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Articles avec #nebal lit des bons bouquins tag

"La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah", de Nick DiChario

Publié le par Nébal

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DICHARIO (Nick), La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah, [A Small and Remarkable Life], traduit de l'américain par Claudine Richetin, Paris, Télémaque – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2006, 2010] 2012, 321 p.

 

La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah, premier roman de l'illustre inconnu Nick DiChario, est un livre dont je me suis tout d'abord fortement méfié, parano que je suis. Il faut dire qu'il avait été publié en français par Télémaque, qui m'avait fait sortir de mes gonds pour Un peu de ton sang de Theodore Sturgeon, avec une quatrième de couverture pour le moins prometteuse (j'adore le « croisement inédit entre E.T. et Croc-Blanc »). Parallèlement, ce titre français sonnait un peu trop comme celui d'un récent prix Pulitzer pour être tout à fait honnête. Mais quand ce roman est sorti en Folio SF, je me suis malgré tout laissé tenter... en dépit d'un bandeau moche et menaçant affirmant que Jan Kounen « en ferait bien son prochain film ». Ce qui, vous en conviendrez, faisait pas mal de handicaps à surmonter.

 

Nous sommes donc aux Etats-Unis, essentiellement dans l'Etat de New York, au milieu du XIXe siècle. Tink Puddah est un étranger. Il faut dire qu'il pousse le vice jusqu'à avoir la peau bleue (outre diverses malformations dont je vous passe le détail), ce qui en fait un nègre tout à fait remarquable. Sur Terre, il est bien loin de l'Eauspace de ses parents, tués dès leur arrivée sur notre planète, et laissant le petit Tink orphelin.

 

Quelques années plus tard, un service funéraire est organisé pour l'étranger Tink Puddah, bien que celui-ci ait proclamé son athéisme, au grand dam du pasteur Jacob Piersol. Mais c'est l'occasion pour plusieurs des villageois de Skanoh Valley de venir témoigner de la profonde gentillesse et de la serviabilité du défunt. Quitte à heurter un peu les sentiments de Jacob.

 

Mais l'histoire ne fait que commencer. En effet, suite à l'intervention d'un jeune morveux, on en vient à s'interroger sur la mort de l'étranger. Et de découvrir que celui-ci a été tué d'une balle dans le crane, chose que les autorités et témoins se sont empressés de cacher...

 

Dès lors, l'histoire se déroule sur deux plans : d'une part, on suit Tink Puddah l'étranger dans sa vie sur Terre, où il doit faire face à bien des dangers et souffre régulièrement de la cupidité et de la haine aveugle des humains ; d'autre part, on suit l'enquête concernant la mort de Tink Puddah, et ce essentiellement à travers le personnage de Jacob Piersol... qui en vient étrangement à voir en Tink Puddah le Messie. Jusqu'à un dénouement qui ne surprendra personne tant il coule de source, mais peu importe.

 

Oui, peu importe. Parce qu'il faut reconnaître que c'est pas mal du tout, La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah. Ce récit de contact avec l'autre est assez bien foutu, dans une veine qui peut rappeler, en moins dur, Eifelheim de Michael Flynn, mais évoque surtout quelques Grands Anciens de la science-fiction la plus humaniste, en l'occurrence Clifford D. Simak – le cadre rural y est pour beaucoup – et Theodore Sturgeon.

 

Nick DiChario, pour son premier roman, a su renouveler intelligemment un thème éculé, et poser à travers cette relecture les bonnes questions. Sans avoir grand-chose d'original, La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah se lit avec un plaisir constant, et s'autorise quelques surprises (bonnes). Certes, la plume n'est pas exceptionnelle (mais peut-être la traduction est-elle en cause). Mais la profonde humanité des personnages et du propos l'emportent, et suscitent l'adhésion du lecteur, qui se laisse doucement entraîner dans cette évocation sur le mode de la parabole de la vie d'un étranger loin de chez lui.

 

Roman frais et éminement sympathique, La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah n'a sans doute pas de quoi entrer au Panthéon du genre, mais s'avère des plus appréciables. Il s'en dégage une saveur toute particulière, devenue bien rare dans la science-fiction contemporaine, plus dure et plus froide (à mes yeux en tout cas). Alors on pourrait peut-être faire à La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah un procès en gnangnantise, mais, pour ma part, je m'avoue tout à fait satisfait de cette lecture certes un brin naïve, mais qui fait du bien. Faudra voir la suite de sa production, mais ce Nick DiChario pourrait bien être un auteur prometteur, dans une veine paisible, bucolique et profondément humaniste, au sens le plus doux...

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"Sous des cieux étrangers", de Lucius Shepard

Publié le par Nébal

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SHEPARD (Lucius), Sous des cieux étrangers, traduit de l'américain par Pierre K. Rey, Jean-Daniel Brèque et Olivier Girard, Paris, Le Bélial' – J'ai lu, coll. Science-fiction, [1992, 2000, 2003, 2007, 2010], 2012, 508 p.

 

Je ne prétendrais pas être un connaisseur de l'oeuvre de Lucius Shepard : je n'en avais lu en tout et pour tout, jusqu'à présent, que son recueil Aztechs et son court roman Louisiana Breakdown. Mais j'ai appris à le goûter, et à apprécier notamment son ouverture d'esprit, qui l'amène à dépasser les frontières au sein des genres de l'imaginaire (et au-delà, d'ailleurs). Aussi m'étais-je procuré Sous des cieux étrangers en grand format lors de sa sortie au Bélial' en 2010. Mais les hasards de la pile à lire ont fait que ce n'est qu'aujourd'hui, en poche et un Grand Prix de l'Imaginaire pour l'ensemble du recueil plus tard, qu'il m'a été donné de le lire.

