Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Ayako – intégrale, d'Osamu Tezuka

Publié le par Nébal

Ayako – intégrale, d'Osamu Tezuka

TEZUKA Osamu, Ayako – intégrale, [Ayako 奇子], traduction [du japonais par] Jacques Lalloz, traduction complémentaire [du japonais par] Patrick Honnoré, préface de Patrick Honnoré, Paris, Delcourt – Tonkam, coll. Tezuka, [1972] 2018, 721 p.

Il y a environ un mois de cela, je vous avais fait part de ma relecture, dans une toute nouvelle et très luxueuse réédition, de L’Histoire des 3 Adolf, de Tezuka Osamu – en même temps était ressortie, dans les mêmes conditions… eh bien, la seule autre BD du « Dieu du manga » que j’avais déjà lue : Ayako. Et cette BD, à l’époque, m’avait particulièrement touché – voire traumatisé. Il me fallait la relire, et, oui, le terrible impact de cette histoire parfaitement abominable et d’une noirceur oppressante demeure. En fait, et même en mettant L’Histoire des 3 Adolf dans la balance, je crois bien qu’Ayako est la bande dessinée la plus éprouvante que j’ai jamais lue, foin des origines géographiques ou des genres… D’une dizaine d’années antérieure à L’Histoire des 3 Adolf, Ayako incarne au mieux, au plus franc, cette bascule dans la pléthorique œuvre de Tezuka vers des récits plus adultes, et surtout très sombres – nul héros positif dans ce genre d’histoires…

 

Cela dit, les liens ne manquent pas entre ces deux séries au-delà – et, notamment, Ayako comme L’Histoire des 3 Adolf un peu plus tard joue de la carte du thriller (et, dans le cas présent, du policier) pour faire (plus ou moins) passer la pilule d’une chronique politique et sociale empreinte de considérations philosophiques extrêmement pessimistes. Et, comme L’Histoire des 3 Adolf, Ayako tient en même temps de la fresque historique, avec une histoire se développant sur près de trois décennies, et empruntant à des événements réels.

 

Un peu de contexte, du coup – indispensable pour apprécier l’intrigue. Tout commence en 1945, année fatidique pour le Japon : la Défaite face aux troupes américaines a anéanti le pouvoir nationaliste et militariste ; le Japon est occupé, et, si le SCAP a décidé d’épargner l’empereur, celui-ci est contraint de faire l’aveu qu’il n’est pas un dieu – et la sécularisation du Japon est un objectif prioritaire de MacArthur : le SCAP voit sans doute à bon droit dans le « shintô d’État » une cause essentielle de l'impérialisme japonais, et donc de la guerre. Mais la politique très volontariste des États-Unis va bien au-delà : dans l’idée de « démocratiser » le Japon, et à marche forcée, les autorités d’occupation imposent des réformes de grande ampleur, qui bouleversent encore un peu plus le modèle japonais – ainsi, notamment, une colossale réforme agraire, probablement la plus radicale jamais effectuée dans un contexte non communiste. Mais voilà, justement : le communisme doit être intégré dans l’équation… Quand MacArthur arrive au Japon, la libéralisation du pays et la promotion des droits de l’homme impliquent entre autres la libération des opposants politiques réprimés par le régime nationaliste et militariste japonais – parmi eux, les communistes (au sens large) sont les plus nombreux, qui rencontrent alors un écho non négligeable… et, la Guerre Froide s’annonçant, très vite, les autorités américaines redoutent d’avoir ouvert la boîte de Pandore (ou d’Urashima Tarô, puisque nous sommes au Japon, mais ce n’est pas tout à fait la même chose) ; à l’égard des communistes, à la veille de la guerre de Corée (déterminante pour le redressement de l’économie japonaise), la politique américaine opère un retournement radical : elle promeut les « purges rouges » en même temps qu’elle « pardonne » à bien des criminels de guerre d’extrême droite, souvent liés aux yakuzas, et auxquels elle « rend » les rênes du pouvoir, comme s’il ne s’était rien passé…

 

Or les occasions ne manquent pas, pour les militants des deux bords, de s’affronter – dans Ayako, Tezuka met l’accent sur les plans de licenciement massif dans les chemins de fer japonais (qui étaient parmi les plus développés au monde, pour partie en raison de magouilles politiques) ; c’est que, dans ce contexte, l'auteur peut faire référence, en maquillant à peine les noms, à une bien sombre affaire (et quelques autres, en fait...) : la mort très, très suspecte de Shimoyama Sadanori, premier président des Chemins de Fer Nationaux Japonais – aujourd’hui encore, les circonstances de la mort du haut fonctionnaire n’ont pas été éclaircies : meurtre (éventuellement politique, impliquant éventuellement les Américains) ou suicide ? Bien sûr, la première hypothèse est la plus stimulante pour Tezuka, et lui fournira un prétexte utile – même si, comme dans L’Histoire des 3 Adolf, c’est assez clairement un MacGuffin.

 

Car, si ce contexte est essentiel, le cœur de l’histoire, au sens du moins le plus primaire, est ailleurs, dans l’évocation sur trois décennies d’une ancienne famille traditionnelle japonaise, les Tengé, qui « règnent » depuis cinq siècles sur « leurs terres » au nord du Japon, autour de la ville de Yodayama. Comme tels, ces descendants de seigneurs locaux subissent de plein fouet l’impact de la réforme agraire, et n’ont pas de mots assez durs et haineux pour ces « communistes » qui l’ont promue, au travers des Américains (eh !), et les ont ainsi dépossédés. C’est que les Tengé incarnent le Japon ancien, encore largement féodal, même si Meiji est passé par là : ils sont des figures du passé, qui sont d’une certaine manière génétiquement incapables d’intégrer combien le monde a changé – et changera qu’ils le veuillent ou non, sans eux s’il le faut. Comme souvent, les Tengé déguisent la défense de leurs intérêts économiques et politiques sous l’étendard du respect des « traditions », jugées bonnes en tant que telles (un discours qui m’a toujours dépassé)… mais la réalité de la famille Tengé est nettement moins bravache, et beaucoup plus sombre – à vrai dire tout sauf « honorable », l’antithèse même de toute conception naïvement idéale de « l’honneur ».

 

Le premier membre de la famille Tengé que nous rencontrons se nomme Jiro – un prisonnier de guerre qui vient tout juste d’être relâché par les Américains et rentre à Yodayama après des années d’éloignement. Mais, là-bas, il subit de plein fouet la haine de son père, Sakuémon, le chef du clan : un vrai soldat japonais ne se serait jamais rendu à l’ennemi, Jiro est un lâche, et un traître ! Et, pour le coup… oui. Préoccupé par sa seule survie, Jiro s’est montré très serviable dans le camp de prisonniers, et a fait office d’indic et d’espion pour les Américains – sa « libération » ne met pas fin à son engagement auprès des services secrets de l'occupant, bien au contraire : elle a été favorisée afin de lui confier régulièrement des tâches qu’il ne peut pas refuser… et dont certaines puent sacrément. On est vaguement tenté, au tout début, de supposer que Jiro sera le « héros » de l’histoire – mais rien de la sorte (et peut-être son bandeau « de pirate », outil de caractérisation étonnant, doit-il être envisagé d’emblée comme un indice, mais j’y reviendrai…) : il n’occupera pas la première place dans ce récit, et, surtout, il multipliera les méfaits, au point où le lecteur à son tour le haïra profondément, peut-être plus encore que tout autre sur le moment…

 

Mais cela vaut en fait pour l’ensemble de la famille Tengé – ou, plus exactement, pour tous les hommes de cette famille (dans laquelle les femmes sont systématiquement des victimes, qui ne se rebellent pas le plus souvent – avec la vague exception de Naoko, qui flirte avec le communisme en flirtant avec un communiste). En effet, les mâles Tengé, dont Jiro, doivent se conformer au modèle déterminant du patriarche, l’odieux Sakuémon, une brute égoïste et autoritaire, qui justifie ses crimes par son statut nécessairement supérieur. L’élément déclencheur, et qui stupéfait Jiro quand il revient à Yodayama, est que Sakuémon a exigé de son fils aîné Ichiro, cupide et pas moins brutal que lui-même, mais aussi parfaitement veule, qu’il lui « livre » son épouse, la pauvre Sué, en échange de la garantie de la meilleure part de sa succession – et Sakuémon abuse sans cesse de Sué, qui lui a « donné » bien malgré elle une fille du nom d’Ayako, quatre ans quand l’histoire débute : ainsi, quand Jiro rentre à la maison, il se découvre stupéfait une petite sœur, et comprend bien vite que sa vieille mère n’en est pas la génitrice – tout le monde sait ce qui s’est passé, mais personne ne le dit… Parce que Sakuémon a tout pouvoir, et que l’inceste (au moins légal, à ce stade, mais plus tard il se passera de cette limitation) est un comportement jugé d’une certaine manière « normal » dans le contexte de la vieille famille Tengé.

 

(Et, ici, parenthèse : je n’en avais évidemment pas conscience lors de ma première lecture, il y a une quinzaine d’années de cela, mais, depuis, j’ai vu le film d’Ôshima Nagisa La Cérémonie, sorti en 1971, soit l’année précédant la publication en revue des premiers épisodes d’Ayako – et je n’ai pas manqué de relever les ressemblances entre les deux œuvres : une fresque s’étendant sur trois décennies, avec pour point de départ la Défaite de 1945, et constituant une métaphore de l'évolution politique et sociale du Japon sur cette période, le film mettant en scène les Sakurada, une famille traditionnelle aristocratique totalement anachronique, sous la coupe d’un patriarche odieux, brutal, autoritaire, qui est par la force des choses le « modèle » répugnant de tous les hommes qui lui sont liés par le sang ou par l’alliance ; les inclinations politiques de ce clan vont tout naturellement à l’extrême droite, même si on retrouve là aussi une vague histoire de flirt avec un communiste, mais, surtout, l’inceste est une véritable tradition au sein de la famille, jugée presque « normale », oui, et qui complique considérablement l’arbre généalogique des Sakurada… Ça fait vraiment beaucoup de points communs – même si je ne sais pas le moins du monde s’il faut y voir une influence, ou simplement l’air du temps et/ou la perpétuation de certains thèmes toujours utiles pour décrire ce genre de familles traditionnelles, et leur hypocrisie manifeste et révoltante.)

 

Tout cela va très mal tourner, inévitablement. Jiro, malgré qu’il en ait, est indirectement associé aux meurtres perpétrés par une sorte de « sous-agence » essentiellement criminelle qui gangrène les services secrets américains en mission au Japon – tout d’abord l'assassinat du fiancé communiste de Naoko, ensuite celui de Shimokawa, c’est-à-dire le Shimoyama Sadanori de Tezuka. Pas de chance : la servante simplette Oryo et la petite Ayako le surprennent à tenter de nettoyer une chemise tachée de sang au milieu de la nuit… Et c’est alors que Jiro, que nous avons déjà vu fourbe, lâche et mesquin, achève de nous faire la démonstration de ce qu’il n’a rien d’un héros, en se comportant en monstre : il menace de battre la pauvre Oryo pour s’assurer de son silence… mais comprend bien vite que la simple d’esprit le dénoncera de toute façon sans même s’en rendre compte : il « doit » la tuer…

 

(Deuxième parenthèse : quand j’avais lu pour la première fois Ayako, il y a donc une quinzaine d’années de cela, j’avais lu juste avant L’Art invisible, de Scott McCloud, qui m’avait vraiment passionné. J’avais été intéressé, notamment, par le discours sur l’identification aux personnages, variant selon le degré de schématisation ou au contraire de précision de leur illustration : en gros, on s’identifie à un smiley 😊 parce qu’il peut correspondre à tout le monde, et cela vaut de même pour les silhouettes figurant sur les panneaux indiquant les toilettes ou que sais-je – c'est leur raison d'être, d'une certaine manière. Et c’est pour la même raison qu’une BD telle que Peanuts de Charles M. Schulz est aussi efficace : Charlie Brown, tout particulièrement, a un visage presque aussi simple qu’un smiley, et on peut donc tous s’identifier à lui, même s'il a certes un sexe et quelques traits et autres procédés de caractérisation – son esquisse de cheveux, son T-shirt… –, qui en font en même temps un personnage ; l’étape suivante pourrait être Tintin, etc. Mais, à mesure que l'on s'éloigne du schématisme, plus un personnage est méticuleusement rendu, avec des traits plus réalistes, et moins il devient un véhicule d’identification – car son caractère de personnage l’emporte et le sépare du lecteur. Un auteur habile peut en jouer, nous dit Scott McCloud – et c’est exactement ce que fait Tezuka dans Ayako : les traits d’abord très simples de Jiro, même avec cet élément de caractérisation qu’est son bandeau sur l’œil droit, et qui contribue déjà à le différencier du lecteur – c’est en fait surtout en cela que c’est un indice de son caractère particulier –, ses traits tout d’abord simples, donc, permettent, voire incitent à, l’identification du lecteur ; mais, au moment précis où le personnage bascule, juste avant qu’il devienne proprement haïssable, Tezuka lui consacre une case silencieuse où son visage est incomparablement plus réaliste, avec quelque chose qui peut évoquer la gravure, voire un soupçon de photoréalisme ; le lecteur ne peut dès lors plus s'identifier au personnage, et il comprend intuitivement que quelque chose de terrible va se produire, quelque chose à laquelle il ne veut surtout pas avoir part... Cette case est une exception dans la BD, Jiro reprendra immédiatement ensuite des traits plus classiquement « tézukiens », mais ce procédé m’avait particulièrement saisi à l’époque, me renvoyant immédiatement à ce que disait Scott McCloud : l’impact émotionnel est énorme ! Par contre, mes souvenirs me joueraient-ils des tours ? Parce que je croyais me souvenir que cette case très particulière était en fait une double planche entière – mais, ici, c’est seulement une case « comme une autre », même si assez grande relativement, à la fin d’une page gauche « normale », et donc juste avant la révélation du crime de Jiro, quand on tournera la page, « comme dans Tintin » ; bizarre…)

 

Depuis quelque temps, déjà, Jiro comme la famille Tengé dans son ensemble sont pris dans un diabolique engrenage qui ne laisse aucune échappatoire – et, plus on progresse dans l’intrigue, plus cette mécanique amène les personnages à enchaîner les horreurs. Mais la BD connaît bientôt une nouvelle bascule, après le meurtre d’Oryo et le départ de Jiro (que nous retrouverons, bien différent, bien plus tard). Ichiro, l’aîné des Tengé, s’est de tout temps soumis à Sakuémon pour garantir sa succession – nous l’avons vu, il est allé jusqu’à « vendre » sa propre épouse à son père ! Le départ de Jiro l’arrange, mais Ichiro redoute que Sakuémon change d’avis quant à son héritage, en favorisant Ayako qu’il adore, ou peut-être même Sué, qui se livre toujours à lui, n’ayant guère la possibilité de refuser… En fait, Ichiro s’avère un personnage mentalement instable – et, si Ayako est le fruit de ses propres crimes, il la hait en fait plus encore pour cette raison… Quand il s’avère qu’Ayako pourrait nuire « aux Tengé » en racontant ce qu’elle a vu, il saisit l’occasion : « l’honneur des Tengé » implique de la faire taire – ils la feront passer pour morte, et l’enfermeront dans une remise, où elle sera à jamais coupée du reste du monde…

 

Et c’est alors, d’une certaine manière, que commence vraiment l’histoire d’Ayako… et qu’il me faut me taire, pour n’en rien révéler – simplement, comme je l’ai déjà dit, cette histoire se finira bien des années plus tard… et impliquera bien des crimes.

 

Il me faut cependant insister sur un point : Ayako n’est pas seulement une BD très, très noire, c’est aussi une BD très, très rude – au point du malaise. Le mot n’est pas trop fort. J’avais déjà dit quelque chose du genre concernant L’Histoire des 3 Adolf, mais Ayako, ai-je l’impression, c’est encore autre chose – encore au-delà. La lecture de ce manga noue l’estomac, régulièrement – au point d’ailleurs où j’ai préféré en étaler un peu la lecture, et je ne crois pourtant pas être le plus impressionnable des lecteurs. Il y a d’ailleurs quelque chose, dans Ayako, qui m’a ramené d’une certaine manière au marquis de Sade – à ce même genre de cruelle noirceur, le rire sardonique en moins ; et, si la BD n’a absolument rien de pornographique, elle s’adresse quand même clairement à un lectorat adulte, il n’y a pas la moindre ambiguïté à cet égard (ou peut-être que si… et c’est bien pour cela que je ressens le besoin de le préciser, car le trait « rond » caractéristique de Tezuka ne doit surtout pas tromper), et la sexualité vaguement ou moins vaguement déviante et perverse sous-tend régulièrement l’intrigue. Je suppose d’ailleurs, au vu d’un commentaire sur ma vidéo portant sur L’Histoire des 3 Adolf, qu’il me faut probablement souligner que, dans Ayako plus encore que dans cette série plus tardive, on ne compte pas les séquences très éprouvantes de violences infligées à des femmes… Je ne crois pas pour autant, mais peut-être naïvement, qu’il faille y voir une forme de complaisance – mais, si tous les hommes ou peu s’en faut dans cette histoire sont des monstres parfaitement répugnants, les femmes quant à elle sont systématiquement des victimes ; la fin de la BD permettrait peut-être un commentaire complémentaire, mais je préfère ne rien en dire ici, au cas où…

 

(Une troisième parenthèse, quand même : Ayako a connu deux fins – la première pour la publication en série, dans la revue Big Comic, et la seconde pour la reprise en volume ; en France, nous ne connaissions que cette dernière, celle que favorisait Tezuka, et qui est très sombre – mais il s’était senti obligé, initialement, de livrer une fin plus « positive », le « happy end » relatif lui paraissant nécessaire dans les conditions de prépublication d’Ayako ; rappelons qu’il commençait alors tout juste, sauf erreur, à basculer vers des récits plus noirs, et peut-être était-il un peu indécis encore à cet égard… Quoi qu’il en soit, l’histoire dans cette réédition s’achève bien avec la fin « sombre », la seule que les lecteurs français connaissaient jusqu’alors – mais, en annexe, on trouve également la fin « positive »… Un bonus bienvenu, mais qui fait surtout la démonstration qu’Ayako ne pouvait pas se terminer de cette manière, que ça sonnait faux, et que Tezuka avait bien fait de remiser cette conclusion de côté. Tant qu’on y est, le paratexte de cette luxueuse réédition d’Ayako n’a rien de commun avec les abondants commentaires concluant chacun des deux volumes de L’Histoire des 3 Adolf – en dehors de la même préface de Patrick Honnoré, qui a semble-t-il également traduit la fin alternative inédite, il n’y a guère que six pages récapitulant les principaux personnages de la BD et les résumant ; le seul véritable apport de cette annexe concerne les personnages et situations historiques sur lesquels brode Tezuka – les autorités d’occupation américaines, et le mystère autour des « accidents » de chemin de fer, pour l’essentiel.)

 

Je n’ai pas grand-chose à dire concernant le dessin, ou l’art de la narration, y compris au travers du biais thriller/policier : pour l’essentiel, je ne ferais que répéter les mêmes choses que j’avais avancées pour la plus tardive Histoire des 3 Adolf. Et, oui, bien sûr, c’est donc d’une très grande qualité.

 

Ayako, globalement, est de toute façon une excellente BD – et une BD importante. Une expérience de lecture éprouvante, aussi, mais ça participe sans l’ombre d’un doute de la réussite exceptionnelle de ce manga crucial. Oui, on peut, on doit, parler de chef-d’œuvre.

Voir les commentaires

L'Enfant de poussière, de Patrick K. Dewdney (abandon)

Publié le par Nébal

L'Enfant de poussière, de Patrick K. Dewdney (abandon)

DEWDNEY (Patrick K.), L’Enfant de poussière – Le Cycle de Syffe [tome 1], illustrations de Fanny Étienne-Artur, Vauvert, Au Diable Vauvert, 2018, 618 p.

Bon, ben, ça ne marche pas à tous les coups, hein ? Il est très rare que j’abandonne des lectures, mais cela peut arriver – et c’est arrivé pour cet Enfant de poussière, de Patrick K. Dewdney, premier tome nous dit-on d’une série de sept (!), qui pesait déjà bien ses 620 pages ; le deuxième tome, La Peste et la vigne, tout aussi volumineux, étant déjà sorti. En fait, je suppose même que cette parution a eu sa part dans ma décision de baisser les bras – car c’était comme si le premier roman, qui m’ennuyait profondément, avait soudain plus que doublé de volume ! Ce qui avait quelque chose d’un peu menaçant ? Quoi qu’il en soit, au bout de 440 pages du tome 1 environ, las et au mieux indifférent à l’égard de ce qui m’était raconté, j’ai lâché l’affaire – je ne manquais pas d’autres choses à lire.

 

Ce roman a reçu un accueil très favorable chez les blogopotes – et c’est sans doute pour de bonnes raisons. Mais je n’ai pas pu… Notez bien, je ne l’ai pas détesté non plus, je ne ressens pas le besoin de hurler combien il serait mauvais, etc. – mais il m’a sans l’ombre d’un doute paru bien médiocre, car très… banal, en fait. Je ne comprends dès lors pas le caractère censément « événementiel », pour ne pas dire « providentiel », de L’Enfant de poussière. Je vais tâcher de dire pourquoi…

 

« Le Cycle de Syffe », puisque c’est donc ainsi qu’il faut désigner l’ensemble, se situe dans un registre low fantasy, disons, ou de fantasy « réaliste », très éloigné de tout caractère épique. Il y a des cartes dans le bouquin (preuve que c’est bien de la fantasy) (aha), mais qui se dévoilent au fur et à mesure, avec une focalisation très ciblée – nous n’avons pas (dans les livres, mais on peut la trouver ailleurs) de carte globale. Ainsi, le début du roman se concentre sur la région immédiatement autour de Corne-Brune, une sorte de principauté frontalière, en tant que telle aux limites de la « civilisation ». Les autochtones, de la bonne société comme de l'autre, n’en sont que plus hostiles à l’encontre des « barbares » plus ou moins nomades qui les « envahissent », disent-ils ; le racisme et la xénophobie sont des thèmes sous-jacents du roman, qui redoublent d’une certaine manière mais en le complexifiant l’ersatz local de « lutte des classes », disons (même si cela serait en même temps une « lutte des ordres »).

 

Et nous y faisons la connaissance de Syffe (ce qui n’est en fait pas un nom à proprement parler, c’est un mot qui désigne les « étrangers » dans la perspective mentionnée à l’instant), un orphelin (oh…) de huit ans. L’Enfant de poussière est la première partie de l’autobiographie de Syffe, et porte sur quelque chose comme trois années, à vue de nez, qui ont changé sa vie – un vieux Syffe en est l’auteur, qui revient sur son passé avec, suppose-t-on, le recul qu’autorise seule la sagesse forcément (?) conférée par le poids des ans. Et c’est une vie… compliquée.

 

Dès les premières pages, L’Enfant de poussière nous braille à la gueule « ROMAN D’APPRENTISSAGE !!! », et, de fait, Syffe a bien des choses à apprendre. Bien des choses auprès de bien des maîtres, très différents les uns des autres… En fait, pour ce que j’en ai lu (mais a priori ce premier roman s’en tient là même dans les 180 pages en gros sur lesquelles j’ai préféré faire l’impasse), L’Enfant de poussière rapporte les enseignements reçus par Syffe auprès de trois maîtres successifs, qui ont tous comme de juste quelque chose de pères de substitution : le premier est le Maître-Lame Hesse, une sorte de super-policier/espion au passé un peu lourd, qui tire Syffe des mauvais pas de la petite délinquance pour en faire un agent/indic/espion au service de Corne-Brune. Le deuxième maître est un médecin du nom de Nahirsipal, un ancien esclave en provenance d’une lointaine contrée, et dont le savoir scientifique est en même temps religieux – cette partie est clairement celle qui m’a le plus parlé dans le roman (relativement s’entend, bien sûr). Mais le troisième maître est un guerrier mercenaire issu du fier peuple des Vars, et qui répond (s’il le veut !) au nom de Huldrik – il forme, à la rude, son apprenti (crotteux) Syffe au combat, à la survie et à la LIBERTÉÉÉÉÉÉÉ anarchiste (même si, sans surprise, je trouve la brute plus « anarfasciste » qu’autre chose, ça-arrive-parfois-hein, et sous cet angle je n’ai pas manqué de soupirer en repensant à un Damasio, mettons ; les deux aiment bien le Comité Invisible, d’ailleurs, à en juger par cette interview).

 

Mais cette succession des maîtres tient aussi à ce que la vie de Syffe est tumultueuse, avec une certaine prédilection pour le fait de se trouver exactement là où il n'aurait pas dû être. De mauvaises décisions, ou la fatalité, ou les déterminismes sociaux, décident de l'avenir de Syffe, au fil de ruptures brutales où l'accumulation a sa part.

 

C'est qu'il y a bien sûr de nombreux à-côtés – qui sont à leur tour autant d’occasions d’apprentissages pour notre Syffe apprenant ; ainsi auprès des tribus semi-nomades qui plantent périodiquement la tente dans la, euh, banlieue ? de Corne-Brune… mais aussi bien, par la force des choses, dans les écuries des nobliaux du coin, où le travailleur forcé Syffe charrie de la merde à longueur de journées, tâche parfaitement vaine mais qui réjouit son sadique « petit-chef ».

 

Et voilà pour l’essentiel – mais ceci, c’est dans la perspective de l’autobiographie de Syffe : il n’en laisse pas moins entendre qu’il se passe bien des choses dans le vaste monde, et, çà et là, se dessine progressivement le tableau d’un âge au bord de la crise, et de la guerre – la sédition nobiliaire et réactionnaire gronde en Corne-Brune, qui exècre d’autant plus le primat qu’il est « teinté » de sang étranger ; les fédérations conçues pour prévenir les conflits s’effondrent ; on engage ici ou là des troupes de mercenaires, dont les redoutables Vars, censément pour des « opérations de police », qui ne trompent personne… La haute politique est à l’arrière-plan, Patrick K. Dewdney ne fait pas à cet égard dans le « Trône de Fer », mais elle est là néanmoins – et, comme dit plus haut, ce tableau d’ensemble implique aussi d’envisager quelques thématiques politiques et/ou sociétales liées, touchant aussi bien à l’immigration et à la xénophobie qu’à la participation au pouvoir, aux conséquences diplomatiques mais aussi sociales du commerce comme aux modalités de l’aide aux indigents ou de la justice criminelle, au poids de la tradition quelle qu’elle soit ou encore à la place des femmes dans la société.

 

Ces thèmes sont intéressants en tant que tels, et, dans un premier temps du moins, l’auteur en traite de manière plutôt habile, je suppose (j’émettrais seulement un bémol : cela passe à l’occasion par des « scènes d’exposition » qui rompent le registre et l’intrigue). Cependant, la dimension de roman d’apprentissage de L’Enfant de poussière, qui y est nécessairement liée, m’a assez vite saoulé… et d’autant plus du fait de la répétition qu’elle implique finalement, avec cette succession de trois maîtres – une succession, au passage, qui n’est pas aussi compartimentée que j’ai pu en donner l’impression : si Hesse est le premier de ces enseignants, il le demeure en parallèle à Nahirsipal. Le médecin est donc celui qui m’a le plus séduit – y compris dans ses traits les moins unilatéralement positifs : le regard qui est porté (par Syffe ou surtout par l'auteur, qui y reviendra via Huldrick) sur sa religiosité, voire sa superstition, n’a rien de neutre, mais le personnage y gagne en caractère. En revanche, le guerrier var m’a vraiment pété les burnes… et le ton pseudo-sage-à-la-dure, ou je-t'apprends-la-vie-dans-la-forêt-mon-jeune-padawan-karaté-kid, qui accompagne ses « leçons » encore plus – même en prenant en compte combien notre narrateur Syffe affirme haïr ce troisième maître : les discours de ce dernier n’en sont ni moins pontifiants, ni moins creux (et vaguement ou moins vaguement puants). Bon, nous n’étions pas forcément supposés aimer ce personnage… Je ne sais pas ce que cela donne dans les 180 pages restantes de L’Enfant de poussière – et encore moins dans La Peste et la vigne, si la question doit seulement être posée. Non, ils n’ont pas à être sympathiques, ces maîtres, et l’auteur a toute latitude pour malmener l’identification du lecteur, passé le seul Syffe qui la monopolise par la force des choses, dans une perspective où les « héros » n’ont pas lieu d’être – c’est même un parti-pris que j’apprécie, de manière générale.

 

Le problème demeure : où sont les qualités propres qui font que l’on lira L’Enfant de poussière de préférence à what mille pavés de fantasy initiatique ? Quel est le petit plus, le truc, qui fait la différence ? Très honnêtement, je ne l’ai pas trouvé – nulle part. Si ce roman m’a déçu, c’est d’abord et avant tout parce que je l’ai trouvé tristement banal. J’ai déjà lu cette histoire – trop souvent (je n’ai pas forcément de références précises à mentionner, justement parce que c’est de banalité qu’il s’agit, mais je relève que plusieurs camarades ont cité Robin Hobb). Et j’ai déjà rencontré ces personnages – trop souvent ; bon sang, je les ai même probablement joués ou mis en scène dans je ne sais combien de parties de jeu de rôle… et pas les meilleures. Je n’y vois que des archétypes imbriqués dans un schéma narratif strict de roman d’apprentissage qui n’en tient que davantage de la formule (impression renforcée par la répétition de la structure). Le genre fantasy y a certes abondamment eu recours, cela fait sans doute même partie de son essence, mais il n’en reste pas moins que L’Enfant de poussière, ici, ne se distingue en rien du tout-venant. Et l’univers non plus n’a pas la moindre saveur – ce que l’optique « réaliste » n’implique en rien, voyez, pour citer des locomotives, George R.R. Martin donc ou, chez nous, Jean-Philippe Jaworski (auquel on n’a pas manqué de comparer Patrick K. Dewdney, comme on le fait pour absolument tout « nouvel auteur de fantasy francophone », et généralement sans vraie raison autre que commerciale) ; et il en va de même pour l’approche « micro » plutôt que « macro ». À tous les niveaux, en somme, j’ai la conviction que L’Enfant de poussière n’a pas ce « truc » qui en fait une lecture préférable à d’autres. Le caractère censément « événementiel » de cette publication ne m’en laisse que davantage perplexe.

 

Ce « truc », à en croire les blogocopines et copains, pourrait résider dans le style de Patrick K. Dewdney – mais, là encore, je ne suis pas convaincu. Ou disons pas totalement. En cela aussi, d’ailleurs, l’auteur me fait penser d’une certaine manière à Alain Damasio… Tous deux ont indéniablement le sens de la formule : ils sont capables, et de manière régulière, de livrer des sentences qui sonnent, qui claquent, et qui appellent presque irrésistiblement à la citation – par exemple, quand Syffe prend conscience des implications de la manière dont on le désigne : « […] je ne connaissais aucun chien auquel son maître n'avait pas daigné donner un meilleur nom que chien. » Sobre, pertinent, efficace. Et des sentences de ce type ne sont pas seulement là « pour faire joli », mais servent bel et bien l’histoire et l’ambiance, quitte à appuyer un peu trop sur les thèmes sous-jacents, d’une manière pas toujours très subtile. Mais, oui, ça sonne, ça claque, régulièrement au fil de L’Enfant de poussière – peut-être même chaque page a-t-elle sa phrase parfaitement à sa place, fond et forme. En cela, je suppose que Patrick K. Dewdney est effectivement au-dessus du lot… mais pas tant que cela non plus, car, pour chaque formule élégamment troussée, j’en vois une autre, deux paragraphes plus loin, qui boite pour quelque raison (une répétition malencontreuse, une rupture dans le registre de langage qui nuit à l’immersion, ce genre de choses). Ceci pour la forme, mais cela vaut aussi pour le fond (comme chez Damasio là encore, aux deux niveaux), ainsi quand l’auteur tend à devenir pontifiant, et émet des saillies censément spirituelles et profondes mais qui ne le sont pas tant que cela à y regarder de plus près, ou, autre possibilité, des réflexions tellement démonstratives dans leurs intentions qu’elles en deviennent péniblement lourdes, et, donc, guère subtiles. Du coup, j’ai sans cesse fait la bascule entre ce qui fonctionne bien, voire très bien, et ce qui fonctionne mal, voire très mal – parce que boiteux, parce que lourd, parce que démonstratif. Je veux bien croire que ce jeune auteur, qui a déjà quelques livres à son actif dans d’autres domaines (le policier, mais aussi la poésie) a du talent, une bonne plume, et dès maintenant, c’est-à-dire probablement plus que du simplement potentiel, mais L’Enfant de poussière me paraît encore inégal en la matière.

 

Ce n’est pas forcément un mauvais roman, non... On en a dit beaucoup de bien, c’est sans doute qu’il y a de bonnes raisons à cela. Mais il ne m’a pas plu – parce que je l’ai trouvé tristement banal, n’y ayant pas décelé le moindre élément en faisant une lecture préférable à une autre, tout particulièrement dans ce genre très encombré, et plus qu’à son tour par la formule, qu’est la fantasy, qu’elle soit low ou high ou ce que vous voudrez. Je n’y vois certainement pas l’événement que l’on a dit – même si ma déception ne pèse probablement pas grand-chose au regard de l’enthousiasme quasi systématique dans la réception de L’Enfant de poussière. La seule chose que je puis affirmer est que moi, je, me, myself, I, me suis ennuyé à mourir dans cette lecture, au point où je n’ai pu la mener à son terme – d’autant qu’à ce stade, je me doutais depuis quelque temps déjà que je n’aurais aucune envie de poursuivre l’expérience avec La Peste et la vigne… et les cinq autres tomes prévus !

 

Pas possible.

 

Vraiment pas.

Voir les commentaires

Les Attracteurs de Rose Street, de Lucius Shepard

Publié le par Nébal

Les Attracteurs de Rose Street, de Lucius Shepard

SHEPARD (Lucius), Les Attracteurs de Rose Street, [Rose Street Attractors], traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Daniel Brèque, Saint Mammès, Le Bélial’, coll. Une heure-lumière, [2011] 2018, 128 p.

Quinzième titre de la collection « Une heure-lumière » des Éditions du Bélial’, Les Attracteurs de Rose Street rappelle Lucius Shepard à notre bon souvenir, en passant forcément par la traduction impeccable et l’enthousiasme militant de son zélé propagandiste, Jean-Daniel Brèque. L’auteur est de longue date associé à l’éditeur, mais nous n’avions pas eu grand-chose à nous mettre sous les yeux depuis le décès de Shepard en 2014 – ceci alors même que les inédits ne manquent pas. Maintenant, il n’a jamais été le plus vendeur des écrivains, et son goût pour le format (chouettement) bâtard qu’est la novella peut éventuellement sécher quelques entreprises éditoriales qui s’en accommodent mal ; mais « Une heure-lumière » est une collection de novellas, pour le coup – dès lors l’écrin parfait pour continuer de traduire Lucius Shepard.

 

Qui le vaut bien. Maintenant, je ne cacherai pas que je n’ai jamais été un ultra-ultra-fan, hein : j’ai globalement toujours aimé ce que j’ai lu, mais je ne prétendrai pas que ça m’a systématiquement renversé. Je lui reconnais cependant une voix particulière, c’est indéniable – dans un registre de l’imaginaire, oscillant entre science-fiction et fantastique, qu’il a fait sien, et dans lequel il est relativement isolé. Les Attracteurs de Rose Street confirme sans peine tout cela.

 

Nous sommes à la fin du XIXe siècle, à Londres, où le smog est plus épais que jamais. Dans cette Angleterre victorienne qui cultive l’hypocrisie, mais dont la dignité de façade ne trompe absolument personne, la pas si bonne société se réunit dans des clubs toujours plus select, où elle jase et dénigre – ce qu’elle a toujours fait et continuera toujours de faire. Le jeune Samuel Prothero, un aliéniste en cette époque pionnière dans l’étude des pathologies mentales, et sans doute trop pionnière pour être pleinement respectable, le jeune Samuel Prothero donc n’échappe pas à la règle, et se réjouit, lui le provincial proverbialement monté à la capitale, d’avoir gagné l’accès au Club des Inventeurs, l’endroit idéal pour gagner appuis, contacts, et recommandations, à même de faire de lui un parfait gentleman.

 

Le Club n’en a pas moins son mouton noir, car il en faut toujours un : Jeffrey Richmond, un inventeur certes doué, et un homme fortuné par ailleurs, mais, voyez-vous ça, il vit à Saint Nichol, un quartier très mal famé de Londres – ce qui suffit à lui ôter toute crédibilité : dis-moi où tu habites, et je te dirai qui tu es… et pourquoi je te méprise. Prothero n’en pense pas moins. Pourtant, un soir, Richmond l’accoste : il aurait besoin de ses services… contre une belle rémunération ? Principes ou pas, Prothero ne crache certes pas sur la proposition, la curiosité voire le voyeurisme y ayant sans doute aussi leur part, et décide de donner sa chance (?) à l’inventeur paria... à moins qu'il ne s'agisse simplement de saisir une opportunité de s'initier, en compagnie d'un cicérone de circonstances, au bas-monde londonien, qui a la séduction un peu vulgaire d'une prostituée. Et c'est peu dire, car Prothero accompagne ainsi Richmond dans sa demeure de Saint Nichol, et découvre avec effroi et frissons d'excitation comme de dégoût… qu’il s’agit d’un ancien bordel ! Pire, un bordel qui était tenu par la propre sœur de Richmond ! Et deux des… « employées » sont toujours là ! Horreur, horreur glauque ! Protestations d'effroi ! Et frissons...

 

Mais il y a plus : les attracteurs de Richmond – des machines qu’il a développées (à base de pseudo-science « ta gueule c’est pseudo-scientifique »), et qui sont conçues pour débarrasser Londres de son smog (mais la métropole le veut-elle seulement ? Le smog a ses avantages…). Le projet est prometteur, même si loin d’être abouti – il serait assurément à même de valoir à son inventeur les lauriers du scientifique philanthrope... ou pas, car cela impliquerait malgré tout de minimiser la souillure nauséabonde du logis à Saint Nichol.

 

Mais voilà : ces machines ont un effet secondaire imprévu… qui est qu'elles attirent des fantômes ! (« Ta gueule c’est fantastique. ») Et parmi les âmes en peine qui rôdent autour des attracteurs, il y a la défunte sœur Christine… Or Richmond veut en savoir plus – sur elle, sur ce qui l’a amenée, et comment, à tenir un bordel, et sur les circonstances de son meurtre, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit. L’aliéniste Prothero est chargé de disséquer la psyché d’une morte, avec laquelle il n'apparaît pas possible de communiquer.

 

Ce qui implique de s'installer sur place. Mais, dans cet ancien bordel, qui en a conservé quelque chose – comme la souillure indélébile de Saint Nichol –, les occasions ne manquent pas, pour un jeune et talentueux aliéniste, d’appliquer son savoir à des créatures plus classiquement vivantes. Et jusqu’à lui-même, sans doute, et plus encore quand il tombe follement (…) amoureux de la belle Jane, la plus raffinée des anciennes employées de Christine…

 

Ce résumé un peu tordu en témoigne, je suppose : Les Attracteurs de Rose Street est une novella complexe et très dense, où il se passe pas mal de choses très diverses. À vrai dire, le liant est parfois un peu lâche, et le sentiment de lire un récit passablement décousu est sans doute dans l’ordre des choses.

 

Et pourtant pas tant que cela ? C’est que le liant ne réside pas dans ces éléments d’intrigue disparates, mais dans l’ambiance et les thèmes – les vrais atouts de la novella, pour le coup autrement solides. Et si ce récit met tout d’abord en avant, via ces mystérieux « attracteurs », une quincaillerie connotée steampunk, c’est sans doute un leurre, un de plus, car le clinquant pulp n’est guère à sa place ici : il s’agit bien plutôt d’explorer l’âme humaine. Shepard s’amuse sans doute à respecter le cahier des charges, et il « cite », toutefois avec bien plus de finesse qu’il n’est d'usage dans ce registre très référentiel. Son Angleterre victorienne est imprégnée de références gothiques, on devine ici un Jekyll, là le souvenir d'un Frankenstein (malgré les années d'écart et le contexte tout autre), etc., mais l’essentiel est décidément ailleurs – en même temps que l’ambiance sous-tendue par ces clins d’œil nécessaires, mais suffisamment discrets pour rester de bon goût, s’attache davantage à la description d’un Londres d’autant plus hypocrite qu’il est vicié, à l’instar de ce smog qui s'avère charrier le souvenir de défunts infréquentables. Finalement, machines et fantômes ou pas, on louche plutôt du côté des penny dreadfuls, surtout, et éventuellement du Portrait de Dorian Gray. La place centrale accordée au sexe dans cette affaire en témoigne tout particulièrement, avec la décadence fin-de-siècle qui va bien, tandis que les réflexions de Prothero, quand il fait l’aller-retour entre Saint Nichol et le Club des Inventeurs, ont quelque chose d’une prise de conscience – de ce que le vice suinte littéralement de la digne aristocratie des clubs, et qu’une prostituée, même formée professionnellement pour la mascarade, a plus d’âme et de personnalité dans ses comédies que tant de faux-nez et autres masques, qui jouent aux savants pour épater la galerie, mais sentent la charogne dès l'instant qu'on s'y arrête un peu.

 

En même temps, les éléments proprement imaginaires des Attracteurs de Rose Street ne sont pas pour autant totalement gratuits : si les machines de Richmond ont quelque chose d’un prétexte, elles sont cependant le moteur (...) d’une métaphore efficace et pertinente, qui distille insidieusement une sensation de vague malaise qui ne lâchera plus le lecteur jusqu’à la dernière page. Mais, bien sûr, les fantômes participent à leur tour de cette métaphore, et Lucius Shepard sait, au travers de ces êtres intangibles, susciter des tableaux puissants, dont on ne sait trop en même temps s’ils sont avant tout déprimants ou inquiétants.

 

Ou émouvants, ça n'est pas exclu non plus.

 

(Moi qui potasse Wraith en ce moment, j’y ai trouvé de beaux modèles, et mine de rien ça n’est pas toujours si commun dans le traitement littéraire ou cinématographique des fantômes.)

 

Finalement, cette novella n’est donc pas si décousue qu’elle en a tout d’abord l’air, car tout dans ce texte, du plus fantasque au plus prosaïque, dans l’éthéré comme dans le charnel, dans le céleste comme dans le matériel, unit les personnages dans une même ronde inquiète et finalement très humaine – les ambitions de Prothero comme la tendance au retrait de Richmond, les comédies de Jane comme les chansons d'ivrognes de la plus crue Dorothea, les fantasmes (eh) du bordel comme les impostures des clubs, et, toujours, derrière, les remords et les pensées inavouables, ce qui peut être dit et ce qui doit être caché, ce qui brille et ce qui souille, l’élévation et la sanie, et les paradoxes qu’implique nécessairement ce jeu des contraires qui sous-tend sempiternellement l'ensemble.

 

La plume de l’auteur, en évitant l’écueil de la virtuosité, sait se montrer juste et authentique avant tout ; elle sonne suffisamment victorien pour que l'illusion fonctionne, sans en faire trop. L’ambiance y gagne, et l’impact sur le lecteur n’en est que davantage renforcé.

 

Je n’irais pas jusqu’à faire des Attracteurs de Rose Street un des meilleurs titres de cette collection – globalement de bonne à très bonne tenue. Mais elle lui fait honneur, indéniablement. Et si je ne peux toujours pas prétendre avoir été retourné par ce texte, je l’ai suffisamment apprécié pour espérer d’autres traductions encore de Lucius Shepard, un auteur qui gagne décidément à être connu.

Voir les commentaires

Les Doigts rouges, de Keigo Higashino

Publié le par Nébal

Les Doigts rouges, de Keigo Higashino

HIGASHINO Keigo, Les Doigts rouges, [Akai yubi 赤い指], roman traduit du japonais par Sophie Refle, Arles, Actes Sud, coll. Actes Noirs, [2009] 2018, 236 p.

Il y a un peu plus d’un an de cela, j’avais bien apprécié la lecture de La Lumière de la nuit (malgré ce titre…), gros pavé dû au maître actuel du polar japonais, Higashino Keigo, un auteur dont je ne savais alors absolument rien. Cette expérience très concluante, notamment au regard de l’acuité du tableau sociologique dressé par le romancier, m’incitait à prolonger l’expérience. Il y a quelques mois de cela, je me suis donc procuré un autre roman de l’auteur, en Actes Noirs cette fois : Les Doigts rouges (lui aussi adapté en téléfilm au Japon, tiens).

 

Question format, c’est un peu le jour et la nuit : là où La Lumière de la nuit était un bon gros pavé, Les Doigts rouges est un roman très bref, moins de 250 pages, et très aérées – et là où le précédent roman affichait d’emblée son caractère ambitieux en développant une intrigue complexe sur plus de vingt ans, Les Doigts rouges tient en quelques jours à peine. Si le machiavélisme est de la partie dans les deux cas, ce roman plus récent donne cependant bien davantage l’impression d’un engrenage fatidique, qui ne laisse aucune chance au criminel…

 

Et au-delà, en fait : c’est bien le propos.

 

Les Maehara forment une famille tristement banale, où l’indifférence à l’égard des autres l’emporte sur les vagues reliquats de sentiments, si même il y en a jamais eu. Akio est un père démissionnaire et un mari absent – un fils ingrat, aussi, qui ne goûte guère d'être contraint à vivre avec sa mère Masae, une veuve qui perd un peu la tête, aussi laisse-t-il à sa sœur Harumi le soin de s’occuper d’elle. L’épouse d’Akio, Yaeko, tient de la mégère frustrée par sa condition, ulcérée par la médiocrité et les tromperies de son époux, et presque naturellement hostile à l’encontre de sa belle-mère – elle reporte sur leur seul fils Naomi tout le poids de ses affections contrariées. Et ledit Naomi, quatorze ans, est un cas emblématique de hikikomori… mais le type violent, celui qui terrifie régulièrement les médias japonais.

 

Un jour fatidique, Yaeko appelle Akio à son bureau – où il enchaîne les heures supplémentaires non payées, car cela vaut toujours mieux que de rentrer à la maison. Il s’est passé quelque chose de grave… C’est peu dire : Naomi a tué une petite fille ! L'adolescent revêche ne dit pas pourquoi ni comment, mais sa culpabilité ne fait aucun doute ; sauf qu’il ne semble même pas comprendre ce que le mot « culpabilité » signifie, il se moque totalement de son crime, qu’il ne perçoit pas comme tel, et en reporte de toute façon la faute sur ses parents – il se réfugie dans sa chambre, comme de juste, et on ne le reverra qu’à peine en passant de tout le roman.

 

Mais que faire ? Pour Akio, cela va de soi : Naomi a commis un crime, et, même si c’est son fils, il est tout disposé à le livrer à la police, qui ne manquera pas de comprendre ce qui s’est passé, et très vite ; ils n'ont pas le choix, de toute façon. Mais Yaeko furieuse multiplie les menaces (et les invectives à l'encontre de son lâche époux) : son fils n’ira pas en prison ! Et jouer la carte du trouble mental pour lui épargner la responsabilité pénale ne fonctionnera pas : où qu’il aille, il sera aux yeux de tous un tueur de petite fille ! Les gens sauront ! Akio est-il donc si veule et indifférent, pour condamner son fils à pareil sort ? Oui, Yaeko n’en a pas grand-chose à secouer de la gravité du crime : la seule chose qui compte pour elle est l’avenir de ce fils qu’elle ne parvient pas à gérer et qui n’éprouve rien pour elle, si sa puérilité s’accommode bien de la servitude maternelle – l’amae est du lot…

 

Poussé dans ses retranchements, Akio commence par dissimuler le cadavre, laissé jusqu’alors à l’abandon dans un sac poubelle au fond du petit jardin des Maehara, dans les toilettes d’un square un peu plus loin ; mais l’enquête policière s’intéresse immanquablement à la petite famille naturellement dysfonctionnelle – et, tandis que Yaeko succombe de plus en plus à la panique, Akio songe à un moyen de se tirer d’affaire… une idée révoltante, qu’il avait délibérément refoulée jusqu’alors, parce qu'il savait, d'une certaine manière, qu'une fois qu'il l'aurait posément envisagée, il ne pourrait plus reculer et il lui faudrait la mettre en œuvre ...

 

Car l’enquête débute très vite, et progresse tout aussi rapidement. Akio n’est pas un criminel endurci – un père de famille lambda ne peut que commettre des erreurs dans pareilles circonstances ; les indices ne manquent donc pas qui, sans incriminer à proprement parler les Maehara, incitent du moins les détectives à s’intéresser à ce foyer désuni – et à tous ses membres, tous…

 

Kaga Kyôichirô est un enquêteur doué – froid, méthodique ; cette affaire est l’occasion pour son cousin Matsumiya de se former au travail sur le terrain – ceci en dépit de la vague gêne qui persiste entre eux, due à l’indifférence manifeste de Kyôichirô concernant le sort de son père en train de mourir à l’hôpital, quand Matsumiya est lui très attaché à cet oncle qui avait fait office pour lui de père de substitution et de mentor…

 

Oui : la famille – c’est bien le thème central de ce roman. Et, comme dans La Lumière de la nuit, cela passe par une étude quasi sociologique de ce thème, brassant les représentations qui y sont associées, notamment par les médias. Nous avons parlé de hikikomori, et du type violent donc, éventuellement aussi d’amae ; nous savons que, chez les Maehara, il y a « trois générations sous un même toit », et en même temps que cette famille était il y a peu encore nucléaire et tout sauf traditionnelle ; nous avons aussi le portrait dysfonctionnel et pourtant si commun d’un époux qui travaille à l’extérieur pour gagner l’argent du foyer, enchaînant les heures supplémentaires, et d’un tempérament plutôt puéril et détaché, jusque dans ses relations extra-matrimoniales, tandis que son épouse doit se contenter d’un petit boulot d’appoint pour se consacrer autrement aux tâches domestiques, dans un environnement particulièrement ingrat, dont elle fait sans cesse le reproche à son époux, mais sans être capable d’y inclure son fils comme faisant partie du problème ; le vieillissement de la population et le sort des personnes âgées sont des préoccupations affichées de plusieurs personnages du roman ; la sénilité, tout particulièrement, est exposée, sur le mode le plus franc de la tendance à littéralement retomber en enfance, etc.

 

Ce tableau, pas si froid qu’il en a l’air, car les Maehara, sans jamais vraiment susciter la sympathie, c’est même plutôt le contraire, n’en ont pas moins quelque chose d’humain qui ne peut que toucher (et tout particulièrement Akio, un très bon personnage, à la psychologie savamment développée), ce tableau, donc, est un des principaux atouts du roman. L’autre, c’est l’engrenage dans lequel sont pris les Maehara, et Akio au premier chef : l’enquête se rapproche toujours un peu plus d’eux, et ils doivent y réagir sous le coup de la panique – toujours un peu plus. Le méthodique Kaga Kyôichirô ne laisse pas passer le moindre détail, et, à terme, l’entreprise des Maehara visant à maquiller le crime de Naomi ne peut qu’échouer.

 

Et nous le savons – et ça n’est en rien un problème, bien au contraire. En fait, dans ce court roman, même si sa nature même de policier implique le suspense et les indices tordus, nous savons donc d’emblée que les choses vont mal tourner pour les Maehara et que la police connaîtra le fin mot de l’histoire, et nous savons aussi, bien avant que le roman ne le dise ouvertement, quel sera en définitive le plan d’Akio pour se sortir de cette sale affaire en épargnant Naomi ; et nous avons au moins une vague idée de comment les enquêteurs sauront circonvenir ce plan. Je crois sincèrement que tout cela participe d’un même atout – l’engrenage, avec ses connotations de panique et de manœuvres désespérées

 

Pour toutes ces raisons, Les Doigts rouges est un court roman d’une lecture très agréable – ou plus exactement il est longtemps un court roman d’une lecture très agréable… Mais, hélas, pas jusqu’au bout.

 

Si j’étais un peu sceptique concernant l’évocation en miroir du sort du père de Kaga Kyôichirô, qui est donc aussi l’oncle de Matsumiya, un procédé que je trouvais un peu forcé voire grossier, et qui rallongeait inutilement un roman certes bref mais qui aurait peut-être gagné à encore un peu plus d’épure, le plaisir l’emportait largement durant la majeure partie du roman. Mais la fin… a tout gâché ? C’est d’autant plus triste que j’ai bien conscience, encore maintenant, de mon plaisir de lecteur avant cela !

 

Mais, oui, j’ai vraiment détesté la conclusion du roman… Notamment du fait d’une succession de twists dans les dernières pages, qui ne m’ont vraiment pas plu. Le premier porte sur l’indice déterminant permettant à Kaga Kyôichirô de mettre à mal le « scénario » conçu par Akio – c’est inutilement tordu, et assez peu crédible ; bon, ça n'aurait pas été déterminant... Mais le deuxième twist porte sur les implications de cet indice – c’est beaucoup trop tordu, au point où c’en est totalement invraisemblable, voire ridicule… Et là je me rends bien compte que la résolution de La Lumière de la nuit n’était pas irréprochable sous cet angle, mais ce n’était pas au point de me gâcher le roman… Hélas, un troisième twist résout l’intrigue parallèle à l’hôpital de la pire, de la plus affligeante et malhonnête des manières !

 

Tout ceci dessert considérablement le roman – mais il y a peut-être pire encore, et c’est que, au moment où ces twists s’enchaînent, le discours sur la famille change brusquement, et pour le pire : Higashino Keigo repeint tout le tableau, jusqu'alors si juste, à la moraline la plus rance et pénible, et d’une banalité affligeante. Comme dit plus haut, le tableau peu ou prou « sociologique » de la famille japonaise moderne qui constituait la structure du roman était non seulement pertinent, mais aussi étonnamment touchant – même au travers de personnages que nous n’avions aucune envie d’aimer ; en fait, leurs travers ne les rendaient que plus humains, et c’était là une dimension essentielle de l’intrigue, qui faisait que nous pouvions être touchés, écœurés, révoltés, affligés, etc. Sans doute ce tableau avait-il d’emblée des fondations trempées dans la morale, mais la morale et la moraline sont deux choses différentes – or, la fin du roman, c’est résolument de la moraline ; et ça pue un peu, et c’est définitivement grossier.

 

Ce ton très pénible, et l’invraisemblance agaçante et inutile des ultimes twists, s’associent pour diminuer considérablement la note d’un roman que je trouvais jusqu’alors tout à fait divertissant et intéressant, même sur un mode relativement mineur – ce qui n’avait à vrai dire aucune espèce d’importance.

 

Une déception, donc – même si je pense redonner sa chance à Higashino Keigo un de ces jours ; Les Doigts rouges me fait l’effet d’un roman tristement raté, mais il n’en contient pas moins beaucoup de bonnes choses – comme, dans un genre différent, La Lumière de la nuit. Qu’il gâche tout en définitive n’en est que plus rageant.

Voir les commentaires

X-Wing 2.0 : Always look on the dark side of life

Publié le par Nébal

X-Wing 2.0 : Always look on the dark side of life

Nous avons remis ça avec le camarade Acteris ! Je n’ai jamais autant joué à X-Wing que depuis la sortie de la 2e édition… C’est qu’il faut tester plein de trucs ! À l’évidence, ce rythme très soutenu n’aura qu’un temps. Mais pour le moment, on s’amuse bien !

 

Adonc nous avons passé une autre après-midi à tester des trucs et des machins – nous avons ainsi joué quatre parties : dans les trois premières, j’ai joué impérial (forcément ?), et rebelle dans la dernière (oh) ; le camarade Acteris a joué deux listes impériales, puis deux racailles.

 

Et… oui. On a chacun essayé des trucs. Qui ont plus ou moins bien marché.

 

Hein.

DECADE(NCE) OF AGGRESSORS – 200 POINTS

 

 

Cette première liste impériale est pour partie issue d’une discussion avec le camarade Albu, après qu’il m’a humilié une fois de plus. On faisait le tour des vaisseaux impériaux, et j’avais noté qu’il n’y en avait que deux que je n’avais pas encore testés en v2… et pour cause, ce sont probablement (avec le TIE Reaper, je le maintiens !) ceux qui ont le plus souffert en passant au nouveau système, alors qu’ils se défendaient plus qu’honorablement en v1 : le TIE/ag Aggressor, et le Star Wing de Classe Alpha.

 

Nous nous sommes surtout intéressés au premier – qui est une sorte d’anomalie dans la flotte impériale : un châssis spécialement créé, semble-t-il, pour avoir des tourelles, ce qui en fait un cas unique dans le camp de la Justice, de la Vérité et du Bon Droit. En v1, il suffisait de l’équiper d’une Tourelle laser jumelée, même un petit Spécialiste Sienar, et, hop ! Ça donnait un truc pas cher du tout et potentiellement très pénible pour l’adversaire – on pouvait même gonfler un peu sa défense avec un Châssis léger, que demandait le peuple ?

 

Mais en v2… En v2, déjà, les règles des tourelles ont considérablement changé (avec l’action de rotation, tout particulièrement), il n’y a plus de Tourelles laser jumelées (et c’est sans doute tant mieux, parce que c’était une amélioration vraiment balaise et donc vraiment pénible), et il n’y a plus non plus de Châssis léger. Les tourelles qui demeurent sont beaucoup moins dangereuses et... agressives (un comble !), aussi la plus-value de cette approche tactique est-elle relativement limitée, surtout eu égard aux caractéristiques assez médiocres en général du TIE Aggressor – et les pilotes uniques de ce support en v2 ont des capacités spéciales plus ou moins excitantes, plutôt moins que plus… Cependant, il fallait tester le truc, hein ! On sait jamais ! Et l’idée était donc d’aligner deux Aggressors, équipés chacun d’une Tourelle à canons ioniques – en jouant sur les capacités des pilotes et/ou des Artilleurs pour s’assurer autant que possible la faculté pour chaque vaisseau de tirer deux fois par tour (ce qui, au fond, ramène bien au fonctionnement de feue la Tourelle laser jumelée).

 

J’ai donc essayé de bâtir une liste sur ce principe – avec les pilotes uniques, que je voulais essayer : le camarade Albu a depuis proposé une autre approche, avec deux Éclaireurs de l’Escadron Onyx, également équipés de Tourelles à canons ioniques, contrôlées par des Artilleurs de tourelle vétérans, mais avec aussi un jeu sur le Talent Gambit des astéroïdes – je suppose qu’il faudra essayer ça aussi, au cas où…

 

Mais, autant le dire tout de suite, ma liste n’a pas fonctionné, et m’incite à me montrer plus sceptique encore quant à la pertinence d’aligner ces chasseurs « anormaux ».

 

 

Puisque la liste avait pour objet de tester les TIE/ag Aggressors, autant commencer par eux, hein ? J’en ai donc aligné deux, les deux pilotes uniques : le premier est le Lieutenant Kestal (36 points d’escadron). Quand il effectue une attaque, après que le défenseur a lancé les dés de défense, je peux dépenser un marqueur de Concentration pour annuler tous ses résultats vierges ou Concentration ; mouais.

 

Je l’ai donc équipé d’une Tourelle à canons ioniques (6) : elle donne – bien sûr – l’action de Rotation, et offre une attaque à trois dés rouges et à portée 1-2 (un truc qui m’a beaucoup fait chier dans cette partie, cette portée…) ; si l’attaque touche, je peux dépenser un résultat Dégât ou Critique pour infliger un Dégât au défenseur – tous les Dégâts et Critiques en plus sont convertis en autant de marqueurs ioniques.

 

Et, ce qui va avec, c’est un Artilleur de tourelle vétéran (8) : après avoir effectué une attaque principale (rappelons que le TIE/ag Aggressor, de base, n’a que deux dés rouges), je peux faire une attaque bonus en utilisant une tourelle pas encore employée durant ce tour. L’idée est donc bien de faire, dans l’idéal, deux attaques par tour : une attaque normale, puis une de tourelle (avec ce timing précisément, j’y reviendrai) – ceci bien sûr si la tourelle est orientée dans l’arc de tir avant, ou si les vaisseaux ennemis sont dispersés ; sinon, eh bien, c’est une tourelle, donc, orientée comme il faut, elle permet d’atteindre des cibles ne faisant pas face au vaisseau – et c’est bien l’objet de ces améliorations particulièrement hostiles pour les pilotes faisant dans l’ « arc dodging », comme on dit en bon français. C’est l’idée, hein…

 

 

Mon deuxième TIE/ag Aggressor est également équipé d’une Tourelle à canons ioniques (6), mais fonctionne différemment – « à l’envers », d’une certaine manière : il s’agit en effet de « Double Edge » (33), qui a une Initiative plus basse (2 au lieu de 4), et une capacité spéciale en vertu de laquelle, s’il rate une attaque de Tourelle ou de Missiles, il peut effectuer une attaque bonus en utilisant une arme différente – pas nécessairement, donc, une attaque d’arme principale.

 

Dans ces conditions, un Artilleur de tourelle vétéran serait moins utile à « Double Edge » qu’au Lieutenant Kestal – enfin, ça se discute, je suppose. Cette capacité spéciale, en prenant certes en compte son côté « roue de secours », car cela suppose une première attaque ratée, offre quand même une certaine souplesse de jeu, mais en imposant un timing différent : cette fois, il faut d’abord faire une attaque de Tourelle ou de Missiles, et ensuite, si elle rate… eh bien, cela dépend des circonstances, mais pas nécessairement une attaque d’arme principale, du coup. Parce qu’un Artilleur était sans doute quand même bienvenu, je me suis décidé pour un Artilleur hors-pair (7) : quand j’effectue une attaque de Tourelle, après l’étape « Modifier les dés de défense », le défenseur doit retirer un marqueur de Concentration ou de Calcul – bon, ça se tente…

 

Mais le point essentiel, avec « Double Edge », concerne probablement la possibilité d’insérer des attaques de Missiles dans son économie offensive (si j'ose m'exprimer ainsi) : je me suis donc décidé pour des Missiles à concussion (6) ; c’est une attaque à trois dés rouges (sans bonus de portée) dans l’arc de tir avant, et à portée 2-3 ; elle nécessite une Acquisition de cible, et, quand l’attaque touche, chaque vaisseau à portée 0-1 du défenseur expose une de ses cartes de Dégâts – et il y a trois charges. Oui, ça se tente…

 

 

Maintenant, il me fallait compléter cette liste – sachant que les deux Aggressors ensemble faisaient tout de même 102 points d’escadron. Je me suis décidé pour une paire de Bombardiers TIE/sa, en fait le duo Jonus/Rhymer que j’avais déjà testé (ici) avec un certain succès ; dans cette liste cependant, ces Bombardiers... n'emportent pas de Bombes, et leur capacité générique n'a donc pas à être rappelée ici.

 

Le premier de ces vaisseaux est piloté par le Capitaine Jonus (36), que j’aime beaucoup, et dont la capacité spéciale permet à un vaisseau allié à portée 0-1 effectuant une attaque de Torpilles ou de Missiles de relancer jusqu’à deux dés d’attaque : il s’agit donc de voler en formation, pour que les autres vaisseaux bénéficient de ce bonus non négligeable (qui s’applique bien sûr également à Jonus lui-même).

 

Le Major Rhymer (34), de son côté, peut augmenter ou réduire de 1, dans une limite de 0-3, le prérequis de portée pour ses Torpilles et ses Missiles.

 

En dehors de ces facultés uniques, ces deux Bombardiers sont équipés des mêmes améliorations : tout d’abord, des Roquettes de barrage (6, cette amélioration requiert deux emplacements de Missiles), qui offrent une attaque à trois dés rouges (sans bonus de portée) dans l’arc de tir principal à portée 2-3 (et donc 1-3 pour Rhymer). À noter, cette attaque ne requiert pas d’Acquisition de cible, mais nécessite en revanche d’avoir un marqueur de Concentration. Et, si le défenseur est dans le « Bullseye », je peux dépenser une ou plusieurs charges pour relancer autant de dés d’attaque – sachant que cette amélioration dispose à la base de cinq charges.

 

Ensuite, les deux vaisseaux sont armés de Torpilles à protons avancés (6) : il s’agit d’une attaque dans l’arc de tir avant à cinq dés rouges (sans bonus de portée), mais à portée 1 seulement (du coup, 1-2 pour Rhymer – ça devient de suite plus intéressant…) ; il faut une Acquisition de cible, mais on peut changer un résultat Dégât en résultat Critique. Par contre, il n’y a qu’une charge…

 

Et c’est donc surtout en pensant à ces Torpilles que j’ai choisi de munir les deux Bombardiers de la même Modification, à savoir Munitions à sûreté intégrée (2) : pour faire simple, si une de mes attaques de Torpilles ou de Missiles rate d'emblée (après avoir jeté les dés rouges, avant que le défenseur ne jette les dés verts), je peux annuler tous les résultats des dés pour récupérer une charge consommée dans cette attaque.

 

 

Bon.

 

 

Ça n’a pas très bien fonctionné. Enfin, les Bombardiers, si, plutôt... Mais pas les Aggressors qu’il s’agissait de tester.

 

En face, Acteris alignait une compo impériale – oui, c’était Empire contre Empire, un exercice de l’Académie, sans doute… Et avec du clonage à la clef, je suppose, car il y avait bien dans cette liste antagoniste un Bombardier TIE/sa… qui n’était autre que le Major Rhymer. C’était la brute de service – les deux autres vaisseaux ennemis jouaient davantage de la carte du « petit machin agile », pour ne pas dire de la savonnette (HEY ! NORMALEMENT C’EST MOI QUI JOUE ÇA !), à savoir un TIE Advanced x1 piloté par (natürlich) le citoyen Dark Vador himself, et un TIE/sk Striker piloté par (natürlich) le citoyen « Countdown ».

 

 

J’ai souffert. Enfin, mes deux Bombardiers s’en sont plutôt bien sortis – d’ailleurs, ils ont très vite pulvérisé « le Rhymer d’en face », qu’Acteris avait un peu imprudemment approché… de sorte qu'il s’est pris deux Torpilles à protons avancées dans la face. Vous connaissez l’histoire de Paf le Bombardier ?

 

Mais le reste… Non, mes Aggressors n’ont pas fonctionné. Déjà, une chose qui m’a considérablement agacé (et, oui, cela tient à ce que je les pilotais comme un sabot, sans doute), c’est que je n’ai quasiment jamais eu l’occasion de faire la « double attaque » qui était censée constituer leur principal (unique ?) atout – ceci notamment du fait de la portée 1-2 de la Tourelle à canons ioniques : je ne l'ai que très rarement utilisée, et les dégâts ioniques ont été plus rares encore (à vrai dire, je ne suis même pas certain d’en avoir infligé). Du coup, j’avais déjà l’impression d’avoir cramé beaucoup trop de points d’escadron pour un truc qui ne fonctionnait pas vraiment.

 

Le deuxième effet Kiss Pas Cool, c’est que les Aggressors, en plus, sont fragiles – trop pour leur coût en ce qui me concerne. Quatre points de Coque et un Bouclier avec deux dés verts, vous me direz, c’est mieux que « Countdown », et, oui, sauf que le Striker a sa capacité spéciale (et il en a fait usage dans cette partie) qui permet de retarder sacrément l’échéance – outre que ