Je suis Shingo, vol. 3, [Watashi wa Shingo わたしは真悟], traduit du japonais par Miyako Slocombe, Poitiers, Le Lézard Noir, [1983-1984, 2009] 2018, 408 p.

 

Attention, je risque de SPOILER un peu…

Le troisième tome de Je suis Shingo est paru tout récemment, après que la série a été récompensée par un très légitime prix du patrimoine au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême – l’occasion, on l’espère, d’augmenter la visibilité en France de cet auteur de génie qu’est Kazuo Umezu. Et ceci, ai-je l’impression, alors même que Je suis Shingo n’est pas forcément la porte d’entrée la plus évidente à l’œuvre diverse et puissante d’Umezz… C’est tout de même une série très étrange, extrêmement riche aussi, et largement rétive à la classification. Science-fiction ? Au premier chef, oui, probablement – et ici plus frontalement que dans le premier tome, où c’était bien plus allusif. Mais il y a beaucoup d’autres choses dans Je suis Shingo – dont, et cela n’avait rien d’évident là encore au regard du seul premier tome, de l’horreur, la grande spécialité de l’auteur.

 

Celle-ci avait en fait été introduite à la toute fin du tome 2 – produisant un effet très brutal, et d’autant plus saisissant. Dans ce troisième volume, elle est toujours là – au premier plan ou dans l’ombre, comme une menace latente qui ne demanderait qu’à se réveiller. Il n’y a cependant pas que cela – et, à vrai dire, l’horreur ici génère des scènes poignantes, teintées de drame social, et qui permettent au robot Monroe d’accéder à une nouvelle étape fondamentale de sa prise de conscience, au sens fort, et de sa définition : c’est ici, enfin, qu’il revendique l’identité de Shingo, un nom totalement absent des deux premiers tomes, formé sur la base de la prononciation alternative des caractères employés pour écrire le nom de ses « parents », Marine et Satoru ; le robot s’affirme en même temps en tant qu’être humain.

 

Marine et Satoru, à vrai dire, sont quasi absents de ce troisième tome, après avoir été les vedettes des deux premiers – dans une veine particulièrement tragique et glauque dans le précédent. La petite fille est partie pour l’Angleterre avec ses parents – on n’y aime pas beaucoup les Japonais, la crise n’arrangeant rien… ou on les aime trop, car elle a aussi affaire à un bellâtre pédophile. Quant à Satoru, il déménage également – suivant sa mère, qui a trouvé un emploi dans un bar à Niigata, bien mieux payé que le sordide boulot finalement décroché par son fainéant de mari, licencié pour cause de robotisation donc, dans une entreprise de nettoyage. Et les deux enfants l’un pour l’autre ? Ils semblent pour l’essentiel résignés, fatalistes ; leurs amours sont du passé, idéalement il faudrait les oublier… Ce qui n’est bien évidemment pas possible.

 

Exeunt Marine et Satoru, d’autres personnages doivent prendre le devant de la scène – et tout d’abord Monroe/Shingo, le robot qui s’évade de l’usine où il était fixé à une chaîne de montage, après avoir tué plusieurs employés. Jusqu’à présent, le robot n’était qu’amour (A.I., prononcé ai, « amour » en japonais, en même temps que l’acronyme pour artificial intelligence), mais, ses « parents » enfantins n’étant plus là pour lui, le bébé robot manque de repères et de perspectives – ce qui le rend dangereux. Sa longue fuite lui impose de commettre bien des dégâts…

 

Cependant, au fil de séquences proprement surréalistes, Monroe va rencontrer un soutien inattendu, mieux, une amie – une certaine Miki, la fille (?) du couple ayant emménagé dans l’appartement où vivait il y a peu encore Satoru. Cependant, ladite Miki, nous ne la voyons jamais – elle n’est qu’une voix pressante jaillissant de derrière les rideaux opaques d’une sorte de lit d’hôpital ; nous ne savons rien d’elle, si ce n’est qu’elle ne tardera pas à mourir… Mais, d’une manière ou d’une autre, cette « créature » dont l’humanité semble questionnable est en mesure de suivre à la trace Monroe dans sa fuite – épreuve déconcertante pour qui ne sait rien du monde extérieur ; Miki sait que le robot doit se nourrir d’électricité, et lui explique comment faire... en communiquant avec lui par téléphone ! Les deux se rencontreront enfin – l’événement permettant à Monroe de devenir Shingo, et de s’affirmer en tant qu’être humain ; quant à Miki, elle semble bénéficier de la sorte de la possibilité de fuir à son tour ?

