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Recherche pour “l'anneau unique”

"H.P.L. (1890-1991)", de Roland C. Wagner

Publié le par Nébal

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WAGNER (Roland C.), H.P.L. (1890-1991), version anglaise traduite par Jean-Daniel Brèque, Paris, Nestiveqnen – Actusf, coll. Les trois souhaits, 2006, 57 p.
 
Dans cette courte nouvelle (publiée une première fois dans le recueil Musique de l’énergie, paru aux éditions Nestiveqnen, et récompensée par le prix Rosny Aîné en 1997), l’écrivain de science-fiction français Roland C. Wagner se livre à un véritable fantasme de fan, en écrivant la biographie fictive du grand Howard Phillips Lovecraft.
 
Lovecraft est probablement un des plus admirables écrivains du XXe siècle, un auteur qui compte, tant dans le domaine du fantastique que dans celui de la science-fiction (il est à vrai dire particulièrement difficile à classer de ce point de vue). Son œuvre a révolutionné la littérature de l’imaginaire, et donné une forme nouvelle à la peur. Nombreux sont ceux, aujourd’hui encore, qui lui doivent beaucoup, si ce n’est à peu près tout. Plus nombreux encore sont ceux qui, jeunes adolescents, se sont éveillés à la littérature en frissonnant devant ses textes les plus singuliers, tels « Le cauchemar d’Innsmouth », « Les montagnes hallucinées », « L’appel de Cthulhu », ou encore son unique roman L’affaire Charles Dexter Ward (et j’en suis…) ; la « mythologie matérialiste » lovecraftienne, si troublante et réelle, en a parfois amené à prolonger l’expérience, en lisant ses pasticheurs, certains renommés, tels ses amis Robert Bloch ou Robert E. Howard, d’autres beaucoup moins, et au talent plus contestable. C’est qu’il y a un manque, ici, qui se fait cruellement sentir : la mort de Lovecraft, fauché par un cancer en 1937, nous a privés à jamais de son imagination si fertile, et de sa prose unique.
 
C’est inacceptable. Alors autant ne pas l’accepter… Roland C. Wagner nous explique ainsi que le gentleman de Providence n’est pas mort en 1937 : son cancer était bénin, il s’en est préoccupé dès les premiers signes, et une simple opération l’en a à jamais débarrassé. Lovecraft, dès lors, est libre de poursuivre sa carrière, et en tant qu’écrivain professionnel, tant qu’à faire, plus officiellement rattaché à la science-fiction, et – soyons fous – reconnu et admiré de son vivant… C’est l’occasion de voir le reclus de Providence se brouiller avec un August Derleth trahissant son œuvre, polémiquer avec Robert Heinlein, ou prendre sous son aile un jeune écrivain débutant du nom de Philip K. Dick (en écrivant un texte en collaboration avec ce dernier, notamment ; je donnerais tout et n’importe quoi pour lire une chose pareille…).
 
C’est l’occasion de voir Lovecraft changer, aussi. Pourquoi pas ? Nous sommes dans l’uchronie, tout est imaginable : alors, autant construire un Lovecraft idéal, débarrassé de ses plus vilains aspects… Le Lovecraft que nous connaissons était un salaud de réactionnaire, antisémite, raciste et un temps pro-hitlérien ? Mais l’homme a eu le temps de changer : matérialiste convaincu, il se distancie de toute pseudo-science, condamne le racisme et le nazisme, joute en pro-démocrate contre un Heinlein aux tentations totalitaires ; il est même suspecté un temps durant la « chasse aux sorcières » ! Un Lovecraft de rêve est nécessairement de gauche…

Cette notice nécrologique érudite et plus vraie que nature (avec moult notes de bas de page tout aussi fantaisistes que le corps du texte) est ainsi bel et bien un fantasme, le vœu pieux d’un fan. Et tout admirateur de Lovecraft ne pourra qu’apprécier cet hommage pour le moins original. Alors ce n’est probablement pas une lecture indispensable, on pourra trouver l’écriture anodine, ou se dire que 5 €, c’est quand même bien cher pour une si courte (trop courte) nouvelle… en deux exemplaires (?!?), même s’il y a une sympathique couverture de Caza… En même temps, que ne donnerait-on pas pour que cette biographie fictive soit vérité, et avoir ainsi le bonheur de lire, encore et encore, tous ces textes merveilleux que Lovecraft n’a pas eu le temps d’écrire ?

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"Le Livre de sable", de Jorge Luis Borges

Publié le par Nébal

 

BORGES (Jorge Luis), Le Livre de sable, [El Libro de arena], traduit de l’espagnol par Françoise Rosset, [Paris], Gallimard, coll. Folio, [1975, 1978, 1983] 2007, 147 p.

 

Je me l’étais promis, j’allais me remettre à Borges. Ou m’y mettre véritablement, à la limite, puisque, en dehors de quelques textes ici ou là, je n’en avais guère lu (et relu, et c’est toujours au programme) que le phénoménal Fictions. Cet unique recueil riche en merveilles avait suffi à lui seul à me convertir, mais il était bien temps pour moi de passer à autre chose, et de découvrir d’autres nouvelles, notamment, du génial écrivain argentin. Dont acte, avec ce Livre de sable comportant treize nouvelles au ton unique.

 

Cela dit, c’est là un bref recueil, composé une fois de plus de textes très courts, et il me paraît difficile d’en parler de manière constructive, ou sans les déflorer excessivement… Ce compte rendu s’annonce donc plus court que d’habitude, mais cela ne saurait en aucun cas traduire un quelconque désintérêt de ma part ; si je n’y ai pas retrouvé la même puissance que dans l’inégalable Fictions, il va de soi que Le Livre de sable est une petite merveille qui vaut assurément le détour. Là, c’est dit.

 

On attaque en force avec « L’Autre » (pp. 7-19), un très joli texte où un vieux Borges rencontre le jeune poète qu’il était autrefois. Une superbe variation sur le thème du double, qui inscrit déjà Le Livre de sable dans le fantastique le plus subtil.

 

« Ulrica » (pp. 20-26) évoque une réminiscence d’un amour idéalisé ; si c’est à nouveau un texte d’une grande élégance formelle (et donc d’une grande sobriété, chez Borges), il m’a cependant beaucoup moins séduit.

 

Mais on retrouve immédiatement après le meilleur de Borges avec « Le Congrès » (pp. 27-57), une nouvelle plus ancienne qui ne manque pas d’évoquer la fameuse « Bibliothèque de Babel ». Nous y suivons l’ambitieux projet d’une société secrète qui, à l’instar de la carte parfaite de Lewis Carroll, en vient à englober le monde dans son ensemble…

 

Une curiosité, ensuite, avec « There are more things » (pp. 58-69), nouvelle dédiée à Lovecraft qu’elle pastiche astucieusement. Dans son « Épilogue » (pp. 145-147), Borges se montre toutefois quelque peu injuste avec son confrère américain, qu’il qualifie de « pasticheur involontaire d’Edgar Allan Poe », et avec son texte, qu’il traite de « lamentable fruit »… L’hommage est pourtant pleinement réussi, et doublement savoureux pour l’amateur de littérature fantastique.

 

« La Secte des Trente » (pp. 70-75) nous ramène à du Borges à l’état pur, puisqu’il se présente comme un extrait d’un manuscrit décrivant une étrange hérésie antique. Un texte érudit et profond.

 

« La Nuit des dons » (pp. 76-84), à l’instar « d’Ulrica », m’a moins séduit… Un récit initiatique élégant, mais guère marquant à mon sens.

 

« Le Miroir et le masque » (pp. 85-91), ensuite, est un joli conte rapportant la confection de trois poèmes de plus en plus proches de la perfection, avec ses conséquences terribles. Une nouvelle à rapprocher de la suivante, « UNDR » (pp. 92-100), là encore censément l’extrait d’un vieil ouvrage, décrivant la quête dans les pays nordiques du poème ultime, ne comprenant qu’un seul mot. Une merveille.

 

Mais suit immédiatement une autre merveille, avec « Utopie d’un homme qui est fatigué » (pp. 101-112), narrant la rencontre d’un contemporain et d’un homme du futur lui décrivant sa langoureuse utopie. Splendide.

 

C’est moins vrai pour ce qui est de la nouvelle suivante, « Le Stratagème » (pp. 113-123), nouvelle dotée d’un beau cadre et de personnages très détaillés, mais un peu surfaite dans son canevas vaguement « policier », ce qui la transforme en une fable certes bien vue et richement enluminée, mais néanmoins un peu décevante à mon sens.

 

« Avelino Arredondo » (pp. 124-132) est par contre une nouvelle saisissante, s’inspirant d’un assassinat politique bien réel. Nous y voyons un jeune homme se couper du monde pour que son plan atteigne à la perfection. Une nouvelle magnifique, d’une richesse thématique impressionnante.

 

Le recueil s’achève enfin sur deux textes de pur Borges absolument géniaux : « Le Disque » (pp. 132-136), évoquant un disque à une seule face, variante du ruban de Möbius, et enfin, bien sûr, « Le Livre de sable » (pp. 137-144), décrivant un livre infini contenant tous les livres ; on pense à nouveau à « La Bibliothèque de Babel » dans ce texte une nouvelle fois vertigineux, qui en constitue quelque part l’aboutissement… Chef-d’œuvre.

Et ça vaut pour l’ensemble. Je ne manquerai pas d’y revenir.

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"Limbo", de Bernard Wolfe

Publié le par Nébal

WOLFE (Bernard), Limbo, [Limbo], traduit de l’anglais [Etats-Unis] par Alex Grall, préface de Gérard Klein, LGF, coll. Le Livre de poche Science-fiction, [1952, 1954-1955] 2001, 437 p.

 

J’aurais mis le temps, mon cher Tétard. Certes, certes. Je plaide coupable. Mais ça y est : j’ai enfin lu ce roman dont tu n’as cessé (toi parmi d’autres, d’ailleurs) de me vanter les mérites. Et je peux d’ores et déjà te remercier, parce que cet unique roman de son auteur était ma foi fort bon.

 

Limbo, donc. Tout commence avec le docteur Martine, spécialiste de la lobotomie préfrontale (très en vogue à l’époque). Celui-ci, après la Troisième Guerre mondiale et son holocauste nucléaire, a trouvé refuge sur une île au large de Madagascar, sur laquelle il vit depuis 18 ans, inconscient de l’évolution du monde extérieur… ou de ce qu’il en reste. Là, il continue de pratiquer son art au bénéfice supposé des indigènes, qui usent de cette opération pour le moins radicale depuis des siècles afin de chasser les excès d’agressivité et de tonus…

 

Mais voilà qu’un jour débarquent d’étranges individus sur l’île des Mandunji : des « fausses-pattes », aux membres coupés et remplacés par d’impressionnantes prothèses. Le docteur Martine, à ce spectacle, est pris par une subite impulsion : il doit quitter l’île, même s’il ne sait pas trop pourquoi. Il s’embarque donc pour l’Hinterland, qui a remplacé les Etats-Unis après la Troisième.

 

Et c’est ainsi qu’il découvre la société Immob. Ici, on pratique le pacifisme intégral, en se faisant couper les membres. PAS DE DÉMOBILISATION SANS IMMOBILISATION ! Et ATTENTION AU ROULEAU COMPRESSEUR ! Le nouveau monde a bâti tout un système philosophique, riche en astucieux slogans sempiternellement assénés (mais vides comme le sont tous les slogans…), et mêlé de philosophie morale, de cybernétique, de sémantique générale et de dianétique. Un cauchemar lumineux, une utopie grinçante et caustique qui laisse Martine – et le lecteur – pantois.

 

Surtout quand le bon docteur découvre qu’il est bien malgré lui à l’origine de cette folie politique, ses élucubrations privées ayant été reprises à bon compte par d’inopportuns manipulateurs à double face…

 

La quatrième de couverture, et Gérard Klein dans sa préface, empruntant aux slogans Immob, le martèlent : Limbo est un grand roman d’humour noir, et un classique. Effectivement. On a rarement lu utopie (ou anti-utopie, comme on voudra) aussi riche et intelligente, en dépit (ou en raison ?) de son postulat en apparence absurde. Le plus fort étant qu’on parvient à y croire… Bernard Wolfe n’a rien négligé dans son système, ce qui ne l’empêche pas pour autant de se lézarder.

 

En effet, quand Martine débarque en Hinterland, la société du pacifisme intégral ne se montre pas forcément si pacifique que ça. Et si les jeunes gens, toujours volontaires pour se faire amputer, attendent avec joie les prochaines olympiades, symbole de l’efficacité du système, les troubles ne manquent pas pour autant : comme d’habitude, les pro-pros et anti-pros s’opposent (se faire poser des prothèses, n’est-ce pas un dévoiement de la philosophie de Martine ?), mais, surtout, des relents de guerre froide ressurgissent, avec les accusations mutuelles d’impérialisme, entre l’Hinterland et l’Union Orientale, pourtant également Immob… Le pacifisme sera bientôt mis à rude épreuve. Et Martine, jouant le rôle de l’étranger dans une utopie qu’il a pourtant contribué à créer par ses mauvaises blagues, sera notre guide mi narquois mi horrifié dans cet enfer plus que jamais pavé de bonnes intentions.

 

La société Immob, redécouverte par Martine, est ainsi passée au crible de son analyse, et tous ses aspects sont envisagés, des plus théoriques aux plus bassement (?) matériels. Pour le lecteur, c’est une expérience à la fois jubilatoire et terrifiante, et l’on rejoindra volontiers Gérard Klein comparant Limbo au grand film de Stanley Kubrick Docteur Folamour, un peu plus tardif. L’intelligence du propos est saisissante, et son humour terriblement efficace. Autant d’arguments qui font effectivement de Limbo un classique, à la lecture indispensable.

 

Certes, on peut bien pinailler sur quelques points (je pense notamment au traitement de la sexualité, étrangement daté et un brin pénible), ou s’interroger sur la dimension véritablement « romanesque » de ce quasi-essai philosophico-politique (avec quelques rebondissements plus ou moins bienvenus, mais participant de l’atmosphère générale d’absurdité).

Mais le fait demeure : Limbo est un grand livre, assez unique en son genre ; une superbe réflexion sur le masochisme et l’utopie, qui, dans l’ensemble, a conservé aujourd’hui la majeure part de sa salutaire impertinence. Un livre que devraient lire tous les militants de quelque cause que ce soit, ça leur ferait les pieds (aha)…

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CR Barbarians of Lemuria : Mariage amer (03)

Publié le par Nébal

CR Barbarians of Lemuria : Mariage amer (03)

Troisième et dernière séance du scénario Mariage amer, pour Barbarians of Lemuria. Il est dû à Andrea Salvatores, et figure dans le supplément Chroniques lémuriennes, pp. 58-75.

 

Vous trouverez la première séance ici, et la deuxième ici.

 

L’illustration en tête d’article provient de ce scénario (p. 72), et est due (forcément) à Emmanuel Roudier.

