Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche pour “l'anneau unique”

"Tales Of Eternia"

Publié le par Nébal

Tales-Of-Eternia.jpg

 

Tales Of Eternia (PSP)

 

En matière de jeux vidéos, le Nébal a des goûts simples, qui le portent essentiellement vers deux types de produits, que ce soit sur PC ou sur console : les jeux de rôle, et les jeux de stratégie en tour par tour (parce que j’aime paaaaaaaaaaaaas qu’on me speede). Aussi, pour Nébal, le bonheur ultime, sur console plus particulièrement, c’est ce qu’on appelle les tactical-RPG, comme les bons vieux Shining Force qui ont fait sa joie dans son enfance. Seulement, de ces jeux-là, il n’y en a pas 36 000 sur PSP ; et même s’il n’a pas fini l’excellentissime Final Fantasy Tactics: The War Of The Lions, pas plus que le pas mal du tout Wild Arms XF, en raison de leur difficulté quand même pour le moins corsée, le Nébal a dû se tourner vers d’autres types de jeux de rôles.

 

(Temporairement : j’ai fait l’acquisition récemment de Disgaea: Afternoon Of Darkness et Disgaea 2: Dark Hero Days, dans le genre, dont j’attends le plus grand bien…)

 

J’ai eu ma période frénétique Final Fantasy, puisque Square Enix a eu la bonne idée de rééditer les deux premiers opus sur la console portable de Sony. Hop, finis. Voilà pour les RPG classiques. Passons aux action-RPG, alors. Je me suis fait aussi le plus bourrin Crisis Core: Final Fantasy VII. Hop, fini. (Dans un tout autre registre, mais puisqu’on en parle, je me suis fait aussi l’excellent Dissidia Final Fantasy – hop, fini –, très bon jeu de baston que je ne saurais trop vous recommander.) Et puis, comme je m’entendais plutôt bien avec les jeux de Square Enix, j’ai tenté les Star Ocean… mais ça n’a pas pris. Trop bavard ; système de compétences trop complexe, sans véritablement d’explications ; histoire pas super intéressante ; mouébof, quoi…

 

Alors, un jour, en fouillant par hasard dans les jeux d’occasion d’une Fnac, je suis tombé sur un autre action-RPG dont le nom me disait très vaguement quelque chose, et dont la couverture était particulièrement hideuse : Tales Of Eternia. Comme c’était pas cher, j’ai pris la bête, et je m’y suis mis. Au début, j’y ai retrouvé un peu les mêmes défauts que dans Star Ocean, système de compétences trop complexe en moins, système de combat trop complexe et « déroutant » (car vu de côté) en plus (c’était avant que je ne découvre – joie, joie ! – qu’on pouvait automatiser les combats… et je ne m’en suis pas privé). Et puis, au fur et à mesure, la sauce a pris : une fois que j’ai automatisé les combats (donc), j’ai pu me concentrer sur les personnages, l’univers, l’histoire et les énigmes, et découvrir que, sous cette couverture moche, se cachait en fait un très bon action-RPG.

 

J’aime beaucoup l’univers, déjà : Eternia est un monde double, composé de deux sous-mondes qui se font face, Inferia et Celestia, séparés par le ciel et, en son centre, l’Anneau de Seyfert, le créateur de l’univers. Mais voilà que l’Anneau semble prendre une coloration étrange, comme si une matière noire l’envahissait…

 

Un beau jour, deux amis d’Inferia, le chasseur Reid et la jeune et intrépide Farah, observent le ciel dans les environs du petit village de Rasheans. Soudain, un curieux objet semblable à une météorite vient s’écraser dans la forêt non loin de là. Farah, n’en faisant qu’à sa tête comme d’habitude, se rend immédiatement sur place, n’écoutant pas les conseils de Reid qui l’appelle à la prudence. Il se lance alors à sa poursuite, et croise sur sa route un étrange petit animal à la fourrure bleue qui le guide sur les lieux de l’incident. Là, il retrouve son amie Farah, en compagnie d’une mystérieuse jeune fille parlant un langage inconnu, à côté d’une sorte de vaisseau spatial crashé… qui ne tarde pas à exploser. Les deux jeunes gens conduisent la jeune fille auprès de l’ancien du village, désireux de l’aider sans trop savoir comment. Mais alors que l’ancien parle des dangers qui pourraient survenir si l’étrangère restait au village, le mur de sa maison explose, et un homme menaçant parlant la même langue que l’inconnue l’attaque sans autre forme de procès. Farah et Reid se portent à son secours… et se retrouvent ainsi embarqués dans un long périple, qui les conduira à travers tout Inferia, jusqu’en Celestia, et même au cœur de l’Anneau de Seyfert. Parce que – vous l’aurez compris, j’imagine – il s’agira pour eux de sauver le monde, et rien de moins…

 

Les personnages, pour être très archétypaux, sont néanmoins attachants, l’humour omniprésent – encore que le pathos puisse être de la partie – n’y étant pas pour rien. On contrôle jusqu’à quatre personnages : généralement, il s'agit de ceux que l'on voit sur la couverture, et donc de Reid, le bourrin de service, qui évolue parallèlement à l’estoc et au tranchant ; Farah, artiste martiale évoluant parallèlement aux poings et aux pieds, mais aussi guérisseuse ; l’étrangère que l’on connaîtra bientôt sous le nom de Meredy, une magicienne ; et Keele, un autre magicien, ami d’enfance de Farah et Reid. Il peut y en avoir d’autres en cours de partie, mais je ne vais pas les révéler ici, histoire de ne pas spoiler, comme c’est qu’y disent les djeuns.

 

La magie, justement, parlons-en. En-dehors de quelques attaques de base qui ne coûtent rien, les attaques magiques, comme les attaques spéciales des guerriers et les « sorts » de guérison de Farah, coûtent des TP, des « points techniques », que l’on regagne au fil des combats. Mais la magie dépend en plus des Craymels présents dans la Cage C du personnage. Un Craymel est une sorte d’esprit élémentaire qui rejoint le groupe après avoir été battu par celui-ci ; il faut alors décider s’il rejoint la Cage C de Keele ou de Meredy (ce n’est pas une décision irréversible). Le magicien qui dispose d’un Craymel dispose de ses pouvoirs spéciaux, et, au bout d’un certain temps, de son attaque spéciale. En outre, quand il dispose de plusieurs Craymels, il peut combiner leurs pouvoirs pour obtenir de nouveaux sorts. Enfin, les Craymels placés dans les deux Cages C peuvent également interagir pour créer de nouveaux pouvoirs : c’est l’action « fringe ». Les magiciens ont des niveaux de compétence associés à chaque Craymel, qui les rendent plus ou moins puissants, et plus ou moins à même d’utiliser tel ou tel pouvoir.

 

Parlons maintenant un peu des principes de jeu : les personnages se déplacent sur une carte du monde, à pied ou en utilisant un moyen de locomotion, où ils peuvent faire des rencontres aléatoires. Tant qu’ils sont à l’extérieur, ils peuvent gratuitement dresser le camp pour regagner tous leurs points de vie (mais pas leurs TP), ce qui facilite considérablement le levelling (indispensable à l’occasion, mais j’y reviendrai…). À l’intérieur des villes, les personnages ne courent bien évidemment aucun danger, et peuvent faire leurs emplettes, etc. À l’intérieur des donjons, le plus souvent, les rencontres sont également aléatoires, mais il y a quelques exceptions. Il y a quelques endroits dans les donjons où il est possible de dresser le camp. Par contre, lorsque l’on fait une sauvegarde dans un donjon (mais seulement dans ce cas-là), lorsqu’on recharge le jeu, on est ramené au dernier « point de chargement rencontré » (c’est-à-dire généralement au début du donjon, parfois au campement, ou parfois juste avant le boss…). Les personnages peuvent bien sûr regagner points de vie et TP, en-dehors des sorts de Farah, en consommant des objets prévus pour cela, mais aussi en faisant de la cuisine ; mais, à cet effet, il leur faut d’abord apprendre des recettes, en trouvant les « Wonder Chefs » dissimulés un peu partout dans le jeu… La cuisine peut être automatisée.

 

Les combats, maintenant. Ils peuvent donc être automatisés, et je ne m’en suis pas privé (parce que ce n’était pas cet aspect du jeu qui m’intéressait…). Ils sont vus de côté, comme dans un beat’em all à l’ancienne. Les personnages peuvent faire front devant l’ennemi, ou être encerclés. On ne contrôle que le « premier joueur », mais il est possible de choisir duquel il s’agit ; quant aux autres, on peut leur donner des consignes assez précises concernant leur comportement au combat. Cela dit, leur intelligence artificielle n’est pas toujours très au point, et ils auront régulièrement tendance à faire de grosses conneries… Il peut donc être utile, dans certaines circonstances critiques, de reprendre le contrôle pour éviter à un personnage crucial de commettre sempiternellement la même erreur.

 

Quoi qu’il en soit, autant vous le dire de suite, le niveau de difficulté est assez corsé. Un peu de levelling est nécessaire, de temps à autre, pour pouvoir survivre aux donjons et plus encore aux boss, dont certains se révèlent particulièrement coriaces, dès les premières heures de jeu (voyez Ondine…). Il faut d’ailleurs – petit conseil – faire attention à ne pas vendre tout son équipement désuet à chaque fois, mais penser à garder les armes « élémentaires », qui seront d’une grande utilité tout au long du jeu… Pour le reste, certaines énigmes ou certains jeux de timing ne sont pas piqués des hannetons, et il est même quelques passages pour lesquels, très franchement, je ne vois tout simplement pas comment on peut s’en tirer sans soluce… Alors pour ma part je n’ai pas hésité, et si jamais vous vous retrouvez dans ma position, je vous conseille de faire de même, par exemple en vous rendant sur ce site très complet et très bien fait.

 

Dernier point à aborder : la réalisation. Et là je dois dire que, même si j’étais sceptique au départ, c’est du beau boulot. Les écrans des villes et des donjons sont corrects, mais, surtout, les combats sont magnifiques, tant les sorts et techniques spéciales enchaînent les effets spéciaux qui en foutent plein la vue. Une vraie réussite, qui exploite bien les possibilités de la PSP. Bon, attention, hein, c’est pas du God Of War, ça reste un action-RPG ; mais justement, pour le genre, c’était difficile de faire mieux.

 

 Au final, Tales Of Eternia s’est donc révélé une bonne surprise. Ce n’est pas le jeu du siècle, mais je me suis pris à l’histoire, et intéressé aux personnages, suffisamment pour m’accrocher jusqu’à la fin du jeu.

Voir les commentaires

Origine, de Stephen Baxter

Publié le par Nébal

 

BAXTER (Stephen), Origine, traduit de l’anglais par Sylvie Denis et Roland C. Wagner, Paris, Fleuve noir, coll. Rendez-vous ailleurs, série Science-fiction, [2001] 2008,  570 p.

Hop, après l’excellentissime Temps, et le déjà moins bon mais néanmoins très correct Espace, voici donc le dernier tome de la « trilogie des univers multiples » de Stephen Baxter ; là encore, ma chro est à lire (ou pas) sur le beau site du Cafard Cosmique. Je la reproduis ici au cas où...

 

 

 

Avec Origine, l’écrivain britannique Stephen BAXTER vient clore sa « trilogie des Univers multiples » entamée avec l’excellentissime Temps, et poursuivie avec un Espace très correct, quand bien même beaucoup moins enthousiasmant. Nous y suivrons ainsi un troisième avatar de l’astronaute frustré Reid Malenfant, lancé dans une aventure folle reposant à nouveau pour une part sur le paradoxe de Fermi…

 

Reid Malenfant, cette fois, est bien membre de la NASA, mais se voit sempiternellement refuser les grandes missions qui lui tiennent à cœur. Mais un jour, alors qu’il se trouve en Afrique avec son épouse Emma, un événement hors du commun va lui donner l’occasion de repartir dans l’espace. Un OVNI est repéré dans le ciel africain, et Malenfant monte à bord d’un avion avec son épouse, bien décidé à observer de lui-même l’étrange phénomène : un gigantesque anneau bleu suspendu dans le vide à plusieurs kilomètres d’altitude… et duquel tombent de non moins étranges hominidés ! En même temps, notre bonne vieille lune grise et terne disparaît… pour être remplacée par une énorme lune rouge, sur laquelle on devine des continents, des océans, de la végétation… de la vie ? Malenfant, malmené par l’indicible phénomène, est bientôt contraint de s’éjecter. Mais sa femme a disparu, de même que l’anneau bleu… Et l’astronaute, bien vite, est persuadé que cet anneau était une porte donnant accès à la lune rouge. Jouant sur l’émotion médiatique, et secondé par l’inévitable Nemoto, il parvient à rassembler des capitaux dans un monde dévasté par les changements brutaux entraînés par l’apparition de la lune rouge, et monte une expédition pour percer le mystère de ce bouleversement cosmique, et retrouver sa femme.

 

Emma est bien vivante, oui, et elle a bien traversé la porte pour se retrouver coincée sur la lune rouge. Mais elle n’y est pas seule : elle y croise bien vite de nombreux hominidés, d’aspect et de coutumes variés… et qui parlent plus ou moins anglais. Dans ce monde brutal et cruel, l’Américaine exilée va devoir trouver le moyen de survivre, en attendant une hypothétique expédition de secours ; elle ne doute pas que Malenfant va faire tout son possible pour la rejoindre sur la lune rouge et la tirer de ce piège cosmique : après tout, le héros, c’est lui ! Elle, elle n’est jamais qu’une comptable…

 

Dans Temps comme dans Espace, Stephen Baxter jouait résolument la carte de la « hard science » tendant vers le vertige métaphysique. Dans ces deux romans, il apportait la preuve incontestable de son talent pour faire prendre conscience de la petitesse, de l’insignifiance de l’humanité, confrontée à l’incommensurabilité de l’univers dans ses multiples dimensions ; d’où, chez le lecteur, ce puissant sentiment d’effroi pascalien de l’homme ciron dans l’univers, « néant à l’égard de l’infini », et en même temps cette fascination d’ordre mystique pour ces grandeurs astronomiques qui défient nos faibles facultés de compréhension. Si Origine n’est pas dépourvu de ces aspects « vertigineux » – il s’agit après tout de se pencher sur la redoutable question de l’apparition de la vie dans l’univers, et de l’humanité en particulier ! –, le cadre de l’action, tant spatial que temporel, est bien autrement resserré, et les procédés employés par l’auteur, comme les effets auxquels il aboutit, n’ont pas grand chose à voir. Temps et Espace étaient des romans à l’échelle de l’infini, mais Origine est à l’échelle de l’homme. Et la science y occupe une place bien moindre…

 

Or c’était bien là que résidait la force de Temps, et dans une moindre mesure d’Espace, dans cette puissance évocatrice et cette astuce dans le maniement de la science dans ce qu’elle a de plus stupéfiant pour le quidam. On reconnaîtra en effet sans peine que Baxter ne brille guère par le style, que l’on jugera au mieux médiocre, et que ses personnages, dans les deux romans précédents, étaient globalement dénués d’intérêt. Cela n’était guère gênant pour Temps, roman si brillant par ailleurs, mais se révélait déjà plus pénible dans Espace, avec cette fort agaçante Nemoto et ce Malenfant tournant tristement à la figure christique… Et Origine, hélas, ne témoigne guère de progrès sous cet angle : la plume de Baxter s’y révèle toujours aussi anodine (voire pénible à l’occasion : pendant un bon moment, quand l’auteur adopte le point de vue des hominidés « primitifs », il ne témoigne certainement pas du brio déployé par Alan Moore dans son aride mais phénoménale première nouvelle de La Voix du feu…), et ses personnages, pour la plupart, sont toujours aussi inexistants : seule Emma Stoney, en définitive la véritable héroïne du roman, s’en tire un peu mieux (du moins si l’on en reste aux « humains » : Ombre et Manekatopokanemahedo sont déjà plus corrects).