 

Tout ceci produit à nouveau un effet très déconcertant – décidément la marque de fabrique de cette série, sinon de l’œuvre de Kazuo Umezu en général ; prise de façon très abstraite, la trame pourrait donner l’impression d’être convenue – et peut-être ce genre d’article contribue-t-il à renforcer faussement cette impression. Mais l’histoire, en vérité, ne cesse de prendre des détours inattendus, parfois très brutaux, très secs, ce qui transfigure totalement la marche générale du récit ; celle-ci retombe toujours en définitive sur ses pattes, mais l’expérience n’en a été que plus saisissante en même temps que déconcertante.

 

Il y a cependant plus, dans ce troisième volume – et c’est l’insupportable personnage de Shizuka qui ménage (ce n’est peut-être pas le mot, du coup…) la transition. L’infecte petite fille, qui était toujours dans les pattes de Satoru, continue, à son habitude, d’espionner les voisins – ce qui, cette fois, la met sur la piste de l’intrigante Miki. Mais, au-delà, avec un petit groupe d’enfants, elle abrite Monroe/Shingo, désormais traqué, non seulement par la police, mais aussi par ses concepteurs – avec l’armée en fond, et comme une amorce d’apocalypse épidémique ? Bon, nous n’avançons pas trop dans cette direction, pour l’heure…

 

Des enfants, qui gardent une créature impossible, ici un robot, contre les adultes « officiels » qui lui veulent du mal… Vu de loin, ou de moins loin, ça pourrait pas mal évoquer l’E.T. de Steven Spielberg, non ? Le film était sorti un à deux ans avant la publication originelle de ces épisodes dans Big Comic Spirits, en 1983-1984. Maintenant, remplacez Spielberg par, mettons… un duo associant… Lars Von Trier… et Lucio Fulci ? Bon, plutôt d’autres peut-être, mais vous voyez l’idée. La fuite de Monroe/Shingo se prolonge, avec les enfants pour l’aider. Le gamin aux commandes d’un camion, alors qu’il ne sait pas conduire, ça aurait dû être mignon-rigolo-Amblin, non ? Sauf que ça ne l’est pas du tout… Pas seulement parce que cette folle course-poursuite n’aurait pas dépareillé dans Terminator. C’est surtout qu’Umezz se montre ici très extrême (en rappelant toutefois que Je suis Shingo visait un lectorat adulte, à la différence notamment de La Femme-serpent, et ce même si les héros sont des enfants) ; sans doute les codes ne sont-ils pas les mêmes au Japon, mais, pour le coup, la BD choque – bien loin du tabou hollywoodien qui relègue la souffrance et la mort des enfants dans le hors-champ, Umezz montre, il ne cache rien ; il ne fait pas à proprement parler dans le gore, ou à peine, moins encore le body horror, ce genre de choses, il n’y a d’ailleurs aucune vraie complaisance à cet égard, une case ici, une case là, suffisent amplement, mais nous voyons bel et bien des enfants souffrir et mourir au cours de cette course-poursuite ; l’effet n’est pas très E.T., pour le coup ! Et ces séquences nouent le ventre… Même si la mort la plus horrible de ce troisième volume, toujours celle d’un enfant, est encore à venir, qui débouche sur d’ultimes pages proprement terribles…

 

C’est peu dire : à ce stade de la BD – nous sommes en principe pile au milieu de la série, qui doit compter six tomes –, on est très, très loin de la charmante naïveté du premier volume, avec ces enfants rêveurs qui prenaient sur eux d’éveiller un ordinateur à une forme de conscience. Depuis, les amours contrariées de Marine et Satoru ont failli, tout juste, dégénérer dans le plus terrible des drames, et Monroe/Shingo, que l’on veut aimer, n’en a pas moins commis des atrocités, sans bien s’en rendre compte sans doute. Le body count augmentant radicalement dans les derniers chapitres de ce troisième tome, et pas exactement de manière à laisser le lecteur indifférent, demeure finalement le même sentiment qu’auparavant : Je suis Shingo, de bien des manières on ne peut plus différentes, a quelque chose de profondément dérangeant, voire glauque, derrière son postulat naïf et bienveillant – ceci, pourtant, sans le contredire, ou du moins pas totalement. La BD produit un effet très fort, peut-être même unique, mais rarement sinon jamais de la manière attendue.

