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Articles avec #nebal lit des bons bouquins tag

"Apocalypses !", d'Alex Nikolavitch

Publié le par Nébal

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NIKOLAVITCH (Alex), Apocalypses ! Une brève histoire de la fin des temps, Lyon, Les Moutons électriques, coll. Bibliothèque des miroirs, 2012, 178 p.

 

Oui, certes. Ce livre devait nécessairement paraître alors qu’on nous faisait suer de partout avec la fin du monde censément prophétisée par les Mayas, et fut du coup affublé du bandeau qui va bien. Mais passons : cela n’a pas dissuadé ma lecture, loin de là (même si je l’ai repoussée après avoir « survécu » à ce 21 décembre 2012 de sinistre mémoire). Il faut dire que, en science-fiction, les genres apocalyptique et post-apocalyptique ont toujours suscité mon intérêt (ce dont ce blog a témoigné en maintes occasions), et que, en outre, j’avais été largement convaincu par la précédente publication d’Alex Nikolavitch dans la même collection, le tout à fait recommandable  Mythe & super-héros, d’un format comparable.

 

Une précision s’impose cependant d’emblée, qui va à l’encontre de ce que j’attendais de cet ouvrage, notamment en raison de l’éditeur publiant la chose, et qui du coup m’a peut-être (probablement…) un peu déçu : il ne s’agit pas d’un essai sur le thème apocalyptique en science-fiction. Si celle-ci a bien son mot à dire (pour l’essentiel dans le deuxième chapitre), elle est loin d’être au cœur des préoccupations de l’auteur ; des œuvres majeures telles que  Un cantique pour Leibowitz ou Génocides sont bien évoquées, mais en gros expédiées en quelques lignes, tandis que l’on constate des « lacunes » qui peuvent laisser perplexe (à titre d’exemple qui me paraît éloquent, le nom de J.G. Ballard n’y figure pas une seule fois).

 

Non, ce qui motive ici Alex Nikolavitch, et ce en dépit de la brièveté de son essai (par ailleurs largement illustré, comme d’habitude), c’est de saisir le thème apocalyptique dans sa globalité, à l’heure où celui-ci connaît, pour des raisons pas forcément si mystérieuses que ça, un regain d’intérêt. En trois chapitres essentiellement chronologiques, il retrace donc l’évolution du thème, ses connotations, sa symbolique, etc., avant de s’interroger dans une ultime section sur ce que la science peut dire à ce propos.

 

On commence donc tout naturellement avec les apocalypses antiques, religieuses, et notamment avec celle de Jean de Patmos, qui est loin d’être la première, même si on lui doit la désignation du genre – rappelons au passage que celle-ci, au départ, évoque avant tout l’idée de « révélation », et que ce n’est qu’ensuite que le terme a acquis toute sa portée eschatologique, pour devenir synonyme de « fin du monde ». L’exégèse biblique, tout à fait passionnante, domine donc dans ce premier chapitre. C’est l’occasion de revenir sur le rôle et la figure du prophète, sur la symbolique employée et, ce qui va de pair, sur la portée hautement contestataire des écrits apocalyptiques d’alors, etc.

 

Le deuxième chapitre s’intéresse pour l’essentiel au thème apocalyptique à l’époque contemporaine (les deux derniers siècles, en gros). Tandis que positivisme et scientisme mettent à mal le sentiment religieux, les révolutions intellectuelles suscitées par Darwin, Marx ou Freud, puis par la théorie de la relativité et la physique quantique, bouleversent l’ordre du monde et changent la donne en la matière ; l’apocalypse devient de plus en plus réactionnaire, bien loin de la portée contestataire des origines. Mais elle est une réponse singulière au « désenchantement du monde », qui continue de porter ses fruits. Le discours apocalyptique est, bien sûr, largement réactualisé avec la découverte de la bombe atomique, et cette idée d’une « fin du monde » on ne peut plus concrète, qui serait provoquée par l’homme lui-même. La science-fiction popularise le thème, de manière diversement connotée. Se développe aussi, notamment dans les milieux d’extrême droite, le complotisme, qui entretient des relations troubles avec le discours apocalyptique, sur lesquelles on reviendra dans le troisième chapitre.

 

Celui-ci se consacre à une période nettement plus courte que les précédentes, puisqu’il commence en gros avec les attentats du 11 septembre 2001. L’auteur y dresse un portrait guère rassurant de notre triste monde tragique ; le regain du religieux et les inepties New Age, dans ce siècle qui promettait d’être, aha, « spirituel » ou de ne pas être, parallèlement au complotisme, cette fois disséqué, popularisé par des fictions telles que les X-Files ou le Da Vinci Code, traduisent en temps de crise l’actualité toujours intacte de la thématique. De la chute de Mir à l’apocalypse maya (plus particulièrement décortiquée, comme de juste) en passant par le bug de l’an 2000 et les attentats déjà mentionnés, on ne peut que constater le retour en force, pour le pire, des discours apocalyptiques.

 

Reste enfin à s’interroger, dans un dernier chapitre, sur ce que la science peut dire des apocalypses envisageables (chute d’astéroïde, changement climatique, bouleversements du soleil, etc.).

 

L’essai est d’une lecture agréable et dans l’ensemble tout à fait intéressant, mais, chose qui peut rebuter et m’a parfois laissé un peu perplexe, il revendique hautement ce statut « d’essai » : la chose est brève (trop, en ce qui me concerne : les lacunes sont nombreuses, mais il est vrai qu’il y aurait tant à dire sur le sujet…), l’argumentation très personnelle (même si elle n’en est pas moins convaincante), et le style se montre volontiers impertinent et blagueur (ce qui ne m’a pas paru une très bonne idée, le résultat étant plus ou moins drôle…). Il s’en dégage du coup, à mon sens tout du moins, une impression, peut-être superficielle certes, de manque de rigueur, quelque peu préjudiciable à la démonstration.

 

Au final, Apocalypses ! est une lecture intéressante et pertinente, sans aucun doute enrichissante, mais je ne peux qu’avouer une légère déception devant la manière dont le thème a été traité. Aussi ai-je été beaucoup moins convaincu par cet essai que par  Mythe & super-héros. Quand on vous dit que c’est la FIN DU MONDE…

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"Waylander", de David Gemmell

Publié le par Nébal

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GEMMELL (David), Waylander, [Waylander], traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Alain Névant, Paris, Bragelonne – Milady, [1986, 2001, 2008] 2010, 441 p.

 

Après avoir adopté récemment la Charte de Respect des Auteurs, la Nébalie a encore fait un pas en avant dans le domaine de la critique littéraire, en se pliant à la Directive Pour la Propagation des Vraies Valeurs de la Vraie Bonne Critique Utile, à l’instigation du Parti Unifié des Donneurs de Leçons ; voici, à titre d’exemple, le modèle des critiques résultant de cette directive. En conséquence, la Nébalie promulgue la critique suivante de Waylander de David Gemmell.

 

Waylander est un roman de Davi Gemel. Il raconte l’histoire d’un personnage appelé Waylander, qui a aussi un autre nom. Après la dédicace et les remerciements, il y a un prologue, 25 chapitres et un épilogue. On y trouve aussi le début de Le Roi sur le Seuil. Rien que pour cela, il ne faut pas le manquer. Mais rien ne vous interdit d’apprécier, aussi, le reste.

 

 

*PIF*

 

*PAF*

 

*BOUM*

 

CITOYENS ! La Révolution nébalienne abroge les textes sus-cités, qui seront dorénavant remplacés par la Déclaration de Je Fais Tout Qu’est-ce Que J’veux Bordel Je Suis Chez Moi, formulée comme suit :

 

Article 1er : Oh et puis merde.

 

Article 2 : Envoyez-moi tout ça dans les rizières.

 

Article 3 : BEUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARH !!!

 

Ouf.

 

(Oui, moi aussi je peux être mesquin.)

 

Nouveau compte rendu beuarhesque, donc… et probablement le dernier avant un petit moment. Eh oui. Parce que 1°) bon, au bout d’un moment, ça suffit les conneries, et surtout 2°) cette fois la magie du BEUAAAAAAAAAAAAAARH !!! n’a pas opéré.

 

Tristesse.

 

Mais voilà, je suis bien obligé de le reconnaître : Waylander, c’est mauvais.

 

 

Non, mais, je veux dire, VRAIMENT mauvais. Plus que les autres, quoi. C’est même pas divertissant (alors que les autres, avec tous leurs défauts, si). Et ça tient plus du navet que du nanar. Ce qui est tout de même désolant. Mais, une fois de plus, n’allons pas trop vite en BEUAAAAAAAAAAAAAAAARHsogne, et posons un peu le cadre et le récit.

 

Dans la chronologie interne du cycle « Drenaï », Waylander et ses deux suites sont les romans les plus anciens, et donc bien antérieurs à Légende et compagnie, dont ils contiennent d’ailleurs la genèse d’éléments importants (ici, les Trente, le Comte de Bronze et son armure, la forteresse de Dross Delnoch…).

 

Vous savez quoi ? SURPRISE ! C’est la guerre. Étonnant, non ? La Drenaï a été envahie par les Vagrians, et les « Chiens du Chaos » y perpètrent moult ravages. Pour couronner le tout (si j’ose dire), le roi de Drenaï a été assassiné. Pas par n’importe qui, non : par nul autre que Waylander, ZE Assassin, ancien soldat, ancien fermier, même que sa famille s’est fait démonter la tête, et que depuis il est comme qui dirait vach’ment aigri de la vie (et vieillissant, comme tout héros gémmellien qui se respecte).

 

Waylander nous est donc présenté dans un premier temps tout du moins comme l’archétype du « héros meuchant » (on y reviendra). Mais le roman éponyme est pourtant celui d’une (bête) rédemption. En effet, plusieurs événements vont venir bouleverser la vie du Voleur d’Âmes. Il va tout d’abord, là, comme ça, sur un coup de tête, sauver un prêtre de la Source, Dardalion. Puis il va rencontrer l’amour en la personne de Danyal (ce qui nous vaut plusieurs scènes hautement romantiques), une nécessairement jeune et jolie réfugiée accompagnant trois gniards qui sont là pour la figuration. Enfin, il va rencontrer l’esprit d’Orien, le pôpa du roi qu’il a buté, qui va lui confier pour mission (car telle est la Volonté de la Source !) de retrouver son Armure de Bronze, planquée en plein territoire nadir (pour changer), et de la filer au général Egel, dernier espoir de Drenaï.

 

Bien entendu, les Vagrians ne comptent pas laisser faire Waylander (ah, oui, ce sont eux qui l’ont payé pour assassiner le roi de Drenaï, mais ensuite, SURPRISE !, ils l’ont trahi et envoyé des assassins à ses trousses, les imbéciles) et, à vrai dire, les Drenaïs ne lui font étrangement pas beaucoup confiance… Mais peu importe, hein ?

 

De son côté, Dardalion, « contaminé » par le sang de Waylander, va devenir le fondateur des Trente, les fameux moines-soldats (alors que les prêtres de la Source sont pacifistes, et se font donc hacher menu). Et s’il va aider de son mieux Waylander dans sa quête, il va aussi, avec ses potes, prendre part à la bataille de Dros Purdol, la dernière forteresse drenaï, même que c’est l’ultime bataille avant la prochaine (et donc une mauvaise préquelle façon remake de Légende).

 

On le voit, dans ce roman, Gemmell ne fait pas exactement dans l’originalité foudroyante, et on y trouve bien des éléments typiques de sa production, antérieure et ultérieure. Mais, cette fois, ça ne marche vraiment pas, étrangement. C’est mal écrit (et/ou traduit ?), mais encore plus que d’habitude, et bourré de pseudo-philosophie à dix balles (d’où un paquet de citations à se tordre) ; c’est mal construit ; l’histoire ne tient pas la route, et c’est bourré à la fois de clichés et de rebondissements improbables ; les personnages sont mal campés, quand ils ne sont pas tout simplement ridicules (Kaï, mon Dieu…), etc.

 

Bref, c’est mauvais. Très mauvais. Et cette fois, ça n’est même pas divertissant : on n’y croit pas deux secondes, les combats systématiques sont mollassons et répétitifs, les situations vues et revues… On s’ennuie. On n’a même pas envie de hurler « BEUAAAAAAAAAAAAAAARH », alors que tous les éléments semblent pourtant réunis ; mais la sauce ne prend pas.

 

Et puis cette histoire de rédemption m’a un tantinet agacé. Sous cet angle, Waylander m’a fait penser à La Compagnie noire (qui est mieux, certes, mais pas terrible quand même à mon sens) : c’est de la « fausse » dark fantasy avec « héros meuchant ». On nous dit et nous répète que Waylander est un dur, il se la pète bien dans ce sens, genre « j’ai pas d’amis et je suis impitoyable », mais se comporte comme un gentil dès le début du bouquin, et le devient de plus en plus au fur et à mesure que les pages défilent péniblement. Ce qui est tout de même bien frustrant, trouvé-je. On a l’impression que, de même qu’avec Druss mais d’une autre manière, Gemmell a voulu avec Waylander faire son « Conan ». Mais ça ne marche pas, tant la morale est préservée du début à la fin (une morale bourrine et qui pue un peu des pieds, certes, mais une morale quand même). On lira donc de préférence, et sans surprise, le modèle (ou, autre lecture de choix, « Kane », qui reste le plus chouette exemple de « héros vraiment meuchant » du genre à ma connaissance) plutôt que ce triste ersatz.

 

Rien à sauver dans ce naufrage (plouf), qui ne fait même pas sourire, quelques citations exceptées. On s’ennuie ferme. Et on a envie de passer rapidement à autre chose. Des vrais livres, par exemple.

 

Du coup, pour la suite, ben, faudra attendre un peu. Parce que c’était pas très BEUAAAAAAAAAAAAARH !!! là, quand même.

 

(‘tain, je suis déçu par un Gemmell… Tout est foutu…)

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Pub copinage : "Les Soldats de la mer", d'Yves & Ada Rémy

Publié le par Nébal

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RÉMY (Yves & Ada), Les Soldats de la mer. Chroniques illégitimes sous la Fédération, Évry, Dystopia Workshop, [1968, 1998] 2013, [édition numérique]

 

Normalement, quand pub copinage il y a, je m’abstiens logiquement de tout commentaire, me contentant éventuellement de relayer les chroniques provenant d’autres sites. Mais, cette fois, le cas est un peu différent, dans la mesure où j’avais déjà rendu compte de ma lecture de l’ouvrage en question dans une précédente édition, et il serait un peu absurde de le cacher. Voyez donc ici.

 

Dans le cadre de la préparation de cette édition numérique, j’ai relu plusieurs fois Les Soldats de la mer, sans jamais me lasser, voire en y trouvant à chaque lecture de nouvelles raisons de l’adorer. Je le répèterai donc : Les Soldats de la mer est à mon sens un chef-d’œuvre, un des plus beaux livres de l’imaginaire français. Bref : achetez et lisez, c’est un ordre !

 

Pour vous le procurer, c'est ici.

 

Gromovar sur Quoi de neuf sur ma pile ?

 

Efelle sur Les Lectures d'Efelle

 

Jules Abdaloff sur Salle 101

 

MarianneL sur Sens critique

 

Vladkergan sur Vampirisme

 

Tiger Lilly sur Le Dragon galactique

 

Mélicerte42 sur Les Voltés anonymes 

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"Le Sourire des crabes", de Pierre Pelot

Publié le par Nébal

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PELOT (Pierre), Le Sourire des crabes, Paris, Presses Pocket, coll. Science-fiction, 1977, 245 p.

 

Après (récemment) Fœtus-party et La Guerre olympique, tous deux plus que recommandables, nouvelle excursion du côté de chez Pierre Pelot avec ce court roman au titre pour le moins énigmatique. On a pu dire du Sourire des crabes, qui fut refusé bien des fois avant d’être accepté par Jacques Goimard pour la collection SF de Pocket, qu’il fut l’un des romans ayant établi la réputation de l’auteur dans le genre. Mais s’il s’agit bien de science-fiction, c’est pourtant sans doute par la bande… Peu importe, là n’est pas l’essentiel.

 

Problème : pour tout un tas de raisons, je sens qu’il ne va pas être évident d’en causer, de ce Sourire des crabes. Mais bon : on m’a assez fait remarquer ces derniers temps à quel point j’étais, en plus d’être viscéralement méchant, foncièrement incompétent, et ce blog inutile, alors ça ne changera pas trop… Peu importe là aussi, et essayons d’en donner malgré tout un aperçu.

 

Admettons. La France, dans un futur si proche qu’il est déjà dépassé. Le régime du Prince, sous des oripeaux « libéraux », a quelque chose de fascisant. Mais ce n’est pas la seule chose qui pue dans cette société très contemporaine, loin de là. On pourrait citer également, exemple flagrant, la télévision, et notamment l’émission en continu « Monde spectacle », présentée (entre autres) par le vieux crouton souriant Lux, et qui fait – triste prémonition de la part de l’auteur – dans la télé-réalité la plus abjecte et sordide, dans la filiation directe des mondos.

 

Il y a le vieux et la vieille (absents ; le travail, comprenez-vous…). Et leurs trois enfants qui leur ont valu une prime et un certificat de civisme : dans l’ordre, Luc, Cath, et Alain. Le petit dernier (7 ans), gniard abject, reste vautré toute la journée devant « Monde spectacle ». Cath, de son côté, fait un séjour en institution psychiatrique : elle a été diagnostiquée schizophrène et paranoïaque. Mais elle doit sortir aujourd’hui, à seule fin d’intégrer le centre de réorientation de Strasbourg II, à l’autre bout du pays. Les parents étant de toute façon indisponibles, Luc se propose pour y conduire sa sœur. Le temps d’une partie de jambes en l’air (oui, Luc et Cath commettent l’abominable inceste : ils s’aiment, horreur glauque, ils s’aiment plus que tout, même) et de préparer quelques sandwichs (empoisonnés au raticide pour ce petit con d’Alain), et Luc et Cath prennent la route.

 

Et ils ont un programme. L’envie de « faire des choses ». En gros, de tout faire péter et de tuer des gens. Comme ça, paf. Parce que Luc et Cath sont deux adolescents en révolte, pris dans un violent délire anarchiste, ou plutôt nihiliste. Et/ou parce que les deux, et pas seulement Cath, sont complètement dingues, mais bien conscients de n’avoir rien à perdre dans ce triste monde tragique. En chemin, ils embarqueront notamment une otage, Hélène, qui a une caméra et vise le scoop au million de Fr-90 de « Monde spectacle » : qu’elle filme, il y a de la matière…

 

Road story désespérée, ultra-violente et sans concessions au parfum de pamphlet nihiliste et misanthrope, Le Sourire des crabes anticipe, ainsi que cela a souvent été noté, le film Tueurs nés (je veux bien le croire, mais, je plaide coupable, je n’ai jamais vu la chose…). Mais on pourrait également citer d’autres œuvres, comme par exemple Baise-moi de Virginie Despentes ou, en miroir, Sauvagerie de J.G. Ballard. La virée meurtrière de Luc et Cath a ainsi quelque chose de visionnaire (outre sa lucidité en ce qui regarde le malaise de la société libérale ou la télé-réalité), qui lui a conservé la majeure partie de son impact et de son sens aujourd’hui (mais, en 1977, ça a vraiment dû faire comme un choc…). La majeure partie seulement : en effet, le thème a aujourd’hui, du coup, quelque chose d’un peu éculé, peut-être. Mais ça continue indéniablement de faire son petit effet.

 

Le Sourire des crabes, superbement écrit (il m’a fait l’impression d’une bien plus grande ambition stylistique que Fœtus-party et La Guerre olympique, même si l’on n’atteint peut-être pas la maestria de C’est ainsi que les hommes vivent), prend aux tripes et file la gerbe. C’est violent, très violent, voire carrément gore. Ça déborde de haine à l’état pur. Sans surprise, c’est d’une noirceur peu commune. Osons l’expression cliché : c’est un roman « coup de poing », du genre qui fait mal, très mal.

 

Mais j’avouerai qu’il m’a plus ou moins convaincu, cependant. Pour des raisons que je ne saurais véritablement expliquer (la faute à mon incompétence et à mon ressenti, chose horrible), Le Sourire des crabes, si je suis bien loin de vouloir nier ses qualités évidentes, ne m’a pas toujours parlé, ou en tout cas beaucoup moins que Fœtus-party et La Guerre olympique. Peut-être cela tient-il, malgré l’intensité de la chose et sa grande beauté formelle, à une certaine vacuité/gratuité que l’on peut redouter durant une bonne partie du roman ; mais, heureusement, la fin change radicalement la donne (je ne parle pas tant ici de la « chute », assez prévisible – les indices ne manquent pas –, que de ce qui la précède immédiatement, quand [SPOILER] le Contre-Pouvoir révolutionnaire se manifeste, ce qui vient largement bouleverser le contenu politique du roman).

 

Il y a cependant quelque chose de (paradoxalement ?) abstrait dans Le Sourire des crabes, roman brut et aussi fou que ses protagonistes juvéniles, qui pourra peut-être constituer un obstacle pour le lecteur (bien plus que la violence à mon sens : si celle-ci est omniprésente, et teintée de complaisance sadique, elle ne m’a pas pour autant « choqué », ou du moins pas dans le mauvais sens du terme et au-delà des intentions de l’auteur).

 

Voilà. Il est peu probable que Le Sourire des crabes figure parmi mes Pelot préférés. Mais je conçois bien son importance au moment de sa parution, et peux vous assurer qu’il vaut bien d’être lu aujourd’hui, malgré tout.

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"Sheol", de Jean-Pierre Fontana

Publié le par Nébal

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FONTANA (Jean-Pierre), Sheol, Paris, Denoël, coll. Présence du futur, 1976, 188 p.

 

‘tain, sauf erreur, c’est là mon premier Eons, puisque le fameux éditeur de beaux livres a repris ce roman de Jean-Pierre Fontana en 2004. Ça se fête !

 

 

Faut dire, c’est déjà ma fête.

 

Mais passons.

 

Si j’ai lu ce roman, c’est encore une fois à cause de La Science-fiction en France de Simon Bréan ; il n’y était évoqué que brièvement, mais le peu qui en était dit me paraissait potentiellement intéressant. Aussi me suis-je emparé de la chose, qui a intégré mon cycle de lectures science-fictives frrrrrrançaises.

 

Sheol (ce qui désigne le séjour des morts en hébreu) est un roman post-apocalyptique (eh oui, encore) teinté de dystopie (eh oui, encore) ; on y trouve aussi semble-t-il quelques relents vanvogtiens, mais bon, on va faire avec, hein.

 

Un futur qu’on espèrera lointain. La Terre est ravagée (probablement, en partie du moins, par un holocauste nucléaire), et l’humanité peine à y survivre. En fait, à peu de choses près, on ne trouve plus d’humains que dans la dernière des « villes-bulles », VILLE-ULTIME, qui se déplace régulièrement à la recherche de sources d’énergie. Elle est suivie par des nomades adaptés aux conditions terribles qui règnent sur la Terre, qui en dépendent et lui vouent une sorte de culte religieux.

 

VILLE-ULTIME est divisée en deux étages : en bas, on trouve les usineurs, sorte de prolétariat ultime exploité dans le cadre d’une organisation totalitaire ; en haut, les autres, divisés en deux castes à leur tour (les « sans-jambes » formant une sorte d’aristocratie) ; et, tout au sommet de la pyramide, il y a le Gouverneur, Jarle.

 

Tout commence quand un certain Art sort du coma. Si l’on en croit le mystérieux frère Théosophe qui vient lui rendre visite durant sa convalescence, Art est un usineur, qui devra bientôt reprendre son poste à l’étage inférieur. Mais Art est amnésique ; et, en même temps, il a quelques souvenirs perturbants d’un monde différent… Aussi ne croit-il pas être véritablement un usineur ; il trouve le moyen (assez facilement, d’ailleurs) de gagner le niveau supérieur, et c’est alors que débutent véritablement ses aventures, tandis qu’il émerge dans les appartements de Livine, la fille de Jarle (belle coïncidence).

 

Parallèlement, nous suivons aussi Yargo, un jeune étudiant de la cellule de Stoire, qui a des informations importantes à communiquer au Gouverneur. Las, alors qu’il se rend à son audience, il est tout d’abord attaqué par une petite bande d’assassins, puis coffré par la Garde. En prison, il ne tardera pas à faire la connaissance de cet invraisemblable intrus qu’est Art…

 

Et là, je n’en dirai pas plus, histoire de ne pas spoiler le gros twist qui scinde le roman en deux parties.

 

Le thème me plaisait bien, donc ; et il faut dire que j’aime beaucoup les genres post-apocalyptique et dystopique. J’avouerai toutefois que je m’attendais à quelque chose de plus ambitieux : en l’état, Sheol est cependant un pur roman d’aventure, dans la tradition la plus populaire (à vrai dire, il me semble qu’il aurait parfaitement eu sa place au Fleuve Noir « Anticipation »).

 

Petite déception à cet égard, donc, d’autant que tout ceci, malgré les quelques idées de base formant un cadre séduisant, ne se montre guère original. En fait, on y trouve à peu près tous les poncifs du genre post-apocalyptique ; certes, ici, l’ancienneté du roman plaide en sa faveur, mais le fait est que l’on a déjà lu tout cela, dans des romans plus anciens comme, évidemment, plus récents.

 

Cela dit, ça se lit plutôt bien, malgré quelques artifices de narration ici ou là (je n’ai guère été convaincu, notamment, par les « révélations » en cascade à la fin du roman, par ailleurs moyennement crédible). Et quelques idées sont malgré tout intéressantes, comme celle de la révolte « de confort » des citoyens de VILLE-ULTIME. Sheol constitue donc un honnête divertissement, sans doute.

 

 

Mais il est bel et bien un point qui m’a quelque peu gêné, et m’a empêché d’apprécier pleinement cette lecture (au risque de passer à nouveau, après Rayons pour Sidar, pour un infâme lecteur imprégné de « politiquement correct »…). Et c’est le discours sur la sexualité, assez consternant, qui occupe une place relativement importante dans Sheol et, du coup, le plombe pas mal.

 

En effet, dans VILLE-ULTIME, l’hétérosexualité est un vice (pour des raisons guère convaincantes, on s’en doute), une pratique répugnante, suscitant l’indignation de tous ; aussi la reproduction passe-t-elle par « l’Acte obligatoire », ponctuel, et accompli avec dégoût. Un des éléments fondamentaux du caractère cauchemardesque du futur décrit par Sheol est que les habitants de la ville-bulle se sont « réfugiés dans l’homosexualité ou l’onanisme », ce qui est MAL. Diantre. Et horreur glauque.

 

Or, c’est bien connu, l’amour ne saurait exister chez les pédés… Du coup, la relation amoureuse qui s’instaure très vite (pour de pures raisons de cul dans un premier temps) entre l’étalon macho Art et la vorace femelle Livine est-elle nécessairement unique en son genre, et à même de tétaniser d’incrédulité les autres habitants de VILLE-ULTIME, dont certains offrent d’impressionnantes caricatures de pédales (et notamment Ronse, le directeur de Stoire).

 

Tout cela est tour à tour risible et puant. Certaines scènes sont du plus grand comique involontaire, mais, si je n’irais pas jusqu’à dire qu’on a là du Serge Dassault dans le texte, y a de l’idée, tout de même. Et l’auteur d’enfoncer le clou dans les dernières pages avec une allusion quelque peu saugrenue à la destruction de Sodome… De manière générale, la sexualité comme les genres sont envisagés de manière passablement réac dans Sheol, et c’est quand même regrettable.

 

Mais si l’on veut bien fermer les yeux sur cet écart de conduite (…), reste un roman relativement divertissant… C’est très dispensable, cela dit.

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"Rayons pour Sidar", de Stefan Wul

Publié le par Nébal

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WUL (Stefan), Rayons pour Sidar, Paris, Denoël – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [1971] 2007, 212 p.

 

Après Niourk il y a de cela une éternité, et  Oms en série tout récemment, poursuite de mes (tentatives de) lectures wulesques avec Rayons pour Sidar, publié initialement au Fleuve Noir « Anticipation » en 1957, et qui, là encore, m’avait l’air intéressant à en croire  La Science-fiction en France de Simon Bréan. Un roman bien de son temps, comme on aura l’occasion de le constater... ou peut-être un peu en retard.

 

L’action se déroule donc sur Sidar, planète du système Alpha du Centaure habitée par deux races indigènes, les Sidariens primitifs et les Horbs assurément sauvages. Mais elle a également été colonisée (ou pas) par les Terriens (on reviendra sur ce terme par la suite) ; cependant, l’heure du, euh, « protectorat » terrien sur Sidar touche à sa fin : des accords ont en effet été passés avec les vilains pas beaux Xressiens, rats humanoïdes (c’est dire s’ils sont vilains pas beaux), prévoyant de leur remettre la planète (sans que les Sidariens et les Horbs aient été consultés, a priori, mais, là encore, on y reviendra).

 

Lorrain 1613 A.C. est un physicien afrançais, qui s’est rendu sur Sidar pour y retrouver son robot Lionel, construit à son image (chaque Terrien, semble-t-il, a ainsi un double robotique). Ce dernier était chargé d’établir une factorerie en plein territoire horb, mais on n’a plus de ses nouvelles depuis un moment. Or la situation presse : à l’en croire, Lorrain est, secondé par Lionel, la dernière chance de sauver Sidar (des Xressiens, donc).

 

Mais Sidar est une planète farouchement hostile, recelant mille dangers pour les Terriens, ainsi que Lorrain en fait très tôt l’amère expérience. Et si les Sidariens sont tout ce qu’il y a de sympathiques (« Na, na, na ! »), il n’en va pas de même de tout ce qui vit sur Sidar. Lorrain retrouve cependant bel et bien Lionel. Mais [SPOILER] il meurt presque aussitôt. Il est cependant « ressuscitable », et Lionel reprend à son compte la mission destinée à sauver Sidar…

 

Bon.

 

Commençons par le positif : si l’on excepte le début de la deuxième partie du roman, un peu mou, les rebondissements s’enchainent, aussi la lecture de Rayons pour Sidar n’est-elle pas trop ennuyeuse (du moins pour ce qui est de l’action à proprement parler). On appréciera en outre l’usage astucieux que fait Stefan Wul du thème du double, la relation éventuellement symbiotique entre le Terrien et son robot étant tout à fait intéressante et bien vue.

 

 

Pourtant, j’ai quand même eu bien du mal à lire Rayons pour Sidar.

 

Parce que, à vrai dire, j’ai eu un peu l’impression de me (re)farcir Tintin au Congo.

 

En plus naïf.

 

Je vous arrête tout de suite : il ne s’agit pas ici de faire dans le politiquement correct outrancier en négligeant le contexte de rédaction (bien au contraire : l’Algérie, tout ça…) et donc de prôner l’anachronisme vouant l’auteur aux gémonies et son bouquin au bûcher (pas plus que pour Hergé et son Tintin au Congo, d’ailleurs). Simplement de livrer ce constat : aujourd’hui, et surtout pour un lecteur adulte, aussi bien intentionné soit-il, c’est quand même rude, à la limite de l’illisible… Pour un gamin ne décryptant pas forcément le sous-texte, j’imagine que ça peut passer, mais c’est quand même un brin gênant.

 

Le problème, c’est donc celui du colonialisme. Le terme n’est employé ici que pour les méchants Xressiens à face de rats (« c’est un vieux vocable du XXe siècle, remis récemment à la mode pour traduire une expression xressienne n’ayant pas d’équivalent dans la nôtre. Cela signifie à peu près : abus de pouvoir sur les autochtones. »). Les Xressiens sont également qualifiés (par les Terriens…) d’envahisseurs. Mais jamais ces qualificatifs ne viennent s’appliquer aux Terriens installés sur Sidar. La vision que nous offre ici Wul de cette problématique est on ne peut plus manichéenne : en somme, il y a les bons « colonisateurs » (les Terriens, qui ne sont donc pas qualifiés ainsi) et les mauvais colonisateurs (les envahisseurs xressiens). La preuve, hein : les premiers font des campagnes de vaccination et construisent des routes, alors bon… Alors que les hideux rats humanoïdes sont caractérisés par leur agressivité, « la froide cruauté, la mauvaise foi et le cynisme ».

 

Pourtant, c’est bien de colonialisme qu’il s’agit pour les Terriens aussi… qui se montrent d’une condescendance insupportable à l’égard des Sidariens puérils et d’autant plus infantilisés, condescendance volontiers mêlée d’autoritarisme, inconsciemment sans doute. Pendant que les indigènes débiles font « Na, na, na ! » et se bourrent la gueule, suscitant chez leurs « grands-frères » terriens un sourire amusé ou parfois un brin agacé, les Terriens, eux, cherchent à les sauver (mais [SPOILER] seulement les Sidariens ; aucun problème pour ce qui est de génocider les Horbs…) ; tout le roman tient (assez maladroitement, d’ailleurs) sur cette idée que le salut ne saurait venir que de l’extérieur, en l’occurrence du colonisateur terrien. Comment voulez-vous que ces grands enfants de Sidariens, avec leur pénible langage « petit nègre » (pour ceux qui savent parler la vraie langue, celle des Terriens, le reste étant nécessairement barbare), puissent faire quoi que ce soit ? Aussi ne leur demande-t-on pas leur avis (il est dit de deux d’entre eux, lors d’une réunion des sauveurs terriens humains et robots, désintéressés cela va de soi, qu’ils « n’avaient que voix consultative », et encore).

 

« [La] politique est une chose bien compliquée, dit Lionel. Une politique peut paraître saine et probe tout en cachant d’abominables dessous. Elle peut aussi sentir la pourriture en masquant de nobles projets. » Mais malgré cette affirmation qui aurait pu laisser percer au moins l’esquisse d’une critique de la présence terrienne sur Sidar, non, rien (tout au plus leur reproche-t-on un tantinet leur lâcheté dans les accords Terre-Xress…) : il y a les gentils Terriens, et les méchants Xressiens. Et c’est tout.

 

C’est ennuyeux, tout de même. Et ça l’est d’autant plus que le reste du roman ne tient pas forcément la route (en dehors des points évoqués précédemment). En effet, le plan des héros pour sauver Sidar est artificiellement maintenu sous silence durant la majeure partie du roman (« je ne peux pas vous en parler maintenant, mais vous verrez », en gros…) et, quand la révélation survient (enfin !), elle ne convainc pas : c’est en effet non seulement improbable, mais franchement pas crédible pour un sou. Un projet pharaonique : à l’aide d’un dispositif que je ne vais pas détailler ici, il s’agit [SPOILER] de faire sortir Sidar de l’orbite d’Alpha du Centaure, et de la ramener dans le système solaire, loin de la présence xressienne. Jolie métaphore, pour le moins éloquente… Je ne suis pas qualifié pour juger de la pertinence du projet sur le plan scientifique (même si sa vitesse d’exécution me paraît plus que douteuse, et je ne peux qu’imaginer des conséquences assez terribles pour la vie sur la planète ; [SPOILER] seul la probable annihilation des Horbs est envisagée, mais pour être expédiée en trois lignes…) mais, sur le plan politique, ça ne tient de toute évidence pas la route.

 

Rayons pour Sidar est donc un roman extrêmement naïf, tout en étant moins ouvertement connoté jeunesse qu’ Oms en série. Manichéen, simpliste, il laisse un mauvais goût en bouche. Il ne s’agit pas ici d’en faire un roman « colonialiste » ou d’affubler Wul de ce qualificatif, ce serait aller bien trop loin (et Wul, semble-t-il, revendiquait ne pas faire de politique dans ses romans ; ici, pourtant, consciemment ou non…). Mais Rayons pour Sidar est bien, à sa manière, une variante SF du roman d’aventures coloniales. Ce qui en rend la lecture assez pénible aujourd’hui ; enfin, peut-être que vous pourrez faire l’impasse sur ces divers soucis, et vous régaler de l’utilisation du thème du double et du sense of wonder du projet de « sauvetage » de Sidar, mais, pour ma part, je n’ai pas pu (je n’en retiens donc que le double). Aussi suis-je un brin étonné par la réédition de ce roman en Folio-SF, mais bon…

 

Question : puis-je véritablement trouver mon bonheur chez Stefan Wul ? On m’a conseillé, malgré tout, La Mort vivante et L’Orphelin de Perdide… mais on m’a aussi laissé entendre que, à en juger par mes comptes rendus, je ne trouverais de toute façon probablement pas mon bonheur dans la SF « populaire » du FNA d’avant 1970 (au moins…), chez Wul comme chez les autres. Je ne sais pas. Un jour, peut-être, je retenterai l’expérience avec les romans mentionnés… mais pas tout de suite.

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"Les Guerriers de l'hiver", de David Gemmell

Publié le par Nébal

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GEMMELL (David), Les Guerriers de l’hiver, [Winter Warriors], traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Karim Chergui, Paris, Bragelonne – Milady, coll. Fantasy, [1997, 2006] 2012, 443 p.

 

AVERTISSEMENT !

 

Suite aux pressions de la Société Protectrice des Auteurs, qui ne semblait pas se satisfaire de la proposition d’un label « Author advisory. Explicit Content » jugé insuffisant, la Nébalie a adopté la présente Charte de Respect des Auteurs :

 

Article 1er : Tous les Auteurs sont grands.

 

Article 2 : Tous les Auteurs sont beaux.

 

Article 3 : Tous les Auteurs sont forts.

 

Article 4 : Tout ce qu’écrivent les Auteurs est nécessairement bel et bon, intelligent et précieux, fruit d’un travail acharné et témoignage éloquent d’une puissance intellectuelle et d’une empathie rares.

 

Article 5 : La présente Charte de Respect des Auteurs s’applique tant aux Auteurs vivants qu’aux Auteurs morts, sans prescription ni discrimination d’aucune sorte.

 

Article 6 : D’ailleurs, elle s’applique même à David Gemmell, d’autant plus que BEUAAAAAAAAARH.

 

Article 7 : Alors, bon, hein, bon. Non mais.

 

Article 8 : Ta gueule, Nébal.

 

Merci de votre attention.

 

On ne présente plus David Gemmell, immense (deux mètres) Auteur de fantasy aux innombrables best-sellers (gage de qualité s’il en est). On lui doit bien des chefs-d’œuvre, à commencer par son inoubliable premier roman  Légende. Mais l’Auteur ne s’est certes pas arrêté à ce coup d’essai qui fut un coup de maître, et continua, jusqu’à son décès prématuré, à nous régaler d’histoires d’une inventivité et d’une subtilité sans pareilles.

 

En témoigne assurément Les Guerriers de l’hiver, grand roman qui est peut-être bien son chef-d’œuvre. Publié en France d’abord aux prestigieuses éditions Bragelonne, puis repris en poche dans l’irréprochable label Milady – nouveaux gages de qualité –, et remarquablement traduit par Karim Chergui, cette œuvre rare est un véritable déluge d’action épique, ne négligeant pas pour autant la réflexion. On aurait à vrai dire envie de parler, avec l’immense Bernard Werber, de « philosophie-fiction » pour qualifier cette production si singulière.

 

David Gemmell y poursuit avec brio, au travers d’une subtile variation, l’exploration du thème de prédilection du cycle « Drenaï », à savoir la condition de l’Homme confronté à la Vieillesse et à la Mort. Les Guerriers de l’hiver (l’hiver, d’ailleurs, étant, à l’instar du feu, un autre thème de prédilection de l’Auteur), ce sont en effet pour l’essentiel trois hommes d’un autre âge, trois vieillards diraient certains, et qui, comme tels, se trouvent rejetés par la société qui les met implacablement à la retraite (on sent percer, dans les premières pages du roman notamment, une puissante critique sociale, ce qui ne fait qu’ajouter à la majesté de l’œuvre).

 

Il y a tout d’abord Nogusta, redoutable épéiste noir à l’ascendance trouble et aux mystérieux pouvoirs prophétiques (on remarquera au passage que David Gemmell se joue des clichés, lui qui n’hésite pas [SPOILER] à faire mourir ce remarquable personnage en dernier, alors qu’il est noir) ; il y a ensuite Kebra, redoutable archer, aussi sage qu’habile ; il y a enfin le bien nommé et redoutable Bison, géant simple au grand cœur, à l’image de l’Auteur, qui est en outre l’occasion d’hilarantes scènes humoristiques (« Son cul est un tambour ! »), parfois d’une délicatesse qui n’a d’égale que sa pertinence (on se souviendra longtemps de la fameuse scène du « pet aux oignons sauvages »).

 

Ces trois hommes faits, et quelques autres plus jeunes, se retrouvent plongés dans une aventure impitoyable : la Vie. (« Le froid, c’est la vie », note intelligemment Nogusta dans les premières pages). Ils étaient au service de l’Empereur Skanda, Drenaï qui a vaincu les Ventrians en s’appuyant sur eux, mais les néglige désormais, à l’instar du charismatique Loup Blanc, leur général au surnom si original. Aussi les trois guerriers quittent-ils la capitale ventriane, sans trop savoir quel sera leur avenir.

 

Mais l’aventure, inévitablement, va les rattraper. En effet, la ville ploie sous les assauts des démons, qui menacent d’envahir à nouveau le monde, après 4000 ans d’exil. Ces démons suscitent d’innombrables crimes inexpliqués, et le pire est encore à venir : conformément à une ancienne prophétie, la mort de trois rois annoncera leur retour en force. Au début du roman, l’Empereur ventrian a déjà passé l’arme à gauche ; on comprend vite que Skanda sera la prochaine victime ; puis reste son enfant encore à naître…

 

Cependant, par un heureux concours de circonstances, la reine enceinte, accompagnée de sa fidèle prêtresse, femme forte, et d’un jeune officier qui se destinait à la vie monacale, ainsi que de trois enfants – qui sont autant d’occasions de scènes tendres et émouvantes –, trouve protection auprès des trois vieux guerriers. Mais ils ne pourront pas fuir éternellement devant les démons ; l’heure de l’affrontement approche !

 

L’originalité est le maître-mot de ces Guerriers de l’hiver : on aura beau chercher longtemps, le fait est que l’on n’a jamais rien lu de semblable. Il fallait bien un Auteur de la trempe de David Gemmell pour allier avec autant d’adresse l’action la plus tonitruante à la réflexion la plus profonde. Fable puissante sur la Vie et la Mort, le Destin et l’Honneur, riche en morceaux de Bravoure, Les Guerriers de l’hiver tétanise le lecteur par sa virtuosité. La plume de Gemmell, magnifiquement rendue par la traduction, n’a jamais été aussi précise et juste. Ses personnages, tous mieux campés les uns que les autres, suscitent un attachement irrémédiable, qui ne rend leur sort tragique que plus douloureux. Loin de tout manichéisme, Gemmell sait ici colorer ses splendides paysages hivernaux de subtiles nuances de gris (au moins 50), et rendre ainsi toute la complexité du Monde et de l’Homme. Et que dire de cette magnifique conclusion, si ce n’est qu’elle vaut bien celle de  Légende, voire fait encore mieux ?

 

Disons-le franchement : Gemmell fut une chance pour nous autres lecteurs, un Auteur hors-normes, au talent défiant les étiquettes, et qui n’est sans doute pas encore reconnu autant qu’il le mériterait. Et Les Guerriers de l’hiver est peut-être bien son chef-d’œuvre. Précipitez-vous sur cette leçon de littérature, aussi palpitante qu’intelligente, exigeante, certes, mais le jeu en vaut la chandelle : vous ne serez pas déçus.

 

Tu nous manques, David.

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"La Guerre olympique", de Pierre Pelot

Publié le par Nébal

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PELOT (Pierre), La Guerre olympique, Paris, Denoël, coll. Présence du futur, 1980, 319 p.

 

Suite de ma découverte des œuvres SF de Pierre Pelot. Après, il y a peu, le tout à fait recommandable Fœtus-party, passons donc à La Guerre olympique (probablement un des plus célèbres romans de science-fiction de l’auteur ; en tout cas, ça faisait un moment que je comptais le lire). Et, cette fois, je peux bien le dire d’ores et déjà, nous sommes bien en présence d’un excellent roman, aussi pertinent que palpitant. Un véritable modèle du genre. Qui, pourtant, repose sur un postulat a priori absurde, mais que l’on adopte vite sans soucis, en suspendant très volontiers son incrédulité. Comme dans la meilleure SF, quoi.

 

Nous sommes en 2222. Le monde a finalement peu changé depuis notre époque (ou plus exactement depuis 1980, date de publication du roman). L’humanité n’est pas partie à la conquête de l’espace (Lune exceptée, où l’on trouve des hôpitaux psychiatriques), et la Terre est surpeuplée, avec environ 15 milliards d’habitants (comme dans Fœtus-party, tiens). Technologiquement, rien n’indique véritablement un grand bond en avant.

 

Mais nous sommes, depuis 2200, à l’ère de la GUERRE OLYMPIQUE. La Terre est en effet scindée pour l’essentiel (il reste bien quelques non-alignés) en deux blocs : d’un côté, les libéraux, les BLANCS ; de l’autre, les socialo-communistes, les ROUGES. Si, idéologiquement, les positions des deux camps semblent irréconciliables (mais, au travers d’un des personnages, on pourra en douter…), il n’en reste pas moins qu’ils se sont mis d’accord pour adopter un mode original de résolution des conflits. Plutôt que de se livrer à une guerre « traditionnelle », avec tout ce que cela implique, les deux antagonistes se livrent donc à la GUERRE OLYMPIQUE. Tous les deux ans, des champions BLANCS et ROUGES se retrouvent et s’affrontent aux cours d’Olympiades violentes, virant au combat de gladiateurs.

 

Mais la compétition a des conséquences dépassant largement la seule confrontation sportive. En effet, chaque victoire à une épreuve (course piégée, lancer de hache, etc.) confère des points, tandis que la défaite débouche sur l’exécution automatique d’un certain nombre d’indésirables dans le camp vaincu, parias, criminels ou éléments subversifs qui se sont vus implanter une mini-bombe dans le crâne, et suivent avec une attention renforcée par la terreur les épreuves sur les Champs d’honneur (BLANCS) ou les Champs d’expiation (ROUGES). Pour cette 12e GUERRE OLYMPIQUE, les ordinateurs qui préparent tout ça tablent sur une fourchette d’environ 10 millions de morts en tout. C’est beaucoup moins qu’une « vraie » guerre, non ? À l’évidence, c’est donc là la solution idéale.

 

Le roman suit pour l’essentiel quatre personnages. On commence avec Pietro Coggio, champion BLANC, Français d’origine italienne, « acheté » à ses parents à l’âge de six ans pour en faire une bête de compétition. Un peu concon, mais sacré sportif. En fait, à partir du combat de lutte sur lequel s’ouvre le roman, et au cours duquel il massacre son adversaire chinois, on n’en doute plus (d’autant qu’il a déjà remporté deux autres épreuves) : il sera du Grand Parcours des Héros qui clôt la GUERRE OLYMPIQUE. Il a été dressé pour ça, faut dire. Entouré par un trio de préparateurs (entraîneur, médicopsy, soigneur-dopeman), Coggio fait preuve d’une habileté sans pareille qui le destine à en faire un grand nom de la compétition sportive.

 

Virginia Vorane est la petite amie de Coggio. Mais il n’est pas facile pour les deux de se voir au cours de la GUERRE OLYMPIQUE (pour des raisons de sécurité, vous comprenez ?). Mal à l’aise, elle ne fête même pas avec son amoureux sa victoire à la lutte, dernière occasion pour elle de le voir avant la fin de la compétition, ce qui passe mal et soulève quelques suspicions. Enfermée dans un appartement où elle est harcelée par la presse et sous la surveillance permanente de la Sécurité, la jeune femme, typique à en croire certains de la fiancée de champion, attend et redoute la performance de Coggio le Héros.

 

Yanni Bog Bonnefaye est français. Il y a peu encore jeune homme bien sous tous rapports, il a eu le malheur de tomber dans la sédition, distribuant des tracts très critiques à l’encontre du système et notamment de la GUERRE OLYMPIQUE. Ce qui lui a valu une condamnation, et donc l’implantation d’une mini-bombe. Les ROUGES l’emportent largement sur les BLANCS dans la première partie de la compétition, mais Yanni a survécu jusque-là. Reste néanmoins le Grand Parcours des Héros : à la fin de celui-ci, tous les condamnés du camp perdant meurent… Il suscite la curiosité de la journaliste américaine Slim O’Aokey, qui lui propose de le suivre, façon télé-réalité, durant les derniers jours de la GUERRE. Yanni commence par refuser, puis se plie au jeu ; l’occasion pour lui de confier ses craintes et ses rancœurs…

 

Reste enfin le Hongrois Mager Cszorblovski. Lui aussi est un condamné, mais du camp ROUGE, et droit commun (il a tué sa compagne). Cet ancien artiste comique redoute le Grand Parcours des Héros. Aussi cherche-t-il à s’assurer les services d’un « coupeur de têtes » à même d’ôter la mini-bombe dans son crâne…

 

Des Olympiades antiques aux contemporaines, en passant par les jeux du cirque, les tournois et les matchs de foot, sport et politique ont toujours entretenu des relations serrées, et hélas souvent douteuses. On ne m’ôtera pas de l’idée (d’ailleurs, suffit de me regarder…) qu’il y a quelque chose de fondamentalement pourri et vicieux dans le sport. Sans nécessairement aller jusqu’aux Dieux du stade (je parle du film de Leni Riefenstahl, pas du calendrier, mais à la limite…), et même si j’aurais bien envie de dire, à ma manière péremptoire, que c’est un truc de fafs, il suffit d’ouvrir les yeux pour constater ces liens : je me souviens, en 1998, du regain de popularité de Jacques Chirac suite à la victoire de la France à la coupe du monde de football (et, la même année, la très sérieuse revue politique Pouvoirs avait consacré un numéro entier, d’ailleurs passionnant, au foot…) ; et est-il nécessaire d’évoquer les enjeux de la désignation de telle ou telle ville pour les Olympiades ? Par ailleurs, si Nébal n’aime pas le sport et les sportifs, hors dimension purement ludique (malgré tout, j’ai donné…), il aime encore moins les supporters, brutes nationalistes à plus ou moins grande échelle, obunbilées par le légendaire « On a ga-gné ! », réflexe qui m’a toujours dépassé… Dès lors, le regard critique porté par Pierre Pelot sur les liaisons dangereuses entre sport et politique ne pouvait que me parler.

 

Ou presque. J’avoue, dans un premier temps, avoir émis quelques réserves, tant le postulat du roman peut, à le prendre au pied de la lettre, sembler absurde. Mais ces doutes ont été vite balayés par le talent remarquable de Pierre Pelot, qui traite de son sujet avec une pertinence des plus appréciables. La Guerre olympique est en effet un roman d’une grande intelligence (dans tous les sens du terme), qui sait pointer avec une astuce diabolique qui n’a d’égale que sa lucidité les collusions les plus abjectes du sport et de la politique. Le roman a de faux airs de fable noire, très noire, et se montre terriblement efficace.

 

C’est à l’évidence l’œuvre d’un grand écrivain, maître dans l’art de tenir ses lecteurs en haleine. Le lecteur, bon gré mal gré, vibre devant les exploits de Coggio, et tremble à chaque épreuve – et a fortiori lors du stupéfiant Grand Parcours des Héros –, tremble avec et pour Yanni et Mager ; après tout, l’un des deux au moins est destiné à périr… Pierre Pelot retranscrit à merveille l’excitation comme la peur qui imprègnent les rencontres sportives, à ceci près que les enjeux sont ici fatals, ce qui ne fait qu’en rajouter une couche.

 

Le roman, fort bien écrit – un style fluide, élégant dans sa simplicité –, se dévore tel un page-turner, sans abêtir pour autant. Leçon d’écriture maîtrisée et intelligente, La Guerre olympique est un excellent roman, aussi pertinent qu’haletant. Il jette un regard sans concession sur notre triste monde tragique, et le tableau qu’il dépeint, 32 ans plus tard et en dépit de la fin de la guerre Froide, n’a rien perdu de son actualité. Preuve s’il en était encore besoin du grand talent de Pierre Pelot.

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"Ortog et les ténèbres", de Kurt Steiner

Publié le par Nébal

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STEINER (Kurt), Ortog et les ténèbres, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction, [1975] 1981, 157 p.

 

Suite et fin, après  Aux armes d’Ortog, du fameux diptyque de Kurt Steiner. Ortog et les ténèbres, publié initialement au Fleuve Noir « Anticipation » en 1969, est un livre qui m’intriguait passablement ; j’avais en effet du mal, à m’en tenir au pitch, à comprendre ce que ce livre faisait au FNA, ça me paraissait un peu trop « bizarre » pour ça… Mais en fait non. Entendons-nous bien : Ortog et les ténèbres est bien un roman « bizarre », ou, si vous préférez, foncièrement original, mais il remplit en même temps parfaitement le cahier des charges de la célèbre collection populaire. Mais voyez plutôt.

 

L’action prend place presque immédiatement après le retour de Dâl Ortog Dâl sur Terre. L’ancien berger devenu Chevalier-Naute a donc trouvé comment lutter contre l’épidémie de morts précoces qui frappait l’humanité.

 

Mais trop tard en ce qui concerne sa douce et tendre  Kalla Karella, qui a perdu la vie en son absence.

 

Zut.

 

Ortog est inconsolable. Et quelqu’un entend bien, semble-t-il, en profiter : un jour, alors que notre héros se recueille, au bord du suicide, auprès de la tombe de son aimée, il est accosté par frère Alban, un prêtre qui est loin de partager le rejet de la science de la plupart de ses collègues (voir  Aux armes d’Ortog) ; c’est même, à sa manière un peu étrange, un scientifique, en contact avec les biophysiciens de l’Université. Mais son titre exact est celui de nécrosophe. Nécrosophes et biophysiciens, depuis des années, cherchaient, en réaction à l’épidémie, à percer les mystères de la mort. Et si le succès de la mission du Solaris a rendu leurs recherches moins pressantes, il n’en reste pas moins qu’elles sont sur le point d’aboutir.

 

Frère Alban a en effet conçu une nécronef, capable à l’en croire de franchir les frontières de la mort, par-delà le temps et l’espace. Dâl, dans un premier temps, n’y voit que des élucubrations d’illuminé. Mais il finit par se laisser convaincre de la réalité de la chose et, accompagné du Maisonnier-Baron télépathe Zoltan, il embarque à bord de la nécronef en partance pour l’au-delà.

 

Les navigateurs se dédoublent, et, une fois franchi le chemin des Sept Agonies, parviennent dans un étrange univers quadridimensionnel, où s’affrontent perpétuellement les envoyés et les déchus…

 

Vous avouerez que ce n’est pas banal. Du moins si l’on s’en tient au principe du voyage dans l’au-delà, on peut se demander ce qu’il y a de science-fiction là dedans. Mais ça passe mieux, certes, quand on parle de voyage extradimensionnel ou d’univers parallèles (car c’est bien de cela qu’il s’agit en fin de compte). Et si le roman débute dans le pur délire métaphysique largement incompréhensible, il se met rapidement à tenter de « rationnaliser » et « matérialiser » tout ça, à grands renforts de pseudo-science et de jargon adéquat. Pourquoi pas, après tout ? Même si l’on renacle un peu devant certaines explications qui n’en sont pas vraiment, on suit donc assez volontiers notre Orphée des temps futurs dans son périple improbable.

 

Mais voilà : assez rapidement, et ce malgré quelques jolis tableaux dantesques et une action à peine moins frénétique que celle du premier tome, on s’emmerde quand même pas mal. Disons-le (mauvais point pour moi, je sais) : Ortog et les ténèbres est chiant… comme la mort (pardon). On est bien loin, en dépit des bonnes intentions de l’auteur qui justifient bien la publication de ce roman bizarre au Fleuve Noir « Anticipation », de la réussite palpitante (un peu trop, même) dans le genre « SF à papa » qu’était  Aux armes d’Ortog. Kurt Steiner a beau multiplier les rebondissements et construire un univers pour le moins original et foisonnant, on s’ennuie. Enfin, en tout cas, JE me suis ennuyé.

 

L’ambiance d’Ortog et les ténèbres, étrangement, et à la différence du premier tome là encore, n’a rien arrangé à l’affaire. En voulant jouer des ressorts de la tragédie grecque, Kurt Steiner a usé d’un style extrêmement pompeux et vite pénible. C’est écrit, oui, mais trop (jamais content le Nébal). Et si le morbide et l’épique ont leur mot à dire, c’est sans grande conviction, hélas.

 

 Donc voilà. C’est plein de bonnes choses, mais, bizarrement, ça ne passe pas, et c’est l’ennui qui domine. Une déception, donc. Bon, pas dramatique non plus… Mais j’attends davantage de l’auteur, sous son vrai nom d’André Ruellan cette fois, pour Tunnel, que je vais lire très prochainement. Un tout autre registre a priori.

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"Le Sceptre du hasard", de Gérard Klein

Publié le par Nébal

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KLEIN (Gérard), Le Sceptre du hasard, préface de Jacques Goimard, Paris, Robert Laffont – Presses Pocket, coll. Science-fiction, [1974] 1980, 187 p.

 

Je n’avais jusqu’à présent lu de Gérard Klein que deux recueils de nouvelles,  La Loi du talion et  Mémoire vive, mémoire morte, et un roman, probablement son plus célèbre,  Les Seigneurs de la guerre. C’était pas mal, tout ça. Aussi avais-je envie d’en lire un peu plus, sans forcément en trouver l’occasion, quand bien même Le Gambit des étoiles et Les Tueurs de temps prenaient la poussière dans ma pile à lire. Mais voilà, une fois de plus, la lecture de La Science-fiction en France de Simon Bréan est passée par là, qui m’a incité à m’y remettre, mais tant qu’à faire, non pas avec les deux romans sus-cités, mais de préférence avec Le Sceptre du hasard, roman initialement publié sous le nom de plume de Gilles d’Argyre dont le thème me paraissait tout à fait intéressant. À m’en tenir à la quatrième de couverture et à la préface de Jacques Goimard, toutes deux tellement élogieuses que l’on pourrait supposer qu’elles sont l’œuvre de Gérard Klein himself, il faut croire que c’était un bon choix. Le qualificatif de chef-d’œuvre est même avancé. Mazette, ça doit être bien, alors.

 

Environ quatre siècles dans le futur. L’humanité a essaimé dans la galaxie, colonisant les Cent Mondes (qui sont pas loin de 200 si j’ai bien tout suivi). Suite à des guerres meurtrières et à l’émigration vers les autres planètes, la population de la Terre a drastiquement diminué, mais celle-ci reste, théoriquement tout du moins, à la tête de l’humanité. Au sommet de la pyramide se trouve le stochastocrate, désigné aléatoirement par la Machine du Hasard, ultime reliquat de l’Ère des Sondeurs contemporaine (ce qui m’a tout naturellement fait penser à Loterie solaire de Philip K. Dick, voire aux abjects « non-A » de Van Vogt, souvent cité en modèle dans la préface, argh). Pour le reste, la société – nécessairement parfaite, a fortiori avec la relégation sous-terre des Indignes – est organisée par les robots. Ce système est dans l’ensemble apprécié de tous, même s’il existe quelques Démos (démocrates, au sens moderne, donc) pour le contester et se montrer désireux de remettre en place le principe d’élection.

 

Au début du roman, nous assistons à la désignation par la Machine du Hasard du nouveau stochastocrate, suite au décès du précédent. Manque de bol, ça tombe sur Ingmar Langdon, qui n’en a vraiment pas envie. Cet intellectuel vaguement réac n’a strictement aucune ambition politique (sa mère en a pour deux) et, s’il le pouvait, il refuserait cette charge. Hélas pour lui, la Constitution l’interdit : le stochastocrate désigné par le hasard doit exercer ses fonctions, qu’il le veuille ou non. Alors Ingmar Langdon tente de fuir à bord de son glisseur, se demandant même s’il ne pourrait pas, après tout, trouver refuge chez les Indignes, ce qui lui paraîtrait moins pire… Mais un attentat a lieu, auquel il ne survit que par miracle (ce n’est pas le cas de son glisseur et, horreur glauque, de ses livres, détruits au cours de l’assaut).

 

Il est retrouvé par Sandra Devon, fille du précédent stochastocrate et ardente Démo. Il n’a dès lors plus le choix, et doit se rendre à la capitale pour enfiler les habits de sa prestigieuse fonction… Et, ça tombe bien, il doit dès le départ prendre des décisions cruciales en ce qui concerne les « étrangers », extraterrestres mystérieux avec lesquels l’humanité vient tout juste de rentrer en contact ; un parti belliciste se dessine, ce qui ne l’enchante guère… Mais, hop ! nouvel attentat… Décidément, quelqu’un lui en veut.

 

Cette idée de la stochastocratie, qui plus est en situation de crise, me paraissait plutôt intéressante, et explique largement pourquoi mon choix s’est porté sur ce roman. Hélas, la réflexion politique est assez vite délaissée au profit de l’action à cent à l’heure avec rebondissements en veux-tu en voilà, ce qui n’est certes pas très surprenant (après tout, c’est du Gilles d’Argyre, le versant « populiste » de Gérard Klein – je reprends le qualificatif de la préface, qui n’est pas employé dans un sens péjoratif, alors que bon), mais tout de même un peu regrettable à mes yeux. En ce sens, le roman a bien quelque chose de vanvogtien, mais – heureusement – la confusion portnawak en moins.

 

Cela dit, quand on parle de chef-d’œuvre à propos de ce Sceptre du hasard, mon cul s’insurge, et entend bien préciser à la face de la Nébalie entière qu’il n’est pas constitué de poulet. Alors, certes, c’est divertissant, et on n’a pas le temps de s’ennuyer ; de ce point de vue, c’est sans doute une réussite. Mais voilà : ça ne dépasse jamais vraiment le seuil du roman de gare honnête, malgré l’ambition de son postulat. On s’amuse, oui, mais on aimerait bien réfléchir un peu plus. Raté, ça sera pour une autre fois…

 

Et, de temps en temps, on peste un peu, aussi. J’avoue, à cet égard, que la conclusion du roman ne m’a vraiment pas satisfait, nageant d’une part dans l’optimisme le plus béat, et nous infligeant d’autre part une ultime « révélation » (sur la nature du meuchant vraiment très très meuchant « maître inconnu ») qui paraîtra parfaitement ridicule à tout un chacun, mais intéressera éventuellement les psychanalystes.

 

Aussi, le roman a beau être foisonnant et d’une lecture plutôt agréable, il ne m’en a pas moins déçu. Personnages caricaturaux et propos simpliste viennent nuire à ce qui aurait pu donner un bon ersatz de science-fiction politique, et on se retrouve avec un roman d’aventure relativement banal. Pas désagréable, mais pas de quoi non plus en faire un fromage.

 

Sans parler d’une apothéose.

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