 

J'attendais beaucoup de ce recueil, dont j'avais entendu dire partout le plus grand bien, et qui nous permet de suivre Lucius Shepard sur sa distance de prédilection : la novella. Sous des cieux étrangers comprend en effet cinq textes, d'une centaine de pages chacun, dont trois inédits. L'auteur y travaille à la limite des genres, sauf dans le premier texte, clairement SF, et pour le coup un peu surprenant de la part de cet auteur.

 

Ce premier texte, « Bernacle Bill le Spatial », a collectionné les récompenses (Hugo, Asimov's, Locus et Science Fiction Chronicle), et je dois avouer ne pas comprendre pourquoi. Je ne vous cacherai en effet pas plus longtemps que cette entrée en matière m'a terriblement déçu, et franchement laissé sur ma faim. Cette sorte de variation sur le thème du simplet brillant (Des fleurs pour Algernon dans l'espace ?) m'a paru totalement vide sur le plan émotionnel, et m'a surpris par sa tendance à faire parler la testostérone. En fait, j'y ai surtout vu une sorte de remake d'Outland, le western SF de Peter Hyams. Sauf que voilà : Outland, c'est sympa, mais ça ne casse pas des briques non plus ; cette nouvelle, c'est la même chose : de la part de Shepard, elle m'a paru clairement médiocre, et pas à la hauteur de sa réputation. C'est donc sur une déception que j'ai entamé la lecture de ce recueil ; mauvais signe pour la suite...

 

Entendons-nous bien : il n'y a pas de mauvais texte dans ce recueil. Même celui dont je viens de parler est au pire médiocre. Mais je n'ai jamais par la suite été renversé comme je l'espérais, d'où ce sentiment d'un recueil surestimé et le vilain arrière-goût amer que j'avais en bouche à la fin de chaque texte...

 

« Dead Money » est ensuite une nouvelle à mettre en rapport avec un roman de l'auteur, Les Yeux électriques. Amusante rénovation du thème du zombie vaudou dans le milieu des joueurs de poker, elle m'a paru bien plus convaincante que la précédente. Ambiance, personnages, sont irréprochables. Pourtant, j'ai eu l'impression qu'il manquait là aussi quelque chose pour me faire vibrer et adhérer pleinement au propos, sous tous ses aspects. Reste une novella correcte, oui, et sans doute un peu plus que cela, mais guère plus.

 

J'avais déjà lu « Radieuse Étoile verte » dans un numéro de Bifrost. Cette troisième novella ne m'avait guère laissé de souvenirs dans l'absolu, même si je me suis vite retrouvé en terrain familier à sa relecture. Là encore, le cadre est parfait, et les personnages sont très riches. Cette histoire de vengeance et d'instrumentalisation se lit fort bien... mais une fois de plus, on ne dépasse pas le stade du bon texte pour atteindre à quelque chose de vraiment bon, ce qui fait toute la différence, et justifierait la réputation de Sous des cieux étrangers. De même que dans les deux textes précédents, j'ai en outre eu l'impression d'une sorte de parasitage pulp un peu superflu, et noyant les aspects les plus intéressants du texte dans l'action et la narration conventionnelle...

 

« Limbo » est, à la réflexion, le texte qui m'a le plus séduit, du moins j'en ai l'impression. Intéressante ghost story dans laquelle se retrouve plongé un truand en cavale, qui tourne à la descente aux enfers (d'une manière qui m'a évoqué, à tort ou à raison, Clive Barker), c'est là un texte parfaitement maîtrisé, où tous les éléments sont bien dosés. Le résultat est cette fois bien plus qu'honnête, et remonte le niveau global du recueil.

 

Il en va de même, quoique dans une mesure un peu moindre, pour le dernier texte de Sous des cieux étrangers, à savoir « Des étoiles entrevues dans la pierre ». Le cadre rock est intéressant, le fond de légendes locales aussi, et tout ce qui ne relève pas à proprement parler du fantastique ou de l'insolite est nettement irréprochable. Le reste, ma foi, m'a un peu fait l'impression d'un épiphénomène plus ou moins intéressant, mais en conservant un niveau correct.

 

Reste qu'au final j'ai été terriblement déçu par ce recueil, dont, il est vrai, j'attendais beaucoup. Je n'ai vraiment pas l'impression d'avoir lu ici le meilleur de Lucius Shepard, qui m'avait bien plus convaincu au travers d'autres lectures. Et j'espère que Le Dragon Griaule saura me séduire davantage ; parce que franchement, de Sous des cieux étrangers, il n'y a pas de quoi en faire tout un plat, à mes yeux en tout cas. Un bon recuei, oui ; mais guère plus. J'en suis le premier surpris et le premier déçu...

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"Diadorim",de João Guimarães Rosa

Publié le par Nébal

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GUIMARÃES ROSA (João), Diadorim, [Grande Sertão : Veredas], traduit du brésilien par Maryvonne Lapouge-Pettorelli, préface de Mario Vargas Llosa, Paris, Albin Michel, coll. Les Grandes Traductions, [1965, 1984, 1991] 2006, 501 p.

 

Diadorim de João Guimarães Rosa est un livre qui m'a été fort bien vendu (enfin, non, d'ailleurs : offert ; merci !) par la sublime Alice Abdaloff, laquelle, en sa qualité de libraire invitée dans une fameuse librairie parisienne dont le nom commence par la lettre C, aurait dit en substance (mais en mon absence, hélas) : « En littérature, c'est simple : il y a Proust, il y a Diadorim, et à côté il y a des trucs sympa... » Ah oui, tout de même (dit le Nébal qui n'a jamais rien lu de Proust, et doute fort que Diadorim ait le moindre rapport avec l'œuvre du madeleinophage). On peut donc assez légitimement en attendre beaucoup. C'est ce que j'ai fait, et je n'ai pas été déçu du voyage.

 

Diadorim, de son vrai nom Grande Sertão : Veredas – et voilà qui n'est sans doute pas anodin –, consiste en un long monologue de près de 500 pages, sans la moindre interruption (ce qui n'en rend pas l'abord facile). Il s'agit des mémoires de Riobaldo, propriétaire terrien dans le Sertão, mais qui fut dans sa folle jeunesse, vers le début du XXe siècle, un éminent jagunço, c'est-à-dire un mercenaire au service d'intérêts privés, se situant quelque part entre le preux chevalier et la franche canaille, mais plus généralement entre le condottiere et le cow-boy. Une vie épique, riche de dangers – il ne cesse de nous le répéter –, faite de subits coups de feu et de véritables batailles rangées, qui font des mémoires de Riobaldo un condensé d'action sur le mode du western métaphysique.

 

C'est l'occasion de faire la rencontre de toute une ribambelle de personnages fascinants, dont, bien entendu, le trouble Diadorim, pour lequel Riobaldo éprouve une « amitié amoureuse » ambiguë, mais aussi les seigneurs de la guerre Joca Ramiro, Medeiro Vaz ou encore Zé Bebelo (quelle scène que celle de son procès !)... sans parler des Judas, le cruel Hermógenes en tête, dont on dit qu'il a fait pacte avec le diable... mais le diable n'existe pas, hein ? Et Riobaldo Tatarana, devenu le Crotale blanc, n'a rien fait ni rencontré personne, la nuit, à la croisée des chemins...

 

Mais Diadorim, c'est aussi, comme le titre original le montre clairement, une odyssée du Sertão, c'est-à-dire des régions semi-arides du Brésil. Un décor pour le moins exotique, d'une richesse insoupçonnée, et que la plume de l'auteur, brillant de mille feux, nous dévoile avec un brio peu commun.

 

C'est rien de le dire : Diadorim est vach'ment bien écrit. Le style déconcerte tout d'abord – et, à vrai dire, ce sentiment peut demeurer jusqu'à la fin –, et il peut être nécessaire de s'accorder un peu de temps pour pénétrer pleinement dans le roman (il m'a bien fallu une centaine de pages, personnellement). Quoi qu'il en soit, Diadorim n'est clairement pas le livre à emporter dans le métro pour lire entre deux stations... Mais on s'en doutait un peu. Et on finit par adhérer pleinement au discours de Riobaldo, à son goût pour les digressions, les flash-back et flash-forward. On a l'impression authentique d'un ami qui nous parle – et qui, d'ailleurs, nous interpelle régulièrement, nous les érudits de la ville –, et ce flot continu de mots, cette véritable logorrhée, tourne à la petite musique insidieuse, d'une mélodie tantôt douce et raffinée, tantôt brutale et sauvage.

 

Car c'est un monde cruel que ce Sertão ravagé par les guerres privées. Un monde où la mort est omniprésente, et vivre une chose très dangereuse... Mais c'est aussi, au-delà des coups de feu, un monde beau, et propice à la contemplation comme à la romance. Avec une prostituée, avec la belle Otacília... et avec Diadorim, aka Reinaldo, aka le Garçon ? Le trouble érotique parcourt l'œuvre, et son titre français est pour le moins révélateur. Ou trompeur, peut-être...

 

Diadorim, ainsi que vous l'aurez compris, a tout du chef-d'œuvre. D'une perfection formelle rare, d'une puissance évocatrice qui l'est tout autant, et malgré les efforts qu'il nécessite, il séduit et convainc sans peine ; à tel point que l'on en viendra même à pardonner la Fin Impardonnable que l'auteur s'est autorisé à commettre, comme un épiphénomène de peu d'importance.

 

Livre rare et d'une densité impressionnante, Diadorimmérite bien son statut de classique international. Cet unique roman de son auteur est parfois considéré comme le plus grand livre du Brésil, si tant est que cela veuille dire quelque chose. Mais à sa lecture, on comprend sans peine l'enthousiasme suscité par ce roman à la croisée des chemins, riche d'interprétations et de lectures, qui sait être beau et intelligent tout en divertissant et fascinant.

 

 Alors merci, Mlle Abdaloff. Vous aviez raison, mille fois raison.

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"Pirates cosmopolites", de Marie-François Goron & Emile Gautier

Publié le par Nébal

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GORON (Marie-François) & GAUTIER (Émile), Pirates cosmopolites, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche – Baskerville, [1902] 2012, 287 p.

 

(Non, je ne parlerai pas des couvertures.)

 

Hop, Pirates cosmopolites, deuxième tome de « Fleur de bagne », après De Cayenne à la place Vendôme, et avant Détectives et bandits scientifiques. Le volume précédent avait tout du long prologue, mais maintenant on attaque le cœur de l'action.

 

Nous retrouvons donc l'infâme baron de Saint-Magloire, de son vrai nom Gaston Rozen, au faîte de sa puissance. Grâce à la naïveté du savant anarchiste Sokoloff, le bonhomme est devenu riche à millions. Sons sens des affaires et plus généralement sa remarquable intelligence, alliés à un bagout sans pareil, en ont fait « le Roi de Paris ». Il a eu par ailleurs beaucoup de chance. Mais ça ne va pas forcément durer. La déveine survient bientôt, et notre abominable escroc, voleur et assassin va se retrouver cerné par les ennuis.

 

En effet, Sokoloff s'impatiente, et trépigne en attendant la grande révolution sociale que lui a promis Rozen. Bastien, de son côté, commet quelques boulettes... Mais le danger va surtout percer sur deux fronts. D'une part, le chef de la Sûreté, M. Cardac, et plus encore son fidèle ami le bon docteur Lemoine, ont par hasard établi le lien entre Rozen et Saint-Magloire, et cherchent dès lors à le coincer. D'autre part, la passion amoureuse va se mettre de la partie (il ne manquait plus qu'elle...), et, en tombant sous le charme de la diva Germaine Reyval, Rozen va s'attirer l'inimitié voire la haine farouche de son « épouse » Elena Ruiz et de l'anarchiste Duval...