 

Si mon appréciation des deux premiers tomes m’avait imposé de prendre un peu de recul – au moment de tourner la dernière page, j’étais avant tout perplexe –, celui-ci m’a bien davantage parlé immédiatement. Ce qui ne signifie absolument pas qu’il soit meilleur que les deux premiers (en fait, de ces trois volumes, avec le recul, c’est probablement le premier qui reste le plus réussi) ; c'est bien plutôt que la lecture de ces deux volumes antérieurs m’a d’une certaine manière « éduqué » de manière à ce que la suite produise un effet plus direct, emportant aussitôt l’adhésion – ne pas s’y tromper cependant, les éléments de surprise demeurent, la brutalité des changements de registre de même : cette « éducation » porte, disons, sur le principe de ces changements brutaux – sans rien dire de leur contenu.

 

Graphiquement, enfin, ce troisième tome est très réussi. Si l’on trouve assez peu de ces tableaux « pixélisés », ou « 3D fil de fer », etc., qui m’avaient tant plu dans le premier tome, il y en a tout de même quelques-uns, toujours aussi beaux et pertinents. Mais, dans ce troisième volume, ce qui convainc le plus à cet égard, ce sont probablement les nombreuses séquences où Monroe/Shingo, contraint de fuir, se retrouve dans des environnements particuliers, chaotiques, répugnants – là les égouts, ici une décharge : il y a comme un délice chez l’auteur à représenter les déchets, la pourriture, la corruption, en y inscrivant son robot – pour l’heure du moins dans une optique de contraste ; cela produit des séquences régulièrement impressionnantes, et méticuleuses, d’une extrême précision dans le détail.

 

Je suis Shingo, cela se confirme avec ce troisième tome, demeure une excellente série, et finalement unique : vu de loin, ça pourrait évoquer pas mal de choses, mais il suffit de tourner quelques pages pour percevoir combien cette œuvre n’a pas véritablement d’équivalent, et ne pouvait probablement jaillir que du cerveau et du pinceau de l’auteur de génie, et tellement hors-normes, qu’est Kazuo Umezu. En attendant le tome 4...

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Kedamame, l'homme venu du chaos, t. 1, de Yukio Tamai

Publié le par Nébal

Kedamame, l'homme venu du chaos, t. 1, de Yukio Tamai

TAMAI Yukio, Kedamame, l’homme venu du chaos, t. 1, [Kedamame ケダマメ], traduction depuis le japonais [par] Yohan Leclerc, Grenoble, Glénat, coll. Seinen manga, [2014] 2018, 224 p.

Tamai Yukio crée des mangas depuis un certain temps déjà, mais Kedamame, l’homme venu du chaos est semble-t-il sa première publication en français – une série en quatre tomes qui prend place à l’époque de Kamakura, plus précisément en 1246 ; un contexte rare en manga, dit-on, en tout cas incomparablement plus que l’hégémonique époque d’Edo. Je vous passe l’argumentaire promotionnel, qui compare l’auteur à d’autres davantage connus sous nos latitudes, car je manque des références en l’espèce (citons quand même Samura Hiroaki, dont il faudra bien que je lise L’Habitant de l’infini un de ces jours) ; reste que la critique dans le n° 5 d’Atom m’avait intrigué dans le bon sens, et, après lecture de ce premier tome, je la rejoins en tous points – j’ai lu des critiques moins enthousiastes depuis, mais pour ma part j’ai vraiment bien accroché. Aucune idée de ce que donnera la suite, mais pour le moment j’y vois un divertissement très bien foutu, vraiment palpitant, renforcé par un graphisme solide et pertinent.