 

Aussi, pendant un bon moment, Origine donne-t-il tristement l’impression d’un roman raté. On avouera même que les premières pages sont à la limite du grotesque : l’intrigue est précipitée, et si les mystères fascinants ne manquent pas, on regrettera néanmoins l’expédient ridicule consistant à « enlever » la copine du héros pour que celui-ci, en preux chevalier des temps modernes, se lance à sa rescousse… Ajoutons à cela que Baxter témoigne plus encore dans Origine que dans Espace, où c’était déjà agaçant à l’occasion, de sa fâcheuse tendance à tirer à la ligne… Pour être franc, durant en gros les 300 premières pages de ce roman, je me suis franchement ennuyé ; et ça commence à faire beaucoup, tout de même…

 

Mais on aurait sans doute tort de s’arrêter là : si Origine commence mal, voire très mal, il tend à s’améliorer au fur et à mesure, fait assez rare pour être signalé. On s’intéresse au fur et à mesure à la rude vie des hominidés de la lune rouge. Baxter, ici, surprend régulièrement le lecteur par la violence du récit, rendue d’autant plus terrible qu’elle est plus froide que véritablement cruelle. Âmes sensibles s’abstenir : Baxter fait à l’occasion dans l’horreur gore, et les meurtres ignobles, les infanticides, les actes de cannibalisme, les viols et les mutilations s’enchaînent dans l’indifférence complète des protagonistes, mais certainement pas du lecteur… A vrai dire, Ombre tient presque de l’héroïne sadienne !

 

Et puis, progressivement, dans sa deuxième moitié, le récit se fait plus riche, plus séduisant ; et quand Manekatopokanemahedo, surtout, et dans une moindre mesure les Zélotes de Michael le Prêcheur, entrent véritablement en scène, on accroche enfin, on s’intéresse aux personnages, à leurs péripéties, et aux mystères toujours plus nombreux dans lesquels il baignent ; on se passionne enfin pour les diverses sociétés hominidées, et notamment celle des « Daemons ». Le roman, de médiocre, voire mauvais, qu’il était jusqu’alors, devient finalement bon… et même très bon. Baxter avait déjà montré avec Temps et Espace qu’il savait conclure un roman, et Origine ne déroge pas : les 100 dernières pages, en gros, sont passionnantes, absolument superbes, et répondent bel et bien aux nombreuses questions que l’on se posait jusque-là (quand bien même, en ce qui me concerne, certains aspects du récit restent franchement peu plausibles, pour ne pas dire invraisemblables, sentant tristement l’artifice de narration – voyez notamment l’évacuation un peu « facile » de la problématique historique, p. 446…) ; et c’est effectivement une conclusion parfaitement appropriée, non seulement pour le roman, mais aussi plus généralement pour la « trilogie des Univers multiples ».

 

Etrange de voir un tel contraste entre le début et la fin du roman… Aussi le bilan ne peut-il être que mitigé : Origine est, non pas médiocre, mais frustrant ; il est trop longtemps laborieux pour être qualifié de bon roman. Pourtant, en définitive, il ne manque pas d’atouts… mais il faut peiner trop longtemps pour que le jeu en vaille vraiment la chandelle. Sans être totalement mauvais, Origine ne soutient ainsi pas la comparaison avec Espace, et encore moins avec Temps. Il pourra sans doute surprendre ses lecteurs, les séduire par certains aspects, mais probablement pas les convaincre totalement : cette fois, les qualités ne viennent pas assez compenser les défauts… ou n’y parviennent que trop tard.

CITRIQ

Voir les commentaires

"Conan le Cimmérien. Premier volume, 1932-1933", de Robert E. Howard

Publié le par Nébal

Conan-le-Cimm--rien-1.jpg


HOWARD (Robert E.), Conan le Cimmérien. Premier volume, 1932-1933
, illustrations par Mark Schultz, ouvrage dirigé par Patrice Louinet, traduit de [l’américain] par Patrice Louinet et François Truchaud, Paris, Bragelonne, édition collector, [1932-1933, 2002] 2007, 574 p.
 
Hop, encore un gros et beau morceau de classique, avec cette édition tant attendue de l’intégrale des « Conan » de Robert E. Howard. Et sans doute vaut-il mieux parler d’édition plutôt que de réédition, dans la mesure où, pour la première fois, ce sont bien les textes originaux du Texan qui sont regroupés dans ce beau volume, et non les versions ultérieures traficotées par Lyon Sprague de Camp (essentiellement)… Ce dernier était à bon droit devenu la bête noire des fanatiques d’Howard et de son plus célèbre personnage, dans la mesure où il s’était permis de « retoucher » les textes originaux, coupant ici, rajoutant là, et réécrivant entre les deux, pour livrer finalement un Conan assez différent de l’original, et bien moins convaincant ; d’autant que le bonhomme, qui avait trouvé là semble-t-il un commerce juteux, s’opposait avec tous les moyens à sa disposition à toute réédition des textes originaux… Et ce n’est donc que tout récemment qu’il nous a été donné de redécouvrir les textes « 100 % Howard », dans une édition en anglais supervisée entre autres par Patrice Louinet, lequel a donc depuis dirigé cette édition française chez Bragelonne, qui devrait connaître trois volumes. Autant dire que Patrice Louinet est quelqu’un qui sait de quoi il parle…
 
Ne serait-ce que pour cette raison, il y a donc lieu de se féliciter de la parution de ce recueil. Et on ajoutera en outre que c’est un bel objet. La jaquette a pu être critiquée ici ou là ; certes, elle n’est guère fabuleuse (on peut même la juger horripilante avec son « Robert E. Howardtm » et son « Conan® »…), mais, connaissant les couvertures souvent baveuses et racoleuses au possible de Bragelonne, éditeur emblématique de la big commercial fantasy, comme on dit, c’est finalement plutôt correct. De toute façon, au pire, on peut se débarrasser de cette jaquette et lui préférer cette sympathique reliure bordeaux, avec dorures s’il vous plaît. L’intérieur est également assez séduisant, aéré et d’une lecture agréable, et assez abondamment illustré par Mark Schultz, soit dans un style « comics » qu’on a pu trouver criard (moi, ça va…), mais qui peut aussi faire penser, sans trop de surprise, aux Conan de John Buscema, soit dans un style davantage « prestigieux », avec des peintures épiques assez imprégnées de classicisme, mais parfois franchement superbes (j’aime beaucoup, par exemple, la danse de Bêlit, p. 180). Ne boudons pas notre plaisir : c’est une fort belle édition, et l’on peut bien adresser des félicitations à Bragelonne, qui ne s’est clairement pas foutu de notre gueule cette fois-ci. Juste un bémol : le prix est conséquent (35 €) ; mais bon, quand on aime…
 
Maintenant que j’y pense, il n’est sans doute pas inutile de se livrer à une petite présentation de Robert E. Howard et de son fameux barbare. Car bon nombre d’idées reçues circulent sur l’un comme sur l’autre… Le Texan Robert E. Howard (1906-1936) est un très grand nom de la littérature de l’imaginaire dans sa version la plus « populaire », celle de ces fameux pulps aux couleurs criardes qui ont révélé tant d’auteurs de génie. Il a notamment écrit pour la fameuse revue Weird Tales, de même que le grand H.P. Lovecraft (célèbre depuis, mais royalement ignoré à l’époque…), avec lequel il a d’ailleurs entretenu une très abondante correspondance, sans jamais l’avoir rencontré pour autant (corrigez-moi si je me trompe…) ; il a même participé au « mythe de Cthulhu » en écrivant plusieurs nouvelles directement inspirées par le maître. De même que cet autre grand nom du genre que fut Edgar Rice Burroughs avec ses « cycles » de Tarzan et de John Carter, Howard a créé un certain nombre de personnages marquants revenant dans différentes nouvelles, et parmi lesquels on pourra citer, par exemple, Solomon Kane et le roi Kull.
 
Mais le plus fameux est incontestablement Conan le Cimmérien, personnage créé en 1932 (même si l’on peut trouver plusieurs textes qui semblent l’annoncer bien auparavant, ainsi que Patrice Louinet le note dans sa postface, « Une Genèse Hyborienne », pp. 541-571), et sur lequel il reviendra bien souvent jusqu’à son suicide à l’âge de trente ans, quatre ans plus tard. Et il y a une raison à cette réputation particulière. On a pu dire, en effet, que Robert E. Howard, avec le personnage de Conan, a créé un genre, particulièrement prolifique aujourd’hui (pour le meilleur et pour le pire…), à savoir l’heroic fantasy (même si l’on parlait plutôt à l’époque de sword’n’sorcery, expression conservée encore aujourd’hui pour désigner les récits les plus proches de Conan). Je n’ai aucune envie de rentrer dans les querelles de paternité sur le genre (et je veux bien noter, ainsi qu’on l’a parfois fait remarquer, que J.R.R. Tolkien, s’il ne publiera ses grandes œuvres que bien plus tard, avait néanmoins déjà commencé à bâtir sa Terre du Milieu à cette époque, et même auparavant…). Reste que Howard a bel et bien inventé quelque chose avec Conan… qui était tout d’abord, semble-t-il, un expédient destiné à lui faciliter quelque peu la tâche. Howard, outre un intérêt prononcé pour le fantastique, s’intéressait également énormément à la fiction historique, et avait eu l’occasion de s’y adonner avec succès. Le problème est que ce genre nécessite une énorme documentation afin d’éviter tout anachronisme, et implique un certain réalisme. D’où l’idée de créer un monde ressemblant assez au nôtre pour ne pas nécessiter trop d’explications nuisant à la force du récit, tout en offrant la souplesse nécessaire pour laisser s’exprimer à plein la fantasy et l’imagination de l’auteur. C’est ainsi que Howard a créé l’Âge Hyborien, passé imaginaire et oublié de notre terre, situé entre l’engloutissement de l’Atlantide et l’avènement des civilisations antiques. Howard écrira ainsi, parmi d’autres documents préparatoires, un petit essai sur l’histoire de l’Âge Hyborien (« L’Âge Hyborien », pp. 491-514), et dressera des cartes sommaires de ce monde imaginaire, superposées à des cartes de l’Europe, du bassin méditerranéen et du Proche-Orient (« Cartes du Monde Hyborien (dessinées aux environ de mars 1932) », pp. 537-539). En se référant à ces documents, il construira ainsi progressivement un monde cohérent et riche, fournissant un cadre idéal pour des aventures épiques et fantaisistes.
 
Et c’est donc le monde qu’arpente Conan le Cimmérien. Conan, quoi qu’ait pu en dire l’auteur, n’est probablement pas apparu d’un seul coup, et aura le temps d’évoluer. Passés les premiers récits ou projets reposant sur le thème de la réincarnation, il ne sera défini dans tous ses caractères qu’au fil des textes, lesquels – et il est important de le noter – n’ont pas été écrits dans un ordre chronologique : Howard n’a pas dressé une biographie du personnage de sa naissance à sa mort, mais s’en est fait le chroniqueur, rapportant des épisodes significatifs de la vie du personnage comme ils lui venaient. C’est ainsi que, dans le premier récit publié de Conan, celui-ci est au terme de sa carrière, en tant que roi d’Aquilonie. Et si l’on retrouvera par la suite d’autres récits se situant à cette même époque, bien plus nombreux sont ceux qui évoqueront un Conan plus jeune, mercenaire, voleur, ou pirate sous le nom d’Amra, le Lion. Patrice Louinet a donc fort logiquement pris un parti opposé à celui de Sprague de Camp, lequel avait artificiellement procédé à l’établissement d’une saga rapportant les aventures de Conan dans l’ordre où il pensait qu’elles étaient arrivées. Sans les modifications du sinistre retoucheur, cette pratique n’aurait plus guère de sens, et Patrice Louinet a donc tout à fait légitimement choisi de présenter les textes dans l’ordre de leur rédaction, qu’ils aient été acceptés par Weird Tales ou non (on trouve en outre en appendices des versions alternatives, des synopsis et des récits inachevés).
 
On perçoit mieux ainsi comment Howard a construit son personnage ; dans un premier temps (et le thème sous-jacent de la réincarnation, quand bien même non explicitement employé, n’y est sans doute pas pour rien), Conan, qui continue d’emprunter quelques caractères au personnage de Kull, ressemble à vrai dire beaucoup à Howard, notamment dans ses traits les plus mélancoliques ; mais, dans un second temps qui intervient assez rapidement, Howard fera de Conan une version idéalisée de lui-même. C’est ainsi que Conan le Cimmérien deviendra véritablement Conan le Barbare : un homme dur et fruste, mais certainement pas idiot, qui arpente le Monde Hyborien avec une sauvagerie destructrice et une incompréhension tournant souvent au mépris pour la civilisation et son cortège d’hypocrisies et de petitesses. Rien d’étonnant, sous cet angle, à ce que l’on ait souvent fait une lecture nietzschéenne de Conan (ainsi dans le chef-d’œuvre de John Milius). S’il ne faudrait probablement pas trop s’attarder sur cet aspect (et encore moins en tirer artificiellement des conséquences nauséabondes comme le premier bobo venu : pour dire les choses clairement, Howard n’avait absolument rien d’un fasciste…), le fait est qu’il y a bien du « surhomme » chez Conan, notamment dans sa tendance à se placer au-dessus du bien et du mal. C’est d’ailleurs un des aspects les plus séduisants et fascinants du personnage ; bien loin du manichéisme qui a si souvent parasité l’heroic fantasy depuis, Conan est à bien des égards un anti-héros : violent, brutal, grossier, meurtrier, voleur, ivrogne, débauché, parfois fourbe, et à la fidélité variable, il n’a rien d’un preux chevalier… Et c’est son principal atout dans le monde violent qui est le sien. Howard fait bien, avec Conan, un éloge du barbare, valorisé par rapport au faible civilisé. Conan ne se reconnaît pas de roi, ni d’obligations « naturelles » envers qui que ce soit ; quant aux dieux… Mais laissons-le présenter de lui-même son point de vue sur la question (extrait de « La Reine de la Côte Noire », p. 184) :
 
« [Crom] demeure sur une grande montagne. A quoi bon l’invoquer ? Que les hommes vivent ou meurent, il s’en moque. Mieux vaut se taire et ne pas attirer son attention sur soi ; car il enverra alors des malédictions, et non la bonne fortune ! Il est cruel et sans amour, mais à la naissance il insuffle dans l’âme de chaque homme le pouvoir de se battre et de tuer. Que pourraient demander d’autre les hommes aux dieux ?
 