 

« Fleur de bagne » a décidément tout du roman feuilleton sympathique. Après le long prologue constitué par le volume précédent, il nous divertit aisément avec ses personnages hauts en couleurs et ses retournements de situation rocambolesques. On tourne les pages sans y prendre garde – preuve que ça marche – et certaines scènes valent le détour, même avec leurs défauts (je pense ici notamment à une très intéressante mais très didactique séquence médico-légale).

 

Il y a bien des maladresses dans ce second tome, comme l'introduction du personnage de Yu – que l'on aurait dû en toute logique croiser auparavant – ou la trop grande facilité avec laquelle le docteur Lemoine en vient à suspecter le baron de Saint-Magloire... Mais c'est finalement de peu d'importance, de même que les quelques tics d'écriture que l'on peut relever à l'occasion, et qui ne sont pas vraiment gênants.

 

Cerise sur le gateau : ce deuxième tome se conclut sur trente pages issues des Mémoires de Goron, et constituant des « portraits d'anarchistes ». C'est tout à fait intéressant, et ce à plus d'un titre. On en apprend long sur les mentalités de l'époque comme sur le profil du coauteur. Surtout, on se pose cette question fondamentale concernant l'anarchisme en France à la fin du XIXe siècle : pouvait-on parler d'un sincère engagement idéologique, ou bien n'était-ce qu'un prétexte commode pour « justifier »le crime, voire l'annoblir en le politisant ? Bien entendu, la réponse varie selon les cas, mais ceux que nous présente ici l'ancien chef de la Sûreté méritent toute notre attention, et montrent bien toute la difficulté de cette question. Passionnant.

 

Allez, hop, suite et fin avec Détectives et bandits scientifiques, qui nous permettra de tirer un bilan plus global de ce feuilleton jusqu'à présent éminemment sympathique, même s'il n'y a pas non plus de quoi crier au génie.

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"Les Lectures des otages", de Yôko Ogawa

Publié le par Nébal

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OGAWA (Yôko), Les Lectures des otages, [Hitojichi no Rôdokukai], traduit du japonais par Martin Vergne, Arles, Actes Sud – Leméac, [2011] 2012, 189 p.

 

C'est à l'occasion de la parution l'an dernier de Manuscrit zéro que je me suis remis à lire Yôko Ogawa. J'y avais retrouvé cette petite musique, aussi familière que déconcertante, qui fait tout le charme de ses écrits (en tout cas des plus réussis). Croisant au hasard d'une librairie mal fâmée ce nouvel opus qu'est Les Lectures des otages, je me suis laissé séduire sans trop de difficultés, intrigué par la quatrième de couverture.

 

Il s'agit en effet d'un recueil de nouvelles, mais entrelacées dans un canevas plus général. Huit touristes japonais sont pris en otages dans un pays indéterminé. L'événement suscite un temps une forte attention de la part des médias, puis on en vient à oublier cette histoire. Jusqu'à son dénouement tragique : l'intervention des forces spéciales antiterroristes se solde par la mort des huit otages.

 

Mais on dispose d'un document très particulier les concernant : des enregistrements de « lectures » effectuées par chacun des otages, dans une langue que les auditeurs extérieurs ne comprennent pas. Plus tard, ces lectures seront diffusées. Il s'agit à chaque fois d'un souvenir particulier, parfois fort lointain.

 

Il faut, j'imagine, garder cette situation bien précise en tête pour goûter pleinement les huit – non, neuf – récits composant Les Lectures des otages ; garder en tête que ces témoignages très personnels émanent de gens qui sont morts dans des circonstances atroces.

 

Mais voilà : cette fois, ça ne fonctionne pas. On est bien loin, avec Les Lectures des otages, du brio de l'excellent Tristes Revanches, ou même de Manuscrit zéro. Et on a un peu la triste impression d'un auteur qui s'auto-parodie... Tout ce qui figure dans ce recueil, en effet, évoque des réminiscences de textes plus anciens de Yôko Ogawa. Un exemple flagrant : combien de fois nous a-t-elle fait le coup de « La Salle de propos informels B » ? Au début, on pouvait très légitimement s'en régaler ; mais cette fois, ça ne passe plus.

 

Et il en va ainsi de toutes les autres « lectures », fades et ennuyeuses, qui donnent l'impression d'un auteur en petite forme, qui n'est plus que l'ombre d'elle-même...

 

Inutile par conséquent de trop s'étendre sur la question : Les Lectures des otages, en dépit de son canevas intriguant, est un triste ratage, qui ne saurait satisfaire les amateurs de Yôko Ogawa.

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"La Vallée de l'éternel retour", d'Ursula Le Guin

Publié le par Nébal

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LE GUIN (Ursula), La Vallée de l'éternel retour, [Always Coming Home], traduit de l'américain par Isabelle Reinharez, illustrations de Margaret Chodos-Irvine, Saint Laurent d'Oingt, Actes Sud – Mnémos, coll. Ourobores, [1985, 1994] 2012, 545 p.

 

Les plus assidus et perspicaces d'entre vous l'auront peut-être remarqué, mais j'adoooOOOooore Ursula Le Guin. Elle fait très clairement partie à mes yeux des très grands auteurs de science-fiction et de fantasy, et je me rue sur chacun de ses livres ou presque. Aussi, vous pensez bien que j'ai sauté au plafond quand j'ai appris que Mnémos allait rééditer La Vallée de l'éternel retour, en son temps publié par Actes Sud, dans la très belle collection Ourobores (dont j'avais adoré le précédent titre, Kadath).

 

Mais une précision s'impose d'emblée : La Vallée de l'éternel retour, c'est du Le Guin hardcore ; de la bonne, mais de la pure ; aussi ce livre ne saurait-il séduire qu'un public limité, qui ne serait pas rebuté par le principe même mis en œuvre par Ursula Le Guin.