 

Voici l’enregistrement de ce troisième compte rendu :

Voici également, pour ceux que cela intéresserait, l’enregistrement brut de cette troisième séance (on dit « actual play » ?) :

Au passage, j'ai utilisé, en guise d'illustration sonore, diverses musiques dont je n'ai comme de juste pas les droits, qui demeurent à leurs propriétaires respectifs. Durant cette séance, j’ai surtout fait appel à l’album White2 de Sunn O))) (les morceaux « bassAliens » et « Decay2 [Nihil’s Maw] »), à la bande originale du jeu vidéo Darkest Dungeon, et à celle du film de Mel Gibson Apocalypto, composée par James Horner. De manière plus anecdotique, j’ai aussi fait appel aux morceaux de Lustmord « Aldebaran of the Hyades » (de l’album The Place Where the Black Stars Hang) et « Babel » (de l’album The Word as Power), ainsi qu’à « Saltarello » de Dead Can Dance (sur l’album Aion). Comme d’habitude, j’ai réservé l’immortelle bande originale de Conan le Barbare de John Milius par Basil Poledouris pour la préparation de la partie et son debrief…

 

Il y avait cinq joueurs, qui incarnaient Liu Jun-Mi, un Ghataï d’ascendance xi lu (Barbare 0 – Mercenaire 1 – Dresseur 1 – Gladiateur 2) ; Myrkhan, originaire de Tyrus (Gamin des rues 1 – Chasseur 2 – Forgeron 0 – Soldat archer 1) ; Narjeva, originaire d’Urceb (Esclave 0 – Courtisane 1 – Assassin 2 – Prêtresse de Nemmereth 1) ; Nepuul Qomrax, originaire de Zalut (Scribe 2 – Alchimiste 3 – Marchand 0 – Médecin 1) ; et enfin Redhart Finken, de Parsool (Docker 0 – Matelot 1 – Mercenaire 3 – Marchand 0).

 

I : AU CŒUR DE LA PYRAMIDE

 

Les héros, après s’être débarrassé des gardes, font face à la grande pyramide du sanctuaire des Mitis, où ils supposent que se trouve Dill Sendak. C’est un bâtiment impressionnant, massif, qui fait dans les quinze mètres de hauteur, et est constitué d’une sorte de pierre noire lisse pouvant évoquer une sorte de marbre.

 

Sur le pourtour du rez-de-chaussée, il y a des frises en marbre blanc, cette fois, qui figurent toutes une étrange et gigantesque créature reptilienne à tête de femme. L’érudit Nepuul Qomrax comprend de quoi il s’agit : une slorth – c’est-à-dire une créature monstrueuse conçue il y a bien longtemps de cela par les Rois-Sorciers ; les slorths sont des créatures toutes femelles, d’essence magique, et elles-mêmes en mesure de faire appel au Pouvoir du Néant, comme leurs maîtres d’antan.

 

Les héros ouvrent la grande porte de bronze à double battant au sommet de l’escalier, qui leur permet de pénétrer dans la pyramide ; pas un bruit à l’intérieur, pas une source de lumière non plus, aussi se munissent-ils de torches, et tendent-ils l’oreille – littéralement pour Redhart, qui n’en a qu’une. Ils entrent ainsi dans un petit vestibule, avec deux portes en bois ouvragé de part et d’autre ; Myrkhan croit entendre des bruits liquides – comme une goutte d’eau qui tomberait périodiquement dans un bassin, et cela vaut pour la porte de gauche comme pour celle de droite.

 

Derrière chacune de ces portes, de manière parfaitement symétrique, se trouve une pièce encore assez petite mais cependant deux fois plus grande que le vestibule, avec un petit bassin rempli d’une eau limpide – il faut traverser ces sortes de pédiluves pour atteindre, dans les deux cas, la porte qui se trouve au nord. Les héros méfiants prennent bien soin de vérifier que cette eau n’a rien de menaçant et que rien ne s’y tapit – ils n’ont rien à craindre ici. Nepuul, à vrai dire, fait très attention à ce qu’ils ne déclenchent pas de pièges, mais, d’une certaine manière, il doute qu’il y en ait : c’est un lieu de culte, pas une forteresse, et, à ce niveau tout du moins, les traces de passage ne manquent pas – les Mitis doivent y passer quotidiennement. Il restera prudent néanmoins… Mais les personnages mouillent donc leurs chausses, et franchissent la porte qui les mène à la pièce suivante.

 

Ils se retrouvent dès lors dans une salle bien plus vaste – au point où leurs torches ne leur permettent pas de tout éclairer immédiatement. Une grande terrasse borde un bassin plus profond que ceux des pièces précédentes – une poutre d’une dizaine de centimètres de large traverse ce bassin, mais impossible de voir où elle mène sans s’y engager. Vers le côté est, un escalier descend dans un sous-sol. Un peu au-dessus, sur le mur sud, se trouve une fresque avec l’inscription, dans un dialecte lémurien que les héros lisent sans peine : « Seul, avant l’union. » Liu Jun-Mi s’approche du bassin, avec sa torche… et cette fois ce n’est pas de l’eau qui se trouve au fond, mais des centaines, peut-être des milliers, de serpents – comme dans la petite pyramide, sans toutefois l’ersatz colossal qui y dormait. Myrkhan recule instinctivement… Mais Narjeva, quant à elle, s’avance sans plus attendre, et sans plus de difficultés, sur la poutre, en éclairant de sa torche – au bout de la passerelle se trouve une autre plateforme, un peu plus petite, avec une ouverture sur le côté ouest. La facilité avec laquelle la prêtresse de Nemmereth a franchi la poutre rassure un peu ses compagnons – surtout, en éclairant leur destination avec sa torche, elle leur facilite la tâche : tous les héros franchissent la poutre sans vrai problème. Ils sont maintenant libres d’emprunter le passage à l’ouest, lequel donne immédiatement sur un escalier montant à l’étage. Faut-il monter, ou descendre ? Les personnages peu ou prou unanimes décident de gagner le niveau supérieur – seul Myrkhan s’inquiétant de ce qu’on puisse les « prendre en traître » depuis le sous-sol.

 

Narjeva ouvre la marche. Au premier étage, il n’y a pour l’essentiel qu’une seule pièce, assez grande, plus ou moins en forme de croix. Au centre se trouve une colossale balance à plateaux métallique ; au niveau des murs ouest et est, il y a des fontaines perpétuellement alimentées d’une eau limpide – on trouve une amphore à côté de chaque bassin. En haut du mur sud, il y a une autre inscription en dialecte lémurien : « Égaux à jamais. » Pour Nepuul, à l’évidence, tout ceci renvoie à un rite matrimonial. Enfin, au coin sud-ouest se trouve une lourde porte en bois massif renforcé. Redhart la testant comprend qu’une barre de l’autre côté empêche de l’ouvrir. Il doit y avoir un mécanisme – lié à la balance. Que s’agit-il de peser ? Les époux ? Probablement pas… L’eau, sans doute – avec les amphores : il doit s’agir d’atteindre un parfait équilibre. La balance s’avère étonnamment sensible, ainsi que le constate Redhart – mais, en se coordonnant avec Nepuul sur l’autre plateau, ils parviennent à atteindre l’égalité de poids. Aussitôt, un déclic se fait entendre, en provenance de la porte au sud-ouest – laquelle donne à nouveau sur un escalier menant à un niveau supérieur.

 

Les héros arrivent au deuxième étage – qui est aussi le dernier. Là encore, passé un étroit vestibule, et une porte en bois ouvragé, ornée cette fois de figures érotiques voire pornographiques, il n’y a qu’une seule pièce, et en forme de croix. Au milieu de la pièce se trouvent deux blocs de marbre noir lisse qui se font face. Au nord, il y a une porte de bronze à double battant, répondant à celle du rez-de-chaussée – Narjeva croit distinguer quelques bruits de l’autre côté, sans vraiment comprendre de quoi il peut bien s’agir. Sur le mur sud, une autre inscription en dialecte lémurien proclame : « Unis à jamais. » La prêtresse de Nemmereth comprend aussitôt qu’il faut rapprocher les deux blocs de marbre noir – et Redhart jetant un œil à l’espace qui les sépare constate qu’il y a des traces de mouvement. L’ex-marin de Parsool se charge d’un des piliers, Liu Jun-Mi de l’autre, et les deux colosses constatent que leur force physique n’était pas nécessaire – les deux blocs coulissent aisément jusqu’à ne plus en former qu’un ; aussitôt, la double porte donnant sur la terrasse s’ouvre automatiquement…

 

II : LA SLORTH ET LES SIENS

 

… et, sur la terrasse, les héros découvrent une gigantesque slorth, furieuse, qui siffle en se dressant tel un cobra d’une taille inouïe ! Mais elle n’est pas seule : le couple formé par Orom et Dill Sendak, jusqu’alors en adoration devant sa divinité, perçoit l’intrusion des personnages – et si la jeune fille demeure ébahie sans trop savoir comment réagir pour l’heure, le guerrier miti, qui arbore des tatouages serpentins sur tout son corps musculeux, et dont la peau vaguement violacée trahit sa consommation de liqueur de férocine à haute dose, succombe à la fureur, et s’empare en hurlant de son épée longue ! Enfin, quatre enfants qui dormaient lovés dans les gigantesques anneaux de la femme-serpent s’éveillent peu à peu… et perçoivent aussitôt les héros comme des ennemis mortels de leur déesse et mère.

 

Nepuul interpelle Dill Sendak, l’enjoignant de les rejoindre : « Ces créatures sont dangereuses ! » Mais la fille semble stupéfiée par cette déclaration… Redhart ne se pose pas davantage de questions : hurlant à Liu Jun-Mi de s’emparer de la fiancée volage, le mercenaire de Parsool assène un brutal coup de hache à la slorth, en pleine face – la créature est grièvement blessée, et de toute évidence surprise par la violence de l’attaque, ses traits féminins en témoignent ; mais elle n’en est que plus enragée, elle fixe son ennemi avec son regard si étrangement intense – et le mercenaire hypnotisé se retrouve paralysé, incapable du moindre geste ! Narjeva essaye de profiter de ce que la femme-serpent est occupée avec Redhart pour la prendre à revers – elle se faufile vers le bord de la terrasse. Myrkhan décoche quant à lui une flèche empoisonnée à Orom ; il blesse le barbare au bras gauche, mais ça ne paraît pas le gêner véritablement… Liu Jun-Mi, enfin, tente sans succès de donner un coup de fouet à la slorth… Les quatre enfants, maintenant pleinement réveillés, se ruent sur les héros : ils ne sont pas en mesure de leur infliger des dégâts, mais gêneront par contre leurs déplacements et leurs attaques ; ils n’ont pas le moins du monde peur, ils sont très agressifs…

 

Nepuul, intimidé par la slorth, ne sait pas trop comment aider ses camarades – il porte la main à sa potion de feu alchimique, mais sait qu’il blesserait immanquablement de la sorte, non seulement leurs ennemis, mais aussi ses compagnons et les enfants…Orom attaque Liu Jun-Mi avec son épée longue, en poussant un cri de rage – et le gladiateur aurait été très sévèrement blessé, si un pas de côté à la dernière seconde n’avait pas atténué les dégâts… La slorth siffle et fait appel à sa magie pour soigner les blessures que lui avait infligées Redhart : le mercenaire, qui reprend peu à peu ses esprits, voit les plaies se refermer d’elles-mêmes, à une vitesse inouïe ! Narjeva aussi a assisté au phénomène – mais un enfant s’est jeté entre ses jambes et l’empêche d’agir… Myrkhan a choisi d’ignorer le petit qui s’en prenait à lui, mais il s’en faut de peu, au moment où il tire sur la slorth, qu’il se mette sur son passage et encaisse la flèche en lieu et place de la cible… Liu Jun-Mi, quant à lui, choisit de s’en prendre à Orom à mains nues, dans le but de le désarmer – les deux combattants sont de vraies montagnes de muscles… et pour l’heure c’est le Miti qui l’emporte sur le Ghataï.

 

Nepuul crie pour distraire la slorth et attirer son attention – en vain, sans surprise… Mais Redhart, libéré de sa paralysie, peut à nouveau s’en prendre à la créature des Rois-Sorciers, en choisissant lui aussi d’ignorer le gamin dans ses pattes – mais c’est une vraie plaie, et le coup du mercenaire ne porte pas. Orom est occupé avec Liu Jun-Mi – et cette fois le gladiateur prend de plein fouet l’assaut de l’ex-pilote de nef ; il est presque à l’agonie… La slorth quant à elle choisit de changer de cible : elle délaisse Redhart pour Myrkhan – et c’est cette fois l’archer de Tyrus qui est paralysé par son regard hypnotique. Narjeva de son côté choisit de bondir sur le dos de la femme-serpent – ce qui lui confèrera un avantage pour l’attaquer ultérieurement ; elle a au passage envoyé balader le petit garçon qui l’ennuyait – lequel renverse un piédestal auquel les personnages n’avaient pas vraiment eu l’occasion de faire attention jusqu’alors ; en tombe… un crâne humanoïde, dénué de toute chair, mais dont les yeux demeurent dans les orbites… et bougent… et suivent visiblement les faits et gestes des combattants ! Liu Jun-Mi, aux abois, tente le tout pour le tout : une nouvelle manœuvre de désarmement. Et, cette fois, il réussit ! Il contraint Orom à lâcher sa précieuse épée longue… Le Ghataï remarque au passage que Dill Sendak, visiblement effarée, suit d’un air désespéré l’évolution du combat : au moment où il a désarmé Orom, la jeune fille a instinctivement porté la main à la dague qu’elle a attaché à sa ceinture…

 

Nepuul avance, sans savoir que faire pour aider ses compagnons… Mais il voit alors le crâne qui a roulé au sol – un objet qui l’intrigue, mais il ne peut pas en déduire quoi que ce soit pour l’heure. Redhart hurle en portant un nouveau coup de hache à la slorth, mais rate sa cible – laquelle, furieuse de l’outrecuidance de Narjeva qui lui a bondi dessus, se débat violemment pour la désarçonner ; et la colossale femme-serpent y parvient enfin : elle propulse l’assassin contre un mur, un coup très rude qui la contraint à lâcher sa rapière – elle avance à quatre pattes en direction du crâne… Myrkhan, qui n’est plus paralysé, tire à nouveau sur la slorth, en visant la tête – il blesse la créature magique, qui souffre visiblement… mais pousse un sifflement assourdissant : ses plaies se referment à nouveau ! Orom s’est désengagé de l’emprise de Liu Jun-Mi pour tenter de ramasser son épée ; le gladiateur s’en doute bien, et espère en profiter, en faisant une manœuvre destinée à l’immobiliser : le Miti doit à nouveau lâcher son arme à peine ramassée, et la forte poigne du Ghataï l’étouffe !

