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Dossier Kwaidan 03 : Kwaidan, de Lafcadio Hearn à Kobayashi Masaki - Lafcadio Hearn et l'imaginaire japonais

Publié le par Nébal

Dossier Kwaidan 03 : Kwaidan, de Lafcadio Hearn à Kobayashi Masaki - Lafcadio Hearn et l'imaginaire japonais

La première partie se trouve ici. La précédente .

Le travail de Lafcadio Hearn (1850-1904) s’inscrit dans le contexte que nous venons d’évoquer, particulièrement en ce qui concerne les kaidan-shû 怪談集. Quelques éléments biographiques s’imposent.

 

Patrick Lafcadio Hearn est né en 1850 sur l’île grecque de Leucade (d’où son second prénom, celui sous lequel il se fera connaître), d’un père irlandais (militaire dans l’armée britannique, alors en poste dans l’île) et d’une mère grecque, qui bientôt l’abandonnent à des parents en Irlande. Les premières années de sa vie sont marquées par de nombreuses difficultés familiales, et bientôt financières, qui l’inciteront à s’émanciper en voyageant de par le monde pour gagner sa vie.

 

À l’âge de 19 ans, ils se rend ainsi aux États-Unis, et d’abord à Cincinnati, où il devient journaliste – un métier de plume qui influera considérablement ses écrits de manière générale : tout au long de sa vie, il puisera son inspiration dans son environnement, et nombre de ses publications, qu’elles portent sur la cuisine, le folklore ou d’autres choses encore, n’étaient au fond pas autre chose que des reportages, d’un style certes supérieur.

 

En 1874, son mariage avec une métisse, illégal au regard de la loi de l’Ohio, constitue un prétexte pour que son journal le licencie (mais il semblerait que ses articles teintés de libre-pensée lui avaient attiré des inimitiés, qui auraient été la véritable motivation de cette sanction). Il retrouve un emploi dans un autre titre de presse, mais ce sont des années difficiles : son travail l’ennuie, et il préfère traduire en anglais des œuvres d’auteurs français – au fil des années, il fera ainsi office, déjà, de passeur, pour des auteurs tels que Théophile Gautier ou Gustave Flaubert, mais aussi Maupassant ou Mérimée (ce qui lui donne déjà l’occasion de se frotter à la littérature fantastique, parfois), ou encore Pierre Loti, qu’il admire particulièrement[1] ; son tumultueux mariage s’avère bien vite un échec (le couple divorce en 1877) ; et il ne tient pas en place…

 

Il traverse alors le pays, et s’installe à La Nouvelle-Orléans, où il demeure plusieurs années. Il est séduit par la culture créole, à laquelle il consacre plusieurs écrits sur des sujets très divers (incluant cependant déjà des « histoires étranges » issues du folklore), un goût qu’il approfondit lors d’un séjour de deux ans dans les Antilles françaises, et notamment à la Martinique.

 

Mais l’envie de partir le reprend. À l’invitation d’un ami diplomate, Lafcadio Hearn embarque pour le Japon, et arrive à Yokohama 横浜 en 1890 – et le prétexte de son voyage (devenir un correspondant au Japon pour la presse anglophone) est vite oublié : Hearn, l’éternel apatride, a enfin le sentiment de se trouver « chez lui ». Avec le soutien de Basil Hall Chamberlain, un des premiers japonologues britanniques, il obtient un poste de professeur à Matsue (sa carrière se poursuivra à Tôkyô 東京, d’abord à Tôdai 東大 puis à Waseda 早稲田). Il épouse une Japonaise, Koizumi Setsuko 小泉節子, puis, fait sans doute assez rare, il prend la nationalité japonaise, et adopte le nom de Koizumi Yakumo 小泉八雲. Pendant une quinzaine d’années, jusqu’à sa mort en 1904, Lafcadio Hearn multipliera les publications concernant le Japon, dans bien des domaines[2], et ce sont essentiellement ces écrits qui lui vaudront de devenir célèbre.

 

Les « histoires étranges », comme celles qui furent publiés dans Kwaidan à la veille de sa mort, ne représentent qu’une partie de sa production d’alors – mais certes pas négligeable : l’auteur a toujours prisé les récits fantastiques et le folklore, ce qu’il avait déjà montré notamment dans ses ouvrages consacrés à la culture créole, et éventuellement dans certaines traductions du français. On a parfois voulu, au nom de son ascendance irlandaise et de son enfance à Dublin, l’associer à certains « compatriotes », parmi les plus grands écrivains fantastiques de l’époque, incluant Oscar Wilde, Bram Stoker, Sheridan Le Fanu ou Lord Dunsany – ce qui s’accorde sans doute mal avec sa vie d’apatride jusqu’à ce qu’il se fixe au Japon…

 

Il est certes devenu un grand nom de la littérature fantastique, mais essentiellement en tant que passeur : au Japon, il n’est pas tant un créateur qu’un collecteur d’histoires, souvent purement orales jusqu’alors ; son épouse et ses étudiants, à sa demande, l’abreuvent de récits à la manière des kaidan-shû, comme en témoigne le titre de son plus fameux et ultime recueil, et c’est bien dans cette optique qu’il transmet à ses lecteurs anglophones la substance de l’imaginaire japonais – qu’il s’agisse de susciter l’effroi ou la mélancolie, ou même le rire, car le propos de ces contes est fluctuant. Mais il sait raconter toutes ces petites histoires avec brio, et sa plume habile lui vaut bien le statut de grand écrivain.

 

Mais Lafcadio Hearn n’a pas séduit qu’en Occident. Ses étudiants japonais l’appréciaient beaucoup – parmi lesquels Aizu Yaichi 会津 八一, sur lequel nous reviendrons. Passeur dans les deux sens, il a donné à certain d’entre eux le goût de la littérature anglaise, mais aussi de la culture de la Grèce antique, tout particulièrement. Mais, de manière plus inattendue, il a aussi rendu, d’une certaine manière, à ces étudiants le goût de leur propre folklore, à une époque où la modernisation à marche forcée du régime de Meiji 明治 avait parfois tendance à dénigrer le passé japonais. En effet, les kaidan-shû avaient leurs limites, et l’approche de Lafcadio Hearn relève davantage d’un travail de folkloriste – en la matière, il précède de quelques années les travaux fondateurs d’un ethnologue tel que Yanagita Kunio 柳田國男[3].

 

D’où une influence persistante de Lafcadio Hearn au Japon même – dont témoignera, s’il en était encore besoin, soixante ans après sa mort, le film Kwaidan (Kaidan 怪談) de Kobayashi Masaki 小林正樹.

 

[1] Rappelons que cet autre écrivain voyageur avait séjourné au Japon, ce qui lui avait inspiré notamment son roman Madame Chrysanthème – qui, comme les écrits de Lafcadio Hearn plus tard, contribuerait à développer la curiosité pour le Japon en Occident ; cependant, Loti s’y montrait pour le moins critique, à la différence de Lafcadio Hearn, lequel tomberait littéralement amoureux de ce pays lointain…

[2] Parfois surprenants – qu’on songe à ses nombreux écrits portant sur les insectes dans la poésie japonaise, bien au-delà des seules études concluant Kwaidan ; ils ont été rassemblés à titre posthume dans HEARN Lafcadio, Insectes, Paris, Les Editions du Sonneur, 2016.

[3] cf. Yanagita Kunio, « Contes de Tôno », in Mille Ans de littérature japonaise, t. 2, op. cit., pp. 235-246 (extraits).

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Dossier Kwaidan 02 : Kwaidan, de Lafcadio Hearn à Kobayashi Masaki - Les fantômes japonais dans les arts et les lettres

Publié le par Nébal

Dossier Kwaidan 02 : Kwaidan, de Lafcadio Hearn à Kobayashi Masaki - Les fantômes japonais dans les arts et les lettres

La première partie se trouve ici.

L’étude de l’adaptation cinématographique des « histoires de fantômes » de Lafcadio Hearn par Kobayashi Masaki 小林正樹 ne peut se faire dans le vide. Un travail préalable de contextualisation s’impose, qui visera notamment à inscrire les œuvres étudiées dans la biographie et la production des deux auteurs. Mais, encore avant cela, il nous faudra nous pencher sur les sources du fantastique japonais, littéraire et cinématographique. Ce n’est qu’au travers de la conjonction de ces trois approches que le film Kwaidan (Kaidan 怪談) pourra en son temps être analysé.

 

Le Japon, du fait notamment de sa tradition religieuse mêlant shintô 神道, bouddhisme et confucianisme, sur un socle de chamanisme, entretient avec l’idée même de « fantôme » des relations sans doute différentes de l’Occident de tradition judéo-chrétienne, dans laquelle ils n’ont absolument pas leur place, et sont dès lors tôt relégués au rang de la pure superstition ; les histoires de fantômes ne sont certes pas absentes de l’imaginaire européen ancien, mais elles ne peuvent dès lors avoir la même prégnance qu’au Japon, où, longtemps, l’existence des fantômes, comme celle des esprits de manière plus générale, a pu paraître aller de soi pour tous, et parfaitement conforme aux divers enseignements sacrés – ceci, jusqu’à leur remise en cause par certains intellectuels, tel Yamagata Bantô 山片蟠桃 (1748-1821), dans une optique pouvant évoquer en Europe, peu ou prou à la même époque, les attaques des philosophes des Lumières contre la superstition et la foi notamment catholique[1]. Il faut dire que les morts, sinon les fantômes à proprement parler, sont au cœur de la vie religieuse – mais la notion même de fantômes peut être avancée avec davantage d’assurance quand on prend en compte l’activité immémoriale des femmes chamanes, qui intercèdent entre les vivants et les morts. Aujourd’hui encore, la fête d’O-Bon お盆, chaque année, en été[2], célèbre la visite des ancêtres défunts, auquel un culte est traditionnellement rendu dans chaque famille tout au long de l’année, ce culte constituant le pilier de la pratique religieuse japonaise et du système traditionnel ie .

 

La foi bouddhique, de manière plus spécifique, s’en est très bien accommodée. On trouve des fantômes, parmi d’autres créatures surnaturelles, dans les Histoires qui sont maintenant du passé (Konjaku monogatari shû 今昔物語集)[3], dont le propos vise essentiellement à l’édification – cette signification religieuse exclut ces histoires du champ de ce que l’on appellera ultérieurement le fantastique, mais certains récits « vulgaires » (au sens de « profanes ») de la partie japonaise du recueil s’en rapprochent déjà davantage, qui inspireront en leur temps, par exemple, Akutagawa Ryûnosuke 芥川龍之介 (1892-1927)[4].

 

Il en va en partie de même concernant le registre merveilleux, dans des contes tels que celui du Coupeur de bambou (Taketori monogatari 竹取物語) ; mais, si l’idée d’un récit conçu pour le divertissement et non l’édification nous rapproche bel et bien de la littérature fantastique à venir, nous nous en tiendrons ici aux récits plus spécifiquement voués à l’angoisse et à l’épouvante, et au premier chef aux histoires de fantômes.

 

Le fait est que, au-delà des kami et des bouddhas, le folklore japonais est riche de nombreux yôkai 妖怪, parmi lesquels les yûrei 幽霊, fantômes « au sens strict » (le terme bakemono 化け物 peut désigner les fantômes, mais a une acception plus large), et la culture japonaise classique abonde en créatures surnaturelles, esprits de défunts ou non, qui peuvent intervenir dans un récit sans pour autant que l’œuvre en question ne verse le moins du monde dans le fantastique. À titre d’exemple, dans Le Dit du Genji (Genji monogatari 源氏物語) de Murasaki Shikibu 紫式部 (c. 973–c. 1014 ou 1025), le livre quatrième, Yûgao 夕顔, rapporte comment les maîtresses du Prince Resplendissant font les frais de la jalousie de « l’esprit vif » d’une ancienne compagne – et en meurent[5]. Certes, il ne s’agit pas là d’un fantôme au sens où nous l’entendons habituellement, l’esprit n’étant pas celui d’une défunte, mais ces manifestations surnaturelles particulières, fréquemment mentionnées dans le folklore du Japon, intéresseront beaucoup Lafcadio Hearn, qui en évoquera plusieurs cas dans ses contes et notamment dans Kwaidan[6].

 

Nous pouvons aussi citer, mêlant cette fois « véritables » fantômes et « esprits vifs », Taira no Kiyomori 平清盛 (1118-1181) confronté aux spectres de ses victimes, mortes ou exilées, qui perturbent l’accouchement de sa fille dans le livre troisième du Dit des Heike (Heike monogatari 平家物語)[7] – un ouvrage qui se veut une chronique historique, de manière assez significative.

 

Bien avant cela, à vrai dire, l’histoire officielle du Japon mentionnait déjà les manifestations de fantômes qu’il fallait s’accommoder à titre posthume – l’exemple le plus célèbre étant celui du conseiller banni Sugawara no Michizane 菅原道真 (845-903), finalement déifié sous le nom de Tenjin 天神, dieu des lettres et des études, pour apaiser sa colère.