 

L’époque de Kamakura, donc – qui a débuté un demi-siècle avant le début de la BD. Le Japon classique de Heian n’est plus ; l’affrontement entre les clans guerriers des Taira et des Minamoto a débouché sur l’anéantissement des premiers et la mise en place d’un nouveau système politique, le shogunat, au profit des seconds ; un bouleversement culturel sans commune mesure ! L’aristocratie raffinée/décadente de Heian cède la place au Japon des guerriers – selon nos références occidentales, à manipuler avec moult précautions, c’est la transition de l’Antiquité au Moyen Âge. Le shogunat s’est installé dans ses terres, loin de la capitale impériale, dans la ville de Kamakura, non loin au sud de l’actuelle Tôkyô, et c’est ici que débute notre aventure.

 

Après un inquiétant prologue dans lequel un homme du nom de Kedama, a priori notre héros, est vu en train de se livrer à un festin cannibale (ah quand même ?), nous nous immergeons dans les rues animées de la capitale du shogunat, où nous avons bientôt deux points de référence : tout d’abord, Messire Toura est un aristocrate kyotoïte, qui s’est vu confier une enquête à Kamakura – où sévit ce que l’on appellerait de nos jours un tueur en série, qui s’en prend aux prostituées, avec des méthodes (et des armes ?) guère conventionnelles… Toura est un enquêteur parfaitement froid et qu’on suppose vite peu scrupuleux, ou disons du moins guère économe de la vie des autres si cela peut lui permettre d’avancer dans son enquête – il offre ainsi un contraste marqué avec le jeune Konpei qui lui sert de guide, bien plus timoré et toujours craintif de se faire rabrouer par son digne maître de circonstances.

 

Mais nous croisons aussi, dès le début, une troupe de kugutsu, pratiquant danse, chant et spectacle de marionnettes pour faire les délices d’une foule avide de divertissements de tous ordres. La troupe est emmenée par un vieil homme débonnaire, et ses principales attractions sont deux jeunes filles, la sublime Kyara qui attire tous les regards, et la plus jeune et plus discrète Mayu, la fille du patron, en adoration devant son aînée. À ce trio il faut ajouter un homme à tout faire du nom de Kokemaru, manchot mais pas moins habile, une canaille issue du ruisseau et qui y retournera – aussi un personnage un peu farfelu, qui semble se prendre pour un chat, au point où les filles de la troupe ont pris soin de le maquiller, truffe et moustaches…

 

Mais cette troupe n’est pas sans mystère, et – forcément – Kokemaru est bien plus que ce que l’on croit. Pas seulement un combattant madré et habile, en dépit de son handicap… car ce n’en est peut-être pas un ? En quelques occasions, loin des regards curieux (ou alors il s’agit des les voiler définitivement…), nous lui voyons d’étranges appendices animaliers jaillir de son épaule, un bien singulier bras gauche, en forme de pince, de griffe, ou de tentacule ! Or le bonhomme, même sans que personne ne puisse témoigner de cette habilité proprement (non, salement) monstrueuse, suscite la curiosité de Messire Toura… À bon droit ? Le fait est que Kokemaru – ou plutôt Kedama ? – n’est pas n’importe qui, et n’est certes pas là par hasard ; il semble protéger la troupe de kugutsu… Mais si Kyara attire tous les regards, elle dont le port de princesse trouverait une explication aussi romanesque que suspecte, c’est bien avant tout Mayu qui semble faire l’objet des attentions de Kokemaru. Non, il n’est pas là par hasard – et les crimes commis à Kamakura non plus ne doivent rien au hasard. Mais notre héros comme le tueur, de toute évidence, viennent d’ailleurs – du « chaos » ? Ou peut-être d’un autre monde, ou d’un lointain futur que l’on pourrait certes désigner ainsi… N'y aurait-il pas du Terminator organique dans tout ça ?

 

Ceci pour l’essentiel – mais Kedamame, pour l’heure en tout cas, est une BD très rythmée, où il se passe plein de choses en permanence, mais à bon droit ; les rebondissements se multiplient, toujours avec pertinence, et chaque épisode fait avancer l’intrigue tous en multipliant les savoureux à-côtés – dont des aperçus intéressants de la culture si particulière de cette époque, notamment en rapport avec l’intense activité de prédication caractéristique de ce moment du « monde à l’envers » (hop), qui voit apparaître quantité de nouvelles sectes bouddhiques (ou moins bouddhiques ?), notamment amidistes, dont l’idéologie a parfois quelque chose de bien subversif… Mais cela va au-delà – du kugutsu, présenté ici dans une version très « pure », au souvenir de l’anéantissement des Taira, encore récent, et d’autres choses encore.