 

Nepuul essaye de débarrasser Myrkhan et dans une moindre mesure Liu Jun-Mi des enfants qui les gênent, mais ces petits démons glissent comme des anguilles. Redhart, lui, s’en moque, et balance à nouveau un brutal coup de sa hache d’abordage de Parsool… qui passe à côté. Orom essaye de se libérer de l’emprise de Liu Jun-Mi, mais ce dernier, un gladiateur formé à bonne école, le domine toujours. La slorth, emportée par sa rage, n’use pas cette fois de son pouvoir de paralysie, et cherche plutôt à mordre Redhart – cependant, la créature n’est pas des plus agile, avec sa masse conséquente, et le mercenaire l’esquive sans trop de difficultés. Narjeva, toujours au sol, se détourne de la slorth : le rictus moqueur du crâne l’insupporte au plus haut point : elle s’en saisit, et en perce les yeux avec ses ongles ! Mais elle comprend aussitôt que ce geste impulsif n’était pas une très bonne idée – une sensation désagréable s’empare d’elle, avec la conviction de faire l’objet d’une malédiction pour s’en être prise ainsi à ce qu’elle comprend être le crâne d’un Roi-Sorcier… Même percés, ces yeux la fixent en ricanant ! Myrkhan, lui, s’en prend toujours à la slorth… et rate lamentablement : sa flèche perce la gorge d’un des enfants, qui meurt sur le coup ! Liu Jun-Mi, confiant en sa force, tente d’asphyxier Orom entre ses bras puissants – manœuvre audacieuse, sa proie est forte comme un bubalus… mais le gladiateur, sans étouffer totalement le Miti, le place bel et bien dans une situation très inconfortable – il lui devient plus difficile encore de se débattre pour se libérer ! Le Ghataï constate aussi que Dill Sendak s’est cette fois emparée de sa dague… et semble plutôt disposée à la retourner contre elle : il hurle à ses compagnons de s’occuper d’elle !

 

Nepuul agacé par les enfants cherche à en assommer un avec son bâton, mais il n’est pas suffisamment agile… Redhart ne se montre pas plus efficace de son côté contre la slorth ! Orom gonfle ses poumons, lâche un cri primal, et met tout ce qu’il a pour se libérer de l’emprise de Liu Jun-Mi : puisant dans ses dernières ressources, le Miti parvient enfin à repousser le Ghataï. La slorth furieuse vise Myrkhan, mais ses crocs n’inquiètent pas le moins du monde l’archer de Tyrus. Narjeva, du fait de la malédiction des Rois-Sorciers, se montre indécise… Myrkhan quant à lui continue de s’en prendre à la slorth – et il n’y a plus de gamin pénible pour le gêner : assurant son tir, il vise l’œil de la créature reptilienne – il touche, la femme-serpent fait une fois encore appel à ses facultés de guérison, mais il apparaît évident à tous qu’elle n’a pas des réserves infinies : elle ne pourra pas continuer ainsi très longtemps. Liu Jun-Mi repoussé par Orom lui inflige cependant un violent coup de coude au visage – le Miti chancelle : il suffirait de pas grand-chose pour l’achever…

 

Nepuul, en désespoir de cause, se dirige vers Dill Sendak pour la maîtriser – ce qui implique de passer à côté de la slorth ; la masse de la créature, et ses mouvements intempestifs, gênent l’alchimiste dans son déplacement. Redhart cependant parvient enfin à placer un coup dévastateur : il décapite la slorth ! La tête de la créature est propulsée hors de la terrasse dans un ultime sifflement, tandis que les anneaux du corps serpentin s’affaissent lourdement… Les enfants et Dill Sendak poussent alors un hurlement de désespoir ! Orom n’en pense visiblement pas moins… mais la férocine s’est emparée de lui, il n’est pas en mesure de faire autre chose que combattre Liu Jun-Mi, sans même chercher à ramasser son arme : il se projette en avant, tel un bolide, et Liu Jun-Mi déjà bien amoché ne parvient à l’esquiver qu’in extremis… Mais le Miti percute le mur à toute vitesse ! Narjeva, consciente des intentions suicidaires de Dill Sendak, se précipite sur la jeune fille et interrompt son geste au dernier moment, la saisissant par le bras juste avant qu’elle ne s’éventre avec sa dague ! Elle la maîtrise – ils doivent la ramener vivante… Débarrassé de la slorth, Myrkhan s’en prend désormais à Orom : une ultime flèche dans le dos abat le colosse désespéré.

 

Dill Sendak hurle de chagrin, mais Narjeva l’empêche de faire tout geste malavisé… Les enfants sont dans un même état d’esprit, terrifiés et affligés de ce qui s’est passé sous leurs yeux… Trop en fait pour s’en prendre aux personnages ou les gêner de quelque manière que ce soit : leur monde s’est effondré. Redhart rejoint Narjeva : ensemble, ils ligotent (et bâillonnent) la jeune noble – qui finit par se laisser faire, les yeux dans le vide, y compris quand le mercenaire de Parsool la place sur son épaule, comme un fagot ; une dose d’yzane administrée par Nepuul Qomrax se montre utile à cet effet.

 

Mais Liu Jun-Mi, qui s’est beaucoup dépensé dans le combat contre Orom, ressent enfin la douleur de ses nombreuses blessures : il appelle Nepuul à l’aide, le médecin faisant de son mieux pour stabiliser l’état de son patient et lui apporter un semblant de réconfort immédiat. Redhart suggère à son ami ghataï de faire dès que possible l’acquisition d’une armure et d’une bonne lame en acier… Cela dit, le gladiateur ne manquait certes pas de style : à mains nues contre un colosse armé d’une épée longue ! Impressionnant…

 

III : FUIR LE SANCTUAIRE

 

Mais les personnages ne peuvent pas s’attarder : le combat sur la terrasse, et les hurlements de Dill Sendak et des enfants, ont réveillé les prêtres mitis dans le dortoir – Narjeva et Nepuul entendent qu’il y a de l’agitation dans la partie sud du sanctuaire…

 

La terrasse se situe à une bonne douzaine de mètres de hauteur – et redescendre par les escaliers risquerait de prendre du temps. Cependant, la pente de la pyramide n’est pas trop brutale, et la pierre noire et lisse offre une issue tentante – Redhart aussi bien que Narjeva sont très enthousiastes à cette idée ! D’autant que les personnages se retrouveraient ainsi immédiatement face au mur nord du sanctuaire : ils n'auraient alors plus qu’à le franchir, et filer jusqu’à la nef volante d’Orom ! Nepuul et Redhart sont relativement confiants dans leur aptitude à faire décoller l’appareil.

 

L’alchimiste hésite à emporter le crâne du Roi-Sorcier – dont les yeux percés par les ongles de Narjeva se sont entre-temps reconstitués. Mais il y renonce finalement : le poids de la malédiction, qu’il devine, serait trop lourd à porter, dans pareille situation d’urgence ; l’alchimiste sait bien qu’il se trouverait de ses plus habiles confrères, et plus encore de puissants sorciers, pour débourser des sommes folles afin d’acquérir pareil objet… mais ce n’est vraiment pas le moment. Dans un soupir, il laisse là le crâne moqueur...

 

Les héros quittent donc la terrasse en glissant sur la pente de la pyramide ! Une décision grisante, dont ils se tirent bien – même si Liu Jun-Mi et Narjeva y récoltent quelques bleus au passage : rien de bien méchant dans l’absolu, mais le gladiateur était déjà bien abîmé par son combat contre Orom… C’était tout de même le meilleur moyen de regagner en vitesse le plancher des bubalus.

 

Les personnages se retrouvent donc en face de la muraille nord, tandis que des cris proviennent du dortoir plus au sud – et la lumière de torches se devine dans cette direction. Il faut partir au plus vite : Myrkhan lance le grappin par-dessus la muraille, qu’il leur faudra escalader rapidement. Hélas, l’affaire se montre bien vite laborieuse ! Si Redhart parvient à monter sans souci, même avec l’encombrante Dill Sendak, de même que Narjeva puis, plus difficilement, Liu Jun-Mi blessé, Nepuul et Myrkhan échouent quant à eux à plusieurs reprises, et sont toujours à l’intérieur du sanctuaire quand une première vague de cinq prêtres mitis arrivent sur les lieux…

 

Le Zaluti, qui échoue encore à grimper, se résout enfin à saisir sa potion de feu alchimique, prêt à en faire usage sur les arrivants ! Narjeva, sur le rempart, se munit de son arc, mais les prêtres attaquent les premiers – ils blessent l’alchimiste, mais pas l’archer de Tyrus ; ce dernier tente de riposter avec sa hache, mais n’a pas davantage de succès. Voyant comment la situation évolue, Redhart abandonne Dill Sendak ligotée et saute de la muraille à l’intérieur du sanctuaire, sa hache d’abordage de Parsool dirigée contre les assaillants de Nepuul… mais il se réceptionne mal ! L’alchimiste tente le tout pour le tout : criant à ses amis de se reculer (ce qui n’a rien d’évident pour Redhart, dans ces conditions…), il jette sa potion de feu alchimique sur les prêtres : le liquide brûlant se répand dans une gerbe de flammes, sur un rayon de trois mètres… et les Mitis n’en réchappent pas ! Problème : Nepuul lui-même ainsi que Redhart sont eux aussi blessés, et assez sévèrement…

 

Mais ils ont gagné du temps : ils peuvent tous retenter de grimper, avant qu’une deuxième vague de prêtres, qu’ils entendent à distance, les rejoigne. C’est laborieux, mais, en s’aidant autant que possible, tous parviennent enfin à franchir la muraille… De l’autre côté, pour l’heure, ils ne sont pas menacés. Ils courent, autant que possible (car Liu Jun-Mi, Nepuul et Redhart sont assez méchamment blessés), dans la direction du nord, pour rejoindre la clairière où Orom a posé la nef volante qu’il avait empruntée.

 

Une fois monté à bord de l’appareil, Nepuul gagne le poste de pilotage, dont il a compris le fonctionnement – quelques souvenirs lui reviennent, du temps où il avait vu des confrères travailler sur des plans de ces engins commandés par la cité de Satarla. Il a besoin, idéalement, de deux assistants : le passé de marin de Redhart le désigne aussitôt, mais ce dernier fait en sorte de compléter les instructions de l’alchimiste pour Liu Jun-Mi. Redhart confie l’arbalète lourde de la proue à Myrkhan, et Narjeva guette les environs, armée de son arc. Les prêtres approchent, à en croire les bruits qui viennent du sud… Mais, alors qu’ils sont encore à la limite de la clairière, Redhart vainc une pénible difficulté sur une poulie, et donne à Liu Jun-Mi les instructions qui lui permettront de faire de même : la nef décolle, et elle est bientôt hors de portée des flèches des Mitis

 

IV : RETOUR À SATARLA

 

Une fois en sécurité dans les airs, tandis que la nuit les environne, les personnages prennent enfin le temps de respirer un peu et de se remettre de leurs blessures, une fois que Redhart, se repérant aux étoiles, a pu indiquer le sud-ouest, c’est-à-dire la direction de Satarla, à Nepuul. Ce dernier peut alors laisser temporairement le poste de pilotage à un de ses camarades, le temps de soigner les blessés – Liu Jun-Mi en tête, puis Redhart… et enfin lui-même.

 

Le voyage prend quelques heures : les conditions sont bien meilleures qu’à l’aller, et les personnages ne sont pas engagés dans une course-poursuite impliquant un pilotage davantage casse-cou. Nepuul et ses assistants se gardent bien de commettre la moindre imprudence.

 

Dill Sendak reprend peu à peu ses esprits – elle est désespérée… Bien sûr, ses ravisseurs la gardent ligotée : ils se doutent qu’elle ne manquerait pas, autrement, de se jeter par-dessus bord ! Narjeva la fait parler, cependant – en douceur, curieuse de connaître son histoire (et Redhart l’est tout autant, qui aimerait en savoir le plus possible avant de remettre la jeune fille à ses parents ou à son fiancé Tourmar Latia). Le récit de Dill est décousu, mais la prêtresse de Nemmereth en comprend les grandes lignes : elle est effondrée, le rite de mariage avec son bien-aimé Orom n’a pas pu être mené jusqu’à son terme, elle n’a pas reçu la bénédiction de la déesse S’pirr (Narjeva comprend qu’il s’agit du nom de la slorth) ; elle n’a aucune envie d’épouser cet ignoble imbécile « qui pue le bubalus » qu’est Tourmar Latia, elle hait ses parents qui l’ont vendu à ce bouseux pour se réargenter (ce qui inclut son frère KhalamanRedhart lui annonce assez brutalement sa mort, mais elle s’en moque totalement…) ; elle hait tout autant cette bande de mercenaires sans foi ni loi qui a choisi de briser le rêve d’une vie contre monnaie sonnante et trébuchante, brutalisant au passage un peuple qui ne leur avait rien demandé…

 

Mais Narjeva comprend aussi, indirectement car Dill ne se montre pas explicite à ce propos, le fond de l'affaire : S’pirr était devenue folle, à l’époque de l’anéantissement des Rois-Sorciers, en prenant conscience de sa condition de slorth – une espèce purement femelle, qui ne pourrait jamais se reproduire, et ne comprendrait jamais des choses telles que le mariage. Son obsession l’a amenée à endosser un statut divin : s’insinuant dans une vieille pyramide de longue date délaissée, elle a travaillé pendant des siècles les mentalités de la tribu voisine des Mitis, jusqu’à bâtir une religion à sa gloire, qui serait centrée sur les rites du mariage et de la reproduction – d’où le cheminement spirituel marqué de la pyramide reconvertie, mais aussi l’injonction, pour tous les Mitis, de se marier au village et selon le rite du village, soit le rite de S’pirr ; la « déesse » poussait les guerriers de la tribu à chercher voire enlever des femmes issues d’autres peuples pour varier les cérémonies, d’où les origines ethniques très diverses constatées par Myrkhan quand il avait espionné le village ; mais si la slorth vivait ainsi l’amour par procuration, elle était tout autant avide d’une maternité qu’elle ne pourrait jamais connaître pour elle-même, et s’accaparait aussi tous les enfants du village jusqu’à l’âge de dix ans environ – et c’est bien pour cela que « ses » enfants étaient confinés dans le sanctuaire.

 

Les héros (?) arrivent enfin au « Joyau de la Lémurie », Redhart disposant un drapeau blanc à la proue pour ne pas inquiéter les autres nefs volantes. Nepuul dirige l’appareil vers la résidence des Sendak, où il se pose. Les Sendak accourent aussitôt, et c’est Redhart, bonhomme franc du collier au point parfois de la naïveté et en tout cas de l'indélicatesse, qui leur dresse un rapport sans complaisance ; leur fille « est complètement zinzin », elle veut se tuer, oh, et Khalaman Sendak est mort, aussi, etc. Les Sendak le prennent de haut, et la mort de leur fils les affecte visiblement, mais les personnages leur rendant la garde de son épée, et Nepuul ayant bien noté l’emplacement de sa tombe de fortune destinée à le protéger des charognards, les nobles ne peuvent finalement par leur reprocher grand-chose, et, s’ils ne vont pas tout à fait jusqu’à les remercier, du moins ne leur causeront-ils pas d’ennuis.

 

Du côté de Tourmar Latia, l’accueil est bien plus enthousiaste : le riche commerçant se moque du sort de Khalaman Sendak ou de ces sauvages dont il n’a que faire, la seule chose qui importe est qu’on lui a ramenée sa fiancée – le mariage aura bien lieu, et tant pis si cela ne sied pas à la jeune fille ! De toute façon, il ne cherchera pas à s’en faire aimer, pour lui ça n’est jamais qu’un moyen tant attendu de sortir de sa roture… Dès lors, Tourmar Latia ne reviendra pas sur sa promesse : en bon homme d’affaires, fidèle à sa parole, il fait amener une gigantesque balance, dans laquelle il installe littéralement Dill Sendak – déterminant son poids en ajoutant minutieusement pièces d’or, pierres précieuses et autres biens de valeurs dans l’autre plateau, en écho mesquin de la salle du premier étage de la pyramide… Les personnages quittent sa propriété avec une fortune impressionnante !