 

Sur ces bases (historiques, religieuses, folkloriques), le traitement littéraire de la figure du fantôme va connaître une évolution marquée, au théâtre et dans la fiction en prose, qui sera à chaque fois d’une grande importance pour le cinéma fantastique japonais.

Tout d’abord, le théâtre nô , tel qu’il se constitue durant l’époque de Muromachi (Muromachi-jidai 室町時代, 1336-1573) au travers des œuvres de Kan.ami 観阿弥 (1333-1384) et de son fils Zeami 世阿弥 (1363-1443), fait très souvent, sinon systématiquement, appel à des personnages de fantômes, qui sont incarnés par le shite 仕手, soit l’acteur principal, revêtu d’un masque. Dans le programme classique de la journée de nô, la deuxième pièce est vouée aux « spectres de guerriers », les ashura 阿修羅, et la troisième à des « spectres féminins » ; si l’on ajoute que la première met en scène des « divinités » et la cinquième et dernière des « démons », la quatrième pièce seule, « de la vie réelle », semblant en principe dépourvue de créatures surnaturelles, on pèse combien celles-ci et notamment les fantômes sont indissociables de cet art[8]. Le nô est un « spectacle total », mêlant théâtre, poésie, musique, chant et danse, outre la conception des costumes et surtout des masques – il aura une certaine influence sur le cinéma japonais, bien plus tard, mais sa singularité demeurera ; en fait, dans le domaine qui nous intéresse, si cette prépondérance des fantômes ne sera pas sans conséquences sur le cinéma fantastique, le répertoire du nô abondant en sujets de films, l’influence de ce registre théâtral sera peut-être avant tout esthétique[9].

 

On peut avancer que la lenteur caractéristique d’un certain cinéma japonais, qui vaut d’ailleurs pour Kwaidan, film long (plus de trois heures) et d’un rythme très posé, dérive de cet art de la subtilité et de l’épure. Dans ce film à sketchs, c’est probablement dans le troisième, « Hôichi sans oreilles » (Mimi-nashi Hôichi 耳なし芳), que l’influence du nô serait la plus palpable, par exemple dans la gravité de la mise en scène de la bataille de Dan-no-ura (Dan-no-ura no tatakai 壇ノ浦の戦い)[10], mais sans exclure, loin de là, d’autres influences, dont celle du kabuki 歌舞伎, notamment dans la flamboyance marquée des costumes et du maquillage. La succession, dans le film de Kobayashi Masaki, de quatre histoires différentes, pourrait lointainement évoquer la succession des pièces dans la journée de nô, mais cette hypothèse, évoquée seulement pour mémoire, paraît peu concluante, dans la mesure où les quatre histoires (et non cinq) ne suivent pas la progression orthodoxe des pièces, outre qu’elles ne sont pas séparées par des kyôgen 狂言 destinés à relâcher l’atmosphère : celle-ci est délibérément pesante tout au long du film, et, s’il est bien quelques traits d’humour çà et là, ils demeurent rares et sont souvent tardifs…

 

Le théâtre nô, assez rapidement, devient un divertissement associé à l’élite, aux guerriers (bushi 武士). Mais, durant l’époque d’Edo (Edo-jidai 江戸時代, 1603-1868), qui voit l’émergence de la classe bourgeoise, de nouvelles formes théâtrales se développent, qui correspondent davantage aux goûts des marchands, et notamment le kabuki. Ce nouveau théâtre est antithétique du nô : flamboyant, nerveux, virtuose, riche d’effets spéciaux. Les classes supérieures, dans un mouvement de rejet, le jugent vulgaire, mais il n’en remporte pas moins un succès considérable, qui persistera, et affectera sans commune mesure le développement du cinéma japonais en général, et du cinéma fantastique en particulier[11].

En effet, le cinéma fait son apparition au Japon très tôt – le procédé d’Edison fait l’objet d’une démonstration en 1896, puis le cinématographe des frères Lumière arrive dès l’année suivante, avec des opérateurs qui filment des scènes de rue ou la danse de geishas 芸者. Et on ne tarde guère à filmer de fameux acteurs de kabuki, qu’il s’agit de rendre « immortels ». Les premiers films de ce type sont très simples, sans réalisation ni mise en scène à proprement parler : on se contente de poser la caméra, devant laquelle des « stars » du kabuki[12] se livrent à un pot-pourri de leurs meilleures scènes, sans narration suivie. Après quoi l’on se met à adapter véritablement des pièces : au Japon comme ailleurs, le cinéma ressemble d’abord beaucoup à du théâtre filmé – mais à terme se développe la grammaire de ce nouveau médium, le découpage, le montage, etc., ce qui débouche sur les premières réalisations à proprement parler. Et beaucoup s’inspirent d’abord du répertoire du kabuki, si d’autres se tournent vers le shinpa 新派, c’est-à-dire le théâtre « moderne » (ainsi désigné justement pour le distinguer du kabuki), qui se veut plus réaliste et prise les histoires « contemporaines ». Ces deux sources d’inspiration débouchent sur les deux versants du cinéma japonais pour une très longue période : d’un côté, dérivé du shinpa, il y a le gendaigeki 現代劇, cinéma « contemporain » et « réaliste » ; de l’autre, il y a le jidaigeki 時代劇, cinéma « historique », « d’époque », « costumé », qui provient essentiellement du kabuki. Cette distinction devient même bientôt géographique : on tourne les jidaigeki dans des studios situés à Kyôto 京都, tandis que les studios où l’on filme les gendaigeki se trouvent à Tôkyô 東京. Pendant une très longue période, le cinéma japonais se partagera à peu près équitablement entre ces deux styles – mais, en Occident, quand on commencera à s’intéresser au cinéma japonais dans les années 1950, après le succès inattendu à l’exportation du Rashômon 羅生門 de Kurosawa Akira 黒澤明[13], Lion d’or à la Mostra de Venise en 1951, le goût de l’exotisme aura pour conséquence qu’on ne s’intéressera peu ou prou qu’au jidaigeki pendant un long moment ; le gendaigeki, avec des réalisateurs aussi importants qu’Ozu Yasujirô 小津安二郎, ne sera « découvert » que bien plus tard, rétrospectivement[14].

 

Cette distinction aura une conséquence particulière pour le cinéma fantastique japonais. En effet, le shinpa, qui se veut « réaliste », ne prise guère les sujets fantastiques ; en revanche, le kabuki, avec son côté flamboyant, est bien plus propice à la narration de telles histoires ; son répertoire étant abondamment repris dans le jidaigeki, les classiques du kabuki relevant du fantastique deviennent bientôt des films « d’époque ». Mais, en conséquence, s’il y aura des exceptions (certains films de Nakagawa Nobuo 中川信夫, notamment), la proposition sera également vraie en sens inverse : longtemps, la majeure partie des films fantastiques japonais seront des jidaigeki[15]. Il faudra attendre au mieux les années 1980 et, surtout, la fin des années 1990, pour que le cinéma fantastique japonais ose s’exprimer pleinement dans un cadre contemporain, même en reprenant des figures classiques de yûrei, etc. – ce sera la vague de la « J-Horror », qui connaîtra un grand succès au Japon comme à l’étranger à partir du film Ring (Ringu リング) de Nakata Hideo 中田秀夫 en 1998, d’après le roman éponyme de Suzuki Kôji 鈴木光司[16].

 

Mais revenons-en au kabuki. Il faut mentionner une pièce en particulier : Tôkaidô yotsuya kaidan 東海道四谷怪談 (fréquemment abrégé en Yotsuya Kaidan 四谷怪談), œuvre de Tsuruya Nanboku IV 鶴屋南北 (4代目) (1755-1829). Ce classique du kabuki, qui avait remporté un succès colossal, a suscité bien des reprises au théâtre, bien des illustrations également, notamment dans le genre ukiyo-e 浮世絵 (fig. 1), puis a donné lieu à des dizaines d’adaptations cinématographiques, et ce dès le temps du muet[17] : le fourbe samouraï Iemon 伊右衛門 et sa pauvre femme Oiwa お岩 ont fourni des archétypes aux histoires de fantômes ultérieures ; Oiwa, à vrai dire, constitue le prototype de la figure de la « femme trompée » (« wronged woman »), si essentielle au cinéma fantastique japonais[18].

Fig. 1 : portrait d’Oiwa par Utagawa Kuniyoshi 歌川国芳

Mais le succès d’une pièce comme Yotsuya kaidan tient aussi sans doute à ce que, à l’époque de Tsuruya Nanboku IV, la perception des histoires de fantômes avait changé. En effet, l’approche édifiante de ces histoires, au plan religieux ou simplement moral, avait progressivement laissé de la place à une autre approche, selon laquelle les histoires de fantômes, sans prétendre à la « réalité », pouvaient constituer en tant que telles un divertissement. Durant l’époque d’Edo, la tradition orale des « histoires étranges », racontées en commun dans certaines circonstances plus ou moins « ritualisées », ou, progressivement, plus ludiques qu’autre chose, débouche sur des anthologies qui bénéficient des progrès en matière d’imprimerie et connaissent ainsi une large diffusion : on parle alors de kaidan-shû 怪談集, c’est-à-dire de « recueils d’histoires étranges », et essentiellement d’ « histoires de fantômes »[19]. Les meilleurs écrivains en prose s’y mettent, comme par exemple Ihara Saikaku 井原西鶴 (1642-1693), et, au cours notamment du XVIIIe siècle, plusieurs de ces recueils rencontrent un certain succès populaire. Le plus célèbre est le livre d’Ueda Akinari 上田秋成 (1734-1809) intitulé Contes de pluie et de lune (Ugetsu monogatari 雨月物語, 1776)[20], que l’on connaît notamment en Occident pour avoir inspiré le célèbre film de Mizoguchi Kenji 溝口健二 (1898-1956) Les Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu monogatari 雨月物語, 1953)[21] (fig. 2).

Fig. 2

 

Il y a de nombreuses raisons à cette évolution – déjà évoquées : l’émergence de la classe bourgeoise, les progrès de l’imprimerie, les nouveaux modes de diffusion… Mais sans doute faut-il revenir à l’appréhension différente de la notion même de fantôme : nous l’avons mentionné plus haut, à l’époque de la diffusion des kaidan-shû, un débat oppose les intellectuels japonais, qui porte sur l’existence des esprits en général, et des fantômes en particulier. Si nombre de ces auteurs, au fil de raisonnements parfois tortueux empruntant à une vaste érudition classique (au sens fort, et donc essentiellement chinoise), ne voient pas de raison d’en douter, d’autres se montrent plus sceptiques – et parfois d’une manière toute radicale : nous avons évoqué le cas de Yamagata Bantô (1748-1821). Or il faut relever que les auteurs de kaidan-shû, et tout spécialement Ueda Akinari, s’inscrivent dans ce débat : l’auteur des Contes de pluie et de lune, philologue des plus compétent, connaissait très bien ses classiques, et son recueil témoigne de sa vaste érudition, mais tout autant de son esprit critique ; car « [c]’était un esprit fort, un sceptique qui ne voyait que fables dans les mythes. Il polémiqua avec le grand maître des Études japonaises, Motoori Norinaga, sur le caractère divin du soleil. Akinari le tenait pour un simple astre qui éclairait aussi bien les Hollandais que les Japonais. »[22] Or la remise en cause des mythes, des dieux et des fantômes procédait d’un même esprit critique… même si notre auteur a rendu grâces à la divinité Inari 稲荷神 toute sa vie, et croyait volontiers aux métamorphoses des « renards », kitsune , et des « chiens viverrins », tanuki [23].

Demeure l’impression que, pour que le fantastique se constitue en tant que genre, pour que l’on écrive et lise ou voie des « histoires étranges » et effrayantes au seul titre du divertissement, outre les moyens de diffusion modernes, il faut un état d’esprit bien particulier, à même de tirer profit d’une longue et ancienne tradition de récits dans le folklore ou dans l’érudition, le cas échéant d’ailleurs dans une optique « conservatrice », mais en s’émancipant d’une foi trop obséquieuse. Il est tentant de relever qu’à la même époque un phénomène similaire se produit en Europe : tandis que les philosophes des Lumières, de Pierre Bayle à Voltaire, dénoncent avec vigueur les superstitions, apparaissent les romans gothiques anglais, à la suite du Château d’Otrante de Horace Walpole (1764). Les métamorphoses des mythes grecs, les contes de fées ou les fantômes shakespeariens n’y changeaient au fond rien : ce n’est qu’alors qu’apparaît véritablement le genre fantastique, et que la peur devient en elle-même un sujet littéraire, ainsi que Lovecraft l’a bien montré[24].

 

Le cinéma fantastique japonais saura se nourrir de ces différents apports, du nô, du kabuki, des kaidan-shû enfin, qu’ils relèvent de l’érudition classique, du folklore ou de la création pure. Les kaidan-eiga 怪談映画, puisque c’est ainsi que l’on désigne les « films de fantômes », au-delà de leur long cantonnement dans le jidaigeki, y gagneront en diversité : les films fantastiques japonais seront alternativement « de prestige » ou « d’exploitation », avec une infinité de degrés intermédiaires ; certains réalisateurs s’attacheront au genre, d’autres ne l’envisageront que ponctuellement (parmi lesquels, outre Kobayashi Masaki, on peut citer, donc, Mizoguchi Kenji ou éventuellement Kurosawa Akira, ou encore de manière davantage marquée Shindô Kaneto 新藤兼人). Le genre lui-même pourra être divisé en sous-genres, le cas échéant, relativement englobants comme le « gothique d’Edo » (« Edo gothic »)[25] ou le kaidan pinku eiga 怪談ピンク映画[26], ou très spécifiques, par exemple en fonction du type de créature mis en scène : Max Tessier évoque ainsi, sous le registre bakemono, le bakeneko-mono 化け猫物, qui porte sur des « femmes-chattes » maléfiques[27]. Et le genre évoluera considérablement à l’époque de la « J-Horror », mais cela dépasse l’objet de ce dossier.

 

Au-delà du traitement littéraire de ce thème, puisque c’est de cinéma que nous allons parler, il faut envisager également le traitement pictural ou, plus largement, relevant des arts visuels[28]. Certains de ces aspects ont en fait déjà été évoqués : le masque du shite dans le théâtre nô, les costumes et les maquillages du kabuki, enfin les estampes ukiyo-e qui, accompagnant les pièces de théâtre ou les kaidan-shû à succès, quand elles ne se montrent pas entièrement originales, contiennent nombre de représentations de fantômes bientôt canoniques, et qui marqueront le cinéma à venir. Ainsi par exemple de la figuration du yûrei féminin, dont Oiwa est donc un bon exemple, mais il y en a bien d’autres – car c’est en fait devenu un genre à part entière, appelé yûrei-zu 幽霊図, particulièrement florissant durant les XVIIIe et XIXe siècles (fig. 3 et 4).

 

Fig. 3 : Yûrei 幽霊 par Sawaki Sûshi 佐脇嵩之 (1737)
Fig. 4 : Le fantôme d’Oyuki (Oyuki no maboroshi お雪の幻), par Maruyama Ôkyo 円山応挙 (1733-1795)

 

La femme rachitique, vêtue d’une robe blanche parfois débraillée et qui accentue son aspect diaphane, et arborant une longue chevelure noire souvent sale et désordonnée, ce sont autant de codes que le cinéma fantastique japonais perpétuera[29], des premières adaptations muettes de Yotsuya kaidan à la Sadako 貞子 de Ring, sa plus célèbre incarnation moderne[30] (fig. 5).

 

Fig. 5

Entre les deux, cette figure se retrouve également dans Kwaidan, dont c’en est en fait une des plus célèbres illustrations – même si ce n’est alors pas l’apparence d’un fantôme à proprement parler, mais de la « femme des neiges » (yuki onna 雪女, fig. 6) [31] ; cependant, cet esprit était traditionnellement traité sur le même mode que les fantômes dans le yûrei-zu (fig. 7)

Fig. 6
Fig. 7 : Yuki-onna 雪女 par Sawaki Sûshi佐脇嵩之 (1737)

.

Mais la peinture japonaise avait déjà une longue tradition de représentation de créatures de ce type – on peut penser, par exemple, aux Rouleaux des êtres affamés (Gaki zôshi 餓鬼草紙), fameux emaki 絵巻 datant du XIIe siècle. À vrai dire, si Kwaidan a des inspirations picturales (et c’est assurément le cas !), c’est avant tout dans des rouleaux illustrés de cette époque qu’elles se trouvent – et il en va de même pour d’autres arts, la statuaire ou l’architecture ; toutefois, les œuvres en question ne relèvent pas de l’illustration fantastique, et n’ont donc pas leur place ici (nous en parlerons dans la dernière partie de ce dossier).

[1] Cf. MACE François, « Circulez, il n’y a rien à voir – les fantômes japonais aux prises de l’esprit critique », in Fantômes dans l’Extrême-Orient d’hier et d’aujourd’hui – tome 1, sous la direction de LAUREILLARD Marie et DURAND-DASTES Vincent, Paris, Presses de l’Inalco, 2017.

[2] On a fait remarquer que, traditionnellement, au Japon, les films fantastiques et/ou d’horreur sortent le plus souvent durant l’été, à proximité de la fête d’O-Bon お盆, dont la date peut varier selon les régions (d’aucun avancent que les frissons procurés par ces films sont les bienvenus par temps de forte chaleur…) ; dans le monde anglo-saxon, certes, la fête d’Halloween a peu ou prou les mêmes conséquences, à ceci près que le sens religieux de cette fête a de longue date disparu, le christianisme étant passé par là, la « fête des morts » ayant été remplacée par la « fête de tous les saints », aux implications bien différentes.

[3] Cf. Histoires qui sont maintenant du passé, Paris, Editions Gallimard - UNESCO, 1968.

[4] Par exemple, cf. AKUTAGAWA Ryûnosuke, Rashomon et autres contes, Paris, Editions Gallimard - UNESCO, 2011.

[5] Cf. MURASAKI SHIKIBU, Le Dit du Genji, Lagrasse, Verdier, 2011, pp. 110-144.

[6] Par ailleurs, c’est un modèle éclatant et séminal de ce qui deviendra un personnage clef du fantastique japonais, la figure de la « femme trompée » (« wronged woman »), pour reprendre la terminologie de BALMAIN Colette, Introduction to Japanese Horror Film, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2013, passim. Or cette figure intervient bel et bien dans le film de Kobayashi Masaki qui nous intéresse, nous y reviendrons.

[7] Cf. Le Dit des Heiké, Lagrasse, Éditions Verdier, 2012, pp. 189 sq.

[8] À titre d’exemple, dans Zeami, La Tradition secrète du nô, suivi de Une journée de nô, Paris, Éditions Gallimard – unesco, 2010, on peut citer la pièce Sanemori 実盛 (pp. 205-220), à « spectre de guerrier » (en l’espèce, il s’agit d’un personnage historique figurant dans Le Dit des Heike, op. cit.), ainsi que Yûgao 夕顔 (pp. 245-257), à « spectre féminin », qui brode quant à elle sur un personnage de fiction, figurant dans le passage du Dit du Genji, op. cit., évoqué plus haut (mais en en dérivant une histoire originale).

[9] Ceci au-delà du seul genre fantastique, d’ailleurs ; quand Mishima Yukio 三島 由紀夫, en 1966 (soit deux ans après Kwaidan) réalise son unique film, le court-métrage muet Rites d’amour et de mort (Yûkoku 憂國), adapté de sa propre nouvelle « Patriotisme » (Yûkoku 憂國 ; in Mishima Yukio, La Mort en été, Paris, Éditions Gallimard, 1988, pp. 163-202), la scénographie est clairement dérivée du nô, art que l’écrivain prisait beaucoup.

[10] Cette bataille, en 1185, a vu l’anéantissement du clan des Taira par les forces du clan Minamoto , et est racontée dans Le Dit des Heike, op. cit.

[11] Sur cette dernière question plus précisément, cf. Hand Richard J., « Aesthetics of Cruelty: Traditional Japanese Theater and the Horror Film », in Japanese Horror Cinema, sous la direction de McRoy Jay, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2009, pp. 18-28.

[12] Car le kabuki, on l’a souvent relevé, a développé un « star system » qui vaut bien celui de Hollywood, ce qui là encore aura une influence sur le cinéma japonais, notamment à l’âge du muet.

[13] D’après deux nouvelles d’Akutagawa Ryûnosuke figurant dans Akutagawa Ryûnosuke, Rashômon et autres contes, op. cit. (« Rashômon » 羅生門, pp. 76-83 ; « Dans le fourré »Yabu no naka 藪の中, pp. 84-94). Notons au passage que, si l’on ne classe généralement pas ce film dans le genre fantastique, il fait cependant intervenir un fantôme et une chamane.

[14] Nous aurons l’occasion de voir infra que ce phénomène a particulièrement affecté la réception en Occident du cinéma de Kobayashi Masaki. De manière plus générale, sur l’histoire du cinéma japonais, et plus particulièrement de ses débuts, cf., en priorité, Satô Tadao 佐藤忠男, Le Cinéma japonais, 2 vol., Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1997 ; également, Richie Donald, Le Cinéma japonais, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, ainsi que Tessier Max, Le Cinéma japonais : une introduction, [s.l.], Nathan, 2003.

[15] Précisons à tout hasard que nous parlons ici du cinéma fantastique au sens strict : l’imaginaire peut prendre bien des formes différentes, et il va de soi que la question se pose de toute autre manière en ce qui concerne le cinéma de science-fiction, notamment dans la foulée du Godzilla (Gojira ゴジラ) de Honda Ishirô 本多猪四郎.

[16] Cf. SUZUKI Kôji, Ring, Paris, Pocket, 2002. Sur la « J-Horror » de manière générale, cf. notam. Mesnildot Stéphane du, Fantômes du cinéma japonais : les métamorphoses de Sadako, Pertuis, Rouge Profond, 2011.

[17] Des adaptations par ailleurs très diverses – voire contradictoires ! Kurosawa Kiyoshi 黒沢清en évoque quelques-unes dans Kurosawa Kiyoshi, Mon effroyable histoire du cinéma : entretiens avec Makoto Shinozaki, Pertuis, Rouge Profond, 2008, pp. 16-20. Noter que la pièce originelle avait déjà subi ce genre d’adaptations/variations bien avant l’apparition du cinéma.

[18] Cf. Balmain Colette, Introduction to Japanese Horror Film, op. cit.

[19] Cf. REIDER Noriko T., « The Emergence of "Kaidan-shū" The Collection of Tales of the Strange and Mysterious in the Edo Period », art. cité. D’où le titre du recueil de Lafcadio Hearn.

[20] Cf. Ueda Akinari, Contes de pluie et de lune, Paris, Éditions Gallimard – UNESCO, 2010.

[21] Plus exactement, le film de Mizoguchi Kenji adapte deux nouvelles tirées du recueil d’Ueda Akinari, en les associant à une troisième nouvelle, œuvre quant à elle de Guy de Maupassant.

[22] Macé François, « Circulez, il n’y a rien à voir – les fantômes japonais aux prises de l’esprit critique », art. cité, § 42.

[23] Ibid.

[24] Cf. Lovecraft Howard Phillips, « Épouvante et surnaturel en littérature », art. cité ; mais, via le grotesque, cette peur peut aussi être teintée de rire, dès cette époque.

[25] Cf. Balmain Colette, Introduction to Japanese Horror Film, op. cit., pp. 50-69. Ce genre est censé constituer l’équivalent japonais des films de la Hammer au Royaume-Uni ou de Roger Corman aux États-Unis à la même époque.

[26] Ibid., pp. 70-89. Les pinku eiga ピンク映画 (littéralement, les « films roses ») sont des films érotiques soft à petit budget, diffusés dans les salles de cinéma, et qui deviennent progressivement prépondérants dans la production cinématographique japonaise en crise à partir des années 1970. Les plus célèbres de ces films sont les roman porno ロマンポルノ produits en masse par le studio Nikkatsu 日活, qui bénéficient d’un budget plus conséquent (ne pas se tromper sur l’emploi du mot « porno » dans cette expression, qui est parfois pris trop au pied de la lettre). Les kaidan pinku eiga sont donc des films érotiques à prétexte fantastique.

[27] Cf. Tessier Max, Le Cinéma japonais, op. cit., p. 105. Le plus célèbre film dans ce sous-genre très spécifique est probablement Kuroneko (Yabu no naka no kuroneko 藪の中の黒猫), de Shindô Kaneto, en 1968.

[28] Resterait la musique, d’une grande importance, mais il n’est pas pertinent d’en parler ici, et nous y reviendrons amplement en fin de dossier.

[29] Un autre code de cette représentation sera souvent négligé : l’absence de jambes – mais certains films en jouent, comme Séance (Kôrei 降霊), de Kurosawa Kiyoshi.

[30] Qui ajoute à cet ensemble un nouveau code aussitôt devenu caractéristique de la « J-Horror » : la longue chevelure noire masque le visage et tout particulièrement les yeux.

[31] Le premier sketch, « Les Cheveux noirs » (Kurokami 黒髪), doit également être signalé, mais, comme le titre le souligne, l’accent est mis sur la longue chevelure noire aux dépends du reste, nous y reviendrons.

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Dossier Kwaidan 01 : Introduction

Publié le par Nébal

Dossier Kwaidan 01 : Introduction

Dans le cadre de mes études de japonais, j’ai été amené, en cours d’histoire de l’art, disons, à rédiger un dossier (sans doute beaucoup trop volumineux…) sur un sujet libre – en l’espèce, je me suis décidé pour le film Kwaidan, de Kobayashi Masaki, inspiré des contes de Lafcadio Hearn, dans le recueil éponyme ou ailleurs.

 

Ce n’est qu’un dossier de Licence 2, il ne vaut… que ce qu’il vaut. Il ne faudra d'ailleurs pas hésiter à me reprendre quand je dirai des bêtises ! Mais, au cas où cela intéresserait des lecteurs de ce blog interlope, et dans la mesure où ce dossier a été semble-t-il (?) plutôt bien accueilli, je vais tenter de le mettre en ligne, petit bout par petit bout.

 

Note au passage : j’avais déjà consacré un article de ce blog au film de Kobayashi Masaki, deux au Kwaidan de Lafcadio Hearn, d’abord dans sa traduction classique par Marc Logé, ensuite dans sa récente réédition chez Corti, salopée par Jacques Finné ; il faut y ajouter également un article sur le recueil plus ample de Lafcadio Hearn en français qu’est Fantômes du Japon.

 

Au cas où, donc…

La réouverture forcée du Japon, à partir de l’intervention des « vaisseaux noirs » du commodore Perry en 1853, a produit un véritable choc culturel – de part et d’autre. Si la fermeture du Japon n’était pas totale, cet événement a toutefois radicalement changé la donne, et le mouvement de modernisation/occidentalisation entrepris quelques années plus tard par le nouveau régime de Meiji 明治 a conduit à une multiplication des échanges de toutes sortes ; les personnes, désormais, pouvaient voyager d’un monde à l’autre, Occidentaux se rendant au Japon pour une plus ou moins longue période, et Japonais gagnant l’Europe et l’Amérique pour s’instruire des sciences, des arts et des pensées de l’Occident, et ramener dans l’archipel le fruit de leurs investigations. Ces échanges, motivés par une curiosité non exempte de préventions et de fantasmes, positifs comme négatifs, s’avèrent diversement fructueux ; la séduction exotique, souvent, demeure assez superficielle, ce dont nombre d’œuvres relevant du « japonisme », dans des domaines artistiques variés, peuvent témoigner, en Europe et tout particulièrement en France. Toutefois, d’autres de ces écrivains et artistes voyageurs, motivés par un engouement plus substantiel, se livrent à un travail davantage conséquent, et, souvent, font office de passeurs.

 

C’est le cas, tout particulièrement, de Lafcadio Hearn. Nous reviendrons ultérieurement sur les détails de sa biographie – pour l’heure, relevons seulement que cet écrivain et journaliste vagabond avait enfin trouvé sa patrie en arrivant au Japon en 1890, et qu'il s’est dès lors employé, à sa manière, à en faire connaître la culture à travers le monde. Lafcadio Hearn a consacré bien des ouvrages au Japon, dans des domaines très variés. Mais, dès avant de se fixer dans l’archipel, il avait déjà témoigné de son goût des « histoires étranges », puisant dans divers folklores pour en tirer des récits que l’on dirait aujourd’hui « fantastiques » ; ce qu’il avait fait, par exemple, concernant les contes créoles, il l’a poursuivi avec pour nouvelle base le folklore japonais – livrant plusieurs « histoires de fantômes », publiées çà et là ; surtout, en 1904, peu ou prou à la veille de sa mort, il a publié son plus célèbre recueil en la matière, un ouvrage assez bref titré Kwaidan[1]: Stories and Studies of Strange Things. Cet opuscule a permis de faire découvrir l’imaginaire japonais, sous l’angle notamment des histoires de fantômes[2], aux lecteurs occidentaux, et d’abord aux amateurs de littérature fantastique[3].

 

Toutefois, le travail de Lafcadio Hearn, même destiné prioritairement à un lectorat européen[4] ou américain, n’a pas laissé indifférents les lecteurs japonais – et d’abord ses propres étudiants à l’université de Tôkyô (Tôkyô daigaku 東京大学, ou Tôdai 東大) puis à l’université de Waseda (Waseda daigaku 早稲田大学), où il enseignait la littérature anglaise, faisant donc toujours office de passeur, mais cette fois en sens inverse (parmi ses élèves, il nous faudra notamment revenir sur le cas d' Aizu Yaichi 会津八一). Le recueil, écrit en anglais (Hearn n’est jamais parvenu à maîtriser véritablement la langue japonaise), a été rapidement traduit en japonais. D’une certaine manière, Kwaidan et d’autres publications d’un esprit proche ont pu ramener des lecteurs japonais curieux à leur propre folklore, à leur propre imaginaire, en cette période tumultueuse où le passé japonais était souvent dénigré, précédant en cela de quelques années les travaux, notamment, de l’ethnologue Yanagita Kunio 柳田國男[5].

 

Et, soixante ans après la parution de Kwaidan et la mort de son auteur, le réalisateur Kobayashi Masaki 小林正樹 a livré un film du même titre, dans lequel il adaptait quatre « histoires de fantômes » narrées en leur temps par Lafcadio Hearn[6]. Auréolé du succès critique, au Japon comme à l’étranger, de son précédent film, Harakiri (Seppuku 切腹), le cinéaste s’était lancé à corps perdu dans cette entreprise qui s’avérerait très coûteuse, et il en est résulté un objet esthétique à la stylisation extrême, qui lui a permis de remporter, pour la deuxième fois en trois ans, le prix spécial du jury au festival de Cannes, parmi d’autres récompenses au Japon comme en Occident. Le film est rapidement devenu un classique du cinéma fantastique japonais… mais en portant un coup presque fatal à la carrière de Kobayashi, ruiné et boudé désormais par les studios en crise.

 

Le réalisateur s’était beaucoup investi dans ce projet qui lui tenait particulièrement à cœur[7]. C’est qu’il ne s’agissait pas seulement, pour lui, de raconter des « histoires de fantômes » : c’était aussi le prétexte idéal pour livrer une œuvre en forme de synthèse des arts japonais, d’abord des traditions les plus anciennes, mais sans négliger non plus l’avant-garde (notamment en matière de musique, avec la collaboration cruciale du compositeur Takemitsu Tôru 武満徹). Kwaidan (Kaidan 怪談) est un film qui rejette toute forme de réalisme, et s’inscrit ainsi dans une logique radicalement « présentationnelle », pour reprendre une notion souvent appliquée au cinéma japonais, et sans doute de manière trop systématique[8]. Mais c’est qu’il a l’ambition de constituer un cinéma de tous les arts japonais, aux yeux du monde entier – et de la sorte un hommage au mentor du réalisateur, Aizu Yaichi, historien de l’art et poète, qui avait lui-même été l’élève de Lafcadio Hearn. Le film de Kobayashi Masaki constitue ainsi une double passerelle, dans le temps comme dans l’espace – le film est un hommage à un grand passeur, et en même temps un passeur lui-même.

 

Nous nous emploierons, dans le présent dossier, à montrer comment le travail d’adaptation cinématographique de l’œuvre écrite de Lafcadio Hearn a pu remplir cette ambition. Toutefois, avant d’en arriver là, il nous faudra contextualiser ces deux œuvres, en opérant un retour sur les sources du fantastique japonais, en littérature et au théâtre comme au cinéma.

 


[1] Kwaidan est une translittération du mot japonais kaidan 怪談 (on ne prononce plus le « w », mais, dans les langues occidentales, le titre de l’ouvrage de Lafcadio Hearn le comprend toujours). Le mot japonais semble être apparu vers le XVIIe siècle ; les deux kanji, pris ensemble, désignent des « histoires étranges », comme dans le sous-titre du recueil de Lafcadio Hearn, mais le mot en est venu à désigner plus précisément des « histoires de fantômes ». Cf. REIDER Noriko T., « The Emergence of "Kaidan-shū" The Collection of Tales of the Strange and Mysterious in the Edo Period », Asian Folklore Studies, vol. 60, n° 1, 2001, p. 80. De même, au cinéma, lexpression kaidan eiga 怪談映画 désignera essentiellement des « films de fantômes ».

[2] Mais pas seulement, loin de là : rappelons que le recueil s’achève sur des essais consacrés aux insectes, dans lesquels le lien avec la culture japonaise est plus ou moins relâché selon les créatures étudiées.

[3] À titre d’exemple, Howard Phillips Lovecraft le cite dans son essai « Épouvante et surnaturel en littérature », où c’est le seul ouvrage étudié portant sur un imaginaire non occidental. Cf. LOVECRAFT Howard Phillips, « Épouvante et surnaturel en littérature », in Œuvres, t. 2, Paris, Robert Laffont, 1991, pp. 1065-1132.

[4] En France, la plupart des œuvres de Lafcadio Hearn, et notamment celles portant sur le Japon, ont été traduites par Marc Logé, de son vrai nom Mary-Cécile Loge, dans les années 1910-1920. Tout récemment, Jacques Finné a livré une nouvelle traduction de Kwaidan, hélas percluse d’erreurs (HEARN Lafcadio, Kwaidan : histoires et études de sujets étranges, Paris, José Corti, 2018), aussi en resterons-nous à la traduction « classique » de Marc Logé, même si elle n’est pas exempte de tout reproche. Pour des raisons que nous expliquerons bientôt, notre ouvrage de référence pour la constitution de ce dossier ne sera pas le seul volume Kwaidan (HEARN Lafcadio, Kwaidan, ou histoires et études de choses étranges, Paris, Mercure de France, 1998), mais le recueil plus ample intitulé Fantômes du Japon (HEARN Lafcadio, Fantômes du Japon, [s.l.], Groupe Privat/Le Rocher, 2007).

[5] Par exemple, cf. YANAGITA Kunio, « Contes de Tôno », in Mille Ans de littérature japonaise, t. 2, sous la direction de CECCATTY René de et NAKAMURA Ryôji, Arles, Philippe Picquier, 1998, pp. 235-246 (extraits).

[6] Toutefois, seules deux de ces quatre histoires proviennent effectivement du recueil intitulé Kwaidan ; c’est pourquoi nous nous référerons au volume intitulé Fantômes du Japon, op. cit., qui contient quant à lui ces quatre histoires telles que les a contées Lafcadio Hearn.

[7] « J’ai rêvé à Kwaidan pendant huit ans. » Cf. BONNEVILLE Léo, « Entretien avec Masaki Kobayashi », Séquences, n° 53, 1968, p. 65.

[8] Cf. notam. RICHIE Donald, Le Cinéma japonais, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, pp. 34-35.

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Utopiales 2017/La Méthode Scientifique : l'espace-temps selon Lovecraft

Publié le par Nébal

Utopiales 2017/La Méthode Scientifique : l'espace-temps selon Lovecraft

Lors des Utopiales 2017, le vendredi 3 novembre plus précisément, scène Shayol, j’ai eu le plaisir de participer à l’enregistrement en direct de l’émission de France Culture La Méthode Scientifique, présentée par Nicolas Martin.

 

Le thème de l’émission était L’Espace-temps selon Lovecraft, et, pour en discuter, étaient également présents Gilles Dumay et Raphaël Granier de Cassagnac.

 

L’émission peut s’écouter en podcast sur le site de France Culture – vous la trouverez ici.

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Utopiales 2017 : prédire le droit

Publié le par Nébal

Utopiales 2017 : prédire le droit

Lors des Utopiales 2017, le jeudi 2 novembre plus précisément, dans l’Agora Hal, j’ai eu le plaisir de discuter de droit et de science-fiction avec Ugo Bellagamba.

 

La table ronde s’intitulait Prédire le droit, et elle a été enregistrée et mise en ligne par ActuSF, merci à eux – vous pouvez l'écouter et la télécharger ici.

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Nébal aux Utopiales 2017

Publié le par Nébal

Nébal aux Utopiales 2017

Salut les gens,

 

Une annonce au cas où : du 1er au 6 novembre 2017 se tiennent comme chaque année à Nantes, à la Cité des Congrès, les Utopiales, festival international de science-fiction. Le thème de cette édition 2017 est le temps.

 

Ce petit message parce que je vais y avoir quelques interventions, alors, peut-être…

 

Adonc, pour plus d’informations, de manière générale, avec plein de belles choses sur le programme, les invités, etc., voyez donc ici.

 

Et, si jamais, me concernant plus précisément, voici mon planning perso.

 

EDIT : Et un petit rajout... Le vendredi 3 novembre, de 16h à 17h, enregistrement en direct (scène Shayol) de l'émission La Méthode scientifique, de Nicolas Martin (France Culture), consacrée à l'espace-temps selon Lovecraft. J'y interviendrai avec Raphaël Granier de Cassagnac. Hop.

 

Et donc, qui sait, à bientôt ?

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Lovecraft : au coeur du cauchemar (autopromo et copinage)

Publié le par Nébal

Lovecraft : au coeur du cauchemar (autopromo et copinage)

Lovecraft : au cœur du cauchemar, ouvrage publié sous la direction de Jérôme Vincent et Jean-Laurent Del Socorro, Chambéry, ActuSF, 2017, 458 p.

 

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Vient tout juste de sortir aux éditions ActuSF ce beau livre (hardcover, jaquette, signet, abondamment illustré et en couleurs), touffu par ailleurs, intitulé Lovecraft : au cœur du cauchemar, sous la direction de Jérôme Vincent et Jean-Laurent Del Socorro.

 

Et, euh, ben, j’y ai contribué avec trois articles : tout d’abord, un article biographique, « H.P. Lovecraft, entre mythe et faits » (pp. 12-34) ; ensuite, « H.P. Lovecraft et Robert E. Howard : amitié, controverses et influences » (pp. 72-106 ; à compléter, immédiatement après, par la traduction de lettres de Lovecraft et Howard par Patrice Louinet !) ; enfin, une bibliographie raisonnée et commentée, « Lovecraft en vingt-cinq œuvres essentielles » (pp. 194-245).

 

Mais rassurez-vous, on y trouve aussi plein de gens bien ! Très bien, même !

 

D’ailleurs, en voici le sommaire intégral :

  • VINCENT (Jérôme) et DEL SOCORRO (Jean-Laurent), « Introduction » (pp. 7-9).
  • BONNET (Bertrand), « Lovecraft : entre mythe et faits » (pp. 12-34).
  • THILL (Christophe), « Lovecraft et les préjugés… » (interview ; pp. 36-45).
  • JOSHI (S.T.), « [Je] n’avais jamais rencontré des écrits aussi poignants et puissants que ceux de Lovecraft » (interview ; pp. 46-50).
  • MANCHON (Mathilde), « Les Lieux et Lovecraft » (pp. 52-65).
  • BON (François), « Sur les traces de Lovecraft à Providence » (interview ; pp. 66-70).
  • BONNET (Bertrand), « H.P. Lovecraft et Robert E. Howard : amitié, controverses et influences » (pp. 72-106).
  • LOUINET (Patrice), « Robert E. Howard et Howard Phillips Lovecraft, morceaux choisis de la correspondance » (pp. 108-142).
  • SPAULDING (Todd), « Lovecraft et les révisions : le docteur de la weird fiction » (pp. 144-152).
  • THILL (Christophe), « H.P. Lovecraft sous presse : brève histoire (et préhistoire) éditoriale des écrits de Lovecraft » (pp. 156-166).
  • MAMOSA (Emmanuel), « Cthulhu, l’envergure d’un mythe » (pp. 168-187).
  • GRANIER DE CASSAGNAC (Raphaël), « Le Mythe de Cthulhu » (interview ; pp. 188-193).
  • BONNET (Bertrand), « Lovecraft en vingt-cinq œuvres essentielles » (pp. 194-245).
  • THILL (Christophe), « L’Œuvre de Lovecraft » (interview ; pp. 246-254).
  • MONTACLAIR (Florent), « Lovecraft et la Génération Perdue » (pp. 256-267).
  • GORUSUK (Elisa), « Lovecraft et la science » (pp. 268-280).
  • THILL (Christophe), « L’Anti-heroic fantasy de H.P. Lovecraft » (pp. 282-299).
  • CAMUS (David), « L’Invitation au voyage » (pp. 300-316).
  • PERRIER (Marie), « Les Traductions françaises de Lovecraft : de l’introduction à la tradition » (pp. 318-341).
  • CAMUS (David), « Traducteur de Lovecraft » (pp. 342-353).
  • CHEVALIER (Michel), « La Poésie de Lovecraft » (interview ; pp. 354-357).
  • MARCEL (Patrick), « Lovecraft héros de fiction – Cthulhu est une création qui me semble correspondre à l’air du temps » (interview ; pp. 360-364).
  • NIKOLAVITCH (Alex), « Cthulhu de 7 à 77 éons, ou Lovecraft en bande dessinée » (pp. 366-375).
  • GUENEY (Jean-Marc), « Adapter Lovecraft en jeu vidéo… » (interview ; pp. 376-383).
  • AZULYS (Sam), « Pour une poignée de tentacules… H.P. Lovecraft au cinéma » (pp. 384-407).
  • BARANGER (François), « Lovecraft en image… » (interview ; pp. 408-413).
  • FRUCTUS (Nicolas), « Lovecraft en image… » (interview ; pp. 414-419).
  • CAZA (Philippe), « Lovecraft en image… » (interview ; pp. 420-423).
  • SANS-DÉTOUR, « Lovecraft et le monde du jeu 1/2 » (interview ; pp. 424-426).
  • FERRAND (Cédric), « Lovecraft et le monde du jeu 2/2 » (interview ; pp. 428-432).
  • « Lovecraft et eux » (pp. 434-452).

 

Je suis très preneur de vos retours, de manière générale : n’hésitez donc pas à vous signaler si jamais, ou si vous avez dégotté une chronique ici ou là – je vais tâcher d’en rassembler ici les liens !

 

Ph’nglui !

 

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On en parle sur le forum hplovecraft.eu, ici.

 

Julian_Morrow dit que 5/5 sur Babelio, .

 

Gromovar en cause sur Quoi de neuf sur ma pile, ici.

 

Gilthanas donne une note de 8,5/10 sur Elbakin, .

 

La chronique de Gorian Delpâture sur la RTBF s'écoute ici.

 

Baptiste en parle sur Erreur 42, .

 

Lotseshar Au pays des cave trolls, ici.

 

BaptisteAndTheHat donne une note de 9/10 sur Sens Critique, .

 

Gernier donne son avis sur Psychovision, ici.

 

Hubert Prolongeau en dit quelques mots dans Télérama, .

 

Romain Meyer de même dans Le Temps, ici.

 

Le Capitaine Némo l'a lu dans son antre, .

 

Spurinna en discute sur Casalibri, ici.

 

Bruno Para livre sa critique de l'ouvrage dans l'Objectif Runes en plus du Bifrost, n° 88, directement en ligne, .

 

On en parle brièvement sur Rôliste TV, vers 1:02, ici.

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Lâche ta caillasse : H.P. Lovecraft, au cœur du cauchemar

Publié le par Nébal

Et si, pour une fois, je vous DEMANDAIS DE LA GROSSE THUNAS…

 

Broumf.

 

Et si, pour une fois, je portais votre attention sur un ouvrage en financement participatif qui pourrait vous intéresser ?

 

Les Éditions ActuSF ont lancé il y a peu un financement participatif pour un beau livre consacré à (l’immense) H.P. Lovecraft et à son œuvre (indicible et cyclopéenne).

 

Il se trouve que j’y participe, pour trois articles… Mais rassurez-vous, on y trouve plein de gens bien aussi !

 

Voici, pour vous faire une idée, une première ébauche de sommaire (figurant dans les premiers commentaires de la page du financement participatif, elle est encore susceptible de quelques rajustements) :

  • L’histoire éditoriale de H.P. Lovecraft aux USA, de son vivant et après sa mort – par Christophe Thill
  • Les influences de Lovecraft – par Francis Valéry
  • H.P. Lovecraft et Edgar Allan Poe – par Christophe Thill
  • H.P. Lovecraft et la fantasy – par Christophe Thill
  • Les héritiers de Lovecraft – par Francis Valéry
  • Biographie – par votre serviteur
  • Bibliographie raisonnée – par votre serviteur
  • Lovecraft et la science – par Elisa Gorusuk
  • H.P. Lovecraft rewriter – par Todd Spaulding
  • Lovecraft au cinéma - par Sam Azulys
  • Les traductions de H.P. Lovecraft – par Marie Perrier
  • Robert E. Howard et H.P. Lovecraft – par votre serviteur
  • Traduction de lettres de H.P. Lovecraft sur Robert E. Howard – par Patrice Louinet
  • Lovecraft, correspondance d’un homme de lettres – par Todd Spaulding
  • Interview de François Bon sur les traductions de Lovecraft
  • Lovecraft héros de fiction – par Patrick Marcel
  • Lovecraft raciste – par William Schnabel
  • Lovecraft en images – par Nicolas Fructus et François Launet
  • Lovecraft en jeux vidéos

 

Bref : ça se passe sur Ulule, plus précisément ici, l’ouvrage est d’ores et déjà financé, mais vous avez encore douze jours pour participer, et permettre qu’il soit encore mieux.

 

À votre bon cœur !

 

Yog-Sothoth vous le rendra.

 

(Mais sous quelle forme…)

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Territoires et architectures judiciaires

Publié le par Nébal

Les vendredi 5 et samedi 6 décembre 2008, j’ai (à nouveau…) assisté à un colloque d’histoire du droit (et plus si affinités). C’est en effet à Toulouse que se sont tenues cette année les Journées régionales d’histoire de la Justice, organisées par l’Association Française pour l’histoire de la justice (AFHJ), avec le parrainage de la cour d’appel de Toulouse et le soutien du Centre Toulousain d’Histoire du Droit et des Idées Politiques (CTHDIP), de l’Université de Toulouse 1 Sciences Sociales, de l’Académie de Législation de Toulouse, de l’École des avocats du Sud-Ouest Pyrénées, de la Chambre interdépartementale des notaires du ressort de la cour d’appel de Toulouse, de l’École nationale de la Magistrature (ENM), des Archives départementales de la Haute-Garonne, et enfin de la Mairie de Toulouse. Ouf.

 

Le thème en était donc les territoires et architectures judiciaires. Pour ce qui est des territoires, c’est indéniablement un thème d’actualité, en ces temps de réforme – houleuse – de la carte judiciaire (remercions décidément madame Dati pour son sens aigu du dialogue…) ; c’était donc l’occasion de s’interroger sur cette question dans une perspective à la fois historique (première journée) et contemporaine voire prospectiviste (deuxième journée). Y mêler la question de l’architecture judiciaire peut étonner de prime abord, mais se justifie en fait aisément, à nouveau par l’actualité : les travaux du nouveau Palais de justice de Toulouse sont en effet quasiment achevés (ils le seront « officiellement » début 2009), et la thématique de l’architecture, envisagée dans une dimension sociale, renvoie largement à celle des territoires ; on retrouve dans les deux cas des questions assez proches, renvoyant à la symbolique et aux coutumes, mais aussi à la rationalisation… pour ne pas parler de logique gestionnaire et d’économies.

 

Hélas, je ne serai pas en mesure d’en faire un compte rendu aussi complet (quand bien même lapidaire…) que celui que j’avais récemment fait pour la rencontre consacrée aux Facultés de droit de province au XIXe siècle. En effet, je n’ai pu assister à l’ensemble des communications, d’une part pour des raisons personnelles, d’autre part parce que nous autres doctorants et jeunes docteurs du CTHDIP avons été plus ou moins « réquisitionnés » pour encadrer la manifestation, accueillir les participants, etc. (l’Université ne disposant d’aucun personnel à cet effet…). Je vais donc devoir me contenter d’évoquer en quelques mots les communications que j’ai pu suivre (d’une oreille plus ou moins distraite)…

 

La journée du vendredi était consacrée à l’approche strictement historique de la question, et se tenait à la cour d’assises de Toulouse. Une bonne idée : les Archives départementales de la Haute-Garonne ont organisé une petite exposition dans l’entrée de la cour, ce qui fut l’occasion de présenter au public quelques très belles pièces (présentant souvent les magistrats toulousains sous un jour peu sympathique, au passage…) : entre autres, les lettres patentes de Charles VII ordonnant la création du Parlement de Toulouse en 1444 (Toulouse, rappelons-le – et cela a eu son importance pour le colloque –, est une vieille capitale judiciaire, et le site du deuxième parlement de France et du premier parlement de province), l’enregistrement – tardif… – du célèbre édit de Nantes par le Parlement, mais aussi quelques pièces issues des plus célèbres procès toulousains de l’époque moderne – la fameuse affaire « Martin Guerre », la condamnation à mort de Vanini, et, bien sûr, celle de Calas… –, et enfin quelques pièces plus contemporaines, concernant le coup d’État du 2 décembre 1851 et la répression qui l’a suivi (des documents passionnants que j’avais déjà utilisés pour mon mémoire), ainsi que la surveillance des anarchistes à la fin du XIXe siècle.

 

La cour d’assises, récemment restaurée, est une assez jolie salle – quoique, sans suprise, fort intimidante, et par ailleurs assez sombre – datant du XIXe siècle. La symbolique en est intéressante : le plafond, très élevé, est essentiellement orné d’une imposante reproduction du célèbre tableau de Prud’hon La Justice et la vengeance divine poursuivant le crime (1808 ; l’original se trouve au Louvre) ; j’avoue avoir pensé immédiatement – à tort, semble-t-il – à Abel et Caïn… Supposition renforcée par les cartouches entourant le tableau, et préconisant labor, fortitudo, probitas… et religio. Mais si cette symbolique religieuse a été conservée dans les différents réaménagements du Palais de justice, les aigles napoléoniennes ont par contre été grattées. J’aurais l’occasion de revenir sur ces bizarreries symboliques…

 

La journée commença inévitablement par quelques discours d’ouverture : celui, peu convaincant à mon sens, de Jacques Nunez, premier président de la cour d’appel fut suivi par celui autrement intéressant de l’avocat général et magistrat délégué à l’équipement Jean-Louis Bec (remplaçant le procureur général Patrice Davost), qui nous dit quelques mots sur l’histoire de la salle dans laquelle nous nous trouvions ; un orateur érudit et passionnant, mais j’aurai l’occasion d’y revenir. Après quoi le thème du colloque fut plus précisément développé, tout d’abord par Claude Gauvart (professeur, Paris I ; vice-présidente de l’AFHJ), ensuite par Jacques Poumarède (professeur, Toulouse I ; il n’a par contre pas donné de communication « académique » sur le thème « Présentation de la problématique : Qu’est-ce qu’un ressort de justice ? », contrairement à ce qui avait été annoncé).

 

Les communications de la journée obéirent largement à la chronologie. La matinée fut consacrée « Aux origines des territoires de justice », sous la présidence de Claude Gauvart. Je ne suis pas en mesure de dire grand chose des premières communications, que je n’ai pu véritablement suivre : Christian Lauranson-Rosaz (professeur, Lyon III) livra une communication très érudite intitulée « À l’origine des territoires de justice : districtus, vicaria et périmètres de paix », allant essentiellement (pour ce que j’en ai entendu, du moins) de l’époque carolingienne à l’an mil ; j’avoue n’avoir absolument rien retenu de cette allocution complexe, pour une époque que je maîtrise mal, d’autant que je n’ai pu y assister que par petits bouts… Il en est allé plus ou moins de même pour la communication suivante, due à Hélène Couderc-Barraud (agrégée d’histoire, docteur en histoire médiévale), « La Territorialisation de la justice en Gascogne (XIIe – XIIIe siècles) ». Quant à la communication de Béatrice Fourniel (maître de conférences, centre universitaire J.F. Champollion de Rodez ; elle a par ailleurs été primée le lendemain pour sa thèse), « Le Bailliage et siège présidial d’Aurillac, un ressort entre pays de coutumes et pays de droit écrit », je n’ai pas pu y assister du tout… Je n’ai pu assister ensuite qu’à la fin de la communication de Jean-Marie Augustin (professeur, Poitiers), qui nous parla des « Grands Jours, une cour supérieure foraine sous l’Ancien Régime », ce qui fut assez intéressant. Jack Thomas (professeur, Toulouse II – Le Mirail), enfin, conclut la matinée avec « Toulouse « capitale judiciaire » à l’Époque moderne, essai de cartographie » : on vit ainsi la multitude des ressorts de justice toulousains, ce qui fut pour le moins édifiant ; j’en ai surtout retenu l’existence de la juridiction du Canal du Midi, avec son ressort si particulier (le canal et les chemins de halage qui le bordent), large de moins de 100 mètres, mais long d’environ 240 kilomètres !

 

L’après-midi fut consacrée à « La Formation de la carte judiciaire moderne », sous la présidence de Pierre Truche (premier président honoraire de la cour de Cassation, président de l’AFHJ). Je n’ai pas pu assister à la communication de Pierre Bonin (professeur, Nantes), « La Notion de ressort judiciaire dans les dictionnaires et la doctrine juridique ». Mais Didier Catarina (docteur en histoire moderne) évoqua ensuite « Les tentatives de rationalisation de l’espace judiciaire languedocien entre 1740 et 1789 » : une présentation passionnante, montrant de manière édifiante le rôle de l’État – et de ses besoins financiers (c’est essentiellement ici qu’apparaît la thématique économique, mais en sens contraire de ce que l’on verra par la suite)… – dans la complexification progressive de la carte judiciaire, jusqu’à générer un chaos invraisemblable totalement ingérable… Jean-Pierre Royer (professeur émérite, Lille II), spécialiste de l’histoire de la justice s’il en est, prit le relais : « Du simple à l’économe : les évolutions de la carte judiciaire à l’époque révolutionnaire » ; l’occasion de s’intéresser aux contradictions entre idéal et pragmatisme dans la formation de la carte judiciaire… Je n’ai pas pu assister aux deux dernières conférences, celle de Laurence Soula (maître de conférences, université du Littoral), « Entre Bordeaux et Toulouse, les vicissitudes du ressort de la cour d’appel d’Agen », et celle de Frédéric Chauvaud (professeur, Poitiers), « Les Tribulations de la réforme judiciaire de 1926-1930 » ; j’en ai eu cependant des échos très favorables.

 

Le lendemain matin, le colloque reprit à l’Académie de Législation, dans le bel hôtel d’Assézat, siège des académies et sociétés savantes toulousaines (et notamment de la plus fameuse d’entre elles, l’Académie des Jeux Floraux, probablement la plus vieille académie littéraire d’Europe). Sous la présidence de Bertrand Garrigues, président de l’Académie de législation, il fut d’abord procédé à la remise des prix de thèse (deux, cette année), après quoi la première des deux tables rondes de la matinée fut entamée : « Les Ressorts judiciaires au XXIe siècle : une réflexion prospective ». La table ronde était animée par Jacques Commaille (professeur, ENS Cachan) ; étaient présents Christian Licoppe (professeur, École Nationale des Télécoms), Laurence Dumoulin (chargée de recherches CNRS, ENS Cachan), Jean-Paul Jean (avocat général près la cour d’appel de Paris), Jean-Louis Matheu (ancien bâtonnier du barreau de Toulouse) et Annie Thomas (secrétaire nationale de la CFDT) – Isabelle Faujour, directrice adjointe de l’Union Fédérale des Consommateurs, n’a pu venir. Je n’ai pu suivre les débats que d’une oreille distraite, depuis l’entrée… Dans ces conditions, il ne m’est pas possible d’en dire grand chose. Je me contenterai donc de noter que les débats furent dans l’ensemble très calmes, là où le sujet, plus brûlant que jamais, pouvait facilement susciter la polémique (mais j’avoue : je me suis surtout intéressé à cette question par le biais des articles autrement incisifs de l’excellent Me Éolas ; alors, évidemment…). Reste cette remarque éloquente, selon laquelle Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues, aurait pu noter « Carte judiciaire : supprimer des tribunaux »… Par contre, la table ronde s’est longuement prolongée, dépassant l’emploi du temps initialement prévu de pas loin d’une heure…

 

Aussi la deuxième table ronde, présidée par Denis Salas (secrétaire général de l’AFHJ), a-t-elle été passablement raccourcie. Le thème en était « Les Nouveaux Palais de justice : quelle conception architecturale ? ». Étaient présents Jacques Commaille, Jean-Louis Bec et Laure-Estelle Moulin (docteur en histoire de l’art, chargée de recherches à la fondation Le Corbusier)… mais hélas pas Pascal Prunet, l’architecte auquel on doit le nouveau palais de justice toulousain. On traita essentiellement de la place des symboles dans l’architecture judiciaire, des pompeux et intimidants temples de la justice du XIXe siècle aux bâtiments fonctionnels et « neutres » (type « allocations familiales », disait-on…) de 1958 à nos jours.

 

L’après-midi, justement, fut consacrée à une visite guidée du Palais de justice. Il était possible de suivre trois guides : Jean-Louis Bec, déjà évoqué par deux fois, Gilbert Cousteaux (premier vice-président du TGI de Toulouse) et Norbert Saint-Ramon (vice-président du TGI de Toulouse). Pour ma part, j’ai décidé de suivre Jean-Louis Bec, dont j’avais trouvé les précédentes interventions passionnantes, et qui, en tant que magistrat délégué à l’équipement, me semblait le plus qualifié pour en parler ; et je ne l’ai certainement pas regretté ! Cette visite fut bien le clou du colloque, le site valant assurément le détour : le Palais de justice se situe au cœur même du vieux Toulouse, là où se dressait la ville romaine déjà importante au IIe siècle avant J.-C., puis sur le site même de l’ancien Parlement. Cette visite permit ainsi d’envisager plus de 2000 ans d’histoire locale. Lors des travaux, à peine eut-on un peu creusé… que l’on tombait sur des restes de l’ancienne voie romaine et de la Porte Narbonnaise (la plus importante, tournée vers Rome), mais aussi du Château Narbonnais, la principale forteresse de la ville, résidence des comtes de Toulouse, et enfin des murailles du XVIe siècle. Évidemment, ce ne fut pas sans entraîner quelques difficultés pour ce qui est des travaux (nécessaires) de réaménagement du tribunal (devenu bien trop étroit, et relativement insalubre) : ceux-ci ont pris du retard, et ont coûté plus cher que prévu (enfin… plus cher que ne l’avaient prévu ceux qui n’avaient pas entendu parler du Château Narbonnais, etc.). Le problème, dans cette zone de Toulouse, est que les moindres travaux mettent à jour des reliquats du riche passé toulousain (200 mètres plus loin à peine, les travaux de la ligne B du métro ont ainsi mis à jour un important cimetière mérovingien…). Jean-Louis Bec a ainsi précisé que, pour plusieurs endroits, il avait tout simplement été décidé de ne pas creuser, devant les dépenses qu’un chantier archéologique « inopiné » ne manqueraient pas de susciter… Autre problème : passées les missions archéologiques de sauvetage, que faire de ces restes ? Bien souvent, il fallut les raser… Mais l’architecte a heureusement su en préserver une bonne part, et l’intégrer adroitement dans le nouveau Palais de justice, mêlant ainsi l’ancien et le nouveau, le symbolique et le fonctionnel (j’avouais que l’extérieur me laissait plus sceptique encore que l’ancien bâtiment du XIXe siècle, et que les travaux m’avaient tout d’abord quelque peu effrayé, mais il semble bien, finalement, qu’ils aient été plus bénéfiques que néfastes pour les ruines les plus intéressantes, et l’intérieur est tout à fait réussi). Les restes du Château Narbonnais, de la Porte Narbonnaise et de la Voie romaine, ont ainsi été préservés dans la « crypte » du tribunal, qui devrait prochainement être ouverte au public. Mais ce site était également l’emplacement de l’ancien Parlement, et en a conservé des traces intéressantes : la Grand-Chambre, derrière sa façade gothique préservée, date ainsi du XVe siècle, quand bien même elle a connu de nombreux aménagements depuis (notamment du fait de l’inévitable Viollet-le-Duc, qui a rehaussé le plafond à sa manière « médiévale idéalisée »). On y retrouve les bizarreries symboliques précédemment mentionnées : le « K » (pour « Karolus », c’est-à-dire Charles VII) des tapisseries murales a été plus ou moins déguisé en un « R » pour « République », mais les symboles monarchiques et religieux abondent encore dans la pièce : on y trouve en effet un obélisque dédié au « martyr » Louis XVI… et même une chapelle datant de Charles X, ce qui est plus ou moins incongru pour ce lieu qui se veut républicain et laïque autant que possible ! Au-delà, il est encore bien des choses à voir dans le vieux Palais de justice, et notamment les deux imposants salons, le Salon d’Hercule de la fin du XVIIe siècle (dont le toit est orné de sculptures impressionnantes – une autre, murale, représentant le jugement de Salomon, auquel le sculpteur a donné les traits du jeune Louis XIV… –, et qui abrite également la bibliothèque du Palais de justice, riche en précieux volumes), et le plus tape-à-l’œil Salon Doré. On est ici bien loin des ternes salles d’audience contemporaines…

 

Si je n’ai guère pu profiter de ce colloque, je garderai néanmoins un très bon souvenir de cette visite instructive, témoignant de l’ancienneté et de la richesse du patrimoine toulousain, comme de l’importance de la vie judiciaire dans l’histoire de la ville rose.

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Les facultés de droit de province au XIXe siècle

Publié le par Nébal

Les 12, 13 et 14 novembre 2008, il m’a été donné d’assister à un colloque (quoique le terme de « rencontre » ait été très tôt privilégié) à l’Université des Sciences Sociales Toulouse 1, organisé par le Centre Toulousain d’Histoire du Droit et des Idées Politiques, avec pour responsable scientifique Philippe Nélidoff (professeur, Toulouse 1), secondé par un comité d’organisation composé de Frédéric Audren (chargé d’études CNRS – Maison française d’Oxford), Pierre Bonin (professeur, Nantes), Philippe Delvit (professeur, Toulouse 1), Olivier Devaux (professeur, Toulouse 1), Nader Hakim (maître de conférences, Montesquieu – Bordeaux IV), Jean-Louis Halpérin (ENS Ulm), Jacques Krynen (professeur, directeur du CTHDIP, Toulouse 1) et Jacques Poumarède (professeur, Toulouse 1).

 

Il s’agissait donc de se pencher sur le thème des Facultés de droit de province au XIXe siècle, et d’en tirer des bilans et perspectives de recherches. Le vœu des organisateurs était en effet que cette première rencontre soit régulièrement prolongée, afin d’approfondir cette thématique de recherche étrangement peu abordée jusqu’à présent. Des actes de ce colloque seront prochainement édités (fin 2009, ou plus probablement courant 2010). Sans doute me sera-t-il alors possible d’en tirer un compte rendu plus ou moins approfondi, « scientifique ». Ce n’est pas l’objet de cette note, qui ne se veut qu’un compte rendu « à chaud », passablement lapidaire, et incontestablement subjectif : béotien largement incompétent dans ces matières, et simple spectateur, je n’entends ici rapporter que mes premières impressions à l’issue du colloque dans son ensemble et des communications qu’il a suscitées.

 

Le colloque se tenait dans la salle Maurice Hauriou du site des Anciennes Facultés. Ce choix de la ci-devant salle du conseil n’était certainement pas innocent : ainsi que Pierre Bonin en a fait la remarque lors de la conclusion des travaux, cette petite salle obscure dont les hauts murs sont parsemés des portraits quelque peu grandiloquents des plus fameux professeurs et doyens de la Faculté de droit toulousaine a très certainement marqué de son empreinte les travaux, suscitant une atmosphère particulière, permettant régulièrement d’illustrer le propos, mais tendant peut-être également à lui conférer une fausse impression « d’immobilisme » et de « majesté ». D’autant que ce thème de recherche pouvait présenter le risque d’alimenter un vain sentiment cocardier, s’appuyant sur les gloires locales au préjudice de l’analyse. L’université toulousaine, forte de son ancienneté – c’est une des plus vieilles universités de France et plus largement d’Europe, puisque constituée en 1229 ; c’est d’autant plus vrai pour ce qui est de la Faculté de droit, Toulouse étant une vieille ville « de robe » (instauration du premier Parlement de province en 1444) –, est il est vrai coutumière du fait, et la deuxième journée du colloque, consacrée à Toulouse, en témoignera assez… Cet état d’esprit, à vrai dire, semble toujours d’actualité, quand bien même il ressortait le plus souvent de traits « d’humour » à froid, heureusement non exempts d’autodérision, témoignant des rivalités entre facultés de province… et a fortiori de leur statut particulier, « inférieur », par rapport à Paris. Il fut en effet très tôt et très justement affirmé que l’exclusion parisienne du titre ne devait pas être prise au pied de la lettre, toutes les facultés de province tendant tout naturellement à se définir par rapport à la capitale. Mais sans doute aurait-il été intéressant d’aborder plus en détail ces diverses rivalités, mais aussi les autres formes de relations qui pouvaient exister entre les universités de province : si la thématique des « réseaux » a souvent été relevée, le fait est que les travaux n’ont à mon sens guère avancé sous cet angle (on aura par contre l’occasion de revenir sur les « écoles de pensée »…).

 

Quelques mots, justement, sur cette salle et ces portraits. J’avais déjà eu l’occasion de pénétrer dans ce « saint des saints » à plusieurs reprises (notamment pour une expérience traumatisante : la présentation de mon projet de thèse en vue de l’obtention d’une allocation de recherche, devant une auguste assemblée de professeurs ; encore aujourd’hui, je reste persuadé que le fauteuil alloué aux candidats était rabaissé…) ; mais j’avoue ne guère partager les sentiments dont bon nombre d’interventions – toulousaines… – se sont fait l’écho. Peut-être est-ce parce que je suis un jeune sauvageon ne respectant rien, réfractaire à l’esprit de corps, à la « tradition » et à la glorification des prédécesseurs (sans doute sont-ils très glorieux, mais je ne vois pas pour quelle raison les étudiants et professeurs contemporains devraient en retirer la moindre fierté…) ? Toujours est-il que devant les évocations enflammées de la beauté et du prestige de cette salle, je me suis toujours montré pour le moins circonspect. Ces portraits, en effet, ne me semblent guère à l’honneur des portraiturés – et je ne m’en tiens pas ici à la seule qualité d’exécution, pour le moins variable… Frédéric Audren mentionnait tout naturellement le côté « anglo-saxon » de cette salle (Harry Potter à l’école des juristes ?). Mais pour ma part, chaque fois que j’y pénètre, et que je me retrouve environné de ces arrogantes reliques du XIXe siècle, je ne peux m’empêcher de penser au Procès de Kafka, et à la figure de Titorelli, le peintre officiel du Tribunal… et, je plaide coupable, ces représentations officielles passablement prétentieuses me paraissent généralement d’autant plus ridicules. Un tableau, notamment – mais le nom du doyen représenté m’échappe – m’interloque énormément : j’ai l’impression qu’il a été malhabilement retouché pour y faire figurer une décoration supplémentaire… mais peut-être la faute en incombe-t-elle à un reflet. Toujours est-il que j’ai été quelque peu soulagé quand, passé un certain nombre de louanges, il s’est trouvé quelques intervenants pour blaguer les illustres. Je pense notamment à (l’inénarrable) Marie-Bernadette Bruguière, évoquant une ancienne anecdote, celle d’un étudiant confronté au gigantesque portrait du doyen Campistron (à la moustache incomparable), et en concluant : « Si quelqu’un avec une telle tête d’idiot a pu devenir professeur de droit, je ne vois pas pourquoi je n’y arriverais pas… » J’ajouterais cependant que Campistron, à la figure relativement débonnaire, n’est pas à mon sens le plus ridicule des portraiturés… Mais il y eut aussi Philippe Delvit, passionné par cette salle, et connaissant nombre d’anecdotes s’y rapportant, qui nous raconta quelques faits de la petite histoire, notamment à partir d’une photographie représentant l’inauguration du buste de Maurice Hauriou : le caractère peu amène de la veuve, les dissensions – notamment politiques – entre le fils d’Hauriou et le professeur Ourliac… Pierre Bonin, enfin, s’interrogeant sur le teint hépatique de quelques augustes juristes. Il y a cependant un tableau que j’avoue trouver impressionnant. Peut-être suis-je en définitive rattrapé par l’esprit de corps, etc., dans la mesure où il s’agit de celui de la principale gloire toulousaine (on sait depuis longtemps que Cujas ne compte pas, et que sa récupération par Toulouse est une imposture…), à savoir le doyen Maurice Hauriou, qui a donc donné son nom à cette salle, et dont le buste, fort apprécié des pigeons, orne le petit jardin en travaux perpétuels séparant l’ancienne faculté proprement dite de l’amphi Cujas (…) et de l’IEP. Son portrait n’est pas plus intéressant que les autres sur le seul plan artistique. Mais deux éléments me paraissent notables : d’une part, il est assez amusant de constater que cet illustre s’il en est, immense publiciste dont la pensée reste encore influente de nos jours, n’est représenté que sur un des plus petits tableaux de la salle, bien plus discret que ceux de ses confrères et prédécesseurs pour la plupart sombrés dans l’oubli… Modestie authentique, ou fausse à la Chateaubriand ? Je n’oserai pas trancher. Mais d’autre part, on remarquera que le doyen Hauriou, à mon sens bien plus élégant que les autres, est le seul à ne pas être représenté de face ou trois-quarts face, les décorations bien en évidence (et souvent en pied ou peu s’en faut)… mais de trois-quarts dos (et en buste). Je laisserai à d’autres plus compétents le soin de conclure.

 

Mais trêve de billevesées, pour reprendre les mots d’un fameux procureur, et abordons plutôt le colloque en lui-même. Celui-ci s’est ouvert le mercredi 12 novembre 2008 par un Propos introductif de Jacques Krynen (professeur, directeur du CTHDIP, Toulouse 1), après quoi Philippe Nélidoff (professeur, Toulouse 1) a officiellement ouvert les travaux.

 

La première session, intitulée État de la recherche, et présidée par Jacques Krynen, adopta une forme assez particulière, mais fort bien vue. En effet, il fut demandé à divers chercheurs d’établir des rapports (de forme variée : historiques, bibliographies, sources…) concernant les facultés de droit de province. Ces rapports ont été compilés dans un polycopié d’environ 130 pages, qui, je l’espère, sera repris dans les Actes du colloque (c’est en effet un document qui sera à n’en pas douter très utile pour des recherches ultérieures). Aix fut ainsi étudiée par Jean-Louis Mestre (professeur, Aix – Marseille III), Alger par Jean Bastier (professeur, Toulouse 1), Bordeaux par Marc Malherbe (maître de conférences, Montesquieu – Bordeaux IV), Caen par Anne-Sophie Chambost (maître de conférences, Paris V – René Descartes), Dijon par Boris Bernabé (maître de conférences, Université de Bourgogne), Grenoble par Cyrille Marconi (allocataire-moniteur, Pierre Mendès France – Grenoble II), Lille et Douai par Farid Lekeal (maître de conférences, Lille II) et Sylvie Humbert (maître de conférences, Institut catholique de Lille), Lyon par Catherine Fillon (maître de conférences, Jean Moulin – Lyon III), Montpellier par Fabien Valente (maître de conférences, Montpellier), Nancy par François Lormant (ingénieur d’études, Nancy II), Poitiers par Jean-Marie Augustin (professeur, Poitiers) et Mathieu Touzeil-Divina (maître de conférences, Paris X), Rennes par Tiphaine Le Yoncourt (maître de conférences, Rennes II), Strasbourg par Céline Pauthier (maître de conférences, Robert Schuman – Strasbourg), et enfin Toulouse par Olivier Devaux (professeur, Toulouse 1). Mais, plutôt que de faire une présentation, sans doute rébarbative et répétitive, de chaque rapport, on laissa le soin à Frédéric Audren (chargé d’études CNRS – Maison française d’Oxford) d’élaborer une Synthèse des enquêtes menées pour chacune des Facultés de droit du XIXe siècle, ce qui permit déjà de dégager d’intéressantes pistes de recherches, en définissant le sujet d’une manière à la fois globale et précise. Cette synthèse d’environ une heure fut suivie d’un Débat avec les auteurs des rapports (du moins ceux qui étaient présents…), parfois lourd de redites, mais à l’occasion très enrichissant ; je note ainsi, plus particulièrement, le propos de Marc Malherbe concernant les sources privées et leur accès parfois « difficile » (en l’occurrence, si je ne m’abuse, il s’agissait de la bibliothèque du doyen Duguit, et sans doute d’une partie de sa correspondance…) ; celui de Farid Lekeal et Sylvie Humbert sur Lille et Douai, le lien avec la Belgique, les raisons de la création tardive de la Faculté, et les relations entre facultés d’État et « écoles libres » (essentiellement confessionnelles… ce qui amena Philippe Nélidoff à lancer une diatribe, guère surprenante de sa part, à l’encontre de l’anticléricalisme endémique… mais sa compétence et son ouverture d’esprit l’autorisent assez, d’autant que, si je ne pourrais en aucun cas prétendre avoir les opinions du souriant professeur quant au problème général de la religion et de ses rapports à l’État – « ça se discute », pour reprendre le laconique et tout aussi souriant commentaire du professeur Jacques Poumarède… –, et si la forme enflammée de son intervention avait quelque chose d’excessif, je lui donne tout à fait raison pour ce qui est du fond dans cette question précise ; quoi qu’il en soit, ce fut l’inauguration d’un running gag de la rencontre…) ; celui de Jean-Marie Augustin et Mathieu Touzeil-Divina sur la concurrence entre les facultés de Poitiers et de Toulouse se disputant le rang de « première Faculté de droit de province » (nouveau running gag, inévitablement…) ; enfin et surtout, celui, tout à fait passionnant, de Céline Pauthier concernant le sort particulier de la Faculté de droit de Strasbourg, passant incessamment de la France à l’Allemagne (et se dédoublant parfois, ainsi lors de la deuxième Guerre Mondiale, c’est du moins ce que j’ai cru comprendre…), par voie de conséquence ayant un rapport différent à la question religieuse, mais aussi ayant un caractère politique plus affirmé, et, enfin, étant bien évidemment centrale dans la question de l’influence du modèle allemand (d’abord l’école historique du droit – on y reviendra à maintes reprises – et sans doute aussi la science romaniste allemande, ensuite le BGB, etc., j’imagine). On définit ainsi quelques priorités, concernant notamment les sources, mais aussi et surtout la nécessité d’établir la généalogie des chaires.

 

La journée s’est enfin conclue sur une communication, qui aurait sans doute été davantage à sa place le vendredi suivant. Nicole Dockès (professeur émérite, Jean Moulin – Lyon III) était supposée nous entretenir de La Faculté de droit de Lyon sous la direction d’Exupère Caillemer (1875-1918), mais a finalement abordé un tout autre sujet, préférant se concentrer sur l’école libre qui a précédé la Faculté de droit de Lyon. Une communication intéressante et vivante, qui permit déjà d’aborder le problème de l’implantation des facultés d’État face aux écoles libres, et les diverses difficultés rencontrées par ceux qui souhaitaient l’établissement d’un tel enseignement, notamment du fait des rivalités locales (ici essentiellement avec la Faculté de Grenoble). Cela me permit aussi, je dois l’avouer, de prendre conscience de ce que le « XIXe siècle » de l’intitulé général du colloque pouvait correspondre à des réalités bien différentes, nombre de facultés non négligeables (parmi lesquelles, justement, Lyon, mais aussi Bordeaux) sont de création récente (souvent postérieures à la guerre de 1870, ligne de partage souvent relevée dans les communications).

 

Les travaux reprirent le lendemain à 9h30, pour une journée entièrement consacrée à la Faculté de droit de Toulouse. La deuxième session, dans la matinée, s’intitulait Une Faculté de droit de province au XIXe siècle, Toulouse : cadres et organisation ; elle fut tout d’abord présidée par Germain Sicard (professeur émérite, Toulouse 1), puis par Marie-Bernadette Bruguière (professeur émérite, Toulouse 1).

 

Sonia Moussay (historienne de l’art, conférencière du Patrimoine) nous entretint tout d’abord de L’Architecture de la Faculté de droit de Toulouse. Une communication passablement scolaire et dépassant allègrement (et inévitablement) le sujet, mais néanmoins fort intéressante et instructive : une introduction tout à fait bienvenue.

 

Marielle Mouranche (conservateur SICD – Service du livre ancien, Toulouse 1) souleva ensuite Quelques pistes pour une histoire de la bibliothèque de la Faculté de droit de Toulouse au XIXe siècle ; une communication pointue et quelque peu abstraite à mon sens, mais non dénuée d’intérêt.

 

Il en est allé de même pour la communication suivante, Registres, parchemins et papiers : les archives de la Faculté de droit de Toulouse (1805-1914), due à Philippe Delvit (professeur, Toulouse 1) et à Delphine Floreck (archiviste, Mission Archives Toulouse 1), parfois confuse… ce qui témoignait assez de la complexité de la question et de l’éparpillement des archives de l’université. Or Toulouse 1, qui dispose donc d’une « Mission Archives », est pourtant loin d’être la plus mal lotie sous cet angle !

 

Suivit un débat et une pause, après quoi Mathieu Peter (doctorant, Toulouse 1) évoqua Les rentrées solennelles de la Faculté de droit de Toulouse (1840-1870) : une communication intéressante et solidement documentée, mais qui ne m’a étrangement pas appris grand chose, à l’instar d’un certain nombre d’autres interventions de cette journée un peu molle…

 

Heureusement, Caroline Barrera (Centre universitaire de formation et de recherche Champollion, laboratoire Framespa, CNRS – Toulouse 2 – Le Mirail), démontra assez la bêtise du préjugé anti-Mirail sarcastiquement évoqué par (l’inénarrable, donc, mais aussi « intouchable » et prévisible) Marie-Bernadette Bruguière en livrant ce qui constitua à mon sens et de très loin la communication la plus intéressante et pertinente de la journée : Les étudiants étrangers et coloniaux de la Faculté de droit de Toulouse au XIXe siècle. Ce fut une des très rares interventions à mettre en avant les étudiants comme composante à part entière de l’université (il faudra attendre les deux dernières communications grenobloises pour que ce thème pourtant fondamental ressurgisse, tout un symbole…). Un travail souvent surprenant et toujours instructif (j’ai été particulièrement intéressé par l’évocation des étudiants « réfugiés politiques », accueillis à bras ouverts et protégés par la Faculté – même si souvent surveillés… –, notamment Polonais – ce qui rejoint dans un sens ma recherche – mais aussi Russes – parce que juifs ou socialistes, dans ce dernier cas…), reposant en outre sur des documents d’archive véritablement remarquables (je pense notamment aux caricatures tirées d’une revue humoristique publiée par des soldats américains étudiant le droit à Toulouse au cours de la première Guerre Mondiale…).

 

La troisième session, l’après-midi, prolongea la précédente : Une Faculté de droit de province au XIXe siècle, Toulouse : les enseignements et les implications intellectuelles, sous la présidence de Jean-Marie Augustin (professeur, Poitiers). Ce fut hélas à mon sens la moins intéressante de toutes…

 

Jean-François Babouin (chef du département GEA, IUT de Bourges) évoqua tout d’abord Le premier cours de droit administratif à la Faculté de droit de Toulouse (1807), à partir d’un manuscrit anonyme. La communication était certes sérieuse, et parfois intéressante (je relève notamment la question des liens établis avec les institutions de l’Ancien Régime, le préfet étant comparé à l’intendant, etc.), mais à mon sens trop pointue et précise pour s’intégrer parfaitement dans la thématique de cette rencontre ; et je doute qu’il soit véritablement possible d’en tirer des enseignements productifs…

 

Pierre-Louis Boyer (doctorant, Toulouse 1) nous parla ensuite de La fondation de l’Académie de Législation : un cercle juridique au sein des sociétés savantes toulousaines. Une communication savante et intéressante, mais qui m’a fait tout d’abord l’effet d’être à la limite du hors-sujet (si les professeurs de la Faculté de droit sont présents dans cette institution, au même titre que les magistrats et avocats, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une institution extra-universitaire) ; elle ne fut cependant pas dépourvue d’intérêt, loin de là, dans la mesure où il s’agit finalement d’une des rares communications ayant véritablement abordé la thématique des « réseaux », en évoquant l’action de l’Académie de Législation (unique en son genre) en faveur du modèle allemand et de l’école historique du droit, contre l’école de l’exégèse ; et Mathieu Touzeil-Divina témoigna de la portée de cette action auprès des autres universités (et notamment celle de Poitiers).

 

Mais les deux communications suivantes ne furent hélas pas aussi pertinentes : certes, elles ont été faites sérieusement, je ne remettrais certainement pas ceci en cause ; le problème, cependant, est qu’elles se sont largement répétées (et qu’une troisième communication le lendemain allait encore faire de même !), et qu’elles ne m’ont hélas pas appris grand chose (les cours d’histoire du droit privé – centrés plus précisément sur l’histoire de la propriété – du professeur Jacques Poumarède, en Licence Droit – surtout – et dans une moindre mesure en Master 2 Histoire du droit, contenaient déjà la majeure partie des éléments de ces communications…). Jacqueline Begliuti-Zonno (doctorante, Toulouse 1) évoqua donc Les sciences d’État à la Faculté de droit de Toulouse au XIXe siècle, plus précisément au début de la IIIe République, et en se focalisant essentiellement sur l’économie politique ; après quoi Ludovic Azéma (docteur, Toulouse 1) nous parla… de L’apparition des enseignements économiques à la Faculté de droit de Toulouse au XIXe siècle. Ce qui fut pour le moins redondant. Je retiendrais des deux communications une petite « controverse » concernant l’intéressante figure de Rozy… mais aussi, hélas, leur tendance, à mon sens, à envisager le problème de manière quelque peu unilatérale (que l’hostilité au socialisme ait favorisé le développement des enseignements économiques, aucun doute à cet égard ; mais, dans cette opposition, bien des idéologies différentes pouvaient être impliquées…).

 

Hervé Le Roy (maître de conférences, Toulouse 1) traita ensuite d’une autre intéressante figure locale, avec L’Aspect régionaliste de l’œuvre de Jean-Baptiste Brissaud (traitant essentiellement de l’activité de Brissaud dans le cadre des sociétés savantes, et de sa tendance à la « dispersion », diront les mauvaises langues, à la « pluridisciplinarité » diront les plus charitables – je me situe parmi ces derniers). Une communication assez « scolaire », cela dit.

 

Bien autrement intéressante fut la dernière communication de la journée. Caroline Javanaud (doctorante, Toulouse 1) n’eut pas grand chose à présenter à l’oral, mais son travail de recherche bibliographique sur le doyen Hauriou, qui figurera dans les actes, sera sans doute du plus grand intérêt. Mais elle introduisit ainsi brièvement la recherche de Philippe Nélidoff intitulée Le doyen Maurice Hauriou et la liberté des cultes. L’hypothèse émise par le professeur, d’un positionnement « libéral » du doyen Hauriou quant à la question de la liberté des cultes, a pu être débattue, de même que celle de son influence sur la jurisprudence du Conseil d’Etat. Mais ce fut étrangement la seule communication de tout le colloque à avoir fait intervenir la question du rôle de la doctrine, notamment par rapport à la jurisprudence, et donc de l’influence éventuelle des universités de province… Ce fut enfin l’occasion de sortir résolument l’université de ce monde illusoire et détaché qu’elle revendiquait et revendique étrangement encore aujourd’hui parfois, prétendument immobile et insensible aux troubles de la société civile… Là encore, pour approfondir ce thème, il faudra surtout se reporter aux deux dernières communications grenobloises…

 

La quatrième session, le lendemain matin, était intitulée Écoles et enseignements dans les Facultés de droit de province au XIXe siècle, et fut présidée par Jean-Louis Mestre (professeur, Aix – Marseille III). Exit Toulouse, donc. L’ordre des communications fut quelque peu chamboulé par rapport au programme initial. La journée débuta avec Mathieu Touzeil-Divina (maître de conférences, Paris X Nanterre), dynamique jeune publiciste (mais très à l’aise au milieu des historiens, et n’hésitant pas à contredire ou nuancer ses aînés avec finesse…), auteur d’une thèse que tout le monde s’accorda à qualifier de monumentale, et dont il développa ici un aspect : L’inexistence d’une école de Poitiers ou l’enseignement du droit public à Poitiers de 1834 à 1900. Une communication vivante, à la fois solide et abordable, et indéniablement pertinente dans sa remise en cause d’une idée reçue pourtant très prégnante aujourd’hui encore. Ce fut l’occasion de poser plus largement la question de l’existence des « écoles », et d’y apporter une réponse extrêmement nuancée : nombre d’entre elles semblent bien être des reconstructions a posteriori, dues aux fiertés locales ou au poids des « autorités » (en l’occurrence, ici, les Toulousains Maurice Hauriou et Achille Mestre…). Une des meilleures communications du colloque à mon sens.

 

Ahmed Slimani (maître de conférences, Amiens) évoqua ensuite Les débuts de l’enseignement de l’histoire du droit à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence (1879-1918), prolongeant ainsi, dans un sens, l’étude de « l’histoire de l’histoire du droit » qui avait fait l’objet d’un précédent colloque toulousain (sous la direction de Jacques Poumarède, si je ne m’abuse). Un travail solide et intéressant, très vivant… d’autant qu’il reposait à l’occasion sur des sources orales, pour le moins rares en histoire du droit !

 

Marc Malherbe (maître de conférences, Montesquieu – Bordeaux IV) traita quant à lui de La science romaniste bordelaise au XIXe siècle, ce qui nous valut à nouveau une communication à la fois pointue et vivante, et parfois surprenante.

 

Suivit la communication « dijonnaise », qui aurait en principe dû intervenir plus tôt dans la journée. Le programme annonçait une communication d’Hugues Richard (professeur, Université de Bourgogne) et de Boris Bernabé (maître de conférences, Université de Bourgogne), intitulée Existe-t-il une école de droit dijonnaise ? Mais – peut-être à cause de la remarquable communication de Mathieu Touzeil-Divina ? –, c’est un tout autre sujet qui fut abordé, et par Hugues Richard seul… Celui-ci nous entretint donc de La Faculté de droit de Dijon dans la première moitié du XIXe siècle et le rôle du doyen Proudhon (Jean-Baptiste-Victor, un cousin du bien autrement bouillant Pierre-Joseph…). Du moins était-ce le titre de sa présentation ; mais j’avoue n’avoir pas du tout été convaincu par cette communication largement hors-sujet (très longue introduction pré-révolutionnaire…), sentant quelque peu le réchauffé, et en même temps faite un peu de bric et de broc…

 

La matinée s’acheva enfin avec Nelly Hissung-Convert (docteur, Montesquieu – Bordeaux IV), qui nous parla… de L’enseignement de l’économie politique à la Faculté de droit de Bordeaux au XIXe siècle. Des trois communications « économiques », ce fut à mon sens la plus riche et la plus pertinente ; mais elle eut le malheur d’arriver en dernière position…

 

La cinquième et dernière session, l’après-midi, m’intéressa particulièrement : sous la présidence de Jacques Poumarède (professeur, Toulouse 1), il s’agissait de s’interroger sur La Faculté de droit dans sa ville en province au XIXe siècle. Elle commença avec Jean-Marie Augustin (professeur, Poitiers) évoquant Les professeurs de la Faculté de droit de Poitiers et la vie locale. Une communication relativement intéressante, dont j’ai essentiellement retenu la forte implication des professeurs poitevins dans le Barreau.

 

Mais suivirent deux communications grenobloises, qui m’ont tout à fait passionné (il est vrai qu’elles se rapprochaient davantage de mon objet de recherche…). Cyrille Marconi (allocataire-moniteur, Pierre Mendès France – Grenoble II) nous parla tout d’abord de Jean-Paul Didier (1758-1816), premier directeur de l’École de droit de Grenoble : un destin singulier. C’est le moins qu’on puisse dire : étrange personnage, mené par une ambition dévorante, et qui acheva sa carrière sur la guillotine, après une invraisemblable conspiration supposée détrôner les Bourbons… Une communication remarquable, pertinente et relativement originale.

 

Et l’enchaînement se fit tout naturellement avec la dernière communication, celle de Jean-Christophe Gaven (professeur, Pierre Mendès France – Grenoble II) portant sur La Faculté de droit de Grenoble dans la tourmente politique durant la Restauration, et plus précisément sur la suppression de la Faculté entre 1821 et 1824, suite à un prétendu complot impliquant des étudiants (on les retrouve enfin !) grenoblois. J’ai retrouvé dans ce passionnant finale bien des thématiques m’intéressant (au passage, le mémoire de DEA de Jean-Christophe Gaven, consacré au procès du maréchal Ney, et repris dans une des premières publications du CTHDIP, m’avait déjà été fort utile, pour les mêmes raisons, quand j’étais moi-même en Master 2…). Une des meilleurs communications du colloque à mon sens, mais je suis peut-être un tantinet partial…

 

On passa enfin à la Conclusion des travaux, par Pierre Bonin (professeur, Nantes), puis Nader Hakim (maître de conférences, Montesquieu – Bordeaux IV), dont les précédentes interventions s’étaient toujours montrées très pertinentes, et qui sut, à l’instar de son confrère, tirer les plus précieux enseignement de cette première rencontre. Reste maintenant à attendre la publication des Actes, puis une nouvelle rencontre, dans une nouvelle université…

 

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