« […] Dans les croyances de mon peuple, il n’y a pas d’espoir ici ou après […]. Dans ce monde, les hommes luttent et souffrent en vain, trouvant seulement du plaisir dans la folie ardente de la bataille ; une fois morts, leurs âmes pénètrent dans un royaume gris, nuageux et parcouru de vents glacés, où elles errent sans joie, pour l’éternité.
 
« […] J’ai connu un grand nombre de dieux. Celui qui nie leur existence est aussi aveugle que celui qui leur fait une trop grande confiance. Je ne cherche pas à savoir ce qu’il y a au-delà de la mort. Ce sont peut-être les ténèbres, comme l’affirment les sceptiques de Némédie, ou bien le royaume de glace et de nuages de Crom, ou encore les plaines enneigées et les salles voûtées du Valhalla des peuples du nord. Je l’ignore et cela m’importe peu. Il me suffit de vivre ma vie intensément ; tant que je peux savourer le jus succulent des viandes rouges et le goût des vins capiteux sur mon palais, tant que je peux jouir de l’étreinte ardente de bras à la blancheur d’albâtre et de la folle exultation de la bataille lorsque les lames bleutées s’enflamment et se teintent d’écarlate, je suis satisfait ! Je laisse aux érudits, prêtres et philosophes le soin de méditer sur les questions de la réalité et de l’illusion. Je sais une chose : si la vie est une chimère, alors moi aussi j’en suis une ; par conséquent l’illusion est réelle pour moi. Je vis, je brûle de l’ardeur de vivre, j’aime, je tue et je suis satisfait. »
 
Un Conan nihiliste et / ou protagoréen, hédoniste aussi, tenant bien davantage du punk sans illusions que du faf droit dans ses bottes… Un barbare, en un mot, ce qui est préférable à tout le reste. Comme une forme supérieure de franchise et d’honnêteté…
 
Mais abordons maintenant les textes (y s’rait temps !). On passera rapidement sur le poème bilingue « Cimmérie » (pp. 23-25), dont on ne peut pas dire qu’il s’intègre véritablement au cycle, mais est néanmoins utile pour saisir la genèse de la création du Monde Hyborien.
 
On aborde véritablement le cycle avec la première histoire de Conan écrite et publiée, à savoir « Le Phénix sur l’Epée » (pp. 27-57 ; version rejetée par Weird Tales pp. 457-485). Conan est alors roi d’Aquilonie, ayant renversé et tué son prédécesseur, et doit faire face à un complot mené par des aristocrates mécontents ; la plus grande menace, pourtant, ne vient pas de ces puissants barons, mais d’un esclave stygien, Thot-Amon de l’anneau… Le personnage de Conan n’est pas encore clairement défini, et, dans sa version vieillissante, c’est surtout un ancien barbare nostalgique de ses jeunes années que l’on rencontre. L’influence lovecraftienne est assez nette, même si le fantastique, bien « réel », se voit relativiser par une pirouette finale pas forcément nécessaire.
 
Il en va de même pour « La Fille du Géant du Gel » (pp. 57-67), court récit mythologique d’un intérêt assez mineur à mon goût… Un point intéressant, ceci dit : Conan, ici mercenaire, y succombe à une pulsion érotique qui aurait été fatale à tout autre que lui ; et c’est sans doute ce côté charnel et guère héroïque qui explique avant tout le refus de cette nouvelle…
 
Troisième texte : « Le Dieu dans le Sarcophage » (pp. 69-91). Un récit qui détonne quelque peu dans la série des Conan, puisque prenant la forme d’une enquête policière assez verbeuse et très « whodunit » ; Conan, qui est cette fois un voleur, n’y joue finalement qu’un rôle assez secondaire, et l’action passe au second plan.
 
Les choses s’améliorent par la suite : en effet, après ces trois textes inauguraux, Howard a pris le temps de définir davantage le Monde Hyborien et son personnage, et les textes ultérieurs s’en ressentent. Ainsi, immédiatement, avec « La Tour de l’Eléphant » (pp. 93-120) : Conan y est à nouveau un voleur, qui se lance impulsivement et avec une audace incroyable dans le cambriolage de la fameuse Tour de l’Eléphant ; les circonstances du vol ne sont pas sans évoquer celui de l’Oeil du Serpent dans le film de Milius, mais le récit, plus cruel, se teinte également d’horreur lovecraftienne, ainsi que bon nombre de ceux qui vont suivre.
 
« La Citadelle Ecarlate » (pp. 121-166 ; synopsis pp. 517-518), ensuite, nous ramène au temps du roi Conan ; celui-ci, victime d’une fourberie, a été capturé par ses ennemis, et emprisonné dans les souterrains de la Citadelle Ecarlate du terrifiant mage Tsotha. Sa fuite et sa vengeance épique font tout le sel de ce récit très réussi et divertissant.
 
On passe ensuite, avec « La Reine de la Côte Noire » (pp. 169-205), à une des plus fameuses aventures de Conan, narrant sa rencontre avec la pirate Bêlit et le début de sa carrière de « corsaire » sous le nom d’Amra, le Lion. Le couple sauvage et cruel formé par Conan et Bêlit est assez unique, et la psychologie du Cimmérien s’approfondit énormément dans ce récit ; la fin, une fois de plus très lovecraftienne (mais qui a là aussi inspiré John Milius et Oliver Stone), est pour le moins saisissante.
 
« Le Colosse Noir » (pp. 207-250 ; synopsis pp. 519-520), immédiatement après, est à mon avis une des plus grandes réussites de ce volume. Si l’influence de Lovecraft y est encore assez nette, c’est pourtant probablement celle de Sax Rohmer qui domine, ainsi que le montre Patrice Louinet dans sa postface. Récit remarquable, quoi qu’il en soit, où le personnage de Conan n’intervient qu’assez tard, sous les traits d’un mercenaire ivrogne devenu sur le caprice des dieux le chef d’une puissante armée. La longue bataille qui clôt la nouvelle est portée par un souffle épique tétanisant, et les morceaux de bravoure abondent.
 
« Chimères de Fer dans la Clarté Lunaire » (pp. 253-291), en comparaison, est indéniablement un texte mineur. Pour la première fois, Howard rajoute aux côtés de Conan un personnage féminin peu vêtu, dont le seul but est bien de lui faire obtenir la couverture du pulp ; et l’histoire est assez confuse, bien que comprenant quelques remarquables scènes horrifiques.
 
Si « Xuthal La Crépusculaire » (pp. 293-330) poursuit assez clairement dans cette lignée, le résultat est cependant bien plus probant. La ville fantôme de Xuthal, perdue dans le désert, est une belle création, riche en secrets terrifiants, et le lecteur ne s’ennuie pas un seul instant.
 
Après quoi « Le Bassin de l’Homme Noir » (pp. 333-366) nous ramène au Conan pirate, plus fourbe que jamais, dans une histoire franchement terrifiante et très divertissante.
 
« La Maison aux Trois Bandits » (pp. 367-394) nous décrit un Conan voleur et assassin, lié par le sort à deux bandits d’une espèce bien différente ; un récit moins épique que les précédents, dans un cadre urbain, mais non moins intéressant.
 
Ce n’est hélas pas le cas de « La Vallée des Femmes Perdues » (pp. 397-416), texte résolument alimentaire et dont on sent bien qu’il n’avait probablement pas convaincu son auteur. L’histoire n’est guère passionnante, le racolage s’y fait outrancier, et le racisme omniprésent, auquel Howard ne nous avait pourtant pas habitué (contrairement à ce que l’on a souvent prétendu, et que l’on pouvait par contre ressentir chez Lovecraft), achève de rebuter le lecteur. Sans aucun doute le texte le plus faible du recueil.
 
La sélection de nouvelles s’achève heureusement sur une plus grande réussite, avec « Le Diable d’Airain » (pp. 417-453). Un piège y est tendu à Conan, alors chef de guerre des Kozakis ; mais les ruines de Xapur recèlent bien plus de dangers que ce que ses ennemis supposent. Le cadre horrifique est à nouveau très réussi, et la nouvelle fonctionne remarquablement bien.
 
Suivent diverses appendices d’un intérêt varié (les plus intéressantes ont déjà été citées).
 
Tout n’est pas excellent dans ce recueil, il faudrait être le dernier des intégristes howardiens pour le prétendre. La littérature d’Howard se veut populaire, ce qui n’a rien de dégradant, mais explique quelques clichés ou procédés parfois regrettables. Ce n’était en outre pas en grand styliste, même si sa plume lyrique nous réserve à l’occasion quelques remarquables scènes d’action ou visions cauchemardesques très inspirées par… Oui, bon, vous avez compris. Enfin, les histoires tendent à se répéter quelque peu… Mais l’intérêt est là, pourtant, dans ce monde riche qu’Howard a su créer, et cet époustouflant personnage qu’est Conan le Cimmérien. Impossible de s’ennuyer véritablement dans ce recueil, qui se lit avec un plaisir certain. Je ne nierai donc pas mon bonheur, et avoue même attendre déjà la suite (semble-t-il bien meilleure, qui plus est !) avec beaucoup d’impatience.
 
Crom !!!

CITRIQ

Voir les commentaires

Sombre, n° 2 - des réponses à des réponses...

Publié le par Nébal

Sombre, n° 2 - des réponses à des réponses...

DIALOGUE

 

Quelque temps après la parution, toute récente, de ma chronique sur Sombre, n° 2, Johan Scipion, l’auteur dudit Sombre, y a répondu ; vous pouvez par exemple voir ça sur Terres Étranges, ou sur Casus NO.

 

Et comme il souhaitait semble-t-il un dialogue, je suppose qu’une réponse aux réponses s’impose… Exercice pas toujours évident, mais sans doute enrichissant – je l'espère, en tout cas ; et, si je ne me retrouve par pour autant « de l’autre côté de la barrière », c’est une occasion de peser un peu plus mes propos, et de revenir sur leur pertinence ou pas…

 

Les réponses de Johan Scipion empruntant aux codes des forums, je vais tâcher de rendre cette dimension ainsi : en italiques, c’est le sieur Scipion qui parle ; sinon, c’est moi – mais, quand il y a des retraits, dans ce cas, c’est parce que Johan Scipion citait lui-même ces passages de ma chronique de Sombre, n° 2.

 

Allez, c’est parti…

 

Je le fais assez rarement, mais quelque chose me pousse au dialogue. Sans doute la longueur de son texte, son souci du détail et le fait qu'il y met très en avant sa sensibilité personnelle. Ou peut-être tout simplement parce qu'il soulève des points intéressants. Bref, j'ai envie d'en causer.

 

On peut lire ladite critique sur son blog. Il est d'ailleurs vivement conseillé de le faire avant de parcourir ce qui suit.

INSPIRATIONS ET RÉFÉRENCES

 

Nébal a écrit :

 

« Ubiquité » est présenté comme un « survival compétitif », citant Battle Royale et Cube comme ses inspirations essentielles (encore que le terme « inspirations » puisse être contestable : l’auteur nous dit qu’il n’avait pas de lui-même fait le lien avec Cube, avant les premières « playtests »…).

 

Je pense que Cube, un film que je kiffe bien comme il faut, est une inspi d'Ubiquité, mais inconsciente. Si je ne l'ai pas réalisé à l'écriture, c'est parce que j'étais parti sur des octogones plutôt que des carrés (il reste d'ailleurs une trace de cette idée dans le scénar). J'ai simplifié quand j'ai compris que c'était injouable car trop complexe. Mais du coup, avec les octogones toujours en tête, je n'ai pas percuté sur Cube avant mes premiers playtests. C'est con, hein ?

 

Ce n’est pas con du tout… Mais, à lire cette réponse, je me suis demandé s’il n’y avait pas un malentendu quant à mes intentions : je ne remettais pas en cause ta sincérité, hein…

 

Tu noteras au passage que je parle de « Références » et non d'« Inspirations » en ouverture de mes scénarios, l'objectif étant surtout de donner au meneur potentiel une liste de films/livres qu'il puisse regarder/lire en préparation de sa partie. Le côté cuisine créative, je le réserve plus volontiers aux premiers paragraphes de la section Feedback, en fin de scénario.

 

OK, pas de problème avec ça.

FESSE-MOI AVEC UNE PELLE, MAÎTRE !

 

« Ubiquité » n’est pas sans avoir un côté : « Oh, oui, MJ, fouette-moi, fais-moi mal ! »

 

Il me semble qu'une attitude un minimum volontariste est la condition sine qua non de tout jeu de rôle. Si le joueur n'a pas envie de jouer un palouf, un runner, un vampire, une tortue ninja ou une souris, et ben ça ne marche juste pas. La particularité de Sombre est qu'il demande qu'on soit volontaire pour un trip particulier : jouer un PJ-victime. Je comprends que ça désarçonne parce que ce n'est pas si courant, mais sur le fond, ce n'est en rien différent de ce que demande n'importe quel JdR : s'impliquer dans son perso.

 

Je suis tout à fait d’accord avec ça. Ce volontarisme chez le joueur me paraît essentiel, et, dès lors qu’il n’y a pas d’ambiguïté, j’imagine (simple question de prudence renvoyant au « contrat social », comme on dit), je suis finalement d’accord pour dire que « jouer un PJ-victime » n’est au fond pas si différent de tout autre rôle à jouer. C’est même un point qui me paraît tout spécialement important, en fait.

 

Mais, pour répondre à cette remarque, il faut prendre en compte la citation suivante…

 

Peut-être d’autant plus du fait de cet emploi de la première personne, d’ailleurs.

 

Ah ? Je veux bien que tu m'éclaires sur ton ressenti. En quoi est-ce que la première personne participe de ton impression qu'il faut être un peu maso pour jouer Ubiquité ?

 

Alors ça va être long et maladroit, hein – et éminemment subjectif.

 

Affirmer qu’il faut être un peu maso pour jouer « Ubiquité », lâché comme ça, ça n’a guère de sens, certes.

 

Même si, je suppose, la mécanique de Sombre Classic est sévère et mortifère, mais à raison, dans cette optique des PJ-victimes et de « la peur comme au cinéma ». Mais, du fait de la mécanique aussi bien, en l’espèce, que du présent scénario (mais « House of the Rising Dead », dans un genre pourtant très différent, m’avait déjà fait cet effet), les erreurs se payent éventuellement (systématiquement ?) très cher – là encore à bon droit (même si j’aurais un petit bémol, sur lequel je reviendrai bientôt).

 

Je suppose néanmoins que les spécificités du scénario « Ubiquité » accentuent cette dimension punitive : le chronomètre en rajoute, ça me paraît nécessaire ; l’écoulement du temps, ritualisé via les bougies soufflées, s’accompagne cependant d’autres dispositifs, et notamment celui du MJ-marionnettiste qui fait quitter la table aux joueurs absents et les dispose loin de ladite, aux emplacements appropriés pour les retrouver le moment venu… Euh, eh bien, oui, en combinant tout cela, des bases de la mécanique à l’obéissance du joueur, au doigt et à l’œil, jusque dans sa situation dans l’espace (!), je crois qu’on peut dire : « Oh, oui, fouette-moi, MJ ! » Et quand je visualise la scène, Johan Scipion (on revient temporairement à la troisième personne ici, mais justement, j'y arrive...) a un rictus sadique sur son visage de la première à la dernière minute – à côté, le Joker est un dépressif timoré.

 

Mais, point important : je ne dis pas que c’est mal vu, insupportable, ou que sais-je ! Si, en tant que MJ, je ne me sentirais franchement pas de mettre en jeu tous ces rituels, je suis bien certain que la chose est murement pensée et mise en œuvre, et que c’est probablement très, très amusant… Si c'est géré par quelqu'un qui sait y faire.

 

Or ce n’était probablement pas l’essentiel de mon propos – parce que je mettais l’accent sur le texte, le « formel », en parlant de cet emploi de la première personne (avec un « peut-être » qu’il ne faut surtout pas oublier !) ; dans cette optique, ce n’est pas tant le jeu que la lecture qui aurait cet aspect masochiste supposé (en notant éventuellement qu’à la lecture le MJ en puissance est à son tour une marionnette de l’auteur – et perçoit donc lui aussi le rictus sadique du Joker).

 

Mais cela vient sans doute en partie du jeu, je ne pourrais prétendre le contraire – après tout, en traitant de Sombre, n° 1, j’avais exprimé un vague scepticisme concernant la position particulière du MJ dans Sombre Classic – qui me paraît vraiment supérieure aux joueurs, mais, si ça se trouve, « paraît » donc sans l’être, c’est simplement que j’ai l’impression que les jeux que j’ai pu lire ces dernières années se montrent bien plus… « délicats » en l’espèce, ou moins « frontaux », on va dire. Ce qui n’est pas forcément un reproche, en fait…

 

Je voyais aussi le MJ de Sombre disposer d’une part d’arbitraire non négligeable, dans les règles le cas échéant, ou dans le scénario « House of the Rising Dead » ; et je suppose que ces éléments reviennent dans Sombre, n° 2, et donc, à ce stade, notamment dans « Ubiquité ». Je n’y reviens pas ; c’est autre chose, je pense, qui peut poser problème.

 

Car il faut donc ajouter à tout cela l’emploi de la première personne – mais à mon sens, et c’est vraiment d’un ressenti on ne peut plus subjectif dont je parle, même si je suppose qu’il peut être étendu. Au passage, ce n’est pas une critique en tant que telle : cet emploi de la première personne, qui me paraît assez rare en jeu de rôle (même si, côté « indépendant », j’ai lu quelques autres cas – mais justement : ils produisaient pour moi le même effet !), est une singularité de Sombre que je n’entends pas le moins du monde remettre en cause ; et qui serais-je pour faire une chose pareille ? D’autant que ça serait un peu tard.

 

Mais c’est donc un ressenti. Je n’ai bien sûr aucun problème, de manière générale, avec l’emploi de la première personne… En narration ou dans la conversation, c’est une évidence (merci Nébal !), et dans d’autres domaines aussi – comme, eh eh, ce genre de comptes rendus. Mais j’ai bien plus de mal avec cet emploi dans des « essais », au sens large – d’autant que c’est à cette catégorie que je suis intuitivement tenté d’accoler Sombre. Sans doute est-ce que je suis un peu trop rigide – on m’a bien trop répété qu’il fallait prohiber le « je »… Mais je (aha) crois qu’il y a en fait deux aspects de la question, distincts en apparence, mais qui se rejoignent pour susciter le même résultat (et l’amplifier du fait même de leur rencontre).

 

Le premier, pour employer une métaphore bien lourde et pompeuse, et pas très bien assurée, c’est le rapport à la Règle. Vive les majuscules ! C’est un ex-juriste qui parle, je suppose que ça peut expliquer bien des choses – en tout cas, j’ai toujours eu tendance à envisager les règles d’un jeu de rôle comme des règles juridiques… Ce qui n’est sans doute pas le moins du monde original, certes. Bon, bref : il y a la Loi, et il y a le Juge. La Loi se veut neutre et objective – qu’elle le soit ou pas, c’est encore une autre question ; mais elle est un monstre froid ; quand on s’y confronte, c’est avec la raison, l’émotion est hors-jeu (si j’ose dire) ; elle est sans doute contestable, mais sur le seul mode de la raison. Le Juge, c’est différent : s’il est censé n’être que « la bouche de la Loi », dans les faits, il l’incarne – mais ce seul procédé suffit déjà à introduire un biais dans le rapport que le justiciable, disons, a avec lui, et qui n’est donc pas le même que son rapport à la Loi. La loi est en principe dépassionnée, même si seulement sur le plan formel (cependant d’une importance cruciale, et ça nous renvoie directement à la question à laquelle je tente bien maladroitement de répondre…) ; à certains égards, ça ne la rend que plus redoutable… Mais, si elle peut susciter l’admiration, la révérence, l’intimidation, la crainte, c’est d’une manière abstraite. Le Juge me paraît dans une position bien différente – mais tout autant, car ce n’est en rien une dimension simplement corollaire de la question, dans une position « représentée » (aux yeux du justiciable, s’entend) elle aussi bien différente. Aussi le rapport n’est-il pas le même : les brutalités éventuelles de la Loi, peut-être parce qu’implacables, suscitent la soumission ; celles tout aussi éventuelles du Juge, qui demeure un humain sous la robe austère de la justice, peuvent par contre susciter l’agacement, voire le refus (d'obstacle), voire la révolte. Bon, je dis peut-être n’importe quoi, hein… Mais en tentant de formaliser un peu les choses, j’en arrive à ça.

 

Mais c’est là qu’on rejoint le deuxième aspect, un peu (nettement…) moins fumé de ma part, je suppose : il y a une confrontation d’intimités. Laquelle passe très bien dans nombre de registres, mais, dans d’autres, me hérisse un peu – et assez vite. Une règle « objective », à la troisième personne, reste sagement dans son coin. Mais quand elle s’exprime à la première personne, et, qui plus est – ça me paraît vraiment flagrant dans Sombre, pour le coup –, avec insistance (« je », « je », « je »…), il y a un risque non négligeable que je me sente envahi dans mon territoire. L’auteur décortiquant son jeu (et à bon droit, hein ! Là encore, il s’agit d’un ressenti tout personnel, pas d’un reproche, et encore moins de recommandations !), ici, dira à chaque paragraphe ou presque, « je fais », « je pense », « j'ai constaté », etc. Plein de « je », plein, partout, à tous les niveaux – et plus il y en a, plus je me sens repoussé dans mes retranchements ; au point, parfois, où j’ai envie de hurler : « STOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOP !!! » Parce que, pour dire les choses, j’ai le sentiment d’être… agressé, en fait.

 

D’autant qu’il y a un stade où le « je » systématique peut insidieusement se muer, pas forcément dans les faits d’ailleurs mais avant tout dans le ressenti, encore une fois, en « moi, je » ; et il n’y a pas beaucoup de choses aussi agaçantes que le « moi, je », dans semblable contexte…

 

En combinant tous ces aspects (pas seulement les derniers paragraphes, mais aussi ce que je disais avant en termes de ressenti plus ludique que formel), on aboutit donc (enfin, moi, en tout cas) à une représentation de l’auteur/MJ. Et j’insiste : c’est une représentation. Elle n’a pas à être fondée en réalité. Donc, précautions, le sinistre personnage que je vais tenter de décrire là tout de suite, et donc... à la troisième personne, n’est pas Johan Scipion (que j’ai croisé, à peine, et lu, tout juste, mais que je ne connais pas). Il est une représentation – ce qui est pratique pour charger la barque, eh !

 

Bref : quand je lis Sombre, au-delà de l’intérêt que j’y trouve, de la pertinence de la chose, du sérieux et de la finition de l’entreprise – traits dominants qui figurent bien l’essentiel de mes comptes rendus, je ne vais donc pas y revenir –, je suscite éventuellement malgré moi une image de l’auteur/MJ. Car c’est bien d’un auteur/MJ qu’il s’agit, déjà : Sombre, bien plus qu’à peu près tous les autres jeux que j’ai lus, met cette dimension « auteur/MJ » en avant, et l’emploi de la première personne y participe forcément. Mais il ne se contente pas, via cette image, d’être mis en avant : à la lecture, j’ai le sentiment qu’il est aussi clairement au-dessus de moi ; et il n’est pas seulement au-dessus de moi – ce qui est déjà une position utile pour me surveiller, comme dans un panoptique des « playtests », et presque par voie de conséquence me « juger » (tiens, on y revient) : il est aussi penché sur moi – figure paternelle qui conseille le gniard, éventuellement au point de la condescendance ; tyran qui sait, et qu’on ne contredira pas, parce que « he is the Law » ; démiurge qui, du fait de son immense expérience (que je ne nie certainement pas !), unique en tant que telle, dispose de clefs qu’il veut bien me confier, mais en ne marquant que davantage, au moment même de la transmission, et même sans le vocaliser, combien c’est là chose admirable de sa part, et qui, bien entendu, ne le dépare pas de ses atours de créateur, et m’autorise encore moins à m’en vêtir à mon tour (oui, je sais que c'est une vision totalement erronée, et que le jeu incite bien au contraire aux retours d'expériences comme à la création de settings, ou autres apports d'autres auteurs ; je ne parle bien ici que d'une représentation instinctive, s'en tenant au seul texte, et évacuant tout ce qui l'entoure).

 

Et, si on y rajoute la dimension du marionnettiste au rictus sadique envisagé en causant des spécificités d’ « Ubiquité », c’est là qu’on en arrive véritablement (ouf !) au : « Fouette-moi, MJ ! »

 

Noter cependant… que l’on peut aimer ça – n’est-ce pas justement le propos, en fait de masochisme ?

 

Mais le sentiment demeure.

 

Bon, je ne sais pas si j’ai su m’expliquer… Mais passons à autre chose : le format court, à partir des deux scénarios figurant dans Sombre, n° 2.

LE FORMAT COURT

 

Je reste un peu perplexe sur l’idée d’une partie d’une heure maximum, de manière générale.

 

À l'usage, c'est un format très intéressant. Court, mais pas trop. Il incite au dynamisme narratif (ce que j'apprécie, jouer dans une certaine urgence vivifie mon expérience de jeu) tout en laissant le temps pour de vraies modulations de rythme, qui donnent du relief à la partie. Je l'apprécie vraiment, même si aujourd'hui, je ne le pratique plus en Classic. En Zéro par contre, je m'y adonne très régulièrement.

 

Certes, je ne peux pas vraiment me targuer de nombre d’expériences en la matière – mais les quelques-unes que j’ai pu avoir m’ont bien renforcé dans mes préjugés (et ce n'était pas des parties aussi courtes, d'ailleurs, mais j'y arrive). Il faudra peut-être y revenir un jour ; mais pour l’heure, eh bien, je crains de ne pas en avoir... envie.

 

Jouer n’importe où, sans véritablement de matériel, et sur un format très court, même uniquement en un quart d’heure, si ça se trouve…

 

Mais oui, carrément ! Quinze minutes (de jeu), c'est le format d'Overlord.

 

C’était bien le propos.

 

Et là je dois dire que j’ai vraiment du mal à en voir l’intérêt – c’est tellement aux antipodes de mes conceptions du jeu de rôle (oui, au pluriel, même si je suis très « traditionnel » globalement, j’apprécie quelques alternatives) que ça me dépasse complètement…

 

Ça fait ça à plein de gens. Mais attends de lire Sombre 3, tu vas mieux comprendre où je veux en venir. Ne juge pas la variante sur son scénario de rodage (Overlord), ce serait un peu court (pun intended). Tu verras, Deep space gore, c'est pas le même braquet.

 

Le problème est que j’ai lu Sombre, n° 3 (je vais essayer d’en causer bientôt), et « Deep Space Gore » ne m’a franchement pas plus emballé que ça… Certes, j’y vois au moins de l’intérêt ludique – même vague ; pour moi, « Overlord » en était peu ou prou dépourvu. Mais… Non, décidément, je crains que ce ne soit vraiment pas ma came. Mais sans doute sont-ce mes préjugés qui s’expriment, et à vrai dire je serais tout à fait ravi qu’on me démontre que l’intérêt ludique est là !

 

En fait, peut-être ici faudrait-il forcer le trait, en définitive, en renforçant la parenté avec un jeu de plateau ?

 

Fait. Camlann, dans Sombre 6, est livré avec un mini plateau de jeu, qui participe de son accessibilité aux enfants de 7 ans.

 

C’est un peu hâtif de dire ça sans avoir lu la chose, mais sur le principe ça me paraît une très bonne idée. Peut-être contaminerai-je mes neveux, tiens…

DE LA BASTON ! ET DE L’HISTOIRE

 

[...] après une très, très brève mise en contexte, les PJ se battent, et c’est tout. Ça m’a fait l’effet d’un très triste gâchis. En l’état, je ne peux pas qualifier « Overlord » de scénario : c’est une baston ; et une baston n’est pas un scénario, pour mon moi rigide.

 

C'est bourrin, hein ? Mon avis :

 

+ Overlord est archi efficace. C'est le scénario que je mène le plus en convention. Plus de la moitié de mes démos, c'est te dire. Je dois approcher les 500 parties. Il fonctionne avec presque tout le monde et produit de bonnes parties dans 99 % des cas. Après DSG, je l'avais un peu laissé de côté. Je l'ai redécouvert avec bonheur par la suite.

 

+ Sûr et certain que c'est un scénario. Je développe plus bas.

 

Sur l’efficacité, ça me paraît probable. Et le fait de le jouer en convention, pour faire découvrir, de même, rien à y redire.

 

Mais – et ça me renvoie à ces quelques mauvaises expériences en parties (relativement) courtes – arrive vite un point où je ne veux plus « tester », ou « découvrir » : je veux jouer...

 

En fait, de manière générale, la baston tend à me faire chier, en jeu de rôle.

 

Je pense que tu passes à côté de quelque chose. Pas que je veuille te convaincre de quoi que ce soit, hein. Vu que tu exprimes un ressenti, tu ne peux pas te tromper : c'est un point de vue perso. Mais le mien est tout autre.

 

À mon avis que j'ai, la baston est un truc fun parmi la tonne de trucs fun qu'on peut faire en jeu de rôle. Et c'est un truc fun qui a l'avantage d'être facile à mettre en place. Y'en a tellement d'autres qui sont hyper difficiles à amener en jeu que ce serait bien dommage de s'en priver.

 

Tu as tout à fait raison.

 

Au format d’une chronique (pourtant déjà bien longue ! Et peut-être bien trop, le cas échéant…), je ne me suis pas étendu sur la question et ai fait dans le lapidaire : ça vaut pour le « la baston tend à me faire chier », ici, et pour le « j’aime les histoires » juste après.

 

Le fait est que mon rapport à la baston en jeu de rôle, et à la notion d’histoire ou de scénario, est en fait plus complexe que ça.

 

Sans doute vaut-il mieux que j’envisage les deux aspects ensemble, après une citation de plus.

 

J’aime les histoires.

 

Mon vécu perso est qu'il ne faut pas se donner beaucoup de mal pour qu'une baston raconte une (bonne) histoire. Envoyer des mandales et en recevoir produit de la fiction, qui peut être de fort bonne qualité. Mieux encore, elle produit de l'émotion. Gros enjeux ludiques et dramatiques, rebondissements, dynamisme, soutien massif des règles, y'a tout pour faire monter la mayonnaise.

 

Je vois souvent des trucs excellents à ma table lorsque je mène Overlord, alors même que les persos sont fins comme des feuilles de papier à cigarette. Ça m'a vachement fait cogiter.

 

En préalable : il faut remettre ces citations dans leur contexte. Sombre, n°2, et plus particulièrement le scénario « Overlord » pour Sombre Zéro, m’a fourni l’occasion de ces développements, mais ceux-ci avaient un champ bien plus large – renvoyant le cas échéant à d’autres jeux, testés, ou à des notions plus ou moins vagues me venant en tête à l’occasion de telle ou telle lecture rôlistique. Ici, je ne parle donc que très marginalement d’ « Overlord » ou même de Sombre

 

Et donc, la baston.

 

Je disais qu’elle tendait à me faire chier, mais c’est effectivement très contestable, et il y a plusieurs paramètres à prendre en compte.

 

En fait, je peux prendre du plaisir à une bonne baston rôlistique, surtout en tant que PJ – et même avec des systèmes pas forcément très indiqués pour rendre cette dimension du jeu, par exemple L’Appel de Cthulhu.

 

C’est plutôt en tant que MJ que ça coince… En fait, pour dire les choses, j’ai l’impression de ne pas être « câblé pour » ; je sature vite avec des règles d’action trop détaillées, et j’ai du mal à rendre « vivant » le combat, à le « filmer » et à exprimer cette dimension narrative ; enfin, je tombe très facilement dans le très fâcheux travers du « à toi, à moi », comme on dit dans Brigandyne… et il n’y a rien de pire pour plomber un combat.

 

(À part les règles de Shadowrun, bien sûr.)

 

Peut-être n’est-ce cependant qu’une impression – à vrai dire, ça fait tellement longtemps que je n’ai pas mis l’accent sur cette dimension dans une partie que je maîtrisais… Mais j’ai justement le désir de tenter des choses – et notamment dans ce goût-là. Cela fait quelque temps que j’envisage, après ma chronique d’Imperium, et si une table adéquate peut être constituée, de jouer quelque chose plus orienté « action », même si pas seulement – genre de la (grosse ?) fantasy (je songeais à L’Anneau Unique, ou peut-être Chroniques Oubliées Fantasy ; et j’ai succombé à la hype autour de Barbarians of Lemuria, que je lis bientôt…) ou, pourquoi pas, du super-héroïque (j’avais envie de jouer enfin à La Brigade Chimérique...). Avec de la chance, si ça se fait, je pourrai revenir sur ce préjugé…

 

Qu’une baston puisse dynamiser un scénario, je n’en doute pas. C’est le moment où on agite les dés, après tout – il y en a même pour souffler dessus. Blague à part, il y a là une dimension ludique sans doute essentielle – et mettre ainsi en danger le personnage produit un effet émotionnel que peu d’autres procédés ludiques peuvent atteindre, j’imagine (même s’il y en a, et, bien entendu, je ne prétends pas par-là que le combat est la seule occasion de mettre en danger les personnages, bien sûr que non…).

 

Et, oui, c’est un outil qui en vaut bien un autre ; que je me pince éventuellement le nez par principe n’y change rien, au fond – c’est bien le plaisir de jeu (de l'ensemble de la table) qui doit dominer.

 

Certes, je suis toujours un peu perplexe devant la tendance du jeu de rôle (parce que orienté aventure notamment…) à développer autant le combat comme peu ou prou seul mode de résolution des conflits – et je suis curieux de lire des choses un peu différentes, ou tant qu’à faire d’y jouer. Hors jeux « narratifs » (avec tous les guillemets que vous voudrez – certains m’ont convaincu, comme Inflorenza, d’autres vraiment pas, comme Monostatos, d’autres pas plus que ça, comme Prosopopée, etc.), j’avais été particulièrement enthousiasmé à cet égard à la lecture de Dying Earth, mettant en avant les joutes oratoires au motif que, dans ce monde-là, le combat au sens martial était (sera) vulgaire…

 

Mais je m’accommode fort bien d’une bonne scène de baston. D’autant que mon opposition, « baston » d’une part, et « j’aime les histoires » de l’autre, ne tient pas vraiment la route – et encore moins dans ce contexte, puisque j’entendais opposer « Overlord » et « Ubiquité », et justement en relevant que ce dernier, pour être très centré sur la baston, constituait justement une bonne histoire ! Oui, le combat produit de la fiction et de l’émotion, s’il est bien géré. Et « Ubiquité » y incite d’autant plus que les joueurs ne sont pas là pour convertir du gobo en XP, ils sont impliqués d’une manière bien plus frontale et intime…

 

En fait, ma lassitude à l’égard de la baston est sans doute plus justement une lassitude à l’égard du schéma dont je parlais dans la chronique : un peu de social pour faire bonne mesure (quitte à partir sur un « vous êtes dans une auberge quand… »), un chouia d’exploration peut-être, et hop ! Baston. Une baston sans âme le plus souvent, et sans guère d’enjeux – pour moi, du moins, déjà frustré des occasions où j’aurais pu jouer mon perso, son rôle (eh) ; le voilà qui distribue des mandales, et c’est bientôt fini. Ça m’ennuie horriblement…

 

Tester est nécessaire. Les auteurs se le doivent (et tu es irréprochable à cet égard, c’est peu dire et ça se sent et c'est admirable), et je ne suis pas le dernier, après une lecture enthousiasmante, à avoir envie de tenter de la mettre en pratique (ce que je ne fais cependant jamais ou presque, pour tout un tas de raisons...). Mais, quand je débarque dans un truc pareil, j’ai envie de jouer. J’ai eu quelques mauvaises expériences où, au nom du test, on faisait l’impasse sur l’histoire – quantité négligeable. Le combat était loin d’être le seul responsable, à vrai dire…

 

Et, pour le coup, c’est l’impression que me fait « Overlord », scénario d’ « initiation » et/ou de « rodage ». C’est parfaitement légitime, et tout à fait bienvenu pour toi – quand tu en fais un bel outil de découverte (et de promotion), je suis convaincu que tu as tout à fait raison.

 

Et, bien sûr, circonstance qui change tout, on parle ici de quelque chose de joué en un quart d’heure… Je ne peux certainement pas prétendre que c’est alors « perdre son temps », là où c’était bien mon sentiment dans les one-shots de, disons, trois heures, dont je parlais juste avant.

 

Mais où est l’envie de jouer ? À titre personnel, la chose en l’état ne me tente pas du tout. C’est bien pour du test, oui, mais il faut aller au-delà, me concernant ; d’autant qu’en l’espèce le cadre est joliment amené – c’est bien pour cela que j’y voyais un gâchis… Pas dramatique, certes – et trop bref pour ça.

 

Ceci étant, la durée du jeu revient bel et bien en rapport avec cette notion d’histoire. Comme dit dans la chronique, je ne suis pas forcément un adepte acharné des romans fleuves (même si j’aime les campagnes touffues, le cas échéant) ; j’aime, cependant, disposer d’un minimum de temps, pour incarner véritablement les personnages, et approfondir l’univers.

 

Je ne doute pas qu’un bon joueur, à « Overlord », puisse trouver à incarner un personnage en dépit de sa « fiche » rikiki, de sa quasi totale absence de background, et en plus du format « flash ». C’est très possible – même si je doute d’en être moi-même capable.

 

Je n’en ai simplement… pas envie, sur un format pareil. Je ne sens pas l’enthousiasme, l’investissement me dépasse.

 

Et, donc, « Deep Space Gore » ne m’a pas beaucoup plus convaincu… si ce n’est de ce que cette approche n’était décidément pas pour moi. « Double Feature » ou pas.

 

Et on passe au « dark world » intitulé « Extinction ».

EXTINCTION (BIS)

 

Je suis plus sceptique concernant le rôle de Nyarlathotep, qui, comme souvent, me paraît mal s’intégrer dans ce schéma

 

C'est une concession ludique, dont je m'explique p. 58. Si j'ai ressenti le besoin de justifier sa présence, et même son omniprésence, c'est que je suis bien conscient qu'il s'agit d'un parachutage rôliste. Il est raccord avec l'apocalypse, pas trop avec l'horreur marine. Mais de mon point de vue de game designer, la jouabilité prime toute considération esthétique ou thématique. Au diable l'élégance, c'est l'efficacité qui compte.

 

Tu as sans doute raison. Mais ma remarque dépassait largement le seul cadre d’ « Extinction ». Je suis sans doute un peu trop rigide en matière de lovecrafteries (la faute à S.T. Joshi, sans doute !), et, si j’essaye de me sortir de ce piège, et y parviens à l'occasion, j’y retombe parfois, paf ! bêtement. Un accident – le coup est parti tout seul…

 

Or, ces derniers jours, je réfléchissais justement un peu au cas de Nyarlathotep, dans l’œuvre même de Lovecraft. Et je me disais que c’était décidément le « Grand Ancien » le plus problématique. En tant que trickster, et tout méphistophélique, il s’insère mal, voire pas du tout, dans le schéma lovecraftien censément orthodoxe, où le « Mythe de Cthulhu » est essentiellement d’obédience science-fictive, et non fantastique, et où les « dieux » (qui n’en sont donc pas) du pseudo-panthéon cthulien sont censément caractérisés par leur indifférence concernant l’homme (en fait, ce schéma est déjà sacrément contestable avec le Yog-Sothoth de « L’Abomination de Dunwich »…).

 

Dans le cadre science-fictif d’ « Extinction », Nyarlathotep me paraît donc d’autant plus figurer quelque cheveu sur la soupe. C’est peut-être efficace, mais, oui, ça m’a laissé perplexe.

 

Mais qu’en faire ? À s’en tenir à ces considérations générales, pas grand-chose…

 

Ce texte est le cadre général de ce qui devait être un supplément de plusieurs centaines de pages. Je l'ai publié dans le zine pour des raisons purement éditoriales (une affaire un peu beaucoup pénible).

 

Ce que tu as lu est l'équivalent des textes introductifs de Delta Green signés Tynes : un cadre global dans lequel viennent ensuite s'insérer d'autres textes, plus directement jouables. Dans DG, il s'agit de différentes organisations. Dans XT, j'ai opté pour sept settings.

 

OK, merci pour cette précision. M’aurait vach’ment intéressé, ce supplément…

 

[…] ce cadre de jeu trop flou […]

 

Il n'est pas flou, il est général. Plus de précisions nous auraient bloqués dans le développement des settings. Par « nous », j'entends les auteurs et les meneurs d'XT, invités à y créer leur propre setting à leur mesure. Mon cadre devait leur laisser autant d'espace créatif que possible : poser des jalons clairs pour donner de la personnalité à l'univers sans les gêner. Une structure, quoi.

 

Ça se tient, certes.

 

Pour le coup, le goût de trop peu demeure, éventuellement : chacun de ces « settings » ne tient après tout qu’en une seule colonne…

 

Ce sont des résumés. Chacun d'entre eux devait occuper plusieurs de pages, des dizaines pour les plus costauds.

 

Et là ça m’aurait vraiment passionné – même si en l’état c’est déjà tout à fait intéressant.

 

On passe à l’article « Peur ».

TU AURAS PEUR

 

[…] pas bien original ceci dit, et d’une utilité directe en jeu éventuellement douteuse – peut-être parce que, prépondérance du jeu d’aventure ou pas, l’acquéreur de Sombre a sans doute dès le départ sa petite idée de ce qu’est « la peur comme au cinéma ».

 

Certains oui, d'autres pas du tout.

 

Pour un hardcore rôliste, dix, vingt, trente, cent casual gamers, dont la culture horrifique commence et s'arrête à Shining. J'en croise plein en convention, dans les salons et les festivals surtout (le public y est souvent plus mélangé que dans les convs). Ils ne sont pas plus branchés que ça par le cinoche d'horreur, mais Sombre les accroche par sa simplicité et son efficacité.

 

Cela dit, ce n'est pas pour eux que j'ai écrit cet article, en tout cas pas plus pour eux que pour n'importe qui d'autre. Le point n'est pas d'initier les gens au cinéma ou au jeu de rôle d'horreur. Il y aurait tant à dire, ce n'est pas dans un petit article que j'y parviendrais. L'objectif est de préciser la manière dont, *moi*, je les comprends. En particulier, j'ai besoin de définir certains termes dont je vais ensuite, tu le constateras en poursuivant la lecture de la revue, faire un usage abondant : « horreur », « fantastique », « peur », « aventure », etc.

 

Cet article n'est pas du tout une aide de jeu. Il ne prétend à aucune utilité directe autour d'une table, raison pour laquelle je l'ai voulu aussi court que possible. Il s'agit de mon lexique de base, fondation essentielle de tous mes futurs articles. C'est pour cette raison que je l'ai publié en premier : il n'y avait pas d'article dans S1 et le premier qu'on lit dans S2, c'est « Peur ». Pas du tout un hasard.

 

Quand tu construis une maison, tu commences par couler une dalle de béton. Ça ne paye pas mine, ça ne te sert à rien directement (ça ne te met pas un toit sur la tête, je veux dire), mais si tu ne le fais pas, ta baraque se casse la gueule. « Peur », c'est ma dalle de béton, mon socle théorique.

 

Je ne suis pas un théoricien du jeu de rôle, pas même du jeu de rôle d'horreur, mais j'en écris un. Or le game design tel que je le conçois ne saurait faire l'économie d'un cadre théorique minimum. Parce que Sombre, tout générique qu'il soit, est une production d'auteur, c'est-à-dire qu'il déploie une vision personnelle du genre horrifique. Mon avis est que pour être suffisamment robuste, j'entends par là efficace à ma table et à celle d'autres meneurs, cette vision ne peut pas s'appuyer sur du rien. Il lui faut un soubassement théorique, aussi modeste soit-il (et le mien est minimal, six pages dans S2).

 

Mais je suis bien convaincu de tout ça, en fait…

 

Notons cependant comment l’épouvante, ou le gothique, sont remisés de côté – effectivement, à vue de nez, ils ne sont pas le propos de Sombre… et ce malgré la présence de ce brave Igor dans l’article suivant.

 

J'ai trois scénars d'horreur gothique sur le feu, dont deux en cours de finalisation. Je vais en publier un tout bientôt, dans Sombre 7. L'horreur gothique est l'un de mes sous-genres préférés. Chuis un die hard fan de la Hammer et de Chill première édition.

 

De manière générale, tous les sous-genres horrifiques sont le propos de Sombre. Il s'agit d'un jeu d'horreur générique, qualité que je m'emploie à démontrer numéro après numéro. Faut juste me laisser le temps d'aller au bout de ma démarche. À raison d'une sortie par an, ça avance lentement. Mais ça avance. Y'a maintenant pas mal de diversité dans le matos officiel.

 

OK, merci pour ces précisions.

 

Je ne suis à vrai dire pas moi-même un über-fan de la Hammer et ce genre de choses, même si j’aime bien, mais je suis curieux de voir ça.

UTILISER SOMBRE, N° 2

 

Je ne garantis, pas du coup, que je me servirai un jour de Sombre, n° 2.

 

Hé mais tu l'as déjà fait ! Pour preuve :

 

[…] un rapport assez complexe, en fait… et qui, dans le cadre de ce deuxième numéro, m’a amené à questionner mes envies, et mes limites.

 

[…] (je m’en doutais, mais l’Adrénaline ne sert que pour les jets de Corps, pas ceux d’Esprit)

 

[…] mettre en lumière des dimensions évidentes de la mécanique, mais qui m’avaient pourtant échappé (plus le niveau de Corps diminue, plus les dégâts variables diminuent – ça tombe sous le sens, mais je n’y avais pas fait gaffe, con de moi…) […]

 

C’est pas faux. Peut-être un peu spécieux quand même, mais c’est pas faux.

 

Comme je l'écris dans son édito, S2 est une manière de Master's companion, dont la fonction essentielle est d'aider le meneur à passer de la lecture au jeu, de la revue à la table. C'est pour cela que je recommande toujours S1 + S2 pour débuter, plutôt que S1 tout seul. Car dans S2, on trouve :

 

+ Des propositions ludiques diverses et variées pour inciter les gens à se demander ce qu'ils veulent faire avec Sombre. Parce que c'est la question fondamentale que posent tous les systèmes génériques : vu qu'on peut tout faire (à Sombre, dans le cadre précis du cinéma d'horreur, mon jeu est générique horrifique), quoi qu'on fait exactement ? Tous les jeux de rôle posent bien sûr cette question à un degré ou un autre, mais la généricité lui donne une importance particulière.

 

+ Une variante et des scénarios (beaucoup) plus courts pour essayer Sombre sans avoir besoin de recruter pour une séance longue.

 

+ Des articles pour bien intégrer les concepts fondamentaux du jeu et réviser le système avant de l'utiliser. Chaque mot des règles de Sombre compte, donc ça vaut la peine de s'assurer que tout a été compris jusque dans les moindres détails. C'est important dans la perspective de la maîtrise des scénarios officiels. Playtest intensif oblige, ils sont finement équilibrés pour les règles officielles.

 

Globalement, je suis d’accord – demeure cependant mon scepticisme concernant Sombre Zéro ; mais accoler les deux premiers numéros est révélateur des possibilités variées du jeu, c'est certain.

 

 

Mazette, avec ces « réponses aux réponses », je livre un deuxième article deux fois plus long que la chronique originale… N’importe nawak…

 

(Je ne ferai pas ça tous les jours, honnêtement ; mais je ne vais certainement pas me plaindre de ce genre de retours, en même temps.)

 

(Et bientôt Sombre, n° 3…)

Voir les commentaires

"La Carte du Disque-monde", de Terry Pratchett & Stephen Briggs

Publié le par Nébal

La-Carte-du-Disque-monde.jpg

 

PRATCHETT (Terry) & BRIGGS (Stephen), La Carte du Disque-monde. La Seule carte authentyque & le plus souvent precyse du fantastyque & magique Disque-monde, carte dessinée par Stephen Player, illustrations intérieures de Stephen Briggs, traduit de l’anglais par Patrick Couton, Nantes, L’Atalante, [1995] 2009, 28 p. + [1 carte]

 

Il apparaît aujourd’hui difficile de concevoir un univers de fantasy sans carte, a fortiori si cet univers est décliné sur des tomes et des tomes. Le modèle en la matière a d’ailleurs sans doute été fourni par rien de moins que Le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien, avec la carte des Terres du Milieu. Mais, que la carte reste du domaine du document de travail pour l’auteur (comme, par exemple, celle de l’Âge Hyborien pour Robert Howard) ou qu’elle soit publiée, elle apparaît presque comme un support inévitable de l’imaginaire, dès l’instant qu’il s’agit de situer l’action dans un monde « autre ». Ces cartes, évidemment, sont réalisées avec plus ou moins de soin et de réalisme, et sont dès lors d’un intérêt variable.

 

Tous les lecteurs ne sont sans doute guère intéressés par ces annexes d’un genre bien particulier, auquel il peut parfois être complexe et lassant de se référer sans cesse, et dont on peut craindre que, à figer le monde dans le marbre, elles n’en viennent à brider l’imagination. D’autres, dont j’avoue faire largement partie, mais sans doute mon expérience de rôliste y est-elle pour quelque chose, appréciant tout particulièrement la création d’univers, et d’autant plus si elle se montre cohérente, n’hésiteront pas à se référer à de semblables documents.

 

Étrangement, le Disque-monde de Terry Pratchett, pourtant sans doute un des « univers secondaires » de fantasy les plus connus, n’a longtemps pas eu de carte. L’auteur disposait d’abondantes notes personnelles, mais de carte, point. Une fois n’est pas coutume, c’est Stephen Briggs, le compilateur du Vade-mecum, qui y a remédié, en compulsant les romans du cycle jusqu’à Les Tribulations d’un mage en Aurient inclus et les notes de travail de l’auteur. On lui devait déjà, sur le même principe, une carte d’Ankh-Morpork (à ma connaissance toujours pas éditée en français). Mais, de l’aveu même de Stephen Briggs, cette première carte a été bien plus facile à réaliser que la seconde ; car, aussi délirant l’univers créé par Terry Pratchett soit-il, l’auteur anglais n’en entendait pas moins en faire un monde aussi réaliste que possible (enfin, autant que puisse l’être un monde plat porté par quatre éléphants sur le dos d’une tortue géante). L’exemple des régions sous le vent donné par Briggs dans sa courte préface en est assez révélateur : un monde de fantasy, finalement, ça n’est pas si simple que cela à bâtir, et, pour que ledit monde soit cohérent et satisfasse aux exigences des plus maniaques, on ne saurait finalement se contenter de tracer des traits figurant les côtes, avec un fleuve ici et une chaîne de montagnes là, et – surtout – l’inévitable mention « Ici dragons » (ou araignées…).

 

Mais ça y est. Cette carte existe. Claire et précise, dessinée par Stephen Player sur les indications de Stephen Briggs. On en sait maintenant un peu plus sur l’apparence du Disque-monde, sachant situer les plaines de Sto, XXXX ou l’empire agathéen, Ankh-Morpork ou Genua, etc. Et on a droit en prime à un bref texte décrivant certains des plus fameux explorateurs du Disque-monde, le général Roderick Purdeigh, Lars Larsneveu (encore qu'il soit plus un déclencheur d'explorations qu'un explorateur lui-même...), Ker-Gselzehc Jones, dame Alice Venturi, Ponce Da Quirm et Épigastre Borasse – amusant, surtout quand on lit en parallèle Les Grands Voyageurs

 

Cela dit, soyons honnête : tout cela reste de l’ordre du gadget, et il faut vraiment être un fan de chez fan pour débourser les 10 € que coûte cette carte…

 

Ou un rôliste. À vrai dire, c’est plutôt dans cette optique que j’en ai fait l’acquisition, cette carte – qui n’a après tout rien de bien littéraire – constituant un (rare) supplément potentiellement utile pour Le Jeu de rôle du Disque-monde.

 

 Au-delà, l’intérêt en est quand même pour le moins limité… Mais celui qui souhaitera suivre pas à pas les pérégrinations de Rincevent, Mémé Ciredutemps, Vimaire et compagnie sera désormais en mesure de le faire. En notant toutefois que cette carte, en définitive, ne saurait limiter Terry Pratchett – elle n’est jamais qu’un support, une représentation matérielle à un moment donné d’un des plus riches univers créés dans la fantasy contemporaine.

CITRIQ

Voir les commentaires

"Jennifer Strange, dresseuse de quarkons", de Jasper Fforde

Publié le par Nébal

Jennifer-Strange--dresseuse-de-quarkons.JPG

 

 

FFORDE (Jasper), Jennifer Strange, dresseuse de quarkons, [The Song of the Quarkbeast], traduit de l’anglais par Michel Pagel, Paris, Fleuve Noir, coll. Territoires, [2011] 2012, 307 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 68 (pp. 99-100).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

 Et c’est à nouveau sous une couverture totalement à côté de la plaque (et accessoirement – ou pas – sous un titre français plus qu’approximatif) que le Fleuve Noir publie, dans sa collection « young adult » « Territoires », le deuxième tome de la trilogie  « Jennifer Strange » de l’excellent Jasper Fforde.

 

Le premier tome,  Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons, était tout à fait sympathique, même si l’on pouvait en sortir un brin déçu, eu égard aux attentes que l’on pouvait placer sur un écrivain de la trempe de Jasper Fforde, qui a su nous régaler notamment avec sa fameuse série des  « Thursday Next », ou plus récemment avec  « la Tyrannie de l’arc-en-ciel ». On sentait en effet la différence de public visé, ce qui se traduisait par un délire moindre, plus contrôlé.

 

Avec ce deuxième tome, toutefois, on a rapidement l’impression que l’auteur ouvre les vannes, et s’autorise cette fois tous les excès dans le but de susciter le rire. C’est donc très vite avec un grand plaisir que nous retrouvons les Royaumes Désunis, et plus précisément le royaume de Hereford.

 

L’enfant trouvée Jennifer Strange y dirige toujours, en l’absence du Grand Zambini, l’agence magique Kazam. Et, depuis ses exploits du premier tome, qui ont eu une influence sans pareille sur la magie mondiale (l’énergie sorciérique, ou « crépite »), on peut dire qu’elle ne chôme pas. Néanmoins, elle doit faire face à la concurrence acharnée d’iMagie (oui, parce que tout est tellement plus cool précédé d’un « i »), l’autre agence, dirigée par l’Étonnant Blix, qui se donne du Tout-Puissant Blix, mais parvient difficilement à faire oublier qu’il est le petit-fils de Blix le Hideusement Barbare. Il y a beaucoup de contrats à la clé, dont celui, particulièrement juteux, de la réactivation du réseau de téléphonie mobile… et tous les coups sont permis dans cette lutte de pouvoirs. Kazam se retrouve bientôt dans une fâcheuse situation, alors même que le différend entre les deux entreprises doit se solder par un tournoi de magie.

 

Accessoirement, un quarkon rôde dans les environs, qui pourrait être le double de celui que Jennifer Strange a perdu en Dragonie. Ah, et puis il y a aussi cette histoire d’anneau maudit – mais ça n’a probablement aucune importance, n’est-ce pas ?

 

Sans oublier l’élan transitoire.

 

Jennifer Strange, dresseuse de quarkons s’inscrit résolument dans la foulée de  son prédécesseur. Aussi en reproduit-il largement tant les défauts que les qualités. On notera cependant (et pourquoi pas en bas de page, procédé dont l’auteur use et abuse pour notre plus grand plaisir) que, dans ce roman sans véritable trame générale – ou disons qu’elle reste discrète –, le délire est plus franc, et s’exprime dans une succession de gags tous plus improbables les uns que les autres.

 

Parallèlement, Jasper Fforde garde à l’esprit qu’il s’adresse à un public « young adult », et son art se plie aux contraintes nécessaires de ce cœur-de-cible. Mais sans que cela devienne jamais ennuyeux pour un lecteur plus âgé.

 

Au final, et même s’il n’est pas sans défauts, Jennifer Strange, dresseuse de quarkons convainc en fait davantage que le premier tome – grâce à ses héros sympathiques, ses méchants insupportables d’arrogance, et surtout cette ambiance générale de joyeux délire s’exprimant dans un cadre de fantasy uchronique tout à fait enchanteur (et un brin, juste un brin, subversif). C’est donc une lecture des plus agréables, même si l’on n’en fera pas un achat indispensable.

 

Juste une chose : comme on le dit très justement dans la Perfide Albion, il ne faut pas juger un livre à sa couverture ; c’est le moins qu’on puisse dire dans le cas présent…

CITRIQ

Voir les commentaires

"Les Garennes de Watership Down", de Richard Adams

Publié le par Nébal

Les-Garennes-de-Watership-Down.jpg

 

 

ADAMS (Richard), Les Garennes de Watership Down, [Watership Down], traduit de l'anglais par Pierre Clinquart, [s.l.], Flammarion, [1972, 1976] 2004, 410 p.

 

Eh bien oui, c'est un fait : Nébal aime bien la fantasy animalière, ainsi que vous avez peut-être eu l'occasion de le constater en suivant ce blog miteux. Récemment encore, je vous parlais du Vent dans les saules de Kenneth Grahame, immense classique du genre ; et c'est à un autre classique, quoique d'un genre bien différent, plutôt à la Le Bois Duncton de William Horwood, que je me suis attaqué en lisant Les Garennes de Watership Down de Richard Adams, roman qui me faisait de l'œil depuis pas mal de temps déjà, mais que je croyais épuisé ; or non. Youpi !

 

Et donc voilà : des lapins.

 

Des lapins !

 

Plein de petits lapins !

 

Nous faisons tout d'abord la connaissance de deux lapins de garenne, deux frères, Noisette et Cinquain. Ce dernier, chétif, a régulièrement eu des pressentiments qui se sont toujours vérifiés ; et cette fois c'est une véritable catastrophe qu'il prophétise ; mais bien rares sont ceux qui l'écoutent, et certainement pas le Maître... Il y en a, cependant, et une petite troupe se forme ainsi, emmenée par Noisette (qui deviendra ainsi bientôt Noisy-shâ), et comprenant entre autres le fier et brave Manitou, le conteur Pissenlit, etc. Autant de petits lapins qui partent à l'aventure dans le vaste monde, et cherchent une nouvelle garenne, l'ancienne risquant de succomber bientôt face à une catastrophe indescriptible.

 

Mais voilà : le vaste monde est dangereux. La nature, pour les lapins, est hostile, voire cruelle. Et le voyage de ces garennes prend ainsi des allures de véritable épopée homérique, riche en morceaux de bravoure ; et une fois la nouvelle garenne établie, ce ne sera pas la fin des difficultés pour nos petits amis à fourrure : il leur manque des hases, et, pour en trouver, il leur faudra affronter et les hommes, et la garenne totalitaire du général Stachys !

 

Mais on aura entre-temps bien des occasions de découvrir le riche univers de ces lapins de garenne, leurs us et coutumes, leur mythes et légendes ; grâce à Pissenlit notamment, nous suivrons ainsi les facétieuses aventures de Shraa'ilshâ, le premier des lapins et lapin par excellence, caractérisé par sa ruse, et qui en fait voir de toutes les couleurs à ses adversaires, et jusqu'au seigneur Krik lui-même !

 

Grâce à la plume fort jolie de Richard Adams, terriblement doué pour évoquer la nature avec mille détails – de ces détails qui font l'importance –, le lecteur se trouve ainsi projeté dans une grande aventure sans pareille, ou plutôt si : une sorte de Seigneur des anneaux adapté à ces sympathiques rongeurs, capables de se montrer fiers guerriers le cas échéant.

 

Nous sommes ainsi dans un registre de la fantasy animalière très particulier – je ne vois donc que Le Bois Duncton de William Horwood comme équivalent –, où l'anthropomorphisme est limité, et les codes des sagas sont détournés et réemployés à destination d'un public plus âgé que celui des autres classiques du genre. Les Garennes de Watership Down est à cet égard une brillante réussite, qui mérite bien ses lauriers de classique. L'aventure est palpitante, le style impeccable, les personnages attachants, comme dans la meilleure fantasy. Et le fait que les protagonistes de cette histoire soient des lapins, et non de vigoureux barbares du temps jadis accompagnés d'elfes et de nains, ne la rend que plus efficace et inventive. On comprend sans peine le grand succès rencontré par le livre de Richard Adams lors de sa sortie... et l'on ne peut que déplorer l'oubli relatif dans lequel il a sombré aujourd'hui.

 

Quoi qu'il en soit, à lire Les Garennes de Watership Down, on en vient à penser lapin (comme on en venait à penser taupe en lisant Le Bois Duncton), et ce n'est pas là le moindre tour de force de l'auteur. Personnellement, je sens que je vais avoir du mal à manger du lapin après cette lecture édifiante, qui tient autant de l'épopée que de la fable ou parabole écologiste (et probablement politique aussi...).

 

Un vrai régal pour le Nébal, donc, que cette grande aventure lapinesque. Je ne saurais trop la conseiller aux amateurs du genre... et aux autres aussi, tant qu'à faire, parce que c'est vraiment de la bonne.

CITRIQ

Voir les commentaires

"Fantômes et farfafouilles", de Fredric Brown

Publié le par Nébal

Fant--mes-et-farfafouilles.jpg


BROWN (Fredric), Fantômes et farfafouilles
, traduit de l’américain par Jean Sendy, traduction révisée par Thomas Day, [Paris], Denoël – [Gallimard], coll. Folio Science-fiction, [1963, 2001] 2006, 310 p.
 
Après le très bon Lune de miel en enfer déjà évoqué par ici, voici un nouveau recueil de nouvelles du grand Fredric Brown, composées entre les années 1940 et 1960. Pas facile de le chroniquer, celui-là, même s’il est au moins aussi intéressant que le précédent. On remarquera déjà qu’à la différence de ce dernier, on ne saurait vraiment, du moins il me semble, déterminer ici un thème dominant. Le ton varie à nouveau énormément : certains textes sont hilarants, et parfois un brin grivois, d’autres tragiques, d’autres encore cauchemardesques ; on y trouve à nouveau de la science-fiction et du fantastique (sans nette prédominance de la première cette fois-ci), mais aussi du policier, des fables, des textes relevant de la « littérature générale »… On voit bien ici à quel point il serait réducteur de cantonner Fredric Brown à son rôle de père fondateur de la SF humoristique : le bonhomme était bourré de talent, et savait l’exercer de bien des manières différentes.
 
Mais il avait néanmoins une maîtrise rare de la forme courte, et même, autant le dire, de la forme vraiment très très courte : sur la quarantaine de nouvelles que comprend ce recueil, la plupart sont des histoires à chute ne s’étendant que sur deux ou trois pages, et la dernière, l’excellentissime « F.I.N. », sur une seule. Ce n’est qu’en fin de volume que l’on trouvera des textes plus longs, non moins réussis d’ailleurs (« L’assassinat en dix leçons faciles », « Sombre interlude », « Entité-piège », « Agnelle », « Moi, Flapjack et les Martiens », « La bonne blague », « Dessinateur humoristique » et enfin « Les Farfafouille »).
 
Bref : un recueil où l’on trouvera à boire et à manger, mais avec le standing d’un quatre étoiles ; la qualité est toujours présente, et les nouvelles composant Fantômes et farfafouilles, quelle que soit l’émotion qu’elles visent à provoquer, touchent généralement juste. Quelques exemples ? Allez : l’histoire d’un homme à la recherche d’une actrice prisonnière des Abominables Hommes des Neiges (« Abominable ») ; la sordide histoire d’un petit voyou dont tous les souhaits se réalisent (« Ricochet ») ; une série de « cauchemars », fantastiques ou pas, drôles (« cauchemar en jaune », l’histoire d’un homme qui tue sa femme…) ou tragiques (« Cauchemar en gris », le très éprouvant « Cauchemar en bleu ») ; un charmant repas de famille qui tourne au Conte de la crypte (« L’anniversaire de Grand-mère ») ; « Les grandes découvertes perdues » du fait d’un petit oubli fâcheux ; un crime parfait, si ce n’est une « Erreur fatale » ; une amusante variation sur les paradoxes temporels (« Les vies courtes et heureuses d’Eustache Weaver ») ; une parthénogenèse aux conséquences troublantes (« Jicets »)… Et puis quelques plaisanteries salaces de temps à autres (« Vilain », « Abominable », « L’anneau de Hans Carvel », « La corde enchantée », « Comme ours en cage », « Histoire de pêcheur »…). Tout cela est généralement très efficace, mais impossible à résumer…
 
On ne peut à vrai dire guère s’attarder davantage dans la description des quelques textes plus longs qui figurent en fin de volume sous peine de gâcher le plaisir du lecteur... Dans « Sombre interlude », par exemple, un homme du futur est confronté à la bêtise de l’Amérique profonde : on rit jaune… Le même thème se trouve dans un sens dans « Entité-piège », nouvelle sombre et passionnante sur l’improbable destin d’un dictateur américain de 23 ans habité par une intelligence (qui est ici tout autant incompréhension) extra-terrestre. Après le sombre récit vaguement policier « Agnelle », on retrouve le sourire (ou le ricanement) avec le très drôle « Moi, Flapjack et les Martiens », racontant comment un âne a sauvé la Terre de l’invasion des Martiens. Un texte très fort, ensuite : « La bonne blague », drôle et tragique à la fois. « Dessinateur humoristique » est bien plus léger, mais toujours fort sympathique. « Les Farfafouille », enfin, est un petit bijou de conte fantastique, qui fait froid dans le dos.
 
Bon, pas en forme pour ce compte-rendu, désolé, mais c'était pas évident, là… Fantômes et farfafouilles est un excellent recueil de nouvelles que le lecteur se doit de découvrir par lui-même.

CITRIQ

Voir les commentaires

"Terremer", d'Ursula Le Guin

Publié le par Nébal

 

LE GUIN (Ursula), Terremer, traduit de l’américain par Philippe R. Hupp et Françoise Maillet, traduction harmonisée par Patrick Dusoulier, Paris, Robert Laffont – LGF, coll. Le livre de poche science-fiction, [1968, 1972, 1974, 1980] 2007, 701 p.

 

J’ai eu à maintes reprises déjà l’occasion de causer sur ce blog interlope de la grande Ursula Le Guin, essentiellement pour son fabuleux et indispensable « cycle de l’Ekumen », bien représentatif de ce que j’aime avant tout dans la science-fiction. Mais j’avais jusqu’alors laissé de côté son autre grand cycle, et probablement le plus célèbre – a fortiori depuis « l’adaptation » diversement accueillie qu’en a réalisée il y a peu le fiston Miyazaki –, celui de « Terremer ». Il s’agit cette fois d’une œuvre de fantasy, régulièrement présentée comme un classique du genre (ainsi dans la Cartographie du merveilleux d’André-François Ruaud) ; et l’on pourrait à vrai dire parler d’œuvre « fondatrice » : la trilogie originelle de « Terremer » a en effet été composée à la fin des années 1960 et au début des années 1970, à l’heure où Le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien commençait tout juste à rencontrer outre-Atlantique le succès que l’on sait, et où, par voie de conséquence, ce monument n’avait pas encore été plagié jusqu’à plus soif par la Ténébreuse Cohorte des Tâcherons Cupides.

 

Ce gros volume du livre de poche, sous sa couverture empruntée au fameux infographiste conceptuel Bryce Macintosh II (lequel, sans doute guère satisfait de ce travail typique des imperfections et maladresses de sa première période dite « démo », préfère signer ici de l’étrange pseudonyme de « Jackie Paternoster », ce qui ne trompera personne) et enrichie d’un racol… éloquent bandeau bordeaux « en dur », rassemble comme il est d’usage désormais ces trois titres originaux que sont Le Sorcier de Terremer, Les Tombeaux d’Atuan et L’Ultime Rivage (ce dernier roman étant plus précisément à la base du film sus-dit). Cela ne constitue pas cependant l’intégralité du « cycle de Terremer », dans la mesure où Ursula Le Guin y est revenue ultérieurement. Mais restons-en pour le moment à cette première trilogie.

 

Terremer, c’est tout d’abord un cadre : un monde presque entièrement océanique, où l’humanité ne dispose pour vivre que d’un archipel composé d’une multitude d’îles ; la civilisation hardique se concentre essentiellement sur la grande île d’Havnor et les nombreuses îles qui l’environnent. Les Marches du Nord et du Sud ainsi que le Lointain Est sont plus sauvages, tandis que les majestueux et terrifiants dragons pullulent dans les Marches de l’Ouest et que les barbares Kargades règnent au Nord-Est, dans leur vaste et fluctuant Empire réfractaire à la magie. Au-delà, il n’y a que la mer, qui s’étend à l’infini. On notera qu'à la différence de la plupart des univers secondaires propres à la fantasy et empires galactiques des space operas, le monde de Terremer, à l'exception des pays kargades (qui sont donc jugés barbares), n'est pas « occidental » et « blanc », ce qui est assez rare pour être signalé, et pour le coup très appréciable...

 

Envisageons justement la culture de Terremer. La magie y joue un grand rôle, et est envisagée d’une manière sans doute plus « rationnelle » que dans la majeure partie des œuvres de fantasy. Dans une optique empruntant énormément à la philosophie extrême-orientale, et notamment au taoïsme (on y reviendra), mais plus encore, peut-être, à certains aspects de la « pensée magique » témoignant de la culture anthropologique de la fille d’Alfred Kroeber (et c’est bien là une préoccupation destinée à apparaître de plus en plus au cœur de sa production tant en fantasy qu’en science-fiction), la magie, sur Terremer, ne consiste pas tant en une subversion surnaturelle de l’ordre du monde – définition classique de la magie – qu’en une fusion avec celui-ci (ce qui, dans un sens, la raproche donc de la religion ; on aura l’occasion de le constater notamment dans Les Tombeaux d’Atuan) : elle repose en effet sur la connaissance des « vrais noms » des choses et des êtres, cette connaissance conférant sur ces derniers le pouvoir (thématique déjà abordée dans la nouvelle « La Règle des noms », que l’on peut considérer comme étant à l’origine du cyle). Aussi les sorciers de Terremer prennent-ils grand soin de dissimuler leur vrai nom (Ged, le personnage central du cycle, n’est ainsi connu sous ce nom que de quelques très rares personnes parmi ses proches, le fait de « révéler » son nom étant d’ailleurs la plus grande des marques de confiance ; mais pour les autres, il est Épervier), tandis que leur art consiste essentiellement en la découverte et l’apprentissage des noms (et c’est en ceci que consiste leur « don » : la magie n’est pas exceptionnelle sur Terremer, elle imprègne la société entière). Idée fascinante et remarquablement bien mise en scène, cette philosophie du langage et du pouvoir des mots est un des grands atouts du « cycle de Terremer ».

 

On retrouve la sagesse extrême-orientale dans d’autres idées fondamentales du cycle. Ainsi pour ce qui est du manichéisme si souvent reproché à la high fantasy depuis Tolkien (et peut-être à tort en ce qui concerne ce dernier, mais bon…) : si l’on peut, a priori, opposer le « bien » au « mal » dans le monde de Terremer, ce n’est pas dans une perspective eschatologique et épique. Il ne s’agit pas ici de faire triompher un principe sur l’autre, mais, une fois de plus, de parvenir à leur accord, à leur complémentarité, à l’Équilibre, donnée essentielle de la magie. Il s’agit de faire fusionner les contraires, comme dans la représentation classique du yin et du yang : c’est vrai du bien et du mal, mais aussi d’une multitude d’autres « couples » (homme / femme, jeunesse / vieillesse, vie / mort, religion / magie, passé / avenir, nature / culture… terre / mer, sans doute ?). Le désordre, ainsi, résulte nécessairement de la domination d’un principe sur l’autre : l’ordre ne consiste pas en une victoire, mais en une conciliation. Cette quête de l’Équilibre passe dès lors par une stigmatisation de la « démesure », l’hybris des Grecs anciens. L’ambition est ainsi condamnée d’entrée de jeu, dès le premier roman : Ged, en succombant à la démesure et à la vanité, libère le chaos ; il ne se réalisera pleinement, jusqu’à devenir Archimage, qu’en réfrénant ses envies, en se taisant, en observant, en fusionnant avec le monde : le plus grand des magiciens est celui qui sait ne pas utiliser la magie, l’Archimage est d’autant plus admirable qu’il est prêt à abdiquer sa charge. Contre la démesure, on trouve donc une certaine valorisation de l’ataraxie, ou peut-être plus exactement du détachement bouddhiste du nirvāna, illustré notamment par le rapport à la mort dans L’Ultime Rivage. Cette philosophie imprègne l’ensemble du cycle, avec plus ou moins de réussite : si le fond est très appréciable, la high fantasy accédant ici à une forme de maturité et de profondeur qui lui fait souvent défaut, la formulation de ces principes (pour un lectorat que l’on peut supposer plus jeune que celui du « cycle de l’Ekumen ») passe régulièrement, surtout dans le dernier roman, par des procédés parfois naïfs, aphorismes simplets ou pseudo-koans hélas typiques des représentations abusives de la pire contre-culture hippie s’arrêtant à Katmandou sur la voie de l’Illumination. Parallèlement, on appréciera diversement que le pessimisme et l’angoisse dominant dans le cycle trouvent inévitablement leur résolution dans un happy end de plus ou moins bon aloi (je dois reconnaître que l’Anneau « inversé » des Tombeaux d’Atuan, par exemple, m’a laissé assez sceptique…), et l’on pourra éventuellement renacler devant le conservatisme auquel cette philosophie tend presque nécessairement à aboutir.

 

On relèvera également que Terremer dans son ensemble, mais aussi les trois romans pris individuellement, relèvent du roman « d’apprentissage », ou peut-être plus exactement « d’initiation ». Tout au long de la trilogie, nous suivrons ainsi la carrière de Ged, du simple gardien de chèvres sur l’île de Gont qu’il était enfant à l’Archimage et Seigneur des Dragons à l’orée de la mort.

 

Le Sorcier de Terremer (pp. 7-251) nous rapporte ainsi les premières années d’Épervier. Les premières pages sont tout à fait remarquables, exposant avec habileté le principe de la règle des noms et la découverte de la magie par le jeune garçon, jusqu’à une superbe scène d’action où le novice repousse à l’aide de son seul don un raid de pillards kargades (profitez-en, l’action sera rare par la suite : Terremer ne joue certainement pas la carte épique !). S’ensuit son « baptême » et son initiation par le taciturne mage Ogion ; mais l’arrogant Ged ne se satisfait guère de cette vie monotone, et s’empresse de se rendre à l’école des sorciers de Roke (sorte de Poudlard avec trente ans d’avance…), où sa vanité l’amènera bientôt à commettre l’irréparable : Ged, en voulant user d’un sort qu’il ne maîtrise pas, libère une Ombre démoniaque ; le jeune homme n’en réchappe qu’au prix de terribles cicatrices le défigurant à vie, et de la mort de l’Archimage. Il entame alors un vaste périple à travers Terremer, poursuivi sans relâche par cette Ombre qui compte bien s’emparer de lui… Une trame aujourd’hui classique, mais assez bien employée, pour un roman dépaysant et subtil, à l’atmosphère remarquable, mais qui tend peut-être à s’éterniser quelque peu, jusqu’à une conclusion en demi-teinte.

Les Tombeaux d’Atuan
(pp. 253-439) se situe quelques années plus tard, et adopte une forme bien différente. Ged est désormais un magicien confirmé, même si une certaine impétuosité ne l’a toujours pas quitté : c’est ainsi qu’il se rend sur l’île d’Atuan, au cœur de l’Empire kargade, pour tenter de dérober dans les tombeaux des Innomables (éminement lovecraftiens…) la moitié manquante de l’anneau d’Erreth-Akbe, le plus grand des magiciens d’antan, et restaurer ainsi la paix sur Terremer. Mais Ged n’intervient que tardivement dans ce roman centré avant tout sur le personnage de Tenar / Arha, et marqué par une unité de lieu tranchant sur les deux autres parties. Tout le roman ou presque se déroule en effet sur l’île d’Atuan, et plus précisément dans les Tombeaux, vaste sanctuaire au cœur du désert regroupant les divers cultes des Kargades hostiles à la magie. Tenar, toute petite fille, a été considérée comme la réincarnation d’Arha, la Dévorée, grande prêtresse immortelle des Innomables. C’est ainsi qu’elle quitte bientôt sa famille et est enfermée dans le sanctuaire, où elle découvre progressivement tant les mesquineries de la vie monacale que les rites les plus obscurs et les plus étranges liés à sa charge, dans ces vastes souterrains où la lumière ne doit jamais pénétrer. L’évocation de la jeunesse de Tenar dans ce cadre fascinant est très détaillée et subtile, et constitue un des points forts de ce roman. Par la suite, sa rencontre avec Ged, voleur et « hérétique » puisque s’adonnant à la magie impie et n’adorant ni les Innomables ni le Roi-Dieu kargade, l’amènera à ouvrir les yeux sur un monde bien plus vaste et complexe que ce qu’elle aurait jamais pu imaginer. Ce roman, plus dense et resserré que les deux autres, est à mon sens le plus convaincant, en dépit de sa conclusion un peu précipitée et convenue.

La trilogie originelle s’achève enfin sur
L’Ultime Rivage (pp. 441-702), bien des années plus tard. Ged, après avoir reconstitué l’anneau d’Erreth-Akbe, s’est assagi et est finalement devenu Archimage sur l’île de Roke. Mais des nouvelles étranges et effrayantes parviennent des diverses Marches : il semblerait que la magie disparaisse de Terremer ! Accompagné du jeune noble Arren, le véritable héros du roman à travers les yeux duquel tout le récit est envisagé, il remonte à bord de son petit bateau Voitloin pour voyager à travers le monde et percer le mystère de cette disparition de la magie. Au cours de ce long périple initiatique, Ged et Arren devront faire face à la démesure de l’homme, et à sa crainte de la mort. Ce roman est à mon sens le plus inégal des trois : si l’idée principale de ce monde en transition, pour être classique, n’en est pas moins séduisante, le récit se fait plus ou moins convaincant selon les étapes du voyage. On se régale en maints endroits, ainsi lors de la halte auprès des marchands déments et égoïstes de Lorbanerie ou de la traversée de la Passe des Dragons, et plus encore, entre-temps, lors du séjour auprès des Enfants de la Haute-Mer (où l’on retrouve toute la veine « ethnologique » d’Ursula Le Guin, avec un parfum vancien) ; mais l’on tend aussi à s’ennuyer quelque peu le reste du temps…

 

C’est à vrai dire un problème que l’on retrouve à travers tout Terremer. En dépit de ce cadre fascinant et de la multitude des bonnes idées, le récit, lent et contemplatif, peine parfois à retenir l’attention. On l’aura sans doute compris à la lecture de ces résumés : l’intérêt de Terremer ne se trouve certainement pas dans l’intrigue, généralement convenue et de toutes façons reléguée au second plan. Ce ne serait pas un problème (pas pour moi, en tout cas : j’ai déjà eu maintes fois l’occasion de dire l’importance que j’attache au cadre et aux idées en SF et en fantasy), si le rythme n’était pas aussi bancal. Au-delà de la construction, on pourra également relever un certain nombre d’autres imperfections et maladresses dans ces œuvres anciennes, que ce soit sur le plan du style ou sur celui de l’élaboration des personnages. Aussi, en dépit de ses indéniables qualités, je me vois obligé de reconnaître que cette trilogie m’a quelque peu ennuyé à l’occasion, et m’a un peu déçu, en somme. Terremer vaut le détour, sans aucun doute, mais sa réputation est à mon avis quelque peu surfaite, et ce n’est pas le « chef-d’œuvre » souvent décrit : cette trilogie fondatrice et essentielle à l’histoire du genre accuse un peu le poids de son ancienneté. Sans doute la comparaison est-elle critiquable, pour ne pas dire absurde, mais le fait est que je préfère largement l’extraordinaire « cycle de l’Ekumen », bien plus mature, profond et subtil, à ce classique de la fantasy qu’est Terremer.

Cela dit, je compte bien poursuivre l’exploration de ce séduisant univers. Les textes ultérieurs qu’Ursula Le Guin a consacré à son cycle de fantasy ont été diversement accueillis, mais je ne manquerai pas d’y jeter un œil, espérant peut-être y trouver la maturité qui fait à mon sens encore défaut dans cette trilogie originelle. On verra bien : j’attaque prochainement les Contes de Terremer. (EDIT : Non ! Dieu m'a parlé : c'est donc avec Tehanu que je vais tout d'abord poursuivre l'exploration de Terremer...)

CITRIQ

Voir les commentaires

"L'Etoile du matin", de Wu Ming 4

Publié le par Nébal

L-Etoile-du-matin.jpg

 

 

WU MING 4, L’Étoile du matin, [Stella del mattino], traduit de l’italien par Leila Pailhès, Paris, Métailié, [2008] 2012, 356 p.

 

Sous le nom de « Wu Ming » se cache un collectif de quatre jeunes auteurs italiens, qui publient des ouvrages signés ensemble (comme par exemple Manituana, dont on m’a dit le plus grand bien), ou bien écrits individuellement, mais en gardant cette désignation, assortie d’un numéro. Ainsi, j’avais déjà fait l’acquisition de Guerre aux humains de Wu Ming 2, sans avoir encore eu le temps de m’y mettre (mais va falloir, un jour ou l’autre). L’Étoile du matin est semble-t-il le premier roman publié en solo par Wu Ming 4. Et, autant le dire de suite, c’est un grand, et même un très grand roman, à la lecture duquel je me suis régalé.

 

Il faut dire que son postulat comme le « casting » sont des plus alléchants… Nous sommes à Oxford, en automne 1919. Dans la vieille ville universitaire, nous faisons la connaissance de trois jeunes gens, tous trois rescapés de la Première Guerre mondiale qui les a passablement traumatisés, et tous trois destinés à devenir des intellectuels renommés et des grands noms des lettres britanniques. Il y a ainsi Robert Graves (que, honte sur moi, j’avouais ne pas connaître avant la lecture de ce roman…), qui est déjà un poète à la réputation grandissante, et publiera plus tard d’importants essais sur la mythologie ; C.S. Lewis, dit « Jack », alors fervent rationaliste et athée (ça changera au contact notamment du suivant…), déjà poète, mais pas encore l’auteur à succès de SF et de fantasy que l’on sait ; et, last but not least, J.R.R. Tolkien, qui a déjà écrit les premiers contes qui constitueront plus tard les récits du Premier Âge, mais est bien loin de s’imaginer en colossal auteur du non moins colossal Seigneur des Anneaux. Ces trois jeunes gens ne se connaissent pas vraiment, voire pas du tout (l’amitié entre Lewis et Tolkien ne débutera qu’ultérieurement), mais, on le voit, ils ont pas mal de points communs.

 

Et tous trois, dans le cadre feutré d’Oxford, vont être amenés à côtoyer plus ou moins un autre jeune homme, également rescapé de la guerre, également destiné à devenir un grand nom de la littérature anglaise, un ancien archéologue qui ne se contente pas d’exprimer un intérêt pour les mythes, mais qui en est devenu un, plus ou moins malgré lui, une légende vivante à la réputation sans pareille : le colonel T.E. Lawrence, alias Lawrence d’Arabie… Robert Graves deviendra un de ses proches, et lira les premiers jets des futurs Sept Piliers de la sagesse (dont j’avais entamé la lecture il y a fort longtemps, ça serait une bonne idée que de terminer un jour ces fascinantes mémoires…) ; J.R.R. Tolkien le rencontrera à l’occasion, plus ou moins par hasard, dans un musée, devant une vitrine contenant… des anneaux, et finira par y reconnaître son Túrin Turambar (voir notamment  Les Enfants de Húrin) ; C.S. Lewis, quant à lui, sans le connaître, deviendra sa Némésis…

 

Tout cela à la lumière de l’étoile du matin aux noms multiples : Vénus, Lucifer, Eärendel… Tout un programme se dissimulant derrière ces diverses désignations.

 

Vous, je sais pas, mais moi, j’ai trouvé ça plus qu’alléchant. Surtout pour deux de ces quatre personnages il est vrai : j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer pour ce qui est de Tolkien (et je note que, finalement, même si cela n’a probablement rien d’indispensable, la lecture préalable de  la biographie de Humphrey Carpenter m’a été utile) ; quant à Lawrence, c’est un personnage qui m’a toujours fasciné, le dernier des héros dans un sens (depuis que je suis gamin, j’ai vu et revu le film classique de David Lean des dizaines de fois, avec toujours le même plaisir, voire de plus en plus à chaque fois ; et j’avais donc entamé la lecture des Sept Piliers de la sagesse, mais…).

 

Et l’on retrouve bien ici cette fascination pour la légende vivante, avec ce qu’elle a sans doute d’imposture – oui, Lawrence d’Arabie est à bien des égards une icône forgée par le journaliste américain Lowell Thomas, en tripatouillant parfois la vérité pour lui conférer un vernis qu’on aurait envie de qualifier d’hollywoodien, au prix peut-être d’un léger anachronisme – et de part d’ombre – « Urens » cache bien des choses, sur la piste desquelles se lance Lewis, et, surtout, il traîne la culpabilité d’avoir peut-être trahi Fayçal, Auda et les Arabes en général, en leur vendant la liberté et l’indépendance quand Anglais et Français avaient négocié les accords Sykes-Picot pour se partager les anciennes possessions de l’empire turc…

 

Mais c’est justement une belle occasion d’interroger la notion de mythe, obsession semble-t-il du groupe Wu Ming en général comme des personnages de ce roman. Il s’agit bien, ici, de « transformer le monde en le racontant ». L’exergue du roman, empruntée à Pline le Jeune, est éloquente : « Pour moi, j’estime heureux ceux à qui les dieux ont accordé le don, ou de faire des choses dignes d’être écrites, ou d’en écrire de dignes d’être lues ; et plus heureux encore ceux qu’ils ont favorisés de ce double avantage. »

 

Encore que « heureux » prête à débat… Tous, ici, Lawrence au premier chef bien sûr, mais les trois autres également, sont des êtres en souffrance. La guerre et son cortège d’horreurs les ont traumatisés (dimension surtout sensible chez Graves, qui s’en est fait le poète mais veut abandonner ce thème, ce que ses admirateurs digèrent plus ou moins, mais aussi chez Tolkien, marqué à vie par la disparition brutale de deux des membres du TCBS, hanté par leurs spectres, et qui, du coup, laisse reposer dans un tiroir ses contes perdus pendant l’année que dure le roman). Mais cela va au-delà. La grandeur des personnages et de leur œuvre est toujours mise en regard, avec une profonde adresse et une remarquable sensibilité, avec leur quotidien parfois misérable ; chez Lewis, surtout, porteur lui aussi d’une grande culpabilité, c’est particulièrement troublant. Sans parler bien sûr de Lawrence, qui cristallise tous ces thèmes dans sa figure bigger than life, et réclame la punition…

 

Roman profond sur le mythe et la réalité, et les rapports ambigus qu’ils entretiennent, L’Étoile du matin est également une belle réflexion sur l’acte d’écrire, sur ses difficultés intrinsèques, et sur le merveilleux pouvoir des mots (belle épiphanie, quand Lawrence le « révèle » au philologue Tolkien…). Et il constitue lui-même à cet égard une impressionnante réussite : doté de personnages extrêmement humains et campés avec une délicatesse et une sensibilité des plus notables, superbement écrit, d’une plume majestueuse et puissante on ne peut plus appropriée au sujet, d’une intelligence indéniable, qui ne verse heureusement jamais ni dans le didactisme, ni dans la froideur, mais sait bien au contraire la conjuguer à l’émotion, le roman de Wu Ming 4 passionne et fascine. Le pari était un peu dingue, et indéniablement risqué, mais l’auteur italien a su user avec talent de ses extraordinaires personnages et de la richesse de sa thématique. Et L’Étoile du matin est une merveille, destinée à marquer durablement. Lisez-moi ça tout de suite, c’est un ordre.

CITRIQ

Voir les commentaires