 

V : DÉPENSER LE BUTIN !

 

… Mais il n’en restera comme de juste à peu près rien quand ils débuteront leur prochaine aventure. C’est ainsi que font les héros qui arpentent la Lémurie : ils ne sont que rarement du genre à capitaliser… Comment dépensent-ils donc leur butin ?

 

Nepuul Qomrax échange l’intégralité de son salaire contre des composants alchimiques rares, qu’il achète auprès d’aventuriers parfois commissionnés par ses soins ; son laboratoire de Satarla se remplit ainsi de dizaines, de centaines d’ingrédients étranges : l’alchimiste n’a aucune idée de ce qu’il va en faire pour l’heure, mais est tout de même très satisfait de sa frénésie d’achats – il en fera forcément quelque chose un jour ou l’autre… Et il réfléchit, notamment, à faire une arme à partir de la corne d’elasmotherium qu’il a ramenée des Plaines de Klaar.

 

Redhart Finken rentre à Parsool, et commence par se livrer à des dépenses somptuaires ; puis il engloutit beaucoup d’argent dans des beuveries épiques, ou en dons aux membres de sa famille. L’essentiel, cependant, il l’investit dans une affaire que lui suggère un de ses six frères – le plus roué... et qui va le rouler, même si Redhart ne s’en rend pas encore compte : son frère lui fait miroiter de magnifiques opportunités de commerce, impliquant d’affréter un très dispendieux navire ; c’est chose faite… mais le bateau disparaît bien vite au large, et Redhart commence à s’étonner de ce qu’il ne revienne toujours pas, avec tous les trésors promis ; un contretemps, sans doute…

 

Myrkhan est retourné à Tyrus. Il entend se poser en protecteur des gamins de rues, lui qui en était encore un il n’y a pas si longtemps. Prisant maintenant la discipline, depuis son passage dans l'armée de la cité, il entend élever ces petites canailles pour en faire des soldats efficaces – mais si les enfants acceptent volontiers ses dons, ils n’ont aucune intention de satisfaire ses ambitions ; bien au contraire, la protection de Myrkhan leur paraît un gage d’impunité, et ils chapardent plus que jamais – les commerçants dépossédés sont ravis d’avoir quelqu’un à qui adresser la facture, et Myrkhan perd bien vite tout son butin… Voire un peu plus : il doit quitter précipitamment Tyrus quand il n’est plus en mesure d’honorer les dettes des gamins de la ville !

 

Liu Jun-Mi prend quelques vacances… puis décide de se procurer un ours : peut-être se montrera-t-il plus utile que ces satanés et capricieux yi qi !

 

Narjeva, enfin, ne prise pas plus que cela l’argent. Elle fait un don très conséquent au culte de Nemmereth, notamment dans sa ville natale d’Urceb – elle en attend une certaine reconnaissance en contrepartie. Elle se livre bien à quelques emplettes pour améliorer son matériel d’assassin… Mais, surtout, elle tend à ruminer ses mauvaises expériences dans les Plaines de Klaar ; dans un geste futile, elle finance une petite expédition de chasseurs pour lui ramener des peaux de crocators – elle s’en ferait bien un sac et des bottes…

 

Le scénario Mariage amer s’achève ici. Mais les aventures de nos héros se poursuivront dans un autre scénario, très probablement officiel, que je n'ai pas encore choisi (j'ai plusieurs pistes).

 

Et donc : à suivre…

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"Le masque du démon", de Mario Bava

Publié le par Nébal

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Titre original : La Maschera del demonio.
Titres alternatifs : Black Sunday, House Of Fright, Mask Of The Demon, Revenge Of The Vampire, The Demon’s Mask, The Hour When Dracula Comes, The Mask Of Satan.
Réalisateur : Mario Bava.
Année : 1960.
Pays : Italie.
Genre : Fantastique / Horreur / Gothique.
Durée : 87 mn.
Acteurs principaux : Barbara Steele, John Richardson, Andrea Checchi, Ivo Garrani, Arturo Dominici, Enrico Olivieri…
 
 
Nombreux sont les incontournables dans la longue histoire du cinéma fantastique ; rares, cependant, parmi ces classiques, sont ceux qui font réellement peur : certains films de Tourneur, peut-être, et probablement le superbe The Haunting de Robert Wise… Plus rares encore, parmi ces chefs-d’œuvre, sont ceux que l’on peut qualifier de films d’horreur à proprement parler. Jusqu’à présent, je n’en connaissais pas vraiment… Et puis j’ai vu Le masque du démon de Mario Bava.
 
Mario Bava. Un nom qui m’effrayait un tantinet il y a encore peu de temps. Il faut dire que l’abondance de séries Z plus ou moins nanardeuses produites en Italie des années 1950 à 1980 a de quoi forger une réputation indue, en noyant des perles sous le fumier… Quelle erreur, pourtant ! Le cinéma populaire italien, en ce temps-là, avait de véritables maîtres, capables de réaliser d’excellents films, tout en acceptant les règles du cinéma d’exploitation. On connaît Sergio Leone, bien sûr, et Dario Argento également (qui est tombé bien bas, hélas…) ; on pourrait évoquer de même, parfois, Lucio Fulci, et bien d’autres encore. Et il y a Mario Bava. Rien à voir avec son tâcheron de fils Lamberto : à en croire le discours dominant, Bava, le vrai Bava, le paternel, c’est le plus grand, tout simplement. Jusqu’ici je restais un peu sceptique : La Baie sanglante, son film culte renouvelant les règles du giallo pour accoucher, dans la douleur et l’hémoglobine, du slasher, m’a plutôt fait l’effet d’un navet, en dépit d’indéniables qualités cinématographiques. Alors je n’osais pas vraiment regarder le reste. Erreur, erreur stupide. Le début de la carrière est visiblement d’un autre tonneau. Et notamment cet extraordinaire Masque du démon, révolutionnaire et à l’influence incomparable… et qui est le premier film de son auteur (plus exactement, le premier film pour lequel il fut crédité à la réalisation ; auparavant, il était un directeur photo recherché, et avait à l’occasion manié la caméra pour remplacer un réalisateur défaillant).
 
La Moldavie, au XVIIe siècle. La princesse Asa, accusée de sorcellerie et de vampirisme, est attachée à un bûcher ; près d’elle, le corps sans vie de son amant Igor. Son frère la renie, les prêtres à ses côtés la vouent aux flammes de l’Enfer. Elle les maudit, tous, proclame haut et fort son allégeance envers Satan, et jure qu’elle reviendra pour se venger de ses tortionnaires. Jusqu’ici, rien de très original, même si c’est d’ores et déjà magnifique ; dans un superbe noir et blanc, c’est l’atmosphère classique, oppressante et grandiloquente, du gothique anglais, qui connaît alors un franc succès avec les films de la Hammer, que l’on retrouve, et l’influence ne saurait faire de doute. Pourtant… Le bourreau se saisit d’un masque de fer, dont la face intérieure est garnie de pointes ; il le pose lentement sur le visage de la sorcière… et tout autant sur le visage du spectateur, la caméra étant ici subjective. Puis il s’empare d’un gigantesque maillet et… d’un coup sec, enfonce le masque dans le crane de la pauvre victime. Là, nous sommes dans l’horreur ; la réaction du spectateur est physique ; on est exorbité, ahuri, sous le choc d’une violence inattendue pour un film d’épouvante de 1960 : on est au-delà du gothique, dans une forme d’horreur plus contemporaine, plus crue, plus réaliste, plus sadique aussi. Et l’on prend conscience que le spectacle qui nous attend sera unique.
 
200 ans plus tard. Le docteur Thomas Kruvajan et son jeune assistant, Andre Gorobec, se rendent à un congrès scientifique. La route qu’ils empruntent est mauvaise ; les gens l’évitent, qui se souviennent de la malédiction de la sorcière. Mais les éminents médecins raillent cette superstition. Quand leur diligence s’enlise, ils en profitent même pour visiter le tombeau de la princesse Asa : son cercueil dispose d’une vitre, afin de maintenir toujours sous les yeux de la vampiresse la croix du Christ qui l’empêche d’accomplir sa vengeance ; sous son horrible masque, elle semble étrangement conservée… Soudain surgit une chauve-souris, qui attaque de manière inexplicable le docteur Kruvajan ; dans la lutte, ce dernier se blesse, répandant du sang sur le cercueil et brisant la croix et la vitre. La malédiction va pouvoir s’accomplir, le spectateur en est conscient, si les docteurs l’ignorent. Ceux-ci, en sortant du caveau, rencontrent une étrange jeune fille, au visage à la fois séduisant et inquiétant : il s’agit de Katia, la descendante d’Asa… et son portrait craché. Bientôt, l’horreur déferlera sur la pauvre jeune fille.
 
Je ne détaillerai pas davantage l’histoire. Il suffira de savoir qu’elle fourmille en séquences angoissantes ou terrifiantes, et n’a sans doute pas grand chose à voir avec la nouvelle de Gogol censément à l’origine du film…
 
Simplement… C’est magnifique. La réalisation, la photographie, sont de toute beauté ; certaines scènes sont d’authentiques tableaux, à la composition phénoménale. Les ombres sont utilisées avec une pertinence et une efficacité remarquables. La brume, le montage, le maquillage… Tout contribue à faire de ce film un sommet de l’horreur gothique, avec ces pointes de sadisme et de sensualité toutes latines, parfois très surprenantes, qui lui donnent en outre un cachet unique.
 
Pour ce qui est de l’interprétation, si John Richardson est assez faible dans le rôle du jeune docteur Gorobec, les autres sont assez convaincants, sans être exceptionnels ; ceci dit, Andrea Checchi et Arturo Dominici sont souvent impressionnants, voire terrifiants, tant Bava est habile à mettre en valeur leurs traits si particuliers. Mais, surtout, il y a Barbara Steele, qui est tout simplement phénoménale ; ce film devait la marquer à vie : à jamais, elle serait une actrice de fantastique, la plus grande certes, mais elle ne pourra véritablement s’échapper du genre, malgré quelques tentatives. Et, souvent, elle retrouvera ce rôle double, alternant entre l’innocence apeurée et l’horreur cruelle : elle est en effet à la fois l’horrible sorcière Asa et sa victime Katia, et joue à merveille cette dualité foncièrement inquiétante. Son visage est unique : sa beauté, si elle ne saurait faire de doute, à quelque chose de dérangeant, de troublant… Elle cabotine, certes, ses yeux grand ouverts roulant plus que de raison. Mais elle est tout simplement fabuleuse ; elle est le visage de la peur, qu’on subit ou qu’on inflige. Elle est unique.
 

Ce qui n’était au départ qu’une banale série B d’horreur, transcendée par tous ces atouts, devient un chef-d’œuvre à part entière, dont l’influence se fait encore grandement sentir aujourd’hui. C’est un incontournable, tout simplement. Et un des plus beaux films d’horreur qu’il m’ait été donné de voir.

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Point du jour, de Léo Henry et Stéphane Perger

Publié le par Nébal

Point du jour, de Léo Henry et Stéphane Perger

HENRY (Léo) et PERGER (Stéphane), Point du jour (La Ballade de Gin & Bobi et autres récits de Point du jour), couverture et illustrations intérieures de Stéphane Perger, Paris, Scylla, coll. 111 111 +, [2012-2016] 2017, 169 p.

OU L’IMPOSSIBILITÉ DE LIVRER UNE (VRAIE) CRITIQUE

 

Les habitués de ce blog (y en a ?) ont sans doute eu bien des occasions d’y croiser le nom de Léo Henry – encore que, moins que l’on aurait pu le croire, en fait : c’est que, à une époque, j’ai été amené à travailler (disons), via Dystopia essentiellement (mais il faut y ajouter Le Naurne, avec luvan et Laure Afchain, ainsi que le premier septième numéro du fanzine Bazaar Maniac), sur des livres du talentueux bonhomme, dès lors impossibles à critiquer en ces pages interlopes – ce qui explique par exemple pourquoi je n’ai jamais livré la moindre critique des livres en rapport avec Yirminadingrad, écrits en collaboration avec le très regretté Jacques Mucchielli, et y associant ensuite également les excellents aussi Stéphane Perger et Laurent Kloetzer. Ce qui ne m’a pas empêché de les adorer, je peux bien le dire maintenant, en toute bonne foi. Et d’autres choses encore signées Léo Henry, comme, pour m’en tenir aux titres les plus récents et hors Dystopia-Scylla, Philip K. Dick Goes to Hollywood ou encore La Panse – ces derniers, toutefois, relèvent peut-être d’un versant plus « abordable » de Léo Henry, là où Point du jour, qui nous intéresse aujourd’hui, à l’instar de certaines yirminadingraderies et de certaines des Nouvelles par e-mail (j’y reviendrai çà et là), c’est peut-être davantage la face nord (à supposer que la face nord est la plus ardue, mais, Taniguchi ou pas, moi et l’alpinisme, bon…).

 

D'où deux difficultés, peut-être rédhibitoires, quand il s’agit de chroniquer tout cela :

 

1) L’auteur est un copain. C’est dit. Ça ne me facilite pas la tâche, qu’il s’agisse d’en dire du bien ou du mal – dans une égale mesure, je crois. J’ai l’audace niaise de me croire capable, dans l’absolu, de faire preuve d’objectivité quand c’est nécessaire, mais je pourrais me tromper – à vous de voir ce qu’il en est au-delà de cet aveu préliminaire.

 

2) Putain, j’ai rien compris à ce bouquin… Mais rien de rien. Et c’est sacrément problématique, tout de même. Disons franchement les choses : j’ai failli abandonner ma lecture en cours de route. Je me suis fixé, passé un moment, une page-limite, la quatre-vingtième, pour déterminer si ça valait le coup de continuer (j'expliquerai le comment du pourquoi plus loin). Arrivé à ladite page, j’ai supposé qu’il valait mieux continuer. Ce que j’ai fait, et je ne le regrette pas. Reste que je n’y ai rien panné, dans l’ensemble... Pourquoi, alors, avoir continué ? C’est une des choses qu’il me faudra tenter d’expliquer dans cet article qui s’annonce un peu confus...

 

111 111 +

 

Point du jour, ou plutôt, titre complet, La Ballade de Gin & Bobi et autres récits de Point du jour, est un recueil de nouvelles empruntant le cadre commun de... Point du jour. C’est quoi, Point du jour ? Voyez la section suivante de cet article, et tremblez devant mon incompréhension…

 

Mais parlons plutôt ici de l’histoire éditoriale, disons : le recueil est partiellement inédit – trois des dix textes le composant n’avaient jamais été accessibles auparavant, dont la novella « La Ballade de Gin & Bobi », de très loin le plus long texte du recueil : l’essentiel, au plan prosaïque du nombre de caractères, est donc totalement inédit.