 

On sait que l'auteur, fille d'ethnologue, a souvent – toujours ? – mêlé des éléments d'ethnologie à ses œuvres. C'est souvent une bonne part de ce qui en fait l'intérêt. Dans certains cas, cette prédilection peut se révéler discrète ; dans d'autres – et là je pense notamment au très bon recueil L'Anniversaire du monde –, l'ethnologie est au cœur du projet. Mais cela n'a jamais été aussi vrai que pour La Vallée de l'éternel retour, ouvrage étrange pour lequel le qualificatif de « roman » peut paraître douteux. Désireuse en effet de se livrer à une « archéologie du futur », l'auteur nous livre ici un volume presque intégralement dénué de narration, qui se présente sous la forme d'un ouvrage scientifique, assez velu. Disons que si l'on ne va pas jusqu'à une ethnologie très universitaire, ça s'en rapproche quand même, et le contenu est plus abstrait que dans, disons, un volume de la fameuse collection « Terre humaine ».

 

La Vallée de l'éternel retour se présente donc sous la forme d'une somme de documents ethnographiques sur le peuple kesh, vivant dans la vallée du Na, dans une Californie séparée du continent. Tout ceci provenant d'un futur indéterminé, mais qu'on supposera lointain, et probablement après une catastrophe tout aussi indéterminée (mais on a quelques indices ici ou là). Nous découvrirons donc les Kesh à travers ces documents très variés : des poèmes, chansons, danses, pièces de théâtre, écrits romanesques ou biographiques, etc. Il n'y a véritablement de narration soutenue que dans le long témoignage de Roche qui raconte (en trois parties), et dans une moindre mesure dans l'autobiographie de Pic Doré de la Serpentine de Telina-na. Pour le reste, qui forme une masse non négligeable, le lecteur se retrouve confronté directement aux documents ou à l'analyse des us et coutumes des Kesh.

 

Tout, tout, tout, vous saurez tout sur les Kesh ! De la naissance à la mort, toutes leurs cérémonies, tous leurs usages, seront présentés et analysés. Et c'est une société fascinante que nous décrit l'auteur : une civilisation qui adopte bien des traits qu'on ne confère usuellement qu'aux sociétés dites « primitives », sans être pour autant si « primitive » que ça ; les Kesh connaissent les fusils, l'électricité, et même les réseaux informatiques avec l'Échange. Mais ils sont aux antipodes des sociétés dites « développées » actuelles, et témoignent à maints égards d'une sorte de désir utopique (un peu hippie) (die, hippie, die !), anarchiste (j'ai inévitablement songé à La Société contre l'État de Pierre Clastres, et plus encore aux Nuer d'E.E. Evans-Pritchard), libertaire, égalitaire, matrilinéaire et matrilocale, et tendant au retour à la terre.

 

Mais le danger rôde : aux portes de la vallée, il y a la menace de la théocratie militariste du Condor. Pourtant, Ursula Le Guin nous présente un monde dans lequel l'impérialisme et les inégalités ne sauraient perdurer face à la vie paisible et simple des Kesh et autres peuples pacifiques de ce temps-là. Utopie ? Peut-être, oui ; sans doute, même ; mais ça n'en est pas moins fascinant et pertinent.

 

Ne nous voilons cependant pas la face : en dehors du récit de Roche qui raconte, La Vallée de l'éternel retour est d'un abord quelque peu ardu. Le lecteur non familier de quelques notions générales d'ethnologie peut à bon droit se retrouver largué. Au-delà, et cela vaut pour tous les lecteurs, il y a le risque de buter sur des documents qui peuvent parfois laisser perplexe (je pense ici notamment aux très nombreux poèmes et chants compilés dans le recueil, mais bon, il est vrai que la polésie et moi...). La Vallée de l'éternel retourest un ouvrage parfois assez difficile. On ne le conseillera certainement pas pour découvrir l'auteur ; quant à ceux qui ne goûtent guère Le Guin dans ses romans et nouvelles plus « traditionnels », ils ne seront pas davantage convaincus par ce concentré parfois un peu aride...

 

Mais pour les autres, il y a tout un monde à découvrir (ce qui justifie la publication en Ourobores). Une sorte de monde idéal, militant même, mais tout à fait saisissant, et qui n'attend qu'un mouvement pour être arpenté avec délice. Un régal, donc, pour le Nébal. Et peut-être pour vous aussi ?

 

EDIT : Le grossier Gérard Abdaloff en parle dans la Salle 101, ici. 

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"La Terre mourante. L'intégrale", de Jack Vance

Publié le par Nébal

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VANCE (Jack), La Terre mourante. L’intégrale, traduit de l’américain par France-Marie Watkins, Paul Alpérine, Monique Lebailly, Michel Darroux & Bernadette Emerich, traductions révisées et complétées par Sébastien Guillot, Pygmalion – J’ai lu, coll. Sience-fiction – Fantasy, [1950, 1966, 1983-1984, 2010-2011] 2012, 2 t., 436 et 637 p.

 

Non, décidément, y a pas, j’aime bien Jack Vance. Oh, certes, on peut lui reprocher bien des choses – je ne vais pas revenir là-dessus, j’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de m’exprimer à ce sujet –, mais il reste tout de même un conteur doué, qui n’a pas son pareil pour faire voyager ses lecteurs, et, souvent, leur faire découvrir des cultures et coutumes étranges et fascinantes, témoignant de l’imagination débordante de ce bourlingueur invétéré. Aussi, de temps en temps, un petit Vance, hop ! ça ne peut pas faire de mal.

 

Mais j’ai de terribles lacunes dans ma bibliothèque vancienne – de véritables classiques de la SF et de la fantasy qui me sont passés sous le nez, pour une raison ou pour une autre. « La Terre mourante » en faisait partie. Aussi, la parution de cette intégrale révisée en poche me fit l’effet d’une occasion de choix pour y remédier, d’autant que, parmi les livres composant le cycle, on trouve les deux romans ayant Cugel l’Astucieux pour héros, et je me souvenais encore du témoignage d’un ami un temps vancien frénétique qui me vantait la chose.