 

Et, pour le coup, ça marche très bien ; ce premier tome est très riche, très dense, cependant jamais étouffant non plus, et plus inventif qu’il n’en a tout d’abord l’air, en tout cas toujours intriguant. Tamai Yukio sait raconter une histoire, pas de doute, et il est difficile de lâcher ce premier tome en cours de route ; la dernière page tournée, on enchaînerait bien immédiatement sur la suite ! Le tome 2 serait déjà sorti, cela dit… Et il n’y en aura que quatre, ce qui devrait nous prémunir contre le travers fâcheux et si commun de la série qui s’éternise au point de se perdre.

 

Mais l’auteur a un autre atout dans sa poche : le dessin. Globalement, celui-ci est sans doute assez conventionnel – mais indubitablement de qualité. Les personnages sont bien caractérisés, l’ambiance visuelle de l’époque très bien rendue, quelques bizarreries horrifiques épicent le fond relativement sobre (les excroissances de Kokemaru comme cette secte de fanatiques masqués vénérant le crâne sous toutes ses formes), l’action est très lisible, très fluide… Rien de m’as-tu vu par ailleurs – mais tout de même quelques pages particulièrement travaillées dans un style plus soutenu, comme les très belles danses de Kyara et Mayu (qui évitent la vulgarité et la complaisance, ouf), ou d’autres occasions plus mystérieuses de rompre brièvement mais toujours opportunément le classicisme de l’ensemble pour lui donner une tout autre dimension.

 

Kedamame, l’homme venu du chaos n’est sans doute pas le manga du siècle, une lecture indispensable ou que sais-je, mais c’est un divertissement de qualité, un seinen d'aventure qui remplit très bien et même mieux que ça son office – pour l’heure du moins. Je suis accroché, oui ; ne reste plus qu’à espérer que la suite sera au niveau… Mais je compte bien m’en assurer !

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Souvenirs d'Emanon, de Shinji Kajio et Kenji Tsuruta

Publié le par Nébal

Souvenirs d'Emanon, de Shinji Kajio et Kenji Tsuruta

KAJIO Shinji et TSURUTA Kenji, Souvenirs d’Emanon, [Omoide Emanon おもいでエマノン], traduction [du japonais par] Géraldine Oudin, [s.l.], Ki-oon, coll. Latitudes, [2008] 2018, 173 p.

Une fois de plus, c’est l’excellente revue Atom qui a attiré mon attention sur cette BD – après quoi l’avis enthousiaste d’un Camarade a achevé de me convaincre qu’il fallait que je lise ça. Remerciements aux deux, du coup, parce que Souvenirs d’Emanon est effectivement une véritable merveille – un beau récit de SF très sensible, très émouvant…

 

Une romance, oui. D’une certaine manière. Ou pas d’une certaine manière. Les histoires d’amour, heureuses ou tristes, ça a tendance à m’emmerder – forcément, hein. Mais, des fois, il y a l’œuvre qui touche au cœur, celle qui est tellement juste que toutes les préventions, toutes les... « jalousies », j’imagine, sont balayées le temps d’un récit qui émeut profondément. Souvenirs d’Emanon entre incontestablement dans cette catégorie.

 

L’histoire tient presque de l’épure – surtout racontée ainsi, en bande dessinée. L’essentiel se déroule en quelques heures à peine – mais quelques heures qui donnent le vertige, et qui laissent une empreinte inoubliable dans la mémoire du narrateur, et, je tends à le croire, dans celle du lecteur également.

 

La scène se déroule en 1967, à bord d’un bateau qui fait la liaison entre Nagoya et Kagoshima ; notre narrateur est un jeune homme un peu naïf, un peu timide, un peu gauche, un étudiant, grand amateur de science-fiction, et prompt à tomber amoureux sans que la réciproque soit vraie – après une énième déception sentimentale, il est parti voyager à travers le Japon sur un coup de tête, et rentre enfin chez lui, à Kyûshû, maintenant que ses finances sont asséchées ; ce voyage, comme de juste, n’a en rien remédié à ses peines.