 

Mais le reste guère moins, au fond… Si la nouvelle « Au carrefour agenouillé », qui ouvre le bal, figurait dans le recueil Le Diable est au piano, paru à La Volte en 2013, deux autres ont été publiées dans des revues à la diffusion éventuellement confidentielle (« Down There by the Train » dans Angle Mort, dont j’avais beaucoup aimé les premiers numéros, et « Jersey Girl » dans Secousse), puis quatre dans le cadre des Nouvelles par e-mail de l’auteur – une publication très informelle donc, pour des textes souvent brefs (voire très brefs) et plus qu’à leur tour hermétiques (mais ça c’est moi). L’ensemble a été composé entre 2012 et 2017, jusqu'à constituer ce petit volume.

 

Qui a d’autres particularités au-delà : ainsi, il est publié aux éditions Scylla, cousines de Dystopia – par des gens bien, donc. Et dans le cadre de l’improbable collection « 111 111 » (qui ne comptait jusqu'alors qu’un seul titre, Il faudrait pour grandir oublier la frontière, de Sébastien Juillard), au concept tout de même particulier : livrer une novella inédite faisant très précisément 111 111 signes, de la première lettre du titre au point final. Allons bon. Vous me direz : personne ne va compter les signes pour vérifier. Et c’est vrai. Mais, honnêtement, Léo Henry aime bien les jeux de contraintes (ah ?), et je ne doute pas que sa novella inédite compte très précisément ces 111 111 signes, etc.

 

Ladite novella, c’est donc « La Ballade de Gin & Bobi », qui compte vingt-quatre très brefs chapitres et constitue le gros du recueil. Mais c’est donc bien, cette fois, d’un recueil qu’il s’agit – parce que les règles, bon, hein. En fait de « 111 111 », nous avons donc un « 111 111 + », où neuf nouvelles bien autrement courtes encadrent la centrale « Ballade de Gin & Bobi » – centrale dans tous les sens du terme, car c’est bien ici le texte qui occupe le (long) milieu du recueil, mais c’est aussi le récit qui permet (à ceux capables de le saisir, je n’en ai pas exactement fait partie) de lier tous les autres, comme un anneau maléfique disons : les personnages de Gin et Bobi, auxquels il faut semble-t-il ajouter ce type qui aimerait bien qu’on l’appelle Ishmaël (et qui se fait très vertement rembarrer, bien fait pour sa gueule, oh), et d'autres encore, et d'autres trucs au-delà des personnages.

 

Ceci en notant que l’auteur, joueur (ah ?), nous livre en fin de volume trois ordres de lecture différents : la table des matières, l’ordre de la narration, et l’ordre de la collation (entendre par-là, semble-t-il, l’ordre de conception et de livraison des textes) ; parce que je suis affreusement banal et ennuyeux comme garçon, j'ai lu Point du jour dans l’ordre de la table des matières – c’est navrant, je sais, quel manque d’audace, etc.

 

Ah, et, il faut y ajouter, pour les plus pervers, une playlist directement liée aux titres des nouvelles, mais qui comprend beaucoup trop de Johnny Cash pour être honnête (à mes oreilles d’inculte ; oui, je ne connais à peu près rien de tout ça).

 

Enfin, l’excellent (lui aussi) Stéphane Perger est associé à l’entreprise, avec son nom sur la couverture, au même niveau que celui de Léo Henry – et non en tant qu’ « illustrateur » noyé dans les crédits. Cela avait déjà été le cas, notamment, dans Bara Yogoï et Tadjélé, mais je ne sais pas, dans le cas présent, si cela traduit un rôle particulier dans le processus créatif (entendre par-là qu’il n’aurait pas seulement illustré des nouvelles déjà écrites par Léo Henry, mais aussi travaillé en amont ou en parallèle, etc.). Quoi qu’il en soit, il livre une fois de plus un travail admirable : ce Point du jour est un très joli objet.

 

SITUER POINT DU JOUR (VAINES TENTATIVES POUR)

 

Mais, bordel, c’est quoi, Point du jour ? Ou plutôt : c’est quoi, Point du jour ? Excellente question, hein ? À moins qu’il ne s’agisse de la pire de toutes, d’emblée un témoignage de ce que je n’ai absolument rien panné à tout ça…

 

On suppose qu’il s’agit d’un contexte général des dix nouvelles – on suppose, car on ne nous le dit pas au-delà du titre complet, les punks de Scylla comme ceux de Dystopia étant contre les quatrièmes de couverture. Reste que, tout naturellement, j’ai été tenté de « situer » Point du jour – un réflexe bien connu sans doute des amateurs de science-fiction comme de fantasy (nan, y a pas de carte).

 

Les premiers récits m’ont évoqué des images renvoyant tantôt au western, tantôt au post-apocalyptique – ou les deux à la fois, car ça n’a assurément rien d’incompatible. Mais d’autres éléments, plus loin dans le texte, ont pu m’éloigner de ces présupposés (peut-être un peu ternes par ailleurs, ou en tout cas trop communs) – ne serait-ce que parce que ce monde, que je concevais à vue de nez plutôt désertique et sauvage, un avatar chelou de la Frontière, chelou oui mais d’abord Frontière, s’avère en fait éventuellement dense et émaillé de traits marqués de civilisation – les plus marqués, en fait : des chaînes de supermarché (françaises – comment ça tue trop l’ambiance !) et des motels Heartbreak Hotels, allons bon… De quoi ranger, même si dans un soupir de frustration, ses colts et son cache-poussière.

 

Mais bon, c’était un mauvais point de départ, hein ? À l’évidence, nous sommes en milieu urbain, avec Point du jour – portuaire, même ; la mer pue l’égout et en a la couleur, mais ça ressemble quand même à la mer. On dirait. Mais le problème, alors, c’est peut-être d’en délimiter les frontières, à défaut de la Frontière – ça va visiblement plus loin que la Zone Économique Exclusive : en fait, la ville portuaire pourrait tout aussi bien avoir les dimensions d’un monde entier, allez, c’est même plutôt ça, peut-être – avec aussi tout un réseau de tunnels, habitats chthoniens de rats-taupes et de lombrics qui sont aussi des hommes et des femmes, ou bien.

 

Ou bien.

 

Mais au moins c’est de la SF, hein ! Bobi est une gynoïde, un robot ! Ça fait du bien de pouvoir se rattraper à quelque chose – même une amazone de synthèse.

 

Bref : d’emblée, le cadre me laisse perplexe, car, et Bobi n’y change en fait rien (c’était une fausse piste, moi aussi je peux en semer, aha), il est essentiellement insaisissable. Du moins pour une tanche de type nébalien (régressif).

 

La playlist et les titres de nouvelles en forme de chansons pourraient donc éclairer Ceux Qui Savent Déjà, cela dit – mais ce n’est pas mon cas ; et Johnny Cash sait très bien ce qu’il peut en faire, de sa « couronne d’épines » (never forget, never forgive).

ARRÊTE DE LIRE, NÉBAL : TU NE COMPRENDS RIEN

 

Je suis donc supposé comprendre quelque chose à tout cela, quand je n’en comprends même pas le cadre ?

 

C’était mal engagé. Les premiers récits ne m’ont certes pas facilité la tâche. À chaque page, le même sentiment : formellement c’est assez joli, c’est encore mieux quand il y a des illustrations de Stéphane Perger en miroir, mais j’y capte zobi. Les phrases défilent, elles impriment l’œil, exceptionnellement s’insinuent jusqu’au cœur sinon à la tête, mais le sentiment demeure, de ne rien panner, et qui s’avère de plus en plus frustrant à mesure que cette incompréhension généralisée se perpétue.

 

Je me suis dit – et c’est un préjugé que j’ai d’emblée associé aux Nouvelles par e-mail, en fait : Léo Henry envoie balader (ah !) tout récit, il fait dans le poème en prose. Ce qui est forcément mal – sauf chez Clark Ashton Smith et ses modèles rigolos Poe et Baudelaire (enfin, Poe, bon). Mais ce n’est peut-être pas le cas – il y a peut-être du récit dans tout ça. D'ailleurs, le titre complet du recueil mentionne bien des « récits de Point du jour », hein ? Ça ne peut pas être une blague ? Une mauvaise blague ?

 

Figurez-vous qu’avec toute l’estime, immense, que je voue à Léo Henry, je me suis quand même posé la question – en y associant même, parce qu’on ne se refait pas, plus qu’un soupçon de paranoïa. Genre, tout ceci est un piège conçu à Ma seule intention – afin de révéler à la face du globe (qui, oui, n’en a rien à foutre, mais c’est sans doute un détail) que, de manière générale, Je ne comprends rien à ce que Je lis.

 

Double effet Kiss Pas Cool, donc : d’abord, je ne comprends rien ; ensuite, j’ai l’impression qu’on se fout de ma gueule parce que je ne comprends rien.

 

Les pages défilent – assez lentement, d’ailleurs, parce que je m’accroche : moins je comprends, plus je fais des efforts (et, notez, là oui je m’en rends compte : ces efforts, je ne les aurais peut-être pas faits avec un autre auteur que le camarade Léo, probablement pas, même). Mais rien n’y fait... Je commence à me dire, vers la cinquantième page, que ça n’est pas la peine de continuer – ceci étant, c’est le moment où commence la novella « La Ballade de Gin & Bobi » : c’est le gros du recueil, le « 111 111 » qui justifie le « + », je me dis qu’il faut au moins tenter ça ; je me fixe une page-limite, la quatre-vingtième – grosso merdo la moitié du bouquin, et plus ou moins celle de la novella aussi.

 

Et, est-ce un miracle qui opère ? Arrivé à cette page-limite, je décide de continuer ma lecture jusqu’au bout. Non que j’y comprenne quoi que ce soit – sous cet angle, ça ne s’arrange pas vraiment (peut-être un tout petit peu quand même). Mais le ton plus (ouvertement ?) humoristique me parle davantage.

 

 

Tout en renforçant mon sentiment paranoïaque que l’auteur se fout de ma gueule – oui, très spécifiquement de Ma gueule. Ceci en raison du jeu sur la narration qui constitue d’une certaine manière le substrat de la novella.

 

Citons (p. 67) :

 

Ishmaël a un petit don pour les sourires mystérieux.

Ceux que son histoire ennuyait sont partis, à ce stade. Ceux qui demeurent plus faciles à tenir, peut-être.

Ils ne sont, après tout, pas beaucoup plus de dix.

 

PROVOCATION !

 

Et ça continue (p. 101) :

 

Au fur de son chapitre, Ishmaël a vu ses auditeurs filer les uns après les autres. De douze on passe à neuf, et de six à moins de quatre. Lorsque le dernier s’en va sans croiser son regard, sourire marri au travers de la face, le conteur se lève pour suivre le mouvement.

 

RE-PROVOCATION !

 

Tout ceci n’est pas très gentil, quand même – d’autant que je ne suis pas très « défis » comme garçon.

 

...

 

Enfin, oui, à l’évidence je suis susceptible.

 

Mais je suis aussi flemmard et veule.

 

Alors là encore, pour tout autre que Léo Henry...

 

UNE BALLADE POUR SE/ME RACCROCHER

 

Reste que « La Ballade de Gin & Bobi » m’a rattrapé pile au moment où je songeais plus que jamais à arrêter les frais. Non que j’y ai compris beaucoup plus que dans les « récits » (?) précédents – mais, je suppose, un tout petit peu plus quand même.

 

Peut-être pas assez pour vous résumer ou même simplement pitcher la chose, en fait. Essayons quand même : la femme lombric Gin accouche d’une petite fille du nom de Max, parce que c’est un nom bien pour une fille, ceci sous la protection de la gynoïde Bobi, sculpturale (eh) et qui a bien meilleur fond que son caractère – encore que, Gin la surpasse peut-être au niveau caractère (de cochon, même lombric). Pour des raisons que je n’ai pas bien saisi (…), le trio s’aventure dans des tunnels de rats-taupes, en quête d’un bonhomme du nom de Double Brasse, sorte de chirurgien mystique, qui devrait pouvoir les aider, euh, en faisant, euh, des trucs. Éventuellement dans le cadre déprimant d’un Heartbreak Hotel et en racontant des blagues, aha.

 

Éventuellement.

 

Mais tout ceci est un récit, n’est-ce pas. Un récit. Aha. Ça implique, ici sinon ailleurs (à moins que ce ne soit La Grosse Révélation De La Chose !), un conteur – le guignol qui aimerait bien qu’on l’appelle-lui Ishmaël. Il faut dire qu’il a ses raisons, son auditoire étant constitué de cétacés (hein ?). Et du coup Léo Henry le conteur derrière le conteur, à défaut des baleines et cachalots, l’appelle-lui Ishmaël – manière de rappeler QUI C’EST LE PATRON.

 

Et ce binôme joueur de jouer (donc) avec les codes de la narration – au gré d’une histoire qui s’affiche en tant qu’histoire, et improvisée encore, façon fan-service et qu’importe si les fans sont des cétacés (dit la baleine et elle se cachalot). Il y faut un monstre, du mystère, des digressions sinon c’est pas drôle, des flashbacks et des prémonitions pour faire artiste, ce genre de choses.

 

Et ça, pour le coup, ça m’a bien plu. Même avec la conviction qu’on se moquait de Moi (admettons que « parmi d’autres »).

 

(Admettons.)

 

Le ton y est pour beaucoup, à vrai dire. « La Ballade de Gin & Bobi » est donc un texte où la composante humoristique est importante, si elle n’est peut-être pas tout à fait seule. J’y ai vu, à tort ou à raison, un contraste marqué avec les textes qui précédaient (puis ceux qui suivaient) ; à tort peut-être, car quelques critiques lues çà et là avançaient que l’ensemble de Point du jour était très rigolo. Ah. Parce que je n’ai pas du tout eu cette impression, moi. Avant et après « La Ballade de Gin & Bobi », tout m’a paru bien plus grave – tristoune-darkesque, avec une emphase pouétique marquée ; peut-être celle d’un adolescent qui se fringue en noir, PARCE QUE.

 

Reste que « La Ballade de Gin & Bobi » est ce qui m’a permis de lire ce recueil jusqu'au bout. Sans y capter grand-chose, hein ; mais s’il n’y avait pas eu cette novella, j’en serais resté au stade du « je n’y capte absolument rien », et j’aurais bien fini par laisser tomber (genre à la page 80, donc – ou 83, pour faire rebelle à la lecture moins mécanique). C’est donc une putain de victoire – relativement. On a celles qu’on mérite, je suppose

QUELQUES IMAGES AUTOUR – ET DES NOMS

 

Mais autour de « La Ballade de Gin & Bobi » ? Des choses plus graves, donc – ou pas. Des choses peut-être très vaguement éclairées par la novella, qui permet au moins de donner des noms à quelques personnages. Si c’est d’une utilité quelconque – je suppose que ça l’est ; une supposition vague.

 

Reste quoi, alors ? Des images, je suppose – parce que la seule plume au sens le plus sonore, même très jolie, dans ce flou généralisé, n’aurait donc pas suffi à préserver mon intérêt plus que vacillant. Alors, quoi ?

 

Dans « Down There by the Train », les gens qui mangent le roi.

 

Dans « Le Bon Dieu n’est pas gentil », les gens qui courent.

 

Guère plus, hélas. Ces récits m’ont sans doute davantage parlé que les autres – même en n’y comprenant rien. Mais bon...

 

Aussi, à faire défiler les pages des récits précédant « La Ballade de Gin & Bobi » (puis ceux qui la suivent, mais le rapport n’est alors pas tout à fait le même), des noms qui ressortent : Bobi (OK), Gin (oui), Ishmaël, Double Brasse ; Maryjane aussi, que je n’avais pas mentionnée jusqu’à présent… Des liens qui peuvent « faire comprendre », peut-être – à des plus futés que moi.

 

C’est qu’à ce stade, même rassuré (un chouille) par la novella, je n’attendais finalement plus grand-chose des « récits » périphériques – l’expérience un brin douloureuse de totale incompréhension des textes antérieurs m’a blindé défavorablement pour les textes suivants.

 

Je n’en attendais « pas grand-chose » ? Enfin, si, peut-être quand même le récit, par Double Brasse, de « celle du chameau et du pastis-calva avec la cerise au milieu » (p. 118). En vain, ce qui est quand même bien, bien frustrant.

 

RIEN PANNÉ (MAIS – ADMETTONS QU’IL Y A UN MAIS)

 

Sentiment général concernant ce recueil. Non, je n’y ai rien panné. Et je pèse bien l’absurdité qu’il y a à vous soumettre dans les 20 000 signes espaces comprises pour vous dire et répéter que je n’y ai rien panné – bordel, quelque chose comme un sixième d’un titre de la collec' ! Non, je ne vais pas poursuivre jusqu'au bout…

 

J’ai aimé « La Ballade de Gin & Bobi », mais au point où ça m’a sauvé le recueil (ça et le fait qu’il s’agisse d’un très bel objet, merci Stéphane Perger). Je continuerai de faire l’éloge de Léo Henry, un écrivain assurément très talentueux, dont j’ai beaucoup aimé à peu près tout ce que j’ai lu – mais ce ne sera donc pas au critère de Point du jour. Je suppose que cet étrange ouvrage saura convaincre et charmer d’autres lecteurs, moins obtus que votre serviteur – mais, en l’état, je ne peux pas personnellement le recommander ; ce qui ne signifie en rien qu’il soit mauvais dans l’absolu, très probablement pas en fait – mais je fais dans le blog, là : je ne peux pas évacuer le ressenti personnel ; d’autant qu’en l’espèce, ça serait foncièrement malhonnête de ma part. Le fait est que je n’ai globalement pas aimé ce recueil.

 

Parce que je n’y ai rien compris.

 

Tiens, je l’ai répété encore une fois.

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La Vérité sur les femmes...

Publié le par Nébal


… et sur la sexualité, telle qu’elle ressort du Malleus Maleficarum (traduction d’Amand Danet). Morceaux choisis.

 

I, VI : Qu’en est-il des sorcières qui se livrent aux démons ?

 

« Certains docteurs donnent cette raison : Il y a, disent-ils, trois éléments dans la nature des choses : la langue, l’ecclésiastique et la femme, qui ne savent pas tenir juste le milieu en fait de bonté et de malice.

 

« […] De la malice des femmes parle beaucoup l’Ecclésiastique : Il n’y a pire venin que le venin u [sic] serpent, il n’y a pire haine que la haine d’un ennemi (d’une femme). J’aimerais mieux habiter avec un lion ou un dragon qu’habiter avec une femme méchante… (Et il conclut) : Toute malice n’est rien près d’une malice de femme. D’où Chrysostome parlant sur le texte de Matthieu (Il n’est pas sage de se marier) : La femme, qu’est-elle d’autre que l’ennemie de l’amitié, la peine inéluctable, le mal nécessaire, la tentation naturelle, la calamité désirable, le péril domestique, le fléau délectable, le mal de nature peint en couleurs claires. D’où, puisque la renvoyer est un péché et qu’il faut la garder, alors notre tourment est fatal : ou bien commettre un adultère en la répudiant, ou bien vivre dans des disputes quotidiennes. Tullius Cicéron aussi dit dans ses Rhétoriques : Les nombreuses passions de l’homme le conduisent chacune à leur vice ; mais une seule passion conduit les femmes à tous les vices ; à la base de tous les vices des femmes il y a la jalousie. Sénèque, dit aussi dans ses Tragédies : la femme, ou elle aime ou elle hait, il n’y a pas de troisième (voie). Une femme qui pleure est un mensonge : deux genres de larmes dans les yeux de femmes en même temps, les unes pour la douleur, les autres pour la ruse. Une femme qui pense seule pense à mal.

 

« […] D’où les blâmes que l’on peut lire, on peut les interpréter comme des attaques contre la concupiscence de la chair, la femme étant comprise comme le signe de la concupiscence, selon le dicton : J’ai trouvé la femme plus amère que la mort et la femme bonne soumise à la passion de la chair.

 

« Certains assignent d’autres raisons encore au fait que plus de femmes que d’hommes soient engagées dans la superstition. La première, c’est qu’elles sont plus crédules. D’où, comme le démon cherche surtout à corrompre la foi, il les attaque en priorité. En effet celui qui a la confiance facile montre sa légèreté, dit l’Ecclésiastique. La deuxième raison, c’est que les femmes sont naturellement plus impressionnables et plus prêtes à recevoir les révélations des esprits séparés. D’où, quand elles usent bien de cette aptitude, elles sont très bonnes ; autrement elles sont très mauvaises. La troisième cause enfin, c’est qu’elles ont une langue bavarde : ce qu’elles apprennent dans les arts magiques, elles le cachent avec peine aux autres femmes leurs amies ; et parce qu’elles sont faibles, elles cherchent un moyen de se venger plus facilement en secret par des maléfices. D’où l’Ecclésiastique encore : J’aimerais mieux habiter avec un lion ou un dragon qu’habiter avec une femme méchante. Toute malice n’est rien près d’une malice de femme. Et on pourrait ajouter : inconstantes dans l’être, elles le sont dans l’action.

 

« […] Mais puisqu’aux temps modernes la perfidide (de sorcellerie) se trouve plus souvent chez des femmes que chez des hommes, comme l’expérience l’enseigne ; nous qui cherchons à mieux fixer la cause, nous pouvons dire, complétant ce qui a été dit : parce qu’elles sont déficientes dans leurs forces d’âme et de corps, il n’est pas étonnant qu’elles songent davantage à ensorceler ceux qu’elles détestent. Pour ce qui est de l’intelligence et de la compréhension des choses spirituelles, elles semblent d’une nature différente de celle des hommes : c’est un fait appuyé par l’autorité et la raison, avec maints exemples dans l’Écriture. Térence dans Hécyre dit : Les femmes sont presque comme des enfants par la légèreté de la pensée. Et Lactance dans ses Institutions : En dehors de Thémeste, est-ce qu’une seule femme a jamais appris la philosophie ? Et le livre des Proverbes ose dire comme pour décrire une femme : Un anneau d’or au groin d’un pourceau : une femme belle mais dépourvue de tact. Or de cela, la raison naturelle, c’est qu’elle est plus charnelle que l’homme : on le voit de par ses multiples turpitudes. On pourrait noter d’ailleurs qu’il y a comme un défaut dans la formation de la première femme, puisqu’elle a été faite d’une côte courbe, c’est-à-dire d’une côte de la poitrine, tordue et comme opposée à l’homme. Il découle de ce défaut que comme un vivant imparfait, elle déçoit toujours. Ainsi Caton peut dire : quand elle pleure, elle travaille à tromper. Et on le voit dans (le cas de) la femme de Samson : l’assaillant de tous côtés pour savoir le problème posé par lui à ses congénères philistins, dès qu’il le lui eut exposé elle le leur révéla et ainsi le trompa. On le voit déjà dans (le cas de) la première femme : par nature elle a une foi plus faible ; au serpent qui l’interrogeait pour savoir pourquoi ils ne mangeaient pas de tous les arbres du paradis, elle répondit : Nous pouvons manger… sauf du fruit au milieu du jardin… de peur de mourir. Par là elle se révélait en train de douter et de ne pas avoir la foi aux paroles de Dieu. L’étymologie d’ailleurs du nom le démontre : Femina vient de Fe et minus, car toujours elle a et garde moins de foi.

 

« […] Pour ce qui est d’une autre puissance de l’âme, c’est-à-dire de la volonté naturelle : lorsqu’elle hait quelqu’un qu’elle a d’abord aimé, alors elle brûle de colère et d’impatience ; comme les vagues de la mer sont sans cesse en ébullition et en mouvement, ainsi elle est totalement en fureur. Bien des autorités font allusion à cet aspect. D’abord l’Ecclésiastique : Toute malice n’est rien près d’une malice de femme. Et puis Sénèque dans ses Tragédies : Nulle force, ni celle de la flamme, ni celle du vent furieux, nulle menace pas même celle du trait brandi n’est si redoutable que celle d’une épouse répudiée brûlante des feux d’une jalouse haine. On le voit aussi dans la femme qui accusa faussement Joseph et le fit emprisonner parce qu’il ne voulut pas consentir à un adultère criminel, selon la Genèse. Réellement la cause principale qui contribue à la multiplication des sorcières, c’est ce duel pénible entre les femmes mariées et non mariées et les hommes.

 

« […] Voilà pourquoi Valère raconte que Phoronée, roi des Grecs, dit à son frère Léonce : Pour un bonheur parfait rien ne m’aurait manqué, si m’avait toujours manqué une femme. Et Léonce répondant : Comment une épouse peut-elle faire obstacle au bonheur ? Il dit : Les maris le savent tous. Socrate lui aussi, interrogé pour savoir s’il fallait épouser une femme, répondit : Si vous n’en prenez pas, vous serez seul ; votre race va s’éteindre ; un étranger héritera de vous. Mais si vous le faites, ce sera l’inquiétude perpétuelle, les querelles amères, les reproches sur la dot, la pesanteur sur les relations, la langue bavarde de la belle-mère, le cocufiage, l’arrivée d’enfants douteux. Et il parlait en orfèvre : car, dit Jérôme contre Jovinien : Ce Socrate eut deux épouses, qu’il supporta avec beaucoup de patience, sans pouvoir se libérer de leurs humiliations et de leurs clameurs amères. D’où, un jour qu’elles criaient contre lui, il sortit de la maison pour fuir leurs insultes ; mais alors qu’il était assis devant la porte, elles jetèrent sur lui des eaux sales. Philosophe, il ne s’en troubla pas pourtant, disant : Je sais qu’après le tonnerre vient la pluie. On raconte aussi d’un autre dont la femme était tombée dans un fleuve, que cherchant le cadavre pour le sortir de l’eau, il marchait à contre-courant. On lui demanda pourquoi. Il répondit : Cette femme durant sa vie alla toujours contre mes paroles, mes gestes, mes ordres ; alors maintenant qu’elle est morte, je cherche à contre-courant au cas où jusque dans la mort elle aurait gardé la même habitude. De même en tout cas que pour le premier défaut (d’intelligence) elles en viennent plus facilement à renier la foi, ainsi de par le second, c’est-à-dire ces affections et passions désordonnées, elles cherchent, mûrissent et infligent diverses vengeances, soit par les sorcières, soit par tous autres moyens. Alors il n’est pas étonnant qu’il existe tant de sorcières de ce sexe.

 

« […] Sur cette domination des femmes, écoutez encore Tullius (Cicéron) dans ses Paradoxes : Est-il libre celui à qui sa femme commande, lui impose lois, préceptes et ordres ; lui interdit de faire ce qu’il désire ; celui qui ne peut ni n’ose plus refuser quand elle commande quelque chose ? Quant à moi je pense qu’il faut l’appeler non seulement un esclave mais le pire des esclaves, même quand il sort de la plus noble famille. Et voici encore Sénèque avec sa Médée (furieuse) : Pourquoi hésiter, ô mon âme ? Suis ton heureux élan. Combien cette partie de la vengeance, qui te réjouit tant, est peu de choses auprès du reste. Là il apporte des éléments montrant que la femme ne veut pas être gouvernée mais suivre son instinct même pour sa perte. On le lit par ailleurs de ces nombreuses femmes qui par amour ou par chagrin se sont suicidées de ne pouvoir exercer leur vengeance. Jérôme commentant Daniel, le raconte de Laodicée, femme d’Antiochus, roi de Syrie. Jalouse de le voir ainsi aimer davantage Bérénice, son autre épouse, elle fit d’abord tuer Bérénice et sa fille par Antiochus, puis elle s’empoisonna. Pourquoi ? Pour ne pas dépendre du roi mais de son instinct. D’où la juste réflexion de Chrysostome : Ô mal pire que tous les maux, la femme mauvaise, qu’elle soit riche, qu’elle soit pauvre. Si en effet elle est épouse d’un riche, elle ne cesse nuit et jour d’exciter son mari par des paroles insidieuses, méchamment jalouses et violemment importunes. Si par contre elle est femme de pauvre, elle ne cesse de l’inciter à la colère et à la dispute. Si elle devient veuve, alors elle prend sur elle de regarder chacun de haut alentour et l’esprit d’orgueil lui donne toutes les audaces. Cherchant bien, nous trouverons que presque tous les royaumes du monde ont été bouleversés à cause des femmes. Le premier royaume heureux s’il en fut, le royaume de Troie, à cause du rapt d’une femme, Hélène, fut détruit et des milliers de Grecs tués. Le royaume des Juifs subit bien des massacres à cause de la méchante Jézabel et de sa fille Athalie, reine de Juda, qui avait fait mourir les fils de son fils pour régner elle-même à sa place ; l’une et l’autre périrent. Le royaume des Romains souffrit de grands maux à cause de Cléopâtre, reine d’Égypte, la pire de toutes les femmes. Et ainsi des autres… Il n’est pas étonnant alors si le monde souffre encore de la malice des femmes.

 

« Enfin pour ce qui est du désir charnel de leur corps : d’où procèdent tant de maux innombrables pour la vie humaine ? À juste titre nous pourrions dire avec Caton d’Uttique : Si le monde pouvait être sans femmes, nous ne vivrions jamais sans les dieux. Car réellement : s’il n’y avait pas la malice des femmes, même en ne disant rien des sorcières, le monde demeurerait encore libre d’innombrables périls. Valère écrit à Rufin : Tu ne sais pas que la femme est une chimère, mais tu dois le savoir. Ce monstre prend une triple forme : il se pare de la noble face d’un lion rayonnant ; il se souille d’un ventre de chèvre ; il est armé de la queue venimeuse d’un scorpion. Ce qui veut dire : son aspect est beau ; son contact fétide ; sa compagnie mortelle.

 

« Écoutons encore ceci au sujet d’une autre de ses particularités, la voix : Menteuse par nature, elle l’est dans son langage ; elle pique tout en charmant. D’où la voix des femmes est comparée au chant des Sirènes, qui par leur douce mélodie attirent ceux qui passent et les tuent. Elles tuent en effet car elles vident la bourse, elles enlèvent les forces, elles contraignent à perdre Dieu. D’où Valère dit encore à Rufin : Quand elle parle, c’est un délice mais douloureuse est la faute : la fleur de Vénus est la rose, car sous sa pourpre il y a beaucoup d’épines. Comparez les Proverbes : Plus onctueuse que l’huile est sa parole, mais l’issue en est amère comme l’absinthe. Et de même au sujet de sa démarche, son port, son maintien : là c’est la vanité des vanités. Il n’y a nul homme au monde qui travaille à plaire au Dieu de bonté, autant qu’une femme ordinaire s’ingénie par ses vanités à plaire aux hommes. On a là-dessus un exemple dans la vie de sainte Pélagie quand, vouée au monde, elle parcourait Antioche en tenue extravagante. Un saint père, du nom de Nonnus, la vit et commença à pleurer, disant à ses compagnons que durant toute sa vie il n’avait jamais été aussi ardent pour plaire à Dieu… Finalement à ses prières elle se convertit. Voilà celle qui fait se lamenter l’Ecclésiaste – et aussi l’Église à cause de l’immense multitude des sorcières : Je trouve la femme plus amère que la mort ; car elle est un piège et son cœur un filet ; et ses bras des chaînes. Qui plaît à Dieu lui échappe, mais le pécheur y est pris. Plus amère que la mort, c’est-à-dire que le diable dont le nom est la mort (peste), selon l’Apocalypse ; car même si le diable conduisit Ève au péché, c’est Ève qui séduisit Adam. Et puisque le péché d’Ève ne nous aurait pas conduits à la mort de l’âme et du corps, s’il n’avait pas été suivi de la faute d’Adam à laquelle l’entraîna Ève et non le diable : on peut donc la dire plus amère que la mort. Plus amère que la mort encore : car celle-ci est naturelle et tue seulement le corps ; mais le péché qui a commencé par la femme tue l’âme la privant de la grâce et entraîne ainsi le corps dans la peine du péché. Plus amère que la mort aussi : car la mort corporelle est un ennemi effrayant mais manifeste, la femme au contraire est un ennemi charmant et dissimulé. C’est pourquoi, plus amer et plus dangereux, ce piège n’est pas seulement celui des chasseurs mais celui des démons. Les hommes en effet ne sont plus seulement captifs de leurs désirs charnels les voyant et les entendant, avec leur visage qui est un vent qui brûle et leur voix qui est un serpent qui siffle selon Bernard ; mais encore (elles attirent) par les maléfices d’innombrables hommes et bêtes. Leur cœur est appelé un filet, car inscrutable est la malice qui règne dans leur cœur ; leurs mains sont des liens, car là où elles les posent pour le maléfice, là avec la complicité du diable elles réalisent ce qu’elles entendent.

 

« Concluons donc : Toutes ces choses (de sorcellerie) proviennent de la passion charnelle, qui est en (ces femmes) insatiable. Comme dit le livre des Proverbes : Il y a trois choses insatiables et quatre qui jamais ne disent « assez » : le shéol, le sein stérile, la terre que l’eau ne peut rassasier, le feu qui jamais ne dit assez. Pour nous ici : les lèvres du sein. D’où pour satisfaire leur passion elles « folâtrent » avec les démons. On pourrait en dire davantage, mais pour qui est intelligent il apparaît assez qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que parmi les sorciers il y ait plus de femmes que d’hommes. Et en conséquence on appelle cette hérésie non des sorciers mais des « sorcières », car le nom se prend du plus important. Béni soit le Très-Haut qui jusqu’à présent préserve le sexe mâle d’un pareil fléau : Lui en effet qui en ce sexe a voulu naître et souffrir, lui a aussi accordé le privilège (de cette exemption). »

 

[…]

 

II, I : Quelqu’un peut-il être à ce point protégé par les bons anges qu’il ne puisse être « maléficié » par démons et sorciers ?

 

« Donnons cependant quelques exemples de la manière dont les bons anges parfois protègent des hommes justes et saints, spécialement en cette matière de pulsion génitale. Voici par exemple ce qui arriva au saint abbé Sérénus, dont parle Cassien en ses Conférences : Celui-ci, ardent pour la chasteté intérieure de l’esprit et du cœur, s’appliquait infatigable à des oraisons de jour et de nuit, accompagnées de jeûnes et de veilles. Il s’aperçut un jour qu’en lui, par la grâce de Dieu, toutes les ardeurs de la concupiscence étaient éteintes. Alors enflammé d’un plus grand zèle pour la chasteté, usant des mêmes moyens, il demanda au Dieu tout-puissant que la chasteté de l’homme intérieur s’étendit à l’homme extérieur par un don de Dieu. Or finalement un ange vint à lui dans une vision nocturne, qui lui ouvrit le ventre, arracha de ses entrailles une tumeur brûlante, la jeta au loin puis remit ses viscères en place et lui dit : voilà que les aiguillons de la chair sont maintenant retranchés ; sache que tu as obtenu aujourd’hui la parfaite pureté de l’âme et du corps demandée par toi, au point de n’être plus sujet dorénavant même à ce mouvement naturel qui se produit chez les enfants en bas âge et à la mamelle. De même le bienheureux Grégoire dans ses Dialogues parle du bienheureux abbé Equitius : « Cet homme, dit-il, durant sa jeunesse avait été très troublé par la provocation de la chair ; mais les affres mêmes de la tentation le rendirent plus ardents dans la pratique de la prière. Or une nuit, où par de continuelles prières il implorait de Dieu un remède en ce domaine, un ange lui apparut et fit semblant de le châtrer ; et il lui sembla que par cette vision il avait perdu toute sensibilité dans ses organes génitaux. Et depuis ce moment il fut aussi étranger à la tentation que s’il n’avait plus de sexe en son corps. Et voici l’heureux avantage : fort de la vertu de cette « castration », lui qui, jusque-là, avait eu autorité sur des hommes, par la grâce du Dieu tout-puissant il commença à en avoir sur les femmes ». De même encore, dans les Vies des Pères, recueillies par le saint homme Héraclide dans on livre intitulé Paradis, il est fait mémoire d’un saint Père et moine nommé Héli : Celui-ci par miséricorde rassembla trois cents femmes dans un monastère et se mit à les diriger. Au bout de deux ans, dans la trentième année de sa vie, tenté dans sa chair, il s’enfuit au désert. Là, jeunant et priant deux jours, il disait : « Seigneur Dieu, ou fais-moi mourir ou libère-moi de cette tentation. » Sur le soir il s’endormit ; et il vit (en songe) venir à lui trois anges, qui lui demandaient pourquoi il s’était enfui du monastère des vierges ; et par pudeur il n’osait répondre. Les anges lui dirent donc : « Si tu étais libéré, ne retournerais-tu pas à ta charge auprès de ces femmes ? » Il répondit : « Oui, de bon cœur. » Alors, une fois reçu de lui le serment qu’ils lui avaient demandé, ils le châtrèrent : l’un semblant lui tenir les mains, l’autre les pieds et le troisième lui enlever les testicules avec un rasoir. Les choses ne se passaient pas en réalité, mais il lui semblait que c’était ainsi. Puis comme ils lui demandaient s’il se sentait guéri, il répondit qu’il se sentait très soulagé. Aussi le cinquième jour il retourna vers les femmes en pleurs. Et pendant les quarante ans où il vécut encore, il ne sentit plus jamais l’étincelle de sa première tentation. Enfin, nous lisons que ne fut pas le moindre bienfait reçu par le binheureux Thomas, Docteur de notre Ordre. Ses frères l’emprisonnèrent à cause de sa volonté d’entrer dans l’Ordre ; et pour le séduire ils lui envoyèrent une prostituée somptueusement vêtue et parée. Dès qu’il l’eut vue, le docteur courut au foyer, saisit un tison embrasé, et expulsa de sa prison la porteuse du feu de la passion charnelle. Il se prosterna dans une prière pour le don de la chasteté et il s’endormit. Deux anges lui apparurent alors disant : « Voici que, de la part de Dieu, nous te ceignons de la ceinture de chasteté qui ne pourra plus être rompue par aucune attaque, qui ne s’acquiert pas par les mérites d’une force humaine, mais est donnée comme un don de Dieu seul. » Il sentit alors la ceinture, c’est-à-dire le frottement de la ceinture et se réveilla en criant. Par la suite il se sentit doté d’un tel don de chasteté qu’il eut horreur de toute luxure, qu’il ne pouvait parler à des femmes sans nécessité et qu’il jouit d’une chasteté parfaite. »

 

[…]

 

II, I, VII : Comment les sorcières savent enlever aux hommes le membre viril.

 

« Dans la ville de Ratisbonne, un jeune homme avait une lsiaison avec une jeune fille. Quand il se mit à vouloir la quitter, il perdit son membre viril sous l’effet de quelque sortilège au point de ne plus avoir à toucher et à voir qu’un corps « aplati ». Anxieux à ce propos, il s’en alla dans une taverne acheter et boire du vin. S’asseyant un moment, il se mit à parler avec une femme pour Ni [sic] raconter en détail la cause de sa tristesse, jusqu’à lui montrer sur son corps ce qu’il en était. Astucieuse, elle demanda s’il suspectait quelque femme. Lui dit oui, donnant le nom de la femme et racontant ce qui s’était passé. Elle alors : Si pour la décider à te rendre la santé, la gentillesse ne suffit pas, il faut user de quelque violence. Aussi le jeune homme au crépuscule se posta sur la route par où la sorcière avait l’habitude de passer ; quand il la vit, il se mit à la prier de rendre la santé à son corps. Elle se déclara innocente et affirma ne rien savoir de son affaire. Alors se jetant sur elle, il lui passa un torchon autour du cou et se mit à serrer en disant : « Si tu ne me rends pas la santé, tu périras de mes mains. » Elle qui ne pouvait plus crier, se mit à noircir et son visage se tuméfiait : « Libère-moi, dit-elle, et je te guérirai. » Le jeune homme desserra le nœud et la pression ; la sorcière le toucha alors de la main entre les cuisses, disant : « Tu as ce que tu désires. » Comme il le racontait ensuite, le jeune homme avait parfaitement senti, avant même de s’en assurer par la vue et le toucher, que son membre lui était rendu rien que par le toucher de la sorcière. C’est un exemple semblable qu’avait coutume de raconter un père vénérable du couvent de Spire, connu dans l’Ordre pour sa science et l’honorabilité de sa vie : Un jour, dit-il, pendant que j’entendais les confessions, un jeune homme s’approcha et au cours de la confession il affirma en se lamentant qu’il avait perdu son membre viril. Le père manifesta sa surprise et en voulait pas croire si facilement sur parole – le sage estime que croire facilement est le signe d’un cœur léger. Mais, ajoutait-il, j’en ai eu la preuve, car je ne vis rien quand le jeune homme écartant ses vêtements me montra l’endroit. Il me sembla alors de bon conseil de lui demander s’il soupçonnait une femme, qui eut pu lui jeter pareil sort. Le jeune homme me dit qu’il en soupçonnait une, mais qu’elle était absente et vivait à Worms. Je luis dis : Et moi, je t’invite à aller la trouver le plus vite possible et à essayer de ton mieux de l’amadouer par des paroles aimables et des promesses. Ce qu’il fit. Peu de jours après, il revint me remercier se disant guéri et ayant tout récupéré. Je le croyais sur paroles, mais il m’en fit la preuve de nouveau évidente à mes yeux. » »

 

[…]

 

II, II, I : Des remèdes de l’Église contre les démons incubes et succubes.

« Pour ce qui est de l’ensorcellement des hommes : des démons incubes et succubes, il existe trois genres : chez celles qui se livrent volontairement aux démons incubes comme font les sorcières – les hommes ne se livrent pas si volontiers aux succubes, car cette pratique leur est plus en horreur en vertu de cette vigueur naturelle de la raison par laquelle les hommes sont supérieurs aux femmes […] il y a dans la ville de Coblence un pauvre homme qui est ensorcelé de cette manière devant sa femme, l’acte vénérien que les hommes ont coutume de faire avec les femmes, il est en mesure de le répéter un grand nombre de fois  et ni les instances ni les cris de sa femme ne peuvent l’empêcher de recommencer. Après une ou trois fois il a ces mots : Nous allons encore recommencer ! Pourtant à ce moment-là il n’y a aucune personne présente visiblement sous lui. Et il arrive qu’après un nombre incroyable d’essais le pauvre homme se retrouve prostré par terre démuni de toutes forces. Quand il a récupéré quelque peu, on lui demande comment cela lui arrive et s’il y a une personne sous lui. Il a coutume de répondre qu’il ne voit rien mais qu’il est si « obsédé » qu’il ne peut s’abstenir (de pareil excès). »
 

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"Sonic Death. Sonic Youth Live, Early Sonic", de Sonic Youth

Publié le par Nébal

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SONIC YOUTH, Sonic Death. Sonic Youth Live, Early Sonic

 

Tracklist :

 

01 – Sides 1 & 2

 

Attention, album difficile en vue. Sonic Death est une vraie bizarrerie, qui n’est pas forcément à sa place ici, et qui, à vue de nez, ressemble plus à un pirate qu’à un album officiel. Mais c’en est pourtant bel et bien un… Il s’agit en fait à l’origine d’un enregistrement sur cassette diffusé en 1984, donc entre Kill Yr. Idols et Bad Moon Rising, par Thurston Moore sur son label Ecstatic Peace!, et contenant des enregistrements live de Sonic Youth entre 1981 et 1983, donc dans les toutes premières années du groupe, couvrant la période allant d’avant les enregistrements à Kill Yr. Idols en passant par Sonic Youth et Confusion Is Sex. Pourquoi n’en ai-je donc pas parlé après Confusion Is Sex et avant Bad Moon Rising ? À bien des égards, on aurait pu y voir la solution la plus logique. Seulement voilà : la cassette originale a été rééditée sous la forme d’un CD sur les labels SST et Blast First, et c’est de cette version dont je dispose (elle serait paraît-il épuisée ?) ; or celle-ci est sortie entre Daydream Nation et Goo. C’est pourquoi j’ai préféré respecter la chronologie des versions dont je dispose, et ne traiter de Sonic Death que maintenant, quand bien même cela nous impose de faire un retour en arrière.

 

Mais quel retour en arrière, et dans quelles conditions ! Le CD ne contient en effet qu’une seule piste de plus d’une heure, sobrement titrée « Sides 1 & 2 », sans aucune autre sorte d’indication. Le son, avouons-le d’emblée, est franchement pourrave, les morceaux à l’intérieur de la piste sont coupés n’importe comment, le groupe n’est même pas accordé, bref : c’est du grand n’importe quoi…

 

On peut néanmoins tenter de dresser une liste des éléments – fragmentaires – dont est composée cette unique piste (merci Wikipédouille) :

-         « The Good And The Bad » (0:00 – 5:05) ;

-         « She Is Not Alone (7:16 – 10:31) ;

-         « The Good And The Bad » (12:21 – 17:02) ;

-         « The World Looks Red » (17:02 – 19:15) ;

-         « Confusion Is Next » (20:26 – 23:44) ;

-         « Inhuman » (23:44 – 25:16) ;

-         « Shaking Hell » (29:29 – 30:20) ;

-         « Burning Spear » (30:21 – 33:39) ;

-         « Brother James » (40:05 – 40:23) ;

-         « Early American » (40:23 – 47:31) ;

-         « Burning Spear » (47:32 – 48:43) ;

-         « Kill Yr. Idols » (48:44 – 51:35) ;

-         « Confusion Is Next » (51:36 – 53:05) ;

-         « Kill Yr. Idols » (56:18 – 57:03) ;

-         « Shaking Hell » (58:45 – 60:20) ;

-         « (She’s In A) Bad Mood » (62:46 – 63:40).

 

Sur cette base, le groupe se livre à un véritable foutoir difficilement descriptible. Si vous avez trouvé Confusion Is Sex rude, sachez que Sonic Death, c’est pire : la No Wave dans toute sa splendeur, sans concession, impitoyable, fascinante de brutalité et d’austérité.

 

Mais le mieux est encore de vous en donner quelques extraits. Voyez (enfin, écoutez, plutôt…) par exemple ce bref passage « non identifié », en sachant que là, ils s’appliquent.

 

Plus parlante, sans doute, cette version de « The Good And The Bad » (la seconde de la liste, pas l’excellente introduction), qui en dit long sur la qualité de l’enregistrement, mais reste néanmoins tout à fait intéressante.

 

Des fois, on vire dans le délire le plus total, comme en témoigne cette version accélérée de « The World Looks Red ». Rigolo, mais, euh…

 

Un autre fragment non identifié pour la peine, tiens, histoire de revenir dans le glauque de la plus belle eau. Le son est pourri, et pourtant ça sonne bien. Remarquable.

 

Un petit coup de « Confusion Is Next », avec l’enregistrement qui fait n’importe quoi au début, pour le principe. C’est néanmoins très bon par la suite, malgré, là encore, un son de chiottes. On notera en particulier le finale dantesque et braillard.

 

Autre grand moment, « Burning Spear » (avec en introduction un animateur radio français qui me fait bougrement penser à Bernard Lenoir... ?). Le son est toujours aussi naze, mais la musique toujours aussi efficace.

 

Et on finira ce tour d’horizon sur une dernière piste non identifiée… à moins, vue la durée et la situation sur l’album, qu’il ne faille y voir « Early American » ? M’enfin bon, c’est quand même essentiellement du bruit. Avis aux amateurs.

 

 Le bilan est donc assez clair : pour qui aime ou a fortiori adore Confusion Is Sex (quelqu’un comme moi, par exemple), Sonic Death est tout bonnement indispensable, ne serait-ce qu’à titre documentaire. Mais si vous êtes ne serait-ce qu’un tantinet rebutés par la période No Wave de Sonic Youth, fuyez, pauvres fous, fuyez ce disque insensé, cet objet sonore non identifié, cette galette sonique fatale grave. Parce que vous n’en sortiriez pas vivants… Un disque collector, on va dire, pour fans hardcore uniquement.

 

Prochain épisode : l'excellentissime Goo. Rien à voir ou peu s'en faut.

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Akira, t. 2, de Katsuhiro Ōtomo

Publié le par Nébal

Akira, t. 2, de Katsuhiro Ōtomo

ŌTOMO (Katsuhiro), Akira, t. 2, original artwork reversed for the French edition, traduction de Sylvain Chollet, Grenoble, Glénat, [1985, 1999] 2016, 301 p.

 

Poursuite de ma redécouverte d’Akira, la cultissime BD de Katsuhiro Ōtomo, dans de meilleures conditions (le noir et blanc, essentiellement).

 

Oui, « de » meilleures conditions, mais pas « les » meilleures conditions : c’est ballot, mais Glénat a annoncé il y a peu la parution prochaine d’une intégrale avec nouvelle traduction et (surtout ?) sens de lecture original – celle que j’attendais depuis un bail, puis ai eu marre d’attendre, donc.

 

Bon, ben, tant pis, hein, trop tard…

 

Adonc, je vous avais déjà dit tout le bien que je pensais du premier tome. Il s’agissait alors d’une relecture – j’avais, à l’époque, dévoré encore et encore cette partie de la BD (qui s’étendait sur les deux premiers volumes de l’édition colorisée). Ce n’est pas le cas pour ce deuxième tome, correspondant pile poil à un des importants creux de ma première lecture : je n’avais encore rien lu de tout ça, et étais tout particulièrement avide de découvrir la bête.

 

Et je dois avouer avoir été surpris – pas forcément déçu, hein, même si peut-être un tout petit peu – par l’action frénétique de ces 300 pages. On n’y souffle jamais ou presque – à cet égard on est très loin du premier tome qui, pour déborder d’action, d’un dynamisme incroyable, savait régulièrement faire quelques pauses, fort utiles pour poser l’univers et les personnages. Cette fois, non : on court, on se bat, on utilise des flingues improbables, on souffre, ET ON GUEULE TOUT LE TEMPS.

 

L’action – puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, donc – se déroule pour l’essentiel en deux lieux seulement. Enfin, si l’on évacue quelques à-côtés de la « Résistance », et surtout les quelques pages du début, façon prologue, dans lesquelles Tetsuo Shima, ou « Numéro 41 » si vous préférez (pas lui…), accepte l’offre du Colonel de rejoindre le centre de recherches militaire où, parallèlement à l’étude du cas improbable qu’il constitue, on le fournira abondamment en drogues. Kaneda et Kei y sont par ailleurs capturés, et emmenés peu ou prou au même endroit… La situation dégénère cependant bien vite, quand Kei fait preuve d’un talent martial inattendu (on l’aide un peu…) et tente de s’évader avec Kaneda (qui fait un peu plus encore guignol dans ces pages, du coup) ; tandis que Tetsuo, rongé par la curiosité autant que par la mégalomanie, compte bien n’en faire qu’à sa tête, ce petit con…

 

Ces personnages se croiseront et se perdront de vue à plusieurs reprises, d’abord au sein du centre de recherches – où les gamins aux traits de petits vieux constitueront bon gré mal gré un lien inévitable, propice cependant aux affrontements les plus violents –, ensuite sur le site militaire secret des Olympiades (là où a eu lieu l’explosion nucléaire de 1982…), qui abrite dans ses entrailles le toujours aussi mystérieux Akira… qui fera enfin son apparition, lourde d’incertitudes sinon de menaces quant à l’avenir à très court terme.

 

Dans un site comme dans l’autre, BANG BANG YIHAAAAA HEY KA-BOOM. Ça n’arrête quasiment jamais, au point que c’en est presque épuisant. Pas totalement pourtant : une fois de plus, le graphisme époustouflant de dynamisme et on ne peut plus cinématographique abreuve le lecteur avide de merveilles innombrables à chaque case ou presque ; au risque de me répéter, je ne crois pas avoir jamais lu de BD où l’action soit si bien rendue – bien loin du relatif statisme qu’on pourrait croire de rigueur dans ces images par essence fixes, le mouvement est permanent, et évoque déjà, avec quelque avance, la perfection technique du dessin animé qui en sera plus tard tiré. Peut-être, à l’occasion, se perd-on quelque peu dans la compréhension de l’action, tant tout va vite, très vite, peut-être trop vite (je me demande si l’inversion des planches, ici, ne se montre pas particulièrement dommageable…) ; mais, globalement, sa fluidité est exemplaire, et son rendu unique. En fin de compte, on dévore, et on en redemande.

 

J’étais tout spécialement curieux d’y découvrir des événements ou personnages que je ne connaissais jusqu’à présent qu’au travers de leur apparition dans des épisodes ultérieurs, ou même uniquement dans le dessin animé. Ainsi, par exemple, de la relation entre Kei et Kiyoko (autrement plus explosive ici, cela dit), du fusil laser expérimental, plus encore du laser orbital… ou, dans un autre registre, la brève apparition (déjà ?) de la mystérieuse Miyako (que j’appelle encore Lady…), liée au toujours mystérieux lui aussi Nezu, même si l’on ne sait pas vraiment en quoi et pourquoi pour le moment.

 

Le résultat tient de l’explosion (nucléaire, forcément), quand bien même « contrôlée », tant ça pète de partout, mais tout autant de la course de fond, excluant violemment le moindre répit ; j’ai vraiment le sentiment de n’avoir jamais rien lu de tel, y compris auprès de mes chères tapettes en collant de la Marvel et compagnie – pourtant prédestinées pour ce genre de choses, non ? Ōtomo, ici, c’est un peu le McTiernan du manga : le maître ultime de l’action, qui redéfinit le genre en même temps qu’il l’accomplit, par la suite souvent imité mais jamais ô grand jamais égalé ; un auteur indéniable à sa manière brutale.

 

Je poursuivrai prochainement la lecture, bien sûr – et, si j’espère malgré tout que le rythme s’y montrera moins frénétique, j’ai hâte : c’est qu’on s’approche de la partie « Akira, Empereur du Chaos », par laquelle j’ai découvert la BD, et qui reste une date monumentale dans l’exploration du genre post-apocalyptique…

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"Häxan", de Benjamin Christensen

Publié le par Nébal

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Titres alternatifs : La Sorcellerie à travers les âges, Witchcraft Through the Ages.

Réalisateur : Benjamin Christensen.

Année : 1922.

Pays : Danemark – Suède.

Genre : Documentaire / « Docu-fiction » / « Mondo » / « Historique » / « Fantastique » / « Horreur »

Durée : 87 min. / 76 min. / 104 min.

Acteurs principaux : Benjamin Christensen, Maren Pedersen, Clara Pontoppidan, Elith Pio, Oscar Stribolt, Tora Teje, John Andersen…

 

Une fois n’est pas coutume, c’est un véritable bijou que Potemkine (à qui on devait déjà le DVD de l’extraordinaire Requiem pour un massacre) et Agnès B. DVD ont exhumé avec Häxan. Un film muet suédois assez unique en son genre, réalisé par Benjamin Christensen entre 1919 et 1921, pour sortir l’année suivante : oui, certes, un documentaire ; mais sous la forme d’un étrange « docu-fiction d’horreur », plus ou moins lointain précurseur du « mondo », dont les images d’une rare poésie et d’une force non moindre marquent durablement. Le sujet ? La Sorcellerie à travers les âges, nous dit l’autre titre de ce film ; mais surtout, en fait, la sorcellerie médiévale et sa poursuite inlassable par l’Inquisition, au cours de ce que d’aucuns ont qualifié de véritable « sexocide » – il est vrai que la lecture, à titre d’exemple, du tristement célèbre Marteau des sorcières est pour le moins éloquente à cet égard.

 

Le film présente, à sa manière, une thèse, certes non dénuée de préjugés anticléricaux, et plus particulièrement anti-catholiques – rappelons que le « grand flamboiement » d’Allemagne est en fait postérieur à la Réforme. L’idée maîtresse est celle d’un délire obsessionnel – attesté –, relatif en fait, d’une part à des fausses accusations témoignant tant d’une conception « primitive » du monde que de la peur et de la « mauvaise foi » pure et simple, et d’autre part à des pathologies mentales bien réelles, au premier rang desquelles se trouve bien entendu l’hystérie. En sept chapitres édifiants, Benjamin Christensen nous amène ainsi à nous interroger sur la réalité des faits de sorcellerie au Moyen Âge, sur la superstition qui règne toujours quand sort son film, et sur la cruauté aveugle dont ont toujours fait preuve ceux qui ont chassé les sorcières… ou interné les hystériques, au travers d’un parallèle audacieux sur lequel se clôt la projection.

 

Mais c’est en usant d’une forme pour le moins unique, qui rend ce film à la fois difficilement classable et particulièrement savoureux. Le premier chapitre, composé pour l’essentiel de documents d’époque et de saisissants automates, adopte une forme de documentaire « classique ». Mais c’est pour mieux céder la place, dès le chapitre suivant et jusqu’à la fin, à des « reconstitutions » mises en scène avec un brio poétique certain, teinté d’un racolage non moins certain – promettant belles dénudées (de manière très prude, n’exagérons rien), blasphèmes à foison et cruautés multiples, dans une veine très sado-masochiste. L’implication du réalisateur – qui use de la première personne dans les intertitres… et s’attribue rien de moins que le rôle de Satan dans son film ! – participe de cette étrange atmosphère, qui confère au métrage des allures de « mondo » avant l’heure, en nettement plus respectable que la plupart, certes, et l’idéologie nauséabonde d’un, au hasard (eh eh), Suède enfer et paradis en moins. Häxan, « documentaire d’exploitation » ? Tout anachronisme mis à part, il y a en effet un peu de ça dans ce film précieux, très avant-gardiste à sa manière.

 

Häxan alterne ainsi tableaux « historiques » et fantasmagories bien « dans l’esprit d’un Jérôme Bosch et de Goya » ; le résultat est imparable, tour à tour expressionniste – c’est l’époque –, baroque et gothique. La poésie du film éclate lors de scènes particulièrement marquantes, du sulfureux rêve de la vieille saoularde Apolone au sabbat tel que décrit par la pauvre Maria, victime de l’Inquisition (sans oublier, sur un plan plus « réaliste », une remarquable scène d’hystérie au couvent, qui ne manque pas de faire penser au superbe film de Ken Russel Les Diables… voire plus généralement à une « nunsploitation » bien postérieure…). Mais les scènes « historiques » ne manquent pas non plus de force : difficile de rester de marbre devant la présentation des instruments de torture utilisés par les juges pontificaux – qui n’hésitent pas par ailleurs à user de la méthode « gentil flic – méchant flic », entre autres entourloupes… –, et la douleur des « sorcières », celles, plus ou moins authentiques, du Moyen Âge comme les malades mentales du dernier chapitre, est palpable. Mis en scène avec brio, dans des décors fascinants et à l’aide de costumes étonnants – les démons sont de toute beauté, à la fois effroyables et burlesques –, et bénéficiant d’une photographie sublime, Häxan envoûte plus certainement que les « sorcières » qu’il évoque. Tantôt « piquant », tantôt pathétique, toujours fort et beau, le film de Benjamin Christensen est un régal de la première à la dernière image.

 

Il nous est ici proposé dans trois versions différentes. La première, sur un nouveau master restauré (et teinté), dure 87 minutes, et bénéficie d’une très belle bande son composée par Bardi Johannsson, du groupe islandais Bang Gang, et interprétée par le Bulgarian Chamber Orchestra (2006).

 

La deuxième, intitulée La Sorcellerie à travers les âges, est une version de 1968 durant 76 minutes, en noir et blanc « pur » (ce que je préfère pour ma part aux versions teintées, plus sombres), narrée par nul autre que William S. Burroughs – ce qui en dit long sur le caractère du film –, et bénéficiant d’une bande son entre jazz et musique contemporaine, due, non pas à Jean-Luc Ponty, comme le prétend le DVD, mais au percussionniste Daniel Humair – Jean-Luc Ponty est au violon, et bien entouré : Bernard Lubat, Michel Portal, Guy Petersen. C’est de très loin la version la plus « dynamique », et celle qui permet à mon sens le mieux d’apprécier la photographie du film. Mais j’avouerai que la bande son, si elle ne manque objectivement pas de qualités, ne colle pas toujours (souvent ?) très bien aux images, l’anachronisme ne passant pas toujours…

 

Reste enfin une dernière version sur le nouveau master restauré, la plus longue (104 minutes – est-ce dû à une plus longue insistance sur les intertitres ? Je ne saurais autrement expliquer ce décalage d’avec la première version, qui ne vient en tout cas pas d’images supplémentaires) et peut-être ma préférée (malgré la teinte), dans la mesure où elle bénéficie d’une excellente bande son de Matti Bye (2007), lorgnant plus qu’à son tour vers le dark ambient.

 

En bonus, nous avons également droit à une présentation du film par son réalisateur, datant de 1941.

 

 Un bien bel objet, donc, pour un film génial et fou, rare et précieux. Jetez-vous dessus, c’est une merveille.

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