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"Entretiens du Maître avec ses disciples", de Confucius

Publié le par Nébal

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CONFUCIUS, Entretiens du Maître avec ses disciples, [Liun Iu], traduction du chinois par Séraphin Couvreur, révision de la traduction et postface de Muriel Baryosher-Chemouny, [s.l.], Mille et une nuits, 1997, 199 p.

 

Une fois n’est pas coutume, c’est d’une relecture que je vais vous entretenir (aha) aujourd’hui. Fut un temps en effet où je bouffais du Mille et une nuits à tout va, et où, par pure curiosité, je m’étais notamment intéressé, dans cette collection, aux quelques écrits que l’on pouvait y trouver relevant de la « sagesse orientale », comme l’on dit trop souvent pour éviter de parler de philosophie… Évidemment, dans ces conditions, Confucius avait une place de choix : le Maître, dont on a peu ou prou fait le fondateur d’une « religion », fait après tout figure de moraliste « officiel » de la Chine depuis des siècles… et il n’a pas été sans intéresser également les occidentaux, qui ont cherché à établir des passerelles entre confucianisme et christianisme, au prix d’interprétations sans doute partiales, mais semblant presque couler de source à l’occasion.

 

Il y aurait de quoi écrire bien des pages à propos de cet ouvrage… ce qui est sans doute au-dessus de mes forces. Posons déjà le personnage. Confucius – nom « latinisé » par les Jésuites aux XVIIe et XVIIIe siècles –, ou plutôt K’ong-tzeu, vécut, selon l’historiographie traditionnelle, de 551 à 479 avant Jean-Claude, soit durant la période appelée en Chine « Printemps et Automnes », marquée par l’effondrement du système féodal, période qui serait suivie par celle des « Royaumes combattants » jusqu’à la fondation de l’empire en – 221. Une période pour le moins troublée, donc, ce qui explique sans doute bon nombre d’aspects de la morale de Confucius : celui-ci, pour rétablir l’ordre, se tourne en effet vers le passé, les trois premières dynasties exemplaires, Hia, Chang-In et Tcheou, dont il s’agit de rétablir les rites et les usages.

 

Mais n’allons pas trop vite, et évoquons d’abord la forme adoptée par ces Entretiens du Maître avec ses disciples. Ce livre, constitué de vingt courts chapitres passablement désordonnés, relève à bien des égards de ce que l’on qualifierait en Occident de « doxographie », par exemple pour évoquer les Présocratiques à travers, disons, Diogène Laërce. Sont en effet rapportés des opinions, actes et anecdotes qui forment autant de témoignages sur la vie du Maître et sur celle de ses disciples. Ces Entretiens n’adoptent donc pas une forme organisée suivant un plan rigoureux (quand bien même, en certaines occasions, on peut déceler une thématique prépondérante) : ils n’ont rien d’un essai ou d’une dissertation destinés à la publication en tant que tels, et ne constituent pas l’exposé d’un système cohérent. Ces aphorismes et faits marquants ont été relevés et compilés par divers disciples, assez peu probablement de la première génération, mais sans doute plutôt d’une époque ultérieure – qui avait déjà magnifié le portrait du « saint homme ». Il en existe plusieurs versions différentes, celle qui nous est proposée ici consistant en un « amalgame ».

 

Confucius et ses disciples abordent de très nombreux thèmes au cours de cet ouvrage, et je n’ai certes pas la prétention de vous en livrer un compte rendu savant et exhaustif – vous trouverez sans peine des gens beaucoup plus compétents que moi pour cela. Je me contenterai donc d’évoquer quelques-uns de ces thèmes, qui m’ont plus particulièrement marqué, tels que j’ai pu les comprendre… ce qui, ma foi, n’est pas toujours évident : si la morale de Confucius a une destinée pratique manifeste, ces Entretiens n’en sont pas moins souvent cryptiques – l’exotisme et la distance temporelle ajoutant encore à la difficulté. Pas toujours facile, donc, de comprendre ce que veut dire au juste le père Confucius, dont la pensée, sans être confuse (aha), est du moins complexe, et parfois en apparence du moins susceptible de contradictions (les mêmes questions reviennent souvent, qui débouchent sur des réponses différentes). Le livre est heureusement émaillé des précieux commentaires traditionnels attribués à Tchou Hsi (1130-1200), qui viennent régulièrement apporter un éclairage historique et philosophique bienvenu, et il faut y ajouter les notes de Séraphin Couvreur  et de Muriel Baryosher-Chemouny.

 

Confucius, le « roi sans couronne », est – on l’a dit – un moraliste. Confronté à l’anarchie de son époque, il entend, par son enseignement ouvert à tous, contribuer à restaurer l’ordre et l’harmonie (il attache une grande importance à ces deux notions ; on y reviendra). Pour ce faire, il se tourne donc essentiellement vers le passé plus ou moins mythique de la Chine : Confucius est traditionaliste ; on aurait envie de dire conservateur, et même réactionnaire, dans le sens le plus prosaïque (ne pas verser dans l’anachronisme ici, telle n’est pas mon intention).

 

Il attache une grande importance aux rites des anciennes dynasties, rites qu’il entend restaurer. Mais il ne faudrait pas en conclure que Confucius est un esprit formaliste – bien au contraire, c’est là aussi un thème qui revient souvent, il se méfie des apparences : les rites seuls ne sont rien, c’est l’intention droite qui préside à leur exécution qui importe. Les rites sont donc un moyen, et non une fin en soi. L’ordre et l’harmonie, de même, ne doivent pas être confondus avec le conformisme (XIII, 23) :

 

« Le Maître dit : « L'homme honorable cultive l'harmonie et non le conformisme. L'homme de peu cultive le conformisme et non l'harmonie. » »

 

Il s’agit pour lui de suivre la Voie, ce qui passe par le respect de vertus majeures, qu’il faut mettre en pratique, mais en pleine connaissance de cause. Par exemple, XVII, 8 :

 

« Le Maître dit : « Iou, connais-tu les six paroles [= les six vertus] et les six ombres [= les six défauts dans lesquels tombe celui qui veut pratiquer ces six vertus et ne cherche pas à les bien connaître] ? » Tzeu lou se levant, répondit : « Pas encore. – Assieds-toi, reprit Confucius, je te les dirai. Le défaut de celui qui aime à se montrer bienfaisant, et n’aime pas l’étude, c’est le manque de discernement. Le défaut de celui qui aime le savoir, et n’aime pas l’étude, c’est de tomber dans la futilité. Le défaut de celui qui aime à tenir ses promesses, et n’aime pas l’étude, c’est de nuire aux autres [= en leur promettant et en leur accordant des choses nuisibles]. Le défaut de celui qui aime la franchise, et n’aime pas l’étude, c’est d’être tranchant. Le défaut de celui qui aime à montrer du courage et n’aime pas l’étude, c’est de troubler l’ordre. Le défaut de celui qui aime la fermeté d’âme, et n’aime pas l’étude, c’est le fanatisme. » »

 

Une vertu domine, aux contours flous, et que ses disciples demandent souvent à Confucius de définir : c’est la « vertu d’humanité », qui consiste à « aimer les hommes », à « élever autrui comme on souhaiterait l’être soi-même », ou encore, inévitablement, à ne pas faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas qu’on nous fasse. Cette vertu doit trouver à s’exprimer dans tous les actes, privés comme publics.

 

On en arrive à un autre point d’orgue de la pensée de Confucius, qui est le respect de l’autorité. Celui-ci s’exprime, conjointement avec la vertu d’humanité, dans la piété filiale, par exemple. Mais on pense aussi bien évidemment au champ du politique, et, en cette ère troublée où Confucius se veut le restaurateur de l’ordre, la loyauté à l’égard du Prince est d’une importance capitale. Elle ne doit cependant pas tout autoriser : si l’État suit la Voie, il est bon d’y exercer une charge (Confucius, par exemple, fut ministre de la Justice) ; sinon, exercer une charge peut devenir problématique, voire honteux. Et si la trahison ou a fortiori le tyrannicide sont ici hors de propos, il n’en reste pas moins que la loyauté au Prince, pour être vraiment efficace, doit être corrélée à la vertu d’humanité et au respect du « Décret céleste », c’est-à-dire de la loi naturelle. Si, dans un État qui suit la Voie, le Prince est Prince, et le sujet sujet – c’est-à-dire si les mots ne sont pas vides de sens (encore cette question des apparences) mais renvoient bien à une réalité concrète, d’où l’importance de la rectification du langage –, il n’en faut pas moins que la loyauté du sujet à l’égard du Prince soit dans un sens compensée par la confiance que l’on peut lui accorder – sans quoi tout part à-vau-l’eau. Un passage instructif (XII, 7) :

 

« Tzeu koung interrogea Confucius sur l'art de gouverner. Le Maître répondit : « Celui qui gouverne doit avoir soin que les vivres ne manquent pas, que les forces militaires soient suffisantes, que le peuple lui donne sa confiance. » Tzeu koung dit : « S'il était absolument nécessaire de négliger une de ces trois choses, laquelle conviendrait-il de négliger ? – Les forces militaires », répondit Confucius. « Et s'il était absolument nécessaire d'en négliger une seconde, dit Tzeu koung, quelle serait-elle ? – Les vivres, répondit Confucius, car de tout temps les hommes ont été sujets à la mort, mais si le peuple n'a pas confiance en ceux qui le gouvernent, c'en est fait de lui. » »

 

Confucius, issu de la noblesse pauvre, n’attache pas une grande importance aux distinctions sociales. Ceci étant, la tradition et les rites imposent certaines observances particulières, et le peuple se trouve bien placé dans une situation d’infériorité. Là encore, c’est le respect de l’ordre qui prédomine, conjointement avec la vertu d’humanité, incarnés dans le Décret céleste.

 

La morale de Confucius est censément devenue la morale « officielle » de la Chine – voire au-delà – pendant des siècles et des siècles (il faudra attendre la République pour que l’enseignement du canon confucianiste cesse d’être obligatoire). Ce qui n’est pas rien, tout de même… Hélas, si certains aspects en ont été retenus – les plus favorables à l’ordre des choses et au pouvoir en place, généralement –, d’autres ont été bien négligés… J’avoue avoir été stupéfait par cette vision fulgurante de Confucius (exprimée en XIII, 11, et envisagée à nouveau, dans un sens, en XX, 2), qui semblait, il y a donc 2500 ans de cela, envisager (quand bien même c’était pour souligner et déplorer son improbabilité, du moins à court terme…) l’élimination de la peine de mort. On ne peut pas vraiment dire que la Chine contemporaine se soit montrée très confucianiste sur ce point…

 

 Concluons en disant que ces Entretiens du Maître avec ses disciples brossent en outre un beau tableau de la Chine antique. Ce témoignage au plus près de la pensée de Confucius – parfois fort éloignée, donc, de ce qu’est devenu le confucianisme – constitue, malgré sa forme déconcertante, une œuvre majeure de la philosophie mondiale ; l’ethnocentrisme des occidentaux ne jurant que par Platon et Aristote (et oubliant mes chers Présocratiques au passage) ne doit pas nous tromper : il s’est trouvé des « amis de la sagesse » avant et ailleurs. Confucius n’en est qu’un exemple, mais ce n’est pas le moindre…

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La 7e Nuit Excentrique

Publié le par Nébal

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Cela faisait un sacré bout de temps que je comptais me faire la Nuit Excentrique, l’événement nanarlandais annuel, en collaboration avec la Cinémathèque française. Las, quand j’étais encore un pauvre provincial naïf, je ne me sentais guère de monter à la Kapitale pour cette occasion, je l’avoue… Mais étant maintenant un putain de Parigot (toujours naïf), je n’avais plus vraiment d’excuse. Il fallait, cette fois, que j’y assiste. Et il le fallait d’autant plus que la programmation de cette septième Nuit Excentrique s’annonçait pour le moins exceptionnelle. Petit retour sur les quatre films projetés lors de cette grand-messe du mauvais film sympathique.

 

Nous eûmes tout d’abord droit à la traditionnelle « découverte » de la Cinémathèque. Cette année, une première : ce fut un documentaire. Enfin, un « documentaire »… un mondo, quoi (pour ceux qui ne sauraient pas de quoi il s’agit, hop, un lien vers l’indispensable glossaire de l’indispensable Nanarland, où on vous expliquera tout ça beaucoup mieux que je ne saurais le faire). Adonc, Suède, enfer et paradis de Luigi Scattini. Après ce film, vous ne regarderez plus jamais la Suède de la même façon. Sans parler des Suédoises : imaginez un peu, ces salopes ont des cours d’éducation sexuelle et prennent la pilule ! Et comme elles travaillent, plutôt que de rester à la maison, elles laissent leurs pauvres enfants dans des crè… des « parkings pour enfants » ! Rien d’étonnant à ce que ces derniers tournent mal et que, à dix ans, il s’en trouve pour tuer leurs parents à coups de pieds ou multiplier les coucheries avec les voisins débouchant sur d’inévitables avortements à répétition. Le relâchement moral des Suédois (et en particulier des Suédoises, notamment des hôtesses de l’air qui laissent mourir leurs vieux sans un adieu) est en effet consternant. Effet des pornophones en vente libre, sans doute. La gabegie socialo-communiste a fait des ravages dans ce pays nordique aux statistiques confuses. Preuve en est son étrange système pénal : si vous êtes jeune, vous avez parfaitement le droit de voler une voiture ou de défoncer un parcmètre pour en chourer la monnaie (après quoi, il faut le jeter dans le lac ; les aveugles, à l’aise dans les profondeurs, se feront un plaisir de le remonter à la surface) (si, si) ; mais gare à celui qui voudrait empêcher le petit voyou de perpétrer ses malveillances, c’est lui qui s’attirera l’ire de la police ! D’ailleurs, même un ministre, pour avoir bu un peu trop avant de conduire, risque d’être condamné à couper du bois dans un camp de travail… Et puis la Suède a ses parias, qui se défoncent au white spirit et bouffent des tartines de cirage… Sans parler de ses blousons noirs, qui violent les jeunes filles innocentes (mais une Suédoise peut-elle être innocente ?) juste là, devant vous, en plein dans le champ de la caméra ! Mais on les comprendrait presque, ces mauvais garçons, quand on sait qu’aujourd’hui le fier mâle latin n’a plus les faveurs de ces demoiselles : la mode est au tiers-monde, que voulez-vous… Pourtant, la Suède, pays sans nation dont le prince dessine des cabinets, n’en entend pas moins dominer le monde d’après l’apocalypse nucléaire, en préservant sa race débauchée dans des abris anti-atomiques définitivement suédois. SALAUDS DE SUÉDOIS ! « La Suède vue depuis l’Italie, ou plus exactement du Vatican », comme le patron de la Cinémathèque nous avait présenté le film. Effectivement ; il faut croire que la Scandinavie était alors suffisamment « exotique » aux yeux des Italiens pour qu’on puisse raconter autant de bêtises dessus. Le discours, digne des pires JT de Jean-Pierre Pernaud (aidé pour le script par Francis « Kafka » Kuntz et Pierre Desproges à l’occasion de certaines scènes qu’il faut voir pour y croire, et même là encore c’est pas sûr), est tellement réac, tellement outrancier, et en même temps tellement hypocrite (puisqu’il s’agit bien avant tout de racoler et de se rincer l’œil), qu’il en devient plus hilarant que véritablement répugnant. Avant la séance, j’avoue que je craignais un peu que ce film pèche par manque de nanardise… Mais quelle erreur ! Ce mondo stupéfiant de connerie est à mourir de rire du début à la fin ; cela faisait vraiment longtemps que je ne m’étais pas autant marré, et ce n’était pourtant que le premier film de la soirée, et celui dont j’attendais le moins… Mais avec le recul, j’en viens à me demander si ce n’était pas carrément le meilleur ?

 

Pourtant, il y avait du lourd pour la suite : une programmation de toute beauté, vous dis-je. Hommage oblige, il fallait diffuser cette année un film de Jean Rollin. Et, Nanarland oblige, ce ne pouvait être que le cultissime Le Lac des morts-vivants (hop, la chronique de Nanarland), signé J.A. Lazer, production Eurociné (gage de qualité) commencée par Jess Franco qui, lui-même, trouvait que non, là, y’avait abus, quand même. C’est dire le niveau. Un film au rythme éminemment rollinien (du coup bien placé dans la soirée, plus tard ç’aurait été plus dur), mais riche en pépites nanardes : grotesque du, euh, « scénario », amateurisme hallucinant de la quasi-intégralité du casting (Howard Vernon étant un cas à part, mais, bon…) sans parler des figurants, maquillage douteux et probablement pas waterproof, femmes à poil pour un oui pour un non, doublage magnifique… D’ailleurs, sans surprise, la terre a tremblé lors de l’inévitable : « Promizoulin, finissons-en ! » Un grand moment de nanardise, pour un film assurément mauvais mais tout aussi certainement sympathique.

 

Plus de tonus pour le troisième film, Les Barbarians de Ruggero Deodato (hop), un réalisateur qui n’est pas toujours mauvais, puisqu’il a fait Cannibal Holocaust… ce qui ne l’empêche pas d’être à l’affiche de la Nuit Excentrique pour la deuxième fois avec cet affligeant sous-Conan le barbare produit par la Cannon (re-gage de qualité) et scénarisé par un certain James R. Silke que je suppose être l’auteur avec Frank Frazetta du Death Dealer (ce qui ne fait pas très envie, du coup…). Un « scénario » qu’on évacuera d’ailleurs très vite, mélangeant plagiat outrancier de La Référence et gamineries sans nom. C’est grotesque, mais là n’est pas vraiment le problème. La réalisation, quant à elle, est plutôt correcte. Bon, les effets spéciaux, c’est une autre histoire, il y a bien un peu de craignos monster… Mais c’est surtout « l’interprétation » qui fait toute la saveur de cette petite perle : Michael Berryman qui cabotine comme un taré, certes, mais surtout les frères Paul, jumeaux culturistes parfaits dans leur rôle de tas de muscles mongoliens. Il faut dire que, à en croire les rumeurs, c’était pour eux tout sauf un rôle de composition… Difficile, du coup, de se retenir d’exploser de rire devant leurs innombrables conneries ponctuées de beuglements repris en chœur par une assistance aux anges : « BWEEEEEEEEEEEEEEUUUUUUUUUUUUUUUUUUH !!! » Mais je dois avouer que je m’interroge sur la réelle portée nanarde de la bête : entendons-nous bien, c’est très très TRÈS drôle, et j’étais pété en deux du début à la fin (enfin, pas tout à fait au début, c’est surtout quand les frères Paul arrivent à l’écran que le spectacle commence vraiment) ; mais on ne m’ôtera pas de l’idée que, du moins de la part de Deodato – c’est plus ou moins ce qu’il prétend, en tout cas –, il y avait une bonne part de « volontaire » là-dedans, imposé par la stupéfiante bêtise des frères Paul et de leurs personnages. Du coup, en maintes occasions, le film ressemble plus à une comédie parodiant Conan le barbare et compagnie qu’à un véritable film de « conansploitation », si j’ose employer ce terme… barbare (aha). Quoi qu’il en soit, à la fin de la séance, j’avais mal aux côtes tellement j’avais ri et beuglé. Un vrai bonheur, enthousiasmant et communicatif.

 

Et il fallait bien une ninjaterie pour finir : ce fut donc (inévitablement ou presque) un 2 en 1 (hop), à savoir Clash Of The Ninjas aka Clash Commando, attribué sur le programme à Godfrey Ho, mais à tort semble-t-il. Serait-ce donc Thomas Tang qui se cacherait derrière l’énigmatique Wallace Chan ? Je vous laisse voir sur Nanarland tous les complexes enjeux du problème (« hors de portée de mon atteinte »). Quoi qu’il en soit, ce spécimen un peu particulier de 2 en 1 (dans la mesure où il semblerait que des acteurs du film « caviardé » aient joué dans la partie « gweilo » pour faire le raccord, enfin, autant que possible…) s’est révélé de très grande qualité nanarde, et figure désormais parmi mes films de ninjas préférés, aux côtés du superbe Black Ninja dont je vous avais déjà parlé en ces lieux interlopes. Le « scénario » est aussi incompréhensible que d’habitude, mais peu importe : c’est un festival de scènes stupides et de doublages foireux (ah, Henry – Louis Roth – et son si diélieucat euccent bwitteunique, « tyouez ceys deux zigowtows ») et, évidemment, de ninjateries crétines, avec moult bombinettes à fumée, et un combat final d’anthologie. Noter la performance en « héros » de Paulo Torcha, vague « sosie » de Stallone, avec doublage à l’avenant. Une très bonne note pour finir.

 

Mais la Nuit Excentrique, ce n’est pas « que » quatre films (projetés dans une ambiance de dingues, ça hurle et ça explose de rire de partout, et ça fait plaisir). C’est aussi la projection d’extraits de films (j’ai été particulièrement marqué par le générique de Parole de flic avec Delon), de très nombreuses bandes-annonces (avec en guise d’inauguration un mémorable Scratch, mais aussi bon nombre d’autres invraisemblances filmiques, jusqu’à la clôture, qui se fait traditionnellement sur les bandes-annonces « coquines » – en l’occurrence, ici, je crois que La Comtesse est une pute nous a tous achevés…) et de magnifiques « cuts excentriques » montés par les Nanarlandais, sur lesquels il y aurait tant et tant à dire… Je me contenterai de noter ici que le cinéma indien est décidément le plus décomplexé du monde (et que cela est bon), et que j’y ai appris l’existence d’une version marocaine de L’Exorciste qui a l’air de valoir son pesant de couscous. La Nuit Excentrique, ce fut aussi des quizz, à base de titres de films improbables ou de répliques cultes, d’affiches africaines de toute beauté et d’extraits vidéos à regarder attentivement… ou à interpréter.

 

 Bref, ce fut exceptionnel. En gros douze heures de pur plaisir nanar, dans une ambiance géniale. Je sais pas vous, mais moi, l’an prochain, j’y retourne.

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"HPL 2007", de Christophe Thill (dir.)

Publié le par Nébal

 

THILL (Christophe) (dir.), HPL 2007. 22 nouvelles fantastiques en hommage à H.P. Lovecraft, Noisy le Sec, Malpertuis, coll. Lovecraftiana, [2004-2007] 2009, 309 p.

 

Howard Phillips Lovecraft fut sans conteste le plus grand écrivain d’horreur du XXe siècle.

 

Là, c’est dit.

 

(Bonjour le lieu commun.)