 

Dans ce ferry, les passagers occupent pour l’essentiel une grande salle commune, où ils passent le temps comme ils peuvent, dans la promiscuité, en picolant ou en tentant de dormir dans un sac de couchage. C’est ainsi que notre narrateur fait la rencontre d’une très charmante jeune femme, pour ainsi dire encore une adolescente, très bohème d’allure et qui fume cigarette sur cigarette ; ce que ce crétin lui reproche en s’allumant lui-même une clope, « ce n’est pas joli, pour une femme »… L’inconnue ne lui en tient cependant pas rigueur : quelques heures plus tard, désireuse d’échapper à la convivialité intrusive des poivrots d’à côté, elle le réveille et joue la comédie, en le faisant passer pour son mari – elle a le mal de mer, ne pourrait-il pas l’accompagner sur le pont pour prendre l’air ?

 

Ce qui les amène à passer quelques heures ensemble – et à discuter. Mais comment s’appelle-t-elle ? Emanon, répond-elle – une anagramme de « No Name », inutile de chercher plus loin… Quelques échanges sur la lecture en cours du narrateur, un roman de science-fiction portant sur la mémoire, amènent la jeune femme à lui raconter une bien étrange histoire – libre au jeune homme de la croire ou pas ; ses lectures laissent entendre qu’il bénéficie d’une certaine ouverture d’esprit, après tout... Voilà : elle a certes l’apparence d’une jeune femme de 17 ans… mais, en vérité, elle est bien plus âgée ! Ou, plus exactement, ses souvenirs le sont – car ils remontent à trois milliards d’années ! Oui, approximativement l’apparition de la vie sur terre… Ses premiers souvenirs consistent en la sensation de flotter dans l’océan… Depuis, ses souvenirs ont été hérités par ses descendants, une personne par génération, et le cycle s'est perpétué. Elle ne sait pas pourquoi il en va ainsi ; une maladie génétique, peut-être, une malédiction… Le jeune homme est plus positif : un don ! Peut-être la clef d’une révélation mystique, d’une évolution ultime de l’humanité !

 

Mais tout cela n’est qu’une blague, n’est-ce pas ? Elle le fait forcément marcher... Il marche de bon cœur, faut dire. Et il s'en souviendra.

 

Le personnage d’Emanon a été créé il y a une quarantaine d’années de cela par l’écrivain de science-fiction Kajio Shinji ; la jeune femme n’était initialement destinée à apparaître que dans une nouvelle, mais son grand succès a amené l’auteur à écrire d’autres récits qui lui étaient consacrés. Bien plus tard, le mangaka Tsuruta Kenji, grand admirateur du personnage, a été associé au projet d’adaptation de cette histoire initiale en bande dessinée – avec la bénédiction de l’écrivain, qui reconnaissait parfaitement son Emanon dans les dessins de Tsuruta. Ce dernier travaille à un rythme assez lent, comparé à l’usage chez la plupart de ses confrères, outre qu’il se disperse, semble-t-il ; aussi la réalisation de ces Souvenirs d’Emanon a-t-elle demandé plusieurs années – mais le résultat est là et bien là, et, disons-le, c’est un chef-d’œuvre.

 

L’histoire originale de Kajio Shinji, bien sûr, y a sa part (si la tendance au mysticisme chez le narrateur me laisse un peu perplexe, le traitement de la thématique de la mémoire est intéressant, et vertigineux quand il le faut ; dans un autre registre, l’épilogue est d’une immense beauté) – mais plus encore la manière de la raconter. Et, pour le coup, le dessin de Tsuruta Kenji fait vraiment des merveilles.

 

Notamment, bien sûr, en ce qui concerne le personnage d’Emanon : c’est une très jolie jeune femme,  avec de charmantes taches de rousseur, de longs cheveux raides, une silhouette longiligne ; elle est un peu (pas qu'un peu) hippie, mais aussi, en dépit de sa mémoire hors-normes, quelqu’un de profondément humain, sous ces traits – elle est réelle, elle existe ; on a pu la rencontrer (je l’ai fait, de toute évidence, je me souviens d’elle – qui l’a rencontrée se souvient d’elle). L’idée même du coup de foudre, généralement, me laisse au mieux sceptique, sinon vaguement agacé – mais, dans les Souvenirs d’Emanon, cette idée prend soudainement vie ; et on se dit que, peut-être, on a vécu ce genre de choses, il y a longtemps, très, trop longtemps, on l’avait simplement oublié… L’extrême délicatesse du trait de Tsuruta fait ressortir sans jamais d’excès toutes les émotions d’Emanon – et celles du narrateur ; la précision du dessin, à cet égard, atteint des sommets, mais sans jamais d'esbroufe, et les planches sont vibrantes de vie et de sentiment. C’est parfaitement admirable.

 

Autour des personnages, soit d’abord autour d’Emanon, le bateau, au-delà le Japon, au-delà le monde, résonnent de la même intensité, de la même vitalité – jusque dans l’évocation des pires travers d’une humanité qui, aussi longtemps que s’en souvienne Emanon, soit depuis toujours, n’a finalement guère évolué, sinon dans la conception des outils employés pour tuer… La composition des planches, sobre, est toujours signifiante – notamment dans l’alternance de grandes cases, en haut ou en bas, occupant l’espace de deux pages, et soulignant mais sans jamais la moindre brutalité les propos les plus universels et englobants des protagonistes, tandis que les autres cases, plus petites, nous ramènent plus prosaïquement à la conversation entre Emanon et le narrateur telle qu’elle se déroule, ou aux commentaires du seul narrateur, fasciné à bon droit par cette rencontre si particulière, si mémorable. L’attention au détail de Tsuruta ressort par ailleurs aussi bien de l’expressivité subtile des personnages que d’autres « plans » plus resserrés sur leur environnement matériel (le ciel étoilé comme une étiquette sur une bouteille de bière), avec un naturel admirable.

 

Dans son interview dans le n° 5 d’Atom, qui m’a amené à m’intéresser à son travail, Tsuruta Kenji ne cache pas qu’il aimerait raconter une histoire en se passant du texte, simplement avec les dessins ; ce n’est pas le cas dans Souvenirs d’Emanon, même si la BD n’est pas spécialement bavarde, et si les « plans » évoqués à l’instant participent sans doute de l’idée d’une narration purement graphique. Cependant, passé l’histoire des Souvenirs d’Emanon à proprement parler, le volume s’achève sur une vingtaine de pages intitulées d’abord « D’autres souvenirs », puis « Errances », et qui sont purement graphiques – j’ai cru comprendre qu’elles étaient en fait antérieures aux Souvenirs d’Emanon, comme des esquisses ou des documents de travail qui auraient permis de définir graphiquement le personnage d’Emanon ; justement ce qui aurait convaincu Kajio Shinji de ce que Tsuruta Kenji était l’illustrateur idéal pour transposer ce personnage fétiche en bande dessinée, car il reconnaissait stupéfait l'image qu'il avait en tête lors de sa conception. Quoi qu’il en soit, c’est un travail de toute beauté – et tout particulièrement dans les huit pages en couleur qui introduisent ce dernier segment (il faut y ajouter la couverture et surtout les rabats de ce très joli volume), des aquarelles très délicates, un vrai régal pour les yeux. Dans la même interview, Tsuruta confessait adorer travailler la couleur, ce qui n’est a priori pas si commun dans le milieu du manga, et on le comprend : son dessin est encore sublimé de la sorte – même si le noir et blanc plus classique de la BD à proprement parler est déjà parfait.

 

J’ai vraiment été conquis par cette bande dessinée, véritablement superbe à tous points de vue. Tsuruta Kenji transcende la belle histoire, mêlant délicatement romance et SF, de Kajio Shinji, pour en exprimer toute l’essence, poignante en même temps que fascinante, avec une immense justesse. Le moyen idéal de confronter l’intime et l’infini, comme les meilleurs récits du registre. On en ressort amoureux d’Emanon – son souvenir persistera.

 

Chef-d’œuvre.

 

EDIT 01/10/2018 : Et il y a une très belle suite !

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