 

Un futur très lointain.  À des éons et des éons de distance, qui ont vu naître, fleurir, prospérer et mourir des civilisations sans nombre. Mais ça ne va pas durer : en effet, le soleil se meurt (et non pas « se meure », vilaine coquille présente sur les deux quatrièmes de couverture), et la Terre avec, balayée par quelques rayons rougeoyants témoignant du déclin inéluctable et de la mort prochaine, sans grands effets spéciaux pyrotechniques, de notre soleil et de tout ce qui en dépend.

 

Mais la Terre est alors devenue Un monde magique. C’est ainsi avec un recueil de six nouvelles plus ou moins enchevêtrées qu’il nous sera donné de découvrir cet étrange univers apocalyptique. Six nouvelles généralement placées sous le signe de la quête du savoir, et dont les héros sont généralement de puissants magiciens avides de connaissances… ou leurs créatures, comme T’saïs. Je ne vais pas faire le détail de nouvelles, et me contenterai donc de noter ici que, pour être quelque peu inégales, elles n’en sont pas moins dans l’ensemble intéressantes, et contiennent à l’occasion quelques fort bonnes idées (ainsi dans « Ulan Dhor », qui anticipe dans un sens The City & the City de China Miéville de façon étonnante, avec soixante ans d’avance…). Reste que ces récits très courts ne sont pas la distance de prédilection de Jack Vance, plus à l’aise dans des romans – quand bien même picaresques et à la limite du fix-up –, qui lui fournissent l’occasion de déployer toute son imagination au service de voyages fantastiques.

 

L’odyssée de Cugel l’Astucieux en est un très bon exemple. Cugel, minable petit voleur qui mérite cependant son surnom quand il ne joue pas au con – c’est-à-dire rarement –, est condamné par Iucounu le magicien rieur à effectuer une quête pour lui, en dédommagement d’une tentative de cambriolage. Pas de problème : la quête à proprement parler sera accomplie dès le premier chapitre du roman ! Mais les aventures – et les malheurs – de Cugel ne sont pas terminées pour autant : il lui faut revenir par ses propres moyens du Nord barbare, et c’est un bien long voyage, auquel il est néanmoins contraint et forcé. Aussi rumine-t-il sa vengeance à l’encontre de Iucounu et de ses mauvaises blagues… Cugel l’Astucieux est clairement le point d’orgue du cycle, et, au-delà, une sorte de type idéal de la fantasy légère, distrayante et drôle ; autant dire que Jack Vance a parfaitement rempli son contrat avec ce roman frais et enjoué, bourré d’astuce, parfois désopilant, toujours enchanteur. Voilà ce que j’appelle du divertissement de qualité : Cugel l’Astucieux s’est révélé être à la hauteur de sa réputation.

 

Passons maintenant au deuxième tome avec Cugel Saga. Le roman – deux fois plus long que son illustre prédécesseur – prend les mêmes et recommence : il débute juste là où s’achevait Cugel l’Astucieux… c’est-à-dire à la veille d’un nouveau voyage interminable, avec à la clé la vengeance contre Iucounu le magicien rieur. Mais, cette fois, la plaisanterie est sans doute trop longue, et, si les bonnes idées ne manquent pas dans Cugel Saga, qui est en outre sans doute le roman du cycle où l’on retrouve le plus la veine « ethnologique » de l’auteur, il n’en reste pas moins que le résultat n’a pas le panache, le brio et l’agréable légèreté de son modèle, plus dense et plus maîtrisé.

 

Reste enfin Rhialto le Merveilleux, qui comprend trois récits en rapport avec un collège de magiciens cupides et ridicules (qui valent bien ceux de l’Université Invisible de Terry Pratchett). Distrayant, mais pas assez pour emporter l’adhésion : ces trois brefs récits ont tous comme un goût d’inachevé, et sont par ailleurs assez bavards… Plutôt raté, donc, pour ne pas dire bâclé.

 

 Au final, nous retiendrons donc surtout Cugel l’Astucieux dans cette intégrale, qui est largement au-dessus du lot. Le reste est cependant assez sympathique et, même quand Vance accuse un coup de mou, il demeure un conteur plein de talent, qui sait divertir son lectorat. Ça tombe bien : on ne lui demande pas autre chose.

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"Le Vent dans les saules", de Kenneth Grahame

Publié le par Nébal

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GRAHAME (Kenneth), Le Vent dans les saules, [The Wind in the Willows], préface par Alberto Manguel, traduit de l’anglais par Gérard Joulié, illustrations d’Arthur Rackham, Phébus – Libella, coll. Libretto, [2006] 2011, 215 p.

 

Pardon du lieu commun, mais il en va de certains livres comme de la pop ou de l’humour : ils acquièrent une saveur toute particulière du simple fait qu’ils sont définitivement anglais. C’est assurément le cas pour Le Vent dans les saules de Kenneth Grahame, immense classique de la littérature enfantine et du merveilleux animalier que je souhaitais lire depuis une éternité.

 

Entendons-nous cependant sur les termes : quand je parle ici de « littérature enfantine », c’est de la meilleure qu’il s’agit, celle qui réjouit les adultes autant (si ce n’est plus…) que leurs bambins. Kenneth Grahame s’inscrit ici dans la tradition, par exemple, d’un Lewis Carroll ou d’un James Matthew Barrie. La présentation de l’auteur tient d’ailleurs à en faire « le seul alter ego crédible de Lewis Carroll », mais c’est à mon sens faire un peu fausse route : au non-sense des aventures « d’Alice » ou de Sylvie et Bruno s’oppose ici assez radicalement une apologie du solide « bon sens », tout aussi britannique (et très conservateur, mais c’est une autre histoire…).

 

De même, quand on parle ici de « merveilleux animalier », il ne faut pas s’attendre à une débauche d’effets spéciaux de fantasy : le merveilleux réside dans les caractères anthropomorphes des personnages animaux et dans leur parfaite intégration, « naturelle » dans un sens, dans le monde des humains (un peu comme dans Le Roman de Renart, par exemple) (si j’veux) (ah mais).

 

Le Vent dans les saules – joli titre, au passage ; il faut dire que la plume de l’auteur est de manière générale du meilleur goût, mais on y reviendra – nous dépeint les itinéraires de quatre amis, au sens le plus fort (et le plus britannique) du terme. Nous faisons tout d’abord la connaissance de Mr Taupe, qui, un jour, las de son nettoyage de printemps, l’envoie paître et se décide pour une promenade au soleil, qui l’amènera sur la berge de La Rivière, où il rencontrera Mr Rat d’eau, qui deviendra bientôt son meilleur ami. Mais à ces deux amateurs de canotage et de pique-nique, il faut encore ajouter deux personnages que tout oppose : Mr Blaireau, paternaliste, sévère mais juste, incarnation d’une certaine amitié sage et quelque peu moralisatrice, et, de l’autre côté du spectre, Mr Crapaud, l’excentrique et égocentrique Mr Crapaud, toujours possédé par les plus folles des lubies – en ce moment, c’est surtout celle des automobiles, pour son plus grand malheur, et celui des autres aussi, d’ailleurs.

 

L’œuvre entière est parcourue par une tension entre deux tentations incompatibles : le désir d’aventure, et le confort du chez-soi. L’aventure… C’est qu’il y a, au-delà de La Rivière, la Forêt sauvage, et au-delà le Vaste Monde ! C’est essentiellement Crapaud, l’intrépide et inconscient Crapaud, qui incarnera ce goût pour l’aventure. Mais Taupe joue également ce rôle dans les premiers chapitres, et Rat est bien près de succomber à l’appel lors du très beau chapitre intitulé « Les voyageurs ». Mais « Ah ! Regagner ses pénates… » En fin de compte, il n’y a rien de meilleur qu’un bon chez-soi, avec un intérieur cosy (of course) et de quoi faire de bons repas (car voilà bien une occupation qui revient souvent dans ce court roman : MANGER).

 

La fable est belle et savoureuse, portée à l’occasion par des pages magnifiques, où la plume de l’auteur se révèle tout à fait délicieuse. L’humour est également au rendez-vous, bien entendu, qui tend à l’occasion vers le burlesque – merci Mr Crapaud ! –, avec peut-être de temps à autre une brin de satire (mais juste un brin).

 

Le Vent dans les saulesest une lecture succulente, et l’on comprend sans peine pourquoi on lui a tressé des lauriers de classique. So British, certes, et en même temps universel, il s’agit bien là d’un « livre magique », comme le dit Alberto Manguel dans sa préface. Envoûtant et beau, il a l’intemporalité des chefs-d’œuvre.

 

Sur ce, je m’en vais réécouter The Piper at the Gates of Dawn, tiens…

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"Mimosa", de Vincent Gessler

Publié le par Nébal

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GESSLER (Vincent), Mimosa, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, 2012, 342 p.

 

Vincent Gessler est à l’évidence un être exceptionnel – et je ne dis pas ça seulement parce qu’il n’est même pas français. Non, voyez plutôt : après avoir tout raflé avec son premier roman, le post-apocalyptique Cygnis, que, bien évidemment, votre serviteur n’a toujours pas trouvé l’occasion de lire alors que bon, voilà qu’il impose pour la deuxième fois à L’Atalante un roman avec une couverture qui ne pique pas les yeux, ce qui, en ces temps difficiles, relève du tour de force.

 

Mimosa, donc. C’est mimi. Sauf que sous ce titre, et pour son deuxième pavé dans la mare, Vincent Gessler nous prodigue pour le coup un récit cyberpunk (ou post-cyberpunk, si vous y tenez) survitaminé et pyrotechnique, même que ça pète dans tous les coins. Tendez l’oreille :

 

BOUM !

 

TAKATAKATAKATAKATAKATAKATAKATAK !

 

PAN ! PAN !

 

PIOU !

 

« Aaaargh ! »

 

Eh oui.

 

Nous sommes en Amérique du Sud, à Santa Anna, dans un futur proche, mais pas trop quand même. La mode, en ce temps-là, c’est de devenir le sosie d’une personnalité, réelle ou fictive, jusqu’à l’incarner. C’est ainsi que joueront un rôle non négligeable dans ce roman des personnages aussi divers qu’Ed Harris, Crocodile Dundee, Jésus de Nazareth, Gary Coleman, Lambert Wilson, et bien d’autres encore que je vous laisserai découvrir.

 

Mais Tessa ne suit pas cette mode. Elle n’entend être qu’elle-même (non mais oh). À la tête de l’agence Two Guns Company & Associates, elle fait son boulot de détective privée, et remonte une piste qui sent bon le mimosa (moi, je sais pas si ça sent bon, j’ai le nez bouché) et le bon krovi rouge rouge des familles.

 

Sauf que les choses ne sont pas aussi simples. L’enquête se mue en traque, pouis en guerre des gangs, puis en guerre tout court.

 

BOUM !

 

Voilà. Et Tessa de se retrouver au milieu de tout ça, car elle aura l’occasion, entre deux coups de feu, d’en apprendre long sur son passé. Ce qui peut dire bien des choses, en ces temps de clonage et de reconstruction mémorielle.

 

Mimosa, c’est explosif, donc. Allez, encore une fois :

 

BOUM !

 

Mais c’est aussi et avant tout un roman survolté et efficace, pas hyper original mais suffisamment malin pour que ça ne pose pas de problème, et qui se lit d’une traite. Écrit avec une plume plus qu’honnête, doté de personnages bien campés en dépit de leur nécessaire superficialité de façade (et bonjour les pléonasmes), Mimosa convainc sans peine, et c’est avec plaisir que l’on suit les pérégrinations de Tessa et de ses petits camarades.

 

Plaisir : voilà le maître-mot de Mimosa. On sent à maintes reprises que l’auteur s’est fait plaisir en l’écrivant, et qu’il entend bien communiquer ce plaisir au lecteur (ce qui, vous l’avouerez, est gentil de sa part). Seulement c’est là tout à la fois la force et la faiblesse du roman. Disons-le franchement : si l’on joue volontiers le jeu des références et allusions fortement geek et plus ou moins cryptiques, si l’on s’amuse tout d’abord de cette tendance au name dropping et aux private jokes (if je dare m’exprimer ainsi), au bout d’un moment, ça devient quand même un peu lourd. À trop solliciter la connivence du lecteur, Vincent Gessler se retrouve parfois dans l’embarrassante situation d’un énergumène qui multiplie les « wink wink nudge nudge » à grands coups de clins d’œil crispés et de coudes dans les reins. Ce qui est un peu énervant.

 

Mais bon : ça n’enlève rien à l’essentiel, et, oui, globalement, Mimosa est un roman réussi, palpitant et bien foutu. Mais il a ses excès difficilement pardonnables, telles ces annexes en fin d’ouvrage, pour le coup vraiment trop potaches, et on se dispensera allègrement. Alors voilà, petite déception, du coup, même si ça n’a rien de dramatique ; mais j’en attends un peu plus de Cygnis, qu’il va bien falloir que je me décide à lire un jour. Parce que, dans Mimosa, il y a à boire et à manger. En quantité certes. Et, oui, comme c’est Nébal qui vous le dit, vous pouvez en déduire qu’un con fait des rations helvétiques.

 

(Désolé.)

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"Divertissements transylvaniens", de Cristian Vila Riquelme

Publié le par Nébal

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RIQUELME (Cristián Vila), Divertissements transylvaniens, [Divertimentos Transylvánicos], traduit de l’espagnol (Chili) par Philippe Muller, illustrations de Raúl Schneider, postface de Roger Bozzetto, Cadillon, Le Visage Vert, [2001] 2012, 205 p.

 

De l’auteur chilien Cristián Vila Riquelme, je ne saurais rien vous dire de plus que ce qui figure sur la quatrième de couverture de ces Divertissements transylvaniens ou dans la postface de Roger Bozzetto. Passons donc outre, mais retenons-en deux choses qui nous seront d’une certaine utilité dans l’élaboration de ce compte rendu miteux : d’une part, l’auteur est un pouète (et les plus assidus d’entre vous savent ce que je pense de la polésie) ; d’autre part, il a très longtemps vécu en exil loin du sinistre Pinochet, et c’est pour la plupart durant cet exil qu’ont été composés les récits fort disparates qui constituent ce recueil. Ces textes ne sont donc pour la plupart pas tout neufs, souvent « européens », et généralement marqués par cette thématique de l’exil et, inversement, du retour.

 

Les lecteurs du Visage Vert (du moins ceux qui ont eu la chance de mettre la main sur le numéro 17, aujourd’hui épuisé…) avaient eu droit à un premier aperçu de ces Divertissements transylvaniens, sous la forme de deux récits très différents : l’un, « Nautilus », relevait assez largement de la poésie en prose, et se montrait passablement hermétique ; l’autre, « Retour », bien plus conventionnel, marquait les esprits par sa jolie plume et l’émotion qui s’en dégageait. Dans les deux textes, on trouvait le thème de l’exil (plus franchement dans le second, certes), ainsi qu’un mystérieux Consul Itinérant de la République Monarchique de Transylvanie, évidemment vampire de son état, et qui figure à des degrés divers dans tous ces « divertissements », tantôt acteur de premier plan, parfois simple figurant, quand il ne se contente pas d’être un simple spectateur, ou le « destinataire » du récit. Fil (rouge, bien sûr) ténu qui relie tous ces textes, le Consul s’ajoute aux thématiques de l’exil et aux amours tristes, voire pathologiques, pour fonder en fin de compte l’unité du recueil.

 

Les pistes données par « Nautilus » et « Retour » se retrouvent dans le volume, que l’on peut bien (quoique sans doute un peu hâtivement) séparer en deux blocs : le premier, à la « Nautilus », n’a généralement pas grand-chose de narratif, et verse volontiers dans l’expérimentation post-post-post-post-post-moderne (oui, je mets cinq « post- », parce que c’est plus funky), pour un résultat généralement assez intéressant sur le plan formel, mais qui a néanmoins de quoi plonger le lecteur innocent (oui, je suis innocent) dans des abîmes de perplexité, pour ne pas dire de perplexitude.

 

Le second, à la « Retour », pour être moins audacieux (oh que oui), n’en est pas moins à mon sens plus convaincant. Cristián Vila Riquelme s’y montre un nouvelliste souvent talentueux, capable de susciter tout un bouqet d’émotions et de sentiments touchants, et généralement douloureux. Le lecteur en ressort mélancolique, même si certains textes, notamment parmi les derniers, changent quelque peu de tonalité.

 

Un recueil bicéphale, donc. Étrange, et, à mon sens, plus ou moins pertinent. Mais, ainsi que vous le savez, j’ai un problème avec les pouètes, et tout ceci n’engage donc que moi. Les amateurs de plumes sophistiquées que l’expérimentation ne répugne pas trouveront sans doute leur compte dans ces Divertissements transylvaniens. Et je reconnais ne pas en être sorti avec le même sentiment de frustration que pour, disons, un Madman Bovary. Aussi est-ce en définitive à vous de voir : devant ce genre d’ouvrages, le Nébal n’a pas grand-chose à dire, et ferait sans doute mieux de fermer totalement sa gueule. Mais, que voulez-vous…

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