 

Préférons ce terme « d’horreur » à tout autre, ça nous évitera des débats stériles. Mais notons ceci : si Lovecraft a révolutionné le genre, c’est en en développant des aspects tellement personnels et en même temps tellement codifiés que la citation, irrésistible, ne peut être qu’explicite. Devant tel ou tel texte d’horreur, on aura envie de dire : « C’est du Lovecraft. ». Mais, souvent, l’auteur même nous y incitera en employant, non seulement les codes et thèmes du Maître de Providence, mais jusqu’à ses propres références… ou son vocabulaire, comme en clin d’œil.

 

Il y a tout un art du pastiche lovecraftien, qui s’est développé du vivant même de Lovecraft (je ne vous ferai pas l’insulte de citer des noms…). Mais, justement, c’est un art. Beaucoup s’y sont essayés, et nombreux (presque autant ?) s’y sont cassés les dents. Il n’est, pour s’en rendre compte, que de parcourir les plus « officielles » de ces compilations de pastiches, les « Légendes du Mythe de Cthulhu » rassemblées par August Derleth : déjà, des fois, ça ne tient franchement pas la comparaison. Alors a fortiori ce qui a été fait par la suite…

 

C’est qu’il y a un piège, dans le genre lovecraftien. Disons-le tout net : Lovecraft (que j’adule, pour ceux qui en douteraient) fait généralement dans le grotesque, dans tous les sens du terme, et ses textes se caractérisent par l’excès permanent. Aussi est-on généralement, jusque voire surtout dans ses meilleurs textes, sur une mince ligne de crête qui sépare le sublime du ridicule : un pas de côté et tout se pète la gueule. Pour que ses textes fonctionnent dans de pareilles conditions, Lovecraft devait déployer un remarquable sens de l’architecture et de la narration, et user, y’a pas d’autre mot, d’un style, avec une maestria certaine.

 

Ce que nombre de ses imitateurs semblent s’acharner à ne pas comprendre. Comme si c’était « simple » de « faire du Lovecraft »… Allez, hop, un monstre répugnant ici, un grimoire impie là, on case aussi souvent que possible « indicible » et « cyclopéen » pour la bonne bouche, et TA-DAA ! c’est du Lovecraft.

 

Ben non.

 

C’est du Canada Dry.

 

Howard Phillips Lovecraft est mort d’un cancer en 1937. Pour commémorer les soixante-dix ans de son décès, l’idée fut lancée de réunir une anthologie de nouvelles lovecraftiennes francophones, ce qui déboucha sur cet HPL 2007 sous la direction de Christophe Thill, publié par Malpertuis… dans la collection « Lovecraftiana » (ou « Lovecratiana », ça dépend si on se fie à la première ou à la quatrième de couv’ ; quoi qu’il en soit, ça fait un peu porno tentaculaire, non ?). On nous dit que ce recueil démontre « que la jeune fiction lovecraftienne francophone existe, et qu’elle est même en pleine forme ». Moi, je ne demandais qu’à être convaincu, hein.

 

Grand naïf que je suis…

 

On nous dit aussi que ces 22 (tout de même) nouvelles ont été « sélectionnées ». Et ça, j’ai du mal à le croire. Parce qu’il faut bien reconnaître que cet HPL 2007 contient tout et n’importe quoi, mais quand même essentiellement de la merde.

 

Commençons par le bon, ça ira plus vite.

 

Un texte, un auteur, dominent les autres d’une bonne tête, voire deux, voire d’un corps entier : Léo Henry, avec « En mémoire d’un ami pnakotique » (pp. 227-238). On n’y aborde pourtant la thématique lovecraftienne que par la marge (d’aucuns hurleraient sans doute à l’escroquerie), mais voilà : c’est original, c’est beau, c’est profond (sans mauvais jeu de mot), c’est très bon. C’est du Léo Henry.

 

On trouve ensuite une catégorie plus ou moins floue allant du « médiocre plus, parce qu’au fond je suis gentil » au « correct, voire bon, parce que je suis gentil, donc ». Dans l’ordre : Timothée Rey, avec « La Providence du reclus » (pp. 17-32) nous livre un pastiche correct, qui fait plus sourire que frémir, mais qui fonctionne, c’est déjà ça (j’ai longtemps trouvé que c’était le seul texte de l’anthologie méritant le qualificatif de « bon »). Nicolas Chapperon, dans « Klèsin » (pp. 196-204) fait dans le court et classique, mais ça marche. Sébastien Castelbou, avec « L’Envers du miroir » (pp. 205-210), est à la limite du hors-sujet, mais après avoir vanté Léo Henry, je peux difficilement le lui reprocher ; assez touchant. Karim Berrouka figure également dans cette liste pour « Soleil noir » (pp. 239-255), un texte assez classique à nouveau, mais pas trop mal ficelé. Reste enfin Simon Sanahujas pour « L’Ère humaine » (pp. 287-296), texte à la fois très personnel et imprégné (sans surprise) de réminiscences howardiennes.

 

 

Bon, je vais faire une catégorie « médiocre moins » à « simplement mauvais », on va dire que c’est les « repêches ». Adonc, commençons par Meddy Ligner, avec « Manuscrit trouvé dans une malle d’Estrémadure » (pp. 33-47) ; ça expérimente maladroitement, c’est plutôt lourd, mais ça en reste au stade du médiocre. Christian Perrot, dans « Secrets de famille » (pp. 65-75) use d’un style très médiocre, justement, mais ça reste lisible… « Le Puits » (pp. 103-119) d’Adam Joffrain est classique et atrocement téléphoné, mais on va dire que par rapport au reste… Un cas-limite avec « De feu et d’acier » (pp. 121-140) de Ghislain Morel : c’est écrit avec les tentacules et un peu maladroit, mais il y a de temps à autre une ambiance plutôt correcte. Franck Ferric, avec « Les Pas du golem » (pp. 141-153) fait dans le vainement grandiloquent (mais il y a pire, voyez plus bas) et plutôt maladroit… Reste « Le Dernier Jour du monde » (pp. 297-301) de Bertrand Bouton, texte plutôt inutile et qui ne respecte pas la doxa lovecraftienne (hérétique !) ; mais bon, pourquoi pas…

 

 

Et maintenant ne reste plus que la grosse bouse. Soit près de la moitié des textes de l’anthologie, tout de même, c’est dire le niveau. On commence avec Li-Cam pour « Maudite Providence » (pp. 5-16), qui ouvre le recueil en fanfare. On lui reconnaîtra une certaine honnêteté (p. 10 ; Lovecraft est le narrateur) :

 

« […] j’ai perdu mon habilité à écrire, pour preuve le style « navrant », sans emphase, sans caractère, que je me vois contraint d’utiliser pour vous livrer ce témoignage. Vous m’en voyez désolé. »

 

Cela aurait presque pu lui valoir l’indulgence du jury. Sauf que non… Parce que comment peut-on prendre au sérieux un texte « lovecraftien », texte « d’introduction » qui plus est, qui contient ça (p. 16) :

 

« Je suis désormais LOVECRAFT le bien nommé, expurgé de mes travers, et j’appelle mon compagnon HATECRAFT, l’indicible abomination. »

 

Franchement ? Style nul, histoire risible, fond ridicule : à chier. Un cas spécial, ensuite, avec « Horreur au Ward Institute » (pp. 49-64) d’Éric Pouthé. Bon, dans tous les cas, c’est nul. Mais voilà : c’est un texte atrocement (j’assume le terme ; pourtant, je suis loin d’être bégueule en temps normal) pulp, au style ampoulé à l’extrême, et d’un ridicule achevé. D’où, j’espère que c’est une blague (auquel cas elle est ratée, mais bon, OK). Sinon, c’est grave : le monsieur, qui a visiblement raté son jet de SAN, ferait bien de séjourner quelque temps dans l’institution qu’il décrit dans sa m… nouvelle. On passera vite sur « La Pendule » (pp. 77-91) de Cyril Castelbou, qui n’est jamais qu’une rédaction de collégien. On ne s’attardera pas davantage sur « La Goulue » (pp. 93-101) de Vanessa Lamazère, texte ampoulé au possible (bis) et d’une maladresse rare. Jean-Michel Calvez, avec « Liquid moon » (pp. 155-172) livre un texte écrit avec les pseudopodes, mais alors vraiment à vomir (là-dedans, s’il vous plait). Marija Nielsen décroche le jackpot avec « Re-Animator revisited » (pp. 173-181), nouvelle lourde, mal écrite, mal construite, ridicule, j’en passe et des pires… Suit « L’Invasion » (pp. 183-196) de Sébastien Tomassini, un autre texte « honnête », le narrateur se disant (p. 185) « obsédé par des rêves de grandeur littéraire que – je le crains – mon maigre talent ne me permettra pas de conquérir ». S’il faut en juger par le style atroce et ridicule de cette histoire de goules, c’est en effet probable. Remarquez, il y a de la concurrence : tenez, Sébastien Soubré-Lanabère, par exemple, lequel, avec « Rien de plus beau au monde » (pp. 211-225), pose pour sa part son narrateur en écrivain fantastique renommé (p. 214), ce qui ne l’empêche pas d’adopter un style pourri à un point difficilement imaginable et de balancer de « l’indicible » toutes les trois pages. Ridicule. Un de mes chouchous, ensuite : « La Cité indicible » (justement ; pp. 257-267) de François Fierobe. L’approche sword’n’sorcery, vaguement « Contrées du Rêve », aurait pu être intéressante, elle est en tout cas originale… mais c’est sans compter sur un style lourd au possible, saturé de tics, à tel point que ça en devient une caricature : j’ai compté, sur les neuf pages de la nouvelle, quatre fois « indicible » (titre inclus), trois fois « cyclopéen » et trois fois « géométries étranges » ; je vous épargne les variantes… Et de conclure sur un autre « cas », avec Pierre de Beauvillé pour « R’lyeh » (pp. 269-285 ; un point pour l’originalité du titre) : ça commence comme un thriller ésotérique d’une connerie abyssale, ça se prolonge dans la connerie abyssale. Là encore, j’espère que c’est une blague… mais elle n’est pas drôle.

 

Bref : ne commettez pas mon erreur, n’achetez pas cette merde. Parce que bon : d’accord, Lovecraft était un salaud ; mais quand même : il ne méritait pas ça.

 

Personne ne mérite ça.

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"Le Jeu de rôle du Disque-monde"

Publié le par Nébal

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Le Jeu de rôle du Disque-monde

 

Voilà un jeu de rôle auquel il est fort probable, pour tout un tas de mauvaises raisons, que je ne joue jamais. Dès lors, son acquisition tient plus de l’acte de foi du fanboy décérébré et écumant de bave que d’une quelconque volonté de mettre réellement en scène des aventures dans le monde fantabuleusement burlesque décrit par le si prolifique Terry Pratchett tout au long des « Annales du Disque-monde ». Mais cela ne m’a pas empêché de lire cet ouvrage de 250 pages, et de vous en faire aujourd’hui le compte rendu, « comme si ». Eh ! c’est un jeu de rôle, après tout…

 

En guise de préliminaires, quelques remarques d’ordre général, deux positives et une négative : tout d’abord, le livre est Vach’ment Beau – nombreuses et très chouettes illustrations de Paul Kidby, illustrateur « officiel » des « Annales » ; ensuite, le livre est Vach’ment Agréable À Lire (et ça, c’est pas tous les jours le cas en matière de jeu de rôle) : le ton est indéniablement pratchettien, et la traduction de Tristan Lhomme excellente.

 

Ça, c’était le positif.

 

Problème : le livre est Vach’ment Mal Organisé, Même Qu’on Pourrait Dire Que C’est Le Foutoir Intégral. Les chapitres, comme vous allez bientôt pouvoir le constater de vous-mêmes, s’enchaînent sans queue ni tête, les éléments techniques et PNJ notables sont disséminés un peu partout, et, à la première lecture en tout cas, on ne capte parfois franchement que dalle. Tout cela, pour une bonne part, en raison d’une volonté certes compréhensible et défendable, mais qui se révèle en définitive plutôt malvenue : celle de reléguer les règles « générales » – dérivées de la 4e édition de G.U.R.P.S. – tout à la fin du bouquin, sur une cinquantaine de pages. Avis au lecteur qui veut y comprendre quelque chose (sous-entendu rendu explicite par cette parenthèse, c’est malin : au rôliste, pas au simple fan de Pratchett) : contrairement à la logique du texte et à ce qui y est prétendu à plusieurs reprises, qu’il n’hésite pas à lire d’abord cet ultime chapitre (certes pas le plus folichon…), ou, autrement, à multiplier les allers-retours en cours de lecture.

 

Cela devait être dit.

 

Ah, et un regret, aussi, mais qui ne saurait en aucune façon constituer une critique : le jeu datant un peu et la traduction ayant pris du temps, et Pratchett ayant livré parallèlement des « Annales » à la mitrailleuse, la description de l’univers telle qu’elle est faite dans cet ouvrage ne prend pas en compte certains des apports les plus intéressants des volumes les plus récents de la série. Dans la bibliographie en fin de volume, le dernier roman cité est Va-t-en-guerre… Or, depuis, il y en a eu pas mal d’autres, qui ont notamment rapporté les chamboulements considérables survenus à Ankh-Morpork et, du fait de répercussions inévitables, dans les régions environnantes, la plus fameuse ville du Disque-monde connaissant une véritable révolution industrielle. Ce qui change énormément la donne sur un certain nombre d’aspects non négligeables de l’univers – on est de plus en plus loin du cadre médiéval-fantastique des origines –, et, par voie de conséquence, du jeu. En termes techniques, il me semble légitime de dire qu’Ankh-Morpork (en tout cas) et (probablement) les régions environnantes sont passées en un temps extrêmement bref de NT 4 à NT 5. Et ça change, pas tout, mais pas mal de trucs et de machins quand même.

 

Commençons donc – contre l’ouvrage – par les règles (les 50 dernières pages du bouquin, donc). Je ne vais pas m’étendre là-dessus. Elles sont – je sais, je me répète – dérivées de la 4e édition de G.U.R.P.S., le fameux système de jeu de rôle « générique » de Steve Jackson, dont elles constituent en outre une version simplifiée. C’est assez old school, sauf pour ce qui est des dés (on se contente de dés à six faces tout ce qu’il y a de banal). J’avoue ne pas être hyper convaincu a priori par ce système condensé, qui s’attarde parfois sur des points à la limite de l’inutile tout en laissant dans l’ombre des choses qui me paraissent nettement plus importantes ; en outre, tout cela me semble (paradoxalement) manquer un peu de souplesse, et, surtout, le système de création de personnage m’a l’air du genre à coller la migraine (même si, visiblement, avant, c’était pire). Mais c’est d’autant plus vrai, ici, que les divers éléments utiles sont disséminés un peu partout dans le bouquin, le dernier chapitre ne comprenant que les règles « générales »… Conseil au MJ : au moins pour la création de personnage, élaborer préalablement un récapitulatif, prenant en compte tous les aspects techniques développés dans le livre. Sinon, tout le monde risque d’y passer des plombes…

 

Passons donc maintenant (logique) à tout ce qui précède. Après quelques mots d’introduction, « Sur le dos de quatre éléphants » constitue une présentation cosmologique, et, si j’ose dire (allez, j’ose), métaphysique du Disque-monde. Où l’on apprend que le fonctionnement du Disque repose sur trois principes : la force vitale ; le pouvoir des métaphores et des croyances ; et, last but not least, la causalité narrative. Avec trois corollaires : la règle de l’humour universel ; la (fameuse) règle de la chance-sur-un-million ; les dangers de la manipulation narrative. Suivent quelques généralités sur la (on devrait dire les) société(s) du Disque-monde ; sur les directions, le temps et le calendrier ; sur la technologie (mais voyez plus haut…) ; et enfin sur les monnaies et auberges.

 

« Où aller, et pourquoi s’en abstenir. Un guide du Disque-monde » est cette fois une présentation géographique (et assez sommaire, taille du volume oblige) du Disque. Il y a bien une carte, mais en anglais et pas franchement sympa pour les myopes ; La Carte du Disque-monde peut donc s’avérer utile, ici. On commence par les plaines de Sto (Quirm, la forêt de Skund, Sto Lat et Sto Hélit ; Ankh-Morpork aura droit a son chapitre, voyez plus bas), on se rend de l’autre côté de la mer Circulaire (Al Khali, Al-Ybi, Jolhimôme, Éphèbe, Omnia, Tsort), puis direction le Bord brûlant (Ee et le Grand Nef, les empires de la jungle et l’empire tézuma) ; ensuite le Bord et l’Océan Sens direct (Krull, autres îles), puis les pays du Sens direct (Pseudopolis, le Wyrmberg, Ker-Gselzehc) ; next, les montagnes du Bélier (Lancre, Überwald), les régions du Sens rétrograde (l’Old Woman River, Genua), le Moyeu et au-delà (Cori Celesti, l’Axlande, les plaines du Vortex), et enfin l’extrême-Bord (le continent Contrepoids avec l’empire agatéen, et Iksiksiksiks).

 

« And now for something completely different » : « En sept jours seuylement je fays de vous un héros barbayre ! » passe à la création de personnage dans le cadre du Disque-monde. Sauf que les règles de création sont à la fin du volume, donc… Après une brève présentation des ordres de grandeur en ce qui concerne les points de création sur le Disque-monde, on se voit proposer diverses professions (mais qui ne servent que d’archétypes : alchimiste, amuseur, assassin, autres professions magiques – uh uh –, bandit / brigand de grand chemin, bouffon / fou / clown, fermier / paysan, garde / agent du guet, héros barbare, ingénieur, joueur professionnel, mage, marchand / entrepreneur, médium, mendiant, mercenaire / soldat / chasseur de monstres, mime guérillero / acteur de rues renégat, moine de l’Histoire, noble, prêtre / druide, primitif, sorcière, touriste, truand / éjecteur, voleur). On trouve ensuite des avantages, désavantages et compétences spécifiques au Disque-monde ou modifiés dans son cadre (ce qui fait que l’on doit jongler avec deux listes) ; des règles concernant le statut, les métiers et la richesse, et enfin l’équipement. Et le chapitre de s’achever sur deux exemples de personnages.

 

« Les Non-Humains du Disque » présente les différentes espèces, jouable ou non jouables, de l’univers pratchettien… avec leurs propres avantages et désavantages, ce qui rajoute encore au bordel ambiant. Sont donc présentés les nains, les gobelins et les gnomes, les trolls et leurs cousins, puis les vampires (trop puissants pour être joués en temps normal… sauf à se livrer à une parodie d’Un Certain Autre Jeu, ce qui est proposé…), les loups-garous et les hommes-loups, les momies (a priori pas jouables), les personnifications surnaturelles (a priori non plus, sauf si la campagne l’exige) et enfin les animaux conscients (ce qui doit être galère, mais peut être rigolo). En marge, on trouve régulièrement la description de fameux personnages du Disque-monde correspondant à ces diverses espèces (c'est vrai également des chapitres qui suivent).

 

« And now for something completely different » : on retourne à la description du monde interrompue avec « Byenvenue à Ankh-Morpork Cytée aux mille surpryses ! », qui se focalise donc sur la plus fameuse ville du Disque-monde. Son histoire est tout d’abord envisagée, puis l’on évoque le gouvernement actuel, avant de se voir proposer une petite visite guidée (cette fois, il n’y a qu’un extrait de carte…). La loi et l’ordre (c’est-à-dire essentiellement le Guet des Orfèvres) sont ensuite étudiés, puis, après un paragraphe justifiant l’absence de forces armées, les guildes. On conclut enfin sur les plus fameuses auberges de la ville.

 

« Au nom du savoir » s’intéresse à la magie, d’un point de vue non technique. On y distingue les différents lanceurs de sorts, notamment, et, surtout, on y trouve une description de l’Université de l’Invisible.

 

« Chambouler la réalité » est cette fois le chapitre technique sur la magie disque-mondiale. Sauf que les règles… bref. On se penche d’abord sur les niveaux de mana et la pratique de la magie, avant d’avoir une « version longue » des règles de magie incompréhensible si… bref, un point sur les objets magiques, un autre sur le bourdon en termes techniques, et l’on passe enfin au grimoire. Celui-ci est très incomplet (il y en a un autre bout en… bref), et c’est aux joueurs et au MJ de le compléter… une fois que… broumf.

 

« Grandes questions, petits dieux » est cette fois un pur chapitre métaphysique. On s’y penche sur les fondations de la réalité (le Créateur, les Hauts Anciens et plus particulièrement Azraël, les Contrôleurs de la réalité…), puis sur les manifestations des puissances majeures (La Mort au premier chef, comme de juste), avant de faire un saut du côté de la dimension de la Basse-fosse. Et ce n’est qu’après que l’on ira voir ces petits joueurs de dieux et de démons, dont quelques exemples sont donnés.

 

On passe ensuite à un bestiaire pour le moins riquiqui et pas vraiment technique (à développer, donc) avec « Prenez garde au puzuma ambigu ! ». Où l’on se penche sur les dragons (dragons des marais, dragons nobles), les animaux (l’anobion .303, le puzuma ambigu, le chameau – mathématicien de génie, souvenez-vous –, l’éléphant – il n’y en a pas tout à fait mille –, l’albatros futile, le papillon météo quantique, les salamandres, les animaux trolls, les tortues – les petites, cette fois, pour la soupe – et les vhermines), Ces Salopards d’Elfes (avec leur souverains et animaux), les créatures surnaturelles (dryades, génies), les fantômes et les esprits, les golems enfin. Avec en guise de conclusion un mini-topo sur la flore du Disque.

 

« Dépressifs et suicidaires lorsqu’ils sont sobres, cinglés et violents lorsqu’ils sont ivres » – j’aime beaucoup ce titre – présente les plus fameux PNJ du Disque… dès lors qu’ils n’ont pas été présentés dans les pages qui précèdent, broumf. Où l’on croise donc Rincevent, Cohen le barbare, le comte Giamo Casanabo, Suzanne Sto Hélit, le convent de Lancre (Mémé Ciredutemps, Nounou Ogg, Magrat Goussedail puis Agnès « Perdita » Créttine). Plus succinctement, Albert, Deuxfleurs, le roi Vérence II (ci-devant bouffon), le doyen, l’économe et Cogite Stibon.

 

« Nourriture infecte, pas moyen de dormir et des types bizarres essayent de planter des objets pointus dans votre anatomie » est le classique chapitre destiné au MJ sur l’art de la narration. Mais, pour une fois, il a son utilité. Parce que « rire et faire rire », mine de rien, ce n’est pas si facile que ça. Quelques Vérités Essentielles sont donc énoncées ici à très juste titre sur les différentes catégories de l’humour… et l’on se voit utilement rappeler en fin de course que « tout n’est pas drôle », au sens où tout n’a pas à être drôle. Sont ensuite proposés deux « mini-scénarios », le second étant tellement mini que ça ne compte pas vraiment, et le premier étant atrocement linéaire (certes, c’est une parodie, mais bon… justement…), accompagnés d’amorces plus ou moins intéressantes.

 

Suivent « Les règles »… mais je crois qu’on en a déjà parlé.

 

 Au sortir de ce bouquin, je ne regrettais certainement pas mon achat : le livre est d’une lecture agréable (donc), drôle et instructif, et a pleinement satisfait le fanatique qui sommeille en moi. Mais le jeu de rôle est-il jouable ? Là, je n’en sais rien. M’est avis que ça doit être un peu coton pour le MJ, lequel, non content de devoir faire rire ses joueurs sans que ça soit le bordel pour autant (ce qui n’est pas gagné), ne se voit pas exactement faciliter la tâche par les aspects techniques du livre, un brin confus… Y’a du boulot, donc. Mais pourquoi pas, après tout ? Et puis, y’a pas, c’est quand même une bien belle création que ce Disque-monde…

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"Les Règles de la méthode sociologique", d'Emile Durkheim

Publié le par Nébal

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DURKHEIM (Émile), Les Règles de la méthode sociologique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, [1893, 1947, 1949] 15e éd. 1963, XXIV + 149 p.

 

UN PEU DE SÉRIEUX JE VOUS PRIE !

 

Au milieu de cette déferlante rôlistique, il fallait bien que je fasse une pause travail… Et du coup, pourquoi ne pas vous en causer ? Après tout, c’est quand même quelque chose, Les Règles de la méthode sociologique de ce bon vieux Mimile ! Un ouvrage qui, certes, date un peu – c’est tout naturel, et on aura l’occasion d’y revenir – mais qui figure à bon droit dans les classiques de la sociologie, et constitue toujours aujourd’hui un incontournable de la culture et de la méthodologie sociologiques.

 

Étrangement, je ne l’avais pas lu jusqu’à présent. Enfin, étrangement… Avouons-le : le terme « méthode » m’avait effrayé. J’avais par contre lu, jeune con de lycéen enthousiaste, Le Suicide, ouvrage ô combien aride mais ô combien fascinant, et j’avais au moins entamé et parcouru (mais je ne crois pas l’avoir achevé, honte sur moi…) De la division du travail social. Mais celui-ci, pourtant bien plus court, nope. C’est pourtant sans aucun doute le troisième ouvrage fondamental de Durkheim.

 

Et peut-être, à vrai dire, le plus important sur le plan théorique, puisque, de manière un peu paradoxale, dans cet ouvrage largement philosophique (voyez la collection ; et, après tout, dans la mesure où il s’agit de méthode et de définition, on pourrait largement parler d’épistémologie), le père de la sociologie holiste « à la française » mène un véritable combat pour l’émancipation de la sociologie par rapport à la philosophie. Pardonnez-moi la formule toute faite, mais elle me semble assez juste : la sociologie de Durkheim est largement un « sociologisme » ; l’ouvrage a en tout cas un côté nettement militant. Il entend constituer la sociologie en science à part entière, distincte de la philosophie donc, mais aussi de la psychologie, par exemple, et dotée d’une culture qui lui soit propre. Pour ce faire, il s’oppose nettement à ses prédécesseurs – avec une prédilection pour Comte et Spencer, les deux font la paire – et entend donc dégager des principes fondateurs, passablement inspirés des sciences dites « dures » ou « expérimentales », afin de sortir de l’à-peu-près et de fonder véritablement la sociologie en tant que science (sans épithète, il les refuse toutes – à part peut-être celle de « rationaliste », voire « naturaliste », mais avec des limites).

 

Résumons ces principes. Il s’agit tout d’abord de définir le fait social. Pour Durkheim, le critère essentiel est ici la contrainte extérieure, ou encore l’existence propre indépendante des manifestations individuelles.

 

On passe ensuite aux règles relatives à l’observation des faits sociaux. La première, fameuse, est de « considérer les faits sociaux comme des choses ». Cela n’a l’air de rien, mais c’est fondamental. Il s’agit de partir des objets, véritablement, et non des représentations que l’on s’en fait : les choses, à la différence des idées, sont les données de la science. Cette première règle a donc des corollaires importants. Tout d’abord, autre règle fameuse : « Il faut écarter systématiquement toutes les prénotions. » (Le terme est emprunté à Bacon, mais l’idée renvoie tout autant au doute méthodique de Descartes.) Plus facile à dire qu’à faire, hélas… Et, peut-être dis-je des bêtises, mais j’ai quant à moi l’impression que dans cet ouvrage, Durkheim lui-même n’écarte pas toujours ses prénotions : ainsi, il succombe facilement, comme nombre de ses contemporains, aux sirènes de l’évolutionnisme ethnologique et de son corollaire, l’historicisme (il se montre par contre, en plusieurs occasions, nettement moins ethnocentriste que beaucoup) ; on pourrait de même critiquer (mais ce serait sans doute faire dans l’anachronisme) son attachement farouche, viscéral même, au principe de causalité (voir plus bas)… Deuxième corollaire : « Ne jamais prendre pour objet de recherches qu’un groupe de phénomènes préalablement définis par certains caractères extérieurs qui leur sont communs et comprendre dans la même recherche tous ceux qui répondent à cette définition. » Ainsi, par exemple, pour étudier le crime, on se fondera sur le caractère extérieur commun à tous qu’est la peine, et on n’en écartera pas pour cause de désuétude historique ou autre ; de même pour ce qui est de la morale, et on n’aboutira pas ainsi à l’erreur consistant à dire que les sociétés dites « primitives » n’ont pas de morale… simplement parce qu’elles n’ont pas la nôtre. Troisième corollaire : « Quand […] le sociologue entreprend d’explorer un ordre quelconque de faits sociaux, il doit s’efforcer de les considérer par un côté où ils se présentent isolés de leurs manifestations individuelles. »

 

Le chapitre III porte sur les règles relatives à la distinction du normal et du pathologique. Allons de suite à l’énoncé des règles, dont nous ne retiendrons que la première, la plus importante : « Un fait social est normal pour un type social déterminé, considéré à une phase déterminée de son développement, quand il se produit dans la moyenne des sociétés de cette espèce, considérées à la phase correspondante de leur évolution. » Évolutionnisme, disais-je… Mais c’est ce qui suit qui est tout à fait fascinant. Durkheim, pour illustrer cette règle, a pris un exemple pour le moins fracassant : le crime. Et de montrer, à la suite du chapitre précédent, combien il est important de se débarrasser de ses prénotions : en effet, en appliquant les règles de la méthode sociologique, le crime est à l’évidence, non pas un phénomène pathologique, comme on tend à le croire à première vue, mais bel et bien un phénomène normal ! Bien évidemment, il ne faut pas y voir une apologie du crime… Mais la puissance de l’argumentation est saisissante.

 

Suivent les règles relatives à la constitution des types sociaux. Les sociétés sont classées d’après le degré de composition qu’elles présentent ; à l’intérieur des classes, on établit des variétés différentes « suivant qu’il se produit ou non une coalescence complète des segments initiaux ». Ce chapitre assez bref est loin d’être le plus fondamental de l’ouvrage…

 

On passe alors aux règles relatives à l’explication des faits sociaux. Durkheim rejette le caractère finaliste généralement retenu. Selon lui, la cause efficiente doit être recherchée indépendamment de la fonction, et la première recherche doit précéder la seconde. Il rejette de même les interprétations à caractère psychologique, et montre par la même occasion l’indépendance des faits sociaux « par rapport au facteur ethnique, lequel est d’ordre organico-psychique » ; d’où, ainsi qu’il a déjà été dit, l’importance d’une culture proprement sociologique. Durkheim insiste alors sur la notion de milieu social, et revient sur le principe de causalité, auquel il attache beaucoup d’importance ; aujourd’hui, on dirait trop, sans doute… mais on n’en était pas encore, par exemple, aux boucles de rétroaction de la systémique sociale.

 

Le dernier chapitre concerne l’administration de la preuve, et l’on y retrouve le principe de causalité, toujours plus fort ; ça va même très loin : « à un même effet correspond toujours une même cause ». L’instrument privilégié de la preuve en sociologie est la méthode comparative, et plus particulièrement la méthode des variations concomitantes. Là encore, depuis, on est un peu revenus de l’enthousiasme de Durkheim pour cette méthode… Dernier point qu’il me paraît intéressant de rapporter dans ce chapitre, et qui tient dans une formule parlante par elle-même : « La sociologie comparée est la sociologie même. »

 

Puis il est temps de conclure : la sociologie est indépendante de la philosophie et des doctrines pratiques, et domine les partis ; elle est objective, et dominée par le principe fondamental selon lequel les faits sociaux sont considérés comme des choses ; elle a un caractère propre, expliquant les faits sociaux tout en gardant leur spécificité : c’est une science autonome, ou, plus exactement, elle doit devenir autonome.

 

 On voit l’importance de cet ouvrage vieux de plus d’un siècle mais toujours influent à bien des égards. Certes, bien que n’étant pas moi-même sociologue, et donc n’en sachant rien, je doute fort que l’on trouve aujourd’hui encore des durkheimiens intégristes prenant pour argent comptant tous les préceptes exposés dans Les Règles de la méthode sociologique. Mais, à n’en pas douter, c’est un livre qui a fait école, et a parfaitement rempli son objectif : il a bel bien contribué à constituer la sociologie en tant que science autonome. Rares sont les ouvrages et leurs auteurs pouvant prétendre à une telle réussite.

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"L'Appel de Cthulhu : Les Terres de Lovecraft : Dunwich"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu : Les Terres de Lovecraft : Dunwich

 

Ah, ces bons vieux dégénérés consanguins ! Que ferait-on sans eux ? Ou plutôt : que ne ferait-on pas ? Une palanquée de récits d’horreur, de survivals et de polars glauques, à n’en pas douter… Howard Phillips Lovecraft, en précurseur, leur a fourni un cadre merveilleux : Dunwich et sa région, trou paumé et maudit à l’ouest du Massachusetts, relié à Arkham par l’autoroute d’Aylesbury. Un endroit où, non, définitivement non, il ne fait pas bon vivre. Ce deuxième volume de la série « Les Terres de Lovecraft » en témoigne assurément, mais nous explique en outre pourquoi…

 

Sans surprise, passés quelques mots d’introduction, il s’ouvre sur l’excellente nouvelle qu’est « L’Abomination de Dunwich ». Une fois de plus, c’était loin d’être une découverte en ce qui me concerne, et je me souvenais très bien de ce texte glauque au possible, du « sorcier » Whateley, de son fils Wilbur à la croissance accélérée, de ce village lépreux et insalubre, et de cette conclusion démesurée, sinistre et grotesque écho de la passion du Christ ! Un régal, peut-être même l’archétype de la nouvelle de Lovecraft « à investigateurs », puisque l’on y suit la première mouture de la « cabale Armitage » (voyez L’Université Miskatonic) à l’œuvre, commençant par des fouilles dans la bibliothèque Orne, avant de se confronter au Mythe dans ce qu’il a de plus indicible…

 

Puis l’on s’attaque au guide à proprement parler, rédigé pour l’essentiel, de même que celui d’Arkham, par Keith Herber. Quelques mots d’ordre général, pour commencer : parce que le fait est que, ça saute aux yeux, c’est beau. Très beau. En effet, contrairement à ce qui se faisait le plus souvent jusqu’à présent, l’iconographie est cette fois essentiellement fondée sur de superbes photographies d’époque, qui nous plongent directement dans l’ambiance. Ne restent plus de dessins que pour les personnages, les entités du Mythe, et les cartes, celles du livre étant très lisibles bien que foisonnantes (on y reviendra), à la différence de la grande carte de 40 x 60 centimètres, à peu près inutilisable à mon sens.

 

Car, et c’est la grande particularité de ce guide, celui-ci ne s’intéresse bien évidemment pas uniquement à Dunwich même, minable petit patelin dont on aurait vite fait le tour. Ce sont Dunwich et sa région qui sont envisagés ici, soit environ (si je me souviens bien) 250 km². Tout de même. Ça change tout.

 

« Bienvenue à Dunwich ». Un chapitre introductif, consacré à quelques généralités indispensables sur Dunwich et sa région : climat, flore et faune, comment trouver Dunwich (ce qui, mine de rien, n’est pas si évident que ça), comment explorer la région (bis), téléphone, logement, fermes typiques, armes à feu. En marge se trouve également une chronologie limitée aux années 1691-1898 (mais il y aurait bien plus à dire… avant comme après) ; le chapitre se conclue enfin sur un « répertoire du village », une sorte d’annuaire, en somme.

 

Puis, comme ça, cash, « Les secrets de Dunwich » : sur quatre pages, les plus gros secrets du village et de ses environs sont dévoilés. Et ça fait comme un choc pour le plus important d’entre eux, « l’histoire secrète » justifiant « l’atmosphère de décrépitude » (non, je n’en dirai pas plus…). Mais ces précisions d’entrée de jeu sont effectivement indispensables à la compréhension de la suite du volume… et il reste bien des « petits » secrets à dévoiler, et des « détails » de ces « gros » secrets.

 

« Le village de Dunwich » se voit ensuite décrit prioritairement, et découpé en trois zones, les deux premières (village et ouest) se voyant attribuer des références à deux chiffres et la dernière (zone industrielle, au nord du village) des références en Mx. On constate déjà la très grande richesse de l’environnement créé… et en même temps le très grand nombre de bâtisses abandonnées, permettant le cas échéant au MJ d’implanter ses propres créations.

 

« Le guide des environs de Dunwich » découpe la grande carte en neuf régions (le village se trouvant au nord de la huitième, celle du sud) : la Crête séparatrice (nord-ouest, 1), les sources de soufre (nord, 2), la vallée de la branche nord (nord-est, 3), les vallées de Prescott et de Dunlock (ouest, 4), Sentinel Hill (centre, 5), les plateaux de l’Est (est, 6), la crête de Wheeler (sud-ouest, 7), la vallée de Dunwich (sud, 8) et Indian Hill (sud-est, 9). On retrouve ici le système de références à trois chiffres de Les Terres de Lovecraft : Arkham, le premier indiquant la région. On constate là encore le grand nombre de fermes abandonnées. Mais l’impression qui domine est quand même celle d’un incroyable foisonnement, tout à fait passionnant, et même fascinant, mais qui s’annonce pas forcément évident à gérer… D’autant que, la consanguinité et l’esprit de clan ayant fait des ravages, on se perd vite dans tous ces Whateley, ces Bishop, ces Dunlock, ces Prescott, ces Potter, etc. Il y a en tout cas amplement de quoi faire, chaque région multipliant les amorces de scénarios ou, tout au moins, de rencontres intéressantes.

 

Et c’est pas fini : vous avez aimé la surface ? Vous allez adorer « Le monde souterrain » ! Même si ça fait, à mes yeux en tout cas, un peu gros Donj’… Il y a en tout cas deux putains de « dragons », et un sacré nom de Dieu de putain de trésor, même que quand j’ai vu ça j’ai fait : « Wouhou ! » Avis aux amateurs, toutefois : nous sommes bien dans L’Appel de Cthulhu. Ce qui signifie que le moindre faux pas – et les occasions de fauter ne manquent pas – peut se révéler fatal… C’est très, très, très, très, très, très, très, très, très, très, très, très dangereux. Mais alors vraiment. Hou-là, oui.

 

Suivent deux « Scénarios ». Enfin, ça, c’est la théorie. En pratique, les choses sont un peu différentes. Pour dire les choses clairement, non, il n’y a pas du tout deux scénarios dans Les Terres de Lovecraft : Dunwich. On pourrait même dire qu’il n’y en a pas même un seul. Escroquerie ? Ben, pas vraiment non plus, les choses sont plus compliquées que ça… « Retour à Dunwich », en effet, est plus un prétexte qu’autre chose. Une très mince (mais alors vraiment très mince) trame est donnée, mais elle a pour seul et unique but d’introduire les PJ à Dunwich. Quant à « Ciel, terre et âme », ce n’est qu’une « rencontre », ou, comme les choses sont présentées, un « énorme indice ». Bref : ce sont là deux éléments destinés à l’élaboration d’une campagne prenant Dunwich pour cadre. J’irais même jusqu’à dire que, de la manière dont je vois les choses, cette campagne ne peut être qu’une campagne « ouverte », fondée sur l’improvisation, à la manière de L’Affaire Armitage. Autant dire que ça s’annonce pas facile pour le MJ, tant l’univers décrit est foisonnant (bien plus que celui de L’Affaire Armitage, d’ailleurs, où les documents, en outre, tendaient à cadrer davantage le jeu…). Mais s’il parvient à maîtriser tout ça, et à lier la sauce, je ne doute pas que le résultat s’avère extraordinairement stimulant, et offre des dizaines d’heures de jeu palpitantes.

 

Quelques mots sur les « Annexes », pour finir : on trouve tout d’abord, dans « L’Abomination de Dunwich », les données « techniques » permettant, le cas échéant, de recréer la nouvelle, ainsi que sa chronologie. Puis, dans « Mystères, légendes et rumeurs », on trouve un condensé des on-dit par région, pouvant être utile justement dans le cadre d’une campagne ouverte.

 

Les Terres de Lovecraft : Dunwich est donc très différent de Les Terres de Lovecraft : Arkham, bien qu’étant dû au même auteur. Là où ce dernier ouvrage se caractérisait par une grande souplesse qui permettait son utilisation de bien des manières différentes, Dunwich, qui se révèle étrangement encore plus riche, ne prendra vraisemblablement tout son sens que dans le cadre d’une campagne ouverte, qui s’annonce difficile à mettre en place. Mais, si l’on y parvient, je ne doute pas un seul instant que l’excellence de ce supplément, déjà flagrante à la simple lecture, n’en ressortira que davantage.

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"L'Appel de Cthulhu : L'Université Miskatonic"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu : L’Université Miskatonic

 

Complément indispensable à Les Terres de Lovecraft : Arkham, L’Université Miskatonic, guide essentiellement rédigé par Sam Johnson, contient tout ce que vous voulez savoir sur la fameuse institution privée qui fait la gloire de la petite ville du Massachusetts et qui en constitue le premier employeur. Et, par un étrange paradoxe (probablement non-euclidien), ce volume-là est plus gros que celui consacré à la ville qui l’abrite… C’est qu’il y en a, des choses à dire sur l’université Miskatonic ! Qu’elle constitue, comme le pose « l’Introduction », une « base », une « ressource » ou une « présence », son impact sur une campagne de L’Appel de Cthulhu peut se révéler non négligeable, et ce pour bien des raisons… même si, en tout premier lieu, on pense bien évidemment aux précieux volumes qui forment l’incomparable collection réglementée de la bibliothèque Orne, laquelle comprend pas moins de trois éditions du Necronomicon !

 

« L’université Miskatonic » constitue le guide à proprement parler de la face « visible » de l’université : on commence par raconter l’histoire du campus, de ses débuts congrégationalistes à sa récente modernisation, et le situer dans Arkham. Puis on s’étend sur la bibliothèque Orne et ses « rayonnages obscurs », amplement détaillés : un régal… Est ensuite décrit le musée d’exposition de Miskatonic, qui contient lui aussi sa part d’objets « douteux » et de légendes plus ou moins scabreuses…

 

Suit un gros morceau, passionnant : « La population du campus ». Où l’on commence par quelques généralités sur les étudiants et la vie étudiante, puis sur ceux de la « zone grise » que sont les étudiants diplômés, avant de passer aux professeurs (ce qui est l’occasion, entre autres – je ne le répéterai pas, mais ce livre est extrêmement dense –, de faire un petit topo sur les expéditions de l’université). On passe ensuite à un panorama des personnalités du campus, ce qui inclut bien évidemment une palanquée de professeurs (au moins un pour chaque faculté, généralement davantage), mais aussi d’étudiants quand vient le tour des fraternités et sororités et autres clubs.

 

« Obtenir une éducation », ensuite, est un chapitre plus bref, mais surtout plus technique. En effet, outre quelques considérations générales sur les frais et la notation, il précise surtout les points de règles particuliers applicables à la création et à l'interprétation d’investigateurs étudiants. Ce qui, à vue de nez, peut être très intéressant, notamment en termes de roleplay… mais peut aussi (surtout ?) se révéler très (trop ?) contraignant… J’avoue être un peu sceptique.

 

Un autre gros morceau : « Les secrets de Miskatonic ». Et là, y’en a un paquet… On commence avec les tunnels sous le campus, bien appréciés des étudiants, lesquels, néanmoins, ne savent sans doute pas qu’y rodent d’étranges bestioles à l’occasion… Il y a le jeu de la tête de bronze, qui pourrait se révéler moins innocent qu’il n’y paraît… Le « vieux loucheur », la momie du musée… Et bien sûr, tout ce qui concerne le Mythe : ceux qui se battent contre lui, la « cabale Armitage » en tête, bien sûr, les mages et occultistes qu’on ne sait trop positionner, et les cultistes, les vrais, loups dans la bergerie… Une bonne idée : deux « jokers » très charismatiques, qui justifieraient des campagnes à eux seuls. Et le chapitre de se conclure, après un dernier point sur les mystères de Miskatonic (questions sans réponses), sur des « graines sinistres », autant d’amorces de scénarios.

 

Ben tiens : un scénario, justement. « Un peu de connaissance », prévu pour des investigateurs débutants (et étudiants, tant qu’à faire) se pose en suite « d’Herbert West, réanimateur »… à vrai dire presque autant du texte de Lovecraft que du Reanimator autrement loufoque et débilo-gore de Stuart Gordon… Ce qui pourrait être sympathique. Hélas, le scénario se révèle extrêmement dirigiste, et finalement pas convaincant du tout. Bilan : ça pourrait peut-être (je dis bien : peut-être) le faire, mais à condition de le retravailler à coups de fausses pistes, etc.

 

Suivent des « appendices » assez fournies, qui débutent par une quinzaine de pages de nouveaux sorts (c’est qu’il y en a dans les « rayonnages obscurs »…). On passera rapidement sur la liste d’objets trouvables sur le campus… On s’attardera par contre sur « Les langages pré-humains et les moyens pour les lire » : passionnant et potentiellement utile. Suivent quelques notes sur les scénarios du commerce pouvant être liés à l’université Miskatonic (mouais), et enfin, pour les étudiants investigateurs, des feuilles de cours et des diplômes…

 

Au final, L’Université Miskatonic constitue un bon supplément pour L’Appel de Cthulhu, très dense (ce qui ne ressort peut-être pas de cet article) et passionnant, et offrant amplement de quoi faire. Allez, tous en chœur :

 

Hail Miskatonic, Hail

Beacon of wisdom, proud Miskatonic!

Lighting our path trough the dark and unknown.

May your traditions and righteous revelations shine,

 Constant as the eternal stars.

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"L'Appel de Cthulhu : Les Terres de Lovecraft : Arkham"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu : Les Terres de Lovecraft : Arkham

 

De toutes les bourgades imaginées par H.P. Lovecraft en Nouvelle-Angleterre, la plus célèbre et la plus emblématique est à n’en pas douter Arkham. Lui-même, pour désigner les récits qu’August Derleth qualifierait ultérieurement comme appartenant au « Mythe de Cthulhu », ne préférait-il pas parler de « cycle d’Arkham » ? C’est dire la position centrale et récurrente de la petite ville universitaire du Massachusetts dans l’œuvre du « reclus de Providence », et notamment dans les « grands textes » qui en constituent la substantifique moelle.

 

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que ce soit avec Arkham que débute la série de suppléments pour L’Appel de Cthulhu « Les Terres de Lovecraft ». Un très beau et très riche volume d’environ 200 pages, accompagné d’une carte en grand format de la ville (hélas sans les numéros de référence, ce qui en atténue l’utilité) et, sympathique gadget, d’un fac-similé d’un numéro de L’Annonceur d’Arkham en date du jeudi 11 octobre 1928, pour les joueurs curieux de s’immerger dans le quotidien de la ville (à leur arrivée, par exemple). Sont d’ores et déjà sortis également Dunwich et Innsmouth. Avant et après la Chute, dont je peux dès maintenant vous dire une chose : ils sont tout simplement superbes, puisque leur iconographie, à l’inverse de ce qui a été fait pour ce volume-ci, repose essentiellement sur de fascinantes photographies d’époque. En attendant Kingsport ?

 

Mais revenons à Arkham, guide écrit pour l’essentiel par Keith Herber. Et quoi de mieux pour y introduire qu’une nouvelle du Maître ? Le choix s’est porté presque naturellement sur « Le Rêve dans la Maison de la Sorcière » (« La Maison de la Sorcière » pour les intimes), et c’est à nouveau avec grand plaisir que je me suis replongé dans cette lecture qui remontait à des années, maintenant. Mais toutes ces années n’avaient pas effacé le souvenir de cette terrible mansarde, et du, mmmh, « facétieux » Brown Jenkin ! Un sommet d’horreur, plein d’angles non-euclidiens, qui déroute et marque durablement ; l’empreinte d’un vrai génie du genre.

 

« Bienvenue à Arkham » – l’apparition de ce titre, après les dernières lignes de « La Maison de la Sorcière », est d’une ironie tout à fait délicieuse – livre quelques généralités sur la ville et son organisation ; un passage obligé, mais sur lequel je ne saurais ici faire le détail.

 

« L’Histoire d’Arkham », ensuite, est à mon sens – mais je pinaille – bien trop courte : j’aurais souhaité en savoir plus, bien plus… Mais on notera quand même la présence, appréciable surtout pour les puristes, d’une « chronologie lovecraftienne ».

 

Suit le gros morceau, « Le Guide d’Arkham ». La ville est découpée en neuf quartiers, et chaque lieu décrit se voit attribuer, en plus de son adresse, une référence à trois chiffres, le premier désignant le quartier (ainsi, par exemple, 108 désigne la Gazette d’Arkham, le chiffre 1 indiquant que l’on se trouver dans le premier quartier, c’est-à-dire le « quartier nord »). Un système très pratique… et qui permet de se montrer extrêmement méticuleux, tout en laissant de la marge aux MJ. La somme d’informations véhiculée dans ce long chapitre est ahurissante, tout (enfin, en laissant une marge, encore une fois) semblant avoir été prévu, du plus anodin – besoin d’aller chez le véto ? – au plus sinistre. Les neuf quartiers (quartier nord, centre-ville, quartier est, quartier marchand, quartier du fleuve, campus – à développer avec L’Université Miskatonic, je vous tiens au jus –, French Hill, quartier résidentiel, quartier sud), auxquels il faut ajouter la périphérie, également décrite, fourmillent ainsi littéralement de lieux, de PNJ et d’amorces de scénarios en tout genre. Un régal. Et un travail de titan, qui stupéfait par sa cohérence et sa qualité. Un index thématique, bienvenu et très bien fait, permet de s’y retrouver. Ouf. Tout simplement remarquable.

 

Suivent enfin quatre scénarios (les documents destinés aux joueurs sont repris en annexes), tous qualifiés « Investigation occulte », moyen terme permettant de les jouer également – du moins est-ce ainsi que je l’ai compris pour ma part, dans l’ensemble – selon les modes « Horreur lovecraftienne » comme « Aventures pulp ». Le premier, « Les Livres de l’oncle Silas », est destiné à des PJ débutants, et tant qu’à faire ne connaissant que peu Lovecraft et son œuvre ; c’est à vrai dire surtout un très bon moyen d’introduire une équipe d’investigateurs débutants dans Arkham, et de leur faire découvrir la ville progressivement. Personnellement, j’achète. Je n’en dirai hélas pas autant du suivant, « Où les collines deviennent sauvages », qui, outre qu’il se situe plus dans l’arrière-pays de Dunwich qu’à Arkham, me paraît vraiment trop bourrin pour être intéressant ; dommage, il contient quelques scènes d’horreur sympathiques, mais… Je ne pense pas le jouer. Le troisième, par contre, si ! « Le Condamné » est un excellent scénario mêlant adroitement investigation et action ; plutôt destiné à des PJ chevronnés, mais on verra bien… Je serais plus réservé sur le dernier, « Arrêt de mort », avec des vrais morceaux de vaudou dedans, qui me paraît un peu confus, et seulement moyennement palpitant ; peut-être à retravailler un chouia avant de le jouer.

 

Ces quelques menues réserves mises à part, vous l’aurez compris, Les Terres de Lovecraft : Arkham est bel et bien un excellent supplément pour L’Appel de Cthulhu. Arkham constitue à vrai dire une « base » de choix pour les investigateurs, et le lieu de départ propice pour bien des scénarios ou campagnes ; armé de ce manuel, le gardien n’a plus qu’à laisser couler, ou presque : les étoiles s’alignent toutes seules…

 

 Suite des aventures dans « les terres de Lovecraft » : Dunwich. Mais avant ça, approfondissons un peu l’étude d’Arkham avec ce qui fait sa plus grande fierté : L’Université Miskatonic, bien sûr…

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"L'Appel de Cthulhu : Malleus Monstrorum"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu : Malleus Monstrorum

 

Une bible.

 

Enfin, façon de parler bien sûr.

 

Le Malleus Monstrorum, empruntant son titre au fameux Marteau des sorcières (Malleus Maleficarum), fait figure de supplément indispensable à L’Appel de Cthulhu. Ce « bestiaire démonologique » recense en effet plus de 380 (!) entités et créatures surgies du Mythe de Cthulhu. Et si l’on peut d’ores et déjà regretter qu’il soit traduit avec les tentacules – et je ne fais pas ici référence au seul choix discutable de l’expression « Terres oniriques » en lieu et place des classiques « Contrées du Rêve », hélas… –, et s’il faut en outre ajouter que l’ouvrage (impie) est à manipuler avec précaution (on y reviendra), on ne peut qu’approuver ce recensement aussi exhaustif que possible de saloperies cosmiques en tout genre, prêtes à bouffer de l’investigateur pour peu que l’on veuille bien les y inciter. Et tout cela nous fait un gros et beau volume – plus gros que le livre de base, et doté d’une iconographie originale et bienvenue, riche en amusants canulars –, qui vaut amplement son prix.

 

Après une brève introduction précisant quelques points de vocabulaire ainsi que la présentation des bestioles qui vont suivre, l’ouvrage se découpe en quatre chapitres de longueur très inégale, suivis de brèves annexes. On commence par « Les créatures du Mythe ». Elles y sont toutes, des Larves d’Aboth aux Zoogs, distinguées en races indépendantes et serviteurs, inférieurs ou supérieurs. 105 pages de vilaines bébêtes, yum, yum. Avec de temps à autres quelques commentaires (plus ou moins éclairants) de Sir Hansen Poplan, que l’on retrouvera également dans le deuxième chapitre.

 

Deuxième chapitre qui est (étonnamment ?) le plus gros, et qui est consacré aux « déités du Mythe », d’Aboth à Zu-Che-Quon. 139 pages de Grands Anciens (d’Aphoom Zhah à Zu-Che-Quon), Dieux Extérieurs (d’Aboth à Yomagn’tho), Avatars (d’Aforgomon à Y’hath), Dieux Très Anciens (de Bast à Yad-Thaddag), Supérieurs (d’Ariel à Zo-Kalar) et Entités uniques (de Dagon & Hydra à Zoth Syra). Ce qui en fait, du monde. Un peu trop à mon avis, mais j’y reviendrai.

 

Suivent deux chapitres beaucoup plus brefs, le premier consacré aux « créatures légendaires et folkloriques » (épouvantails, fantômes, golems – ça, ça me gêne un peu, supposant quelque part l’existence de Dieu, ce qui me paraît incompatible avec l’horreur cosmique lovecraftienne… –, loups-garous, mégalodons, momies, monstres des lacs, plantes carnivores, sasquatch, spectres, squelettes, vampires et zombies), et le second aux « animaux », ce qui peut effectivement se révéler utile.

 

L’ouvrage se conclut enfin sur de brèves annexes. Tout d’abord – eh eh – un guide de prononciation, ce qui n’est pas de refus ; suivent quelques suggestions concernant la description de l’indicible faisant l’usage des cinq sens (ce pour quoi Lovecraft était un maître, voyez l’essai de Houellebecq) et la mise en scène de la mort, avec (gag) une liste de « mots pour le dire », un bref texte assez peu utile sur la longévité des créatures évoquées dans cet ouvrage, un autre sur la création de monstres prenant pour exemple les Cénobites de Clive Barker, le Fendahl de Dr Who et les Aliens, un trop bref texte sur les Contrées du Rêve, et une fiche de créature.

 

Quelques remarques, maintenant, sur le contenu général de ce Malleus Monstrorum, et sur les précautions à prendre dans son utilisation. Tout d’abord, HALTE AU GROBILLISME ! Ce volume ne doit en aucun cas se transformer en invitation à la baston contre des créatures et entités toujours plus puissantes. Mais à vrai dire, bon nombre d’entre elles sont tellement puissantes qu’elles devraient suffire à calmer les ardeurs des joueurs les plus bourrins/inconscients/rayez la mention inutile ah mais y’en a pas. J’irais même pour ma part plus loin : j’ai trouvé que conférer des caractéristiques aux déités, la plupart du temps – disons que je ferais une exception pour certains Avatars, et notamment les fameux Masques de Nyarlathotep, dont on a un bon paquet de décrits –, était totalement superflu : pour ma part, dans ce cas, je me contentais de regarder la perte de SAN, qui me paraît la seule indication « technique » véritablement utile… Sinon, soyons francs : en tout cas dans les modes « Horreur lovecraftienne » et « Investigation occulte », les joueurs, confrontés aux déités du Mythe, n’ont que trois possibilités : 1° fuir ; 2° devenir fou ; 3° mourir dans d’atroces souffrances. Et j’aurais tendance à dire que même en « Aventures pulp », c’est le cas…

 

Je dirais ensuite – mais c’est toujours un avis personnel – que, certes, sans doute, mieux vaut trop que pas assez, mais, en même temps : HALTE À LA SURENCHÈRE ! Ouep, arrivé au bout du long chapitre sur les déités du Mythe, j’avoue avoir soufflé un bon coup… Parce qu’il faut bien reconnaître que les auteurs (surtout) post-lovecraftiens et les scénaristes, à vouloir à tout prix apporter leur pierre à l’édifice, en ont parfois fait trop ; et si certains (je pense notamment à Brian Lumley et Ramsey Campbell) s’en sont dans l’ensemble bien tirés et ont pu apporter des contributions originales et bienvenues, d’autres se sont allègrement vautrés dans la caricature, à grands renforts de tentacules cyclopéens z’et indicibles aux désignations de plus en plus grotesques.

 

Allez, moi aussi, puisque c’est ça : H’gry’tahglkuhj’vasgfr, Celui Qui Trépane Les Sangliers. « Un amas bulbeux indicible de tentacules protéiformes et de bouches de lamproies suppurant la mort et la noirceur par tous les orifices, avec trois ailes de chauve-souris titanesques et cinq pattes de canard globuleux, se vautrant dans la fange d’un terrier de lapin cyclopéen au fin-fond de la Dordogne consanguine. » Culte : Moi ! Perte de SAN : 5/1D100 pour avoir vu H’gry’tahglkuhj’vasgfr.

 

Troisième précaution qui n’engage que moi : HALTE À L’ANTHROPOMORPHISME ET À LA DERLETHISATION DES ESPRITS ! Les dieux bons, ouste. Pas à leur place, moi j’dis. Et les familles, pareil. Très franchement, j’ai été choqué (oui, choqué) de voir Cthulhu avec des conjointes et des descendants… Sir Hansen Poplan, dans ses carnets, en tire la conclusion que, oui, justement, c’est bien la preuve qu’en fait ce n’est pas un dieu. Moi, je rétorquerais que ça m’a surtout paru très grec, tout ça… Et pas à sa place non plus. D’une manière ou d’une autre, c’est trop « humaniser » les déités du Mythe que de leur prêter ce genre de comportement. Vous imaginez Cthulhu avoir une scène de ménage, franchement ? Ça fait pas sérieux… J’oserais même dire que ça casse un Mythe.

 

Cela dit, dès l’instant que l’on prend garde à ces écueils éventuels, le Malleus Monstrorum est bien, en dépit de sa traduction parfois à la limite du supportable, un bon supplément de L’Appel de Cthulhu, et même probablement un supplément indispensable. D’un usage aisé, il abonde en idées de scénarios (j’irais bien faire faire un tour à mes investigateurs du côté de… mouhahahahaha !), et fournit amplement de quoi épicer les parties en remplacement des pauvres cultistes habituels qui en ont marre de se faire mitrailler la fiole à chaque scénario. Bref : fhtagn !

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"L'Appel de Cthulhu" + "Les Accessoires du gardien"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu

L’Appel de Cthulhu : Les Accessoires du gardien

 

NB : Il s’agit là d’un compte rendu de lecture, et non d’un test. En outre, mais faut-il le préciser, ce compte rendu s’adresse aux MJ, dans la mesure où il contient des spoilers…

 

Déçu, comme vous avez pu vous en rendre compte, par la gamme de Cthulhu « système Gumshoe », j’ai décidé de me tourner vers la version « classique » du jeu d’horreur lovecraftienne qu’est L’Appel de Cthulhu. Certes, j’aurais pu me contenter de la gamme, et l’adapter à « Gumshoe ». Mais, si ce dernier système ne manque pas d’intérêt, il n’en présente pas moins quelques défauts – il me paraît assez ambigu, notamment, et, paradoxalement peut-être, dans sa simplicité même, ne me paraît guère approprié à des joueurs débutants, mais bien davantage à des rôlistes chevronnés – ; en outre, séduit par le travail des éditions Sans-Détour sur La Brigade chimérique, je me suis dit que je pouvais bien sauter le pas : et c’est donc avec le livre de base de la sixième édition que j’ai entamé ma découverte de la gamme de L’Appel de Cthulhu.

 

Premier constat, qui saute aux yeux : c’est beaucoup mieux traduit et édité que chez les voisins d’en face, et ça, ça fait bien plaisir. Oh, oui. Mais abordons directement le contenu de ce bel ouvrage à à l’agréable couverture rigide (comme la plupart – l’ensemble ? – de la gamme, à ce que j’ai pu constater jusqu’à présent, ce qui fait bien plaisir aussi).

 

On commence par une présentation de « L’Univers d’H.P. Lovecraft ». Et pour cela, idée superbe dans son évidence, autant y aller carrément d’une nouvelle du Maître, et non des moindres : « L’Appel de Cthulhu », bien sûr. Cette nouvelle, je l’avais bien évidemment déjà lue, relue, et re-relue je ne sais combien de fois, mais c’est toujours avec le même plaisir que je m’en suis délecté à cette occasion ; c’est décidément un chef-d’œuvre, un vrai modèle de construction narrative, et sans aucun doute une des plus grandes réussites de Lovecraft, avec (tiercé perso) « Le Cauchemar d’Innsmouth » et « Les Montagnes hallucinées ». Certes, le format en deux colonnes ne facilite pas vraiment la lecture, ici, mais pas grave : c’est génial. Suivent divers petits essais et documents permettant d’approcher Lovecraft et son œuvre, ainsi que ses continuateurs, une note sur « l’écologie des goules », une chronologie, un extrait de Lovecraft consacré aux Fungi de Yuggoth, divers petits documents occultes, un rapport sur l’activité des Profonds, une passionnante dissertation érudite sur le Necronomicon (on y croirait !) qui se prolonge dans un petit document « historique »… Tout cela est un peu foutraque, mais passionnant. Une belle immersion dans un univers complexe.

 

On attaque ensuite la partie « technique » de l’ouvrage, classiquement, avec la « Création de personnage ». Le système est plus simple qu’il n’y paraît, et offre plusieurs alternatives. Pas grand-chose de plus à dire, c’est riche, efficace, souple… La part d’aléatoire me gênait un peu au début, mais il est vrai qu’elle peut apporter des résultats intéressants et qu’elle est de toute façon éventuellement modulable. Bref, un système qui s’approche de la perfection, résumable en deux pages. Que demande le peuple ?

 

On passe ensuite aux « Règles essentielles ». « Gérer toutes les situations » : Le « Basic System » se fonde sur l’emploi du D100 et sur des classiques tests simples, tests en opposition, tests prolongés… Mais ce qui compte, au-delà de la réussite du test, est la qualité de cette réussite : critique (01) ou spéciale (1/5e du niveau de la compétence), normale, échec ou maladresse (00) ; lors d’un test en opposition, on compare ainsi les qualités de réussite, et, en cas d’égalité, on privilégie l’investigateur. Suivent des indications pour « Gérer le temps », ce qui peut avoir son importance. Ensuite, « Gérer les combats » ; ceux-ci ne sont pas censés être très fréquents dans une partie de L’Appel de Cthulhu, mais ils peuvent vite devenir mortel… Initiative (= DEX), déclaration des intentions dans l’ordre croissant d’initiative, phase une dans l’ordre d’initiative, phase deux dans l’ordre d’initiative, nouveau round. Très simple, finalement. Ce qui va avec : « Gérer la santé » ; avec parfois des conséquences qu’on qualifiera de hardcore… Enfin, dernier aspect fondamental de L’Appel de Cthulhu, bien sûr : « Gérer la santé mentale »… et là, les pôv’ pitininvestigateurs vont souffrir, mouhahahahaha !

 

Suit une looooooongue partie intitulée « Pour aller plus loin »… sur laquelle je pense que je ferai arbitrairement l’impasse la plupart du temps, tant ces règles me paraissent rendre le jeu plus complexe pour rien, la plupart du temps, là où le bon sens du MJ et des PJ s’appuyant sur les « Règles essentielles » suffit amplement à pallier la plupart des situations. Recours très exceptionnel, donc, à ces règles très méticuleuses sur comment « Gérer les recherches », « Gérer les interactions sociales », « Gérer les poursuites », « Gérer l’environnement », « Gérer la technique », et enfin « Gérer les afflictions »… C’est indéniablement la partie chiante de ce livre de base.

 

On retourne à des considérations bien plus intéressantes avec la partie du livre consacrée au « Paranormal ». Si « Gérer le paranormal » est assez bref et d’un intérêt limité, il n’en va pas de même, bien sûr, « d’Étudier les ouvrages du Mythe », chapitre passionnant, de même que « Gérer la magie », qui convainc autrement que Materia Magica

 

On passe ensuite aux « outils du gardien », et, contre toute attente, cette succession de tout petits chapitres n’est pas inintéressante. Si « Bien utiliser les règles » n’a de véritable intérêt que pour les MJ débutants, « Sur le seuil de l’épouvante » constitue un rappel judicieux pour tous de ce qui fait l’horreur lovecraftienne ; suivent une brève mise en bouche sur « Les Contrées du Rêve » (j’en veux plus ! Certes, il y a Kadath, mais bon…), quelques précisions sur « Les styles de jeu » (horreur lovecraftienne, investigation occulte et aventures pulp), un point utile sur la manière dont sont présentés « Les scénarios du commerce », quelques considérations sur « Les Personnages Non Joueurs » avec des conseils pour en créer rapidement au besoin, et enfin un indispensable bestiaire de « Créatures & Divinités ». Enfin… indispensable dans la mesure où l’on ne dispose que du livre de base ; redondant pour moi qui ai fait aussitôt l’achat du Malleus Monstrorum, dont je vous parlerai un jour prochain…

 

On trouve enfin une mini-campagne en trois scénarios intitulée « Le Ressac de Bryn Celli Ddu », située en mer d’Irlande. Le premier scénario, « Un Phare dans la Nuit », est assez dirigiste et laisse peu de place à l’investigation, mais a pour lui d’être bref et, surtout, de bénéficier d’une excellente ambiance ; le deuxième scénario, « Le Shaman des Profondeurs », est à l’inverse du premier entièrement focalisé sur l’investigation, et assez brillamment : un scénario riche, et susceptible de prendre bien des tournures ; quant au troisième et dernier scénario, « Le Sanctuaire des Eaux noires », c’est une apothéose tout ce qu’il y a de convaincant. En somme, une petite campagne fort intéressante, idéale pour des joueurs débutants. Ça tombe bien, j’ai ça sous la main…

 

En annexes : six personnages pré-tirés (bon…), un tableau d’armes détaillées, une fiche de lecture d’ouvrage, une fiche de personnage, une fiche d’aventure, et une fiche de suivi pour le MJ.

 

Quelques mots en passant sur Les Accessoires du gardien : ceux-ci se composent d’un écran de jeu en trois volets (un peu fade, mais rigide), d’un bloc de 32 fiches de personnages, et d’un fort utile Guide de référence, comprenant nombre de « résumés » des règles exposés dans le livre de base, avec un astucieux système de renvois : indispensable. Il s’achève en outre par un très court scénario, « Les Temples scellés d’Emrek », reposant sur une idée amusante, mais à mon sens pas très bien exploitée ; à développer…

 

 Bon, j’ai envie de jouer, moi. Et de lire plein de trucs avec écrit « L’Appel de Cthulhu » dessus. Parce que tout cela est bel et bon. Du coup, m’est avis que je n’ai pas fini de vous en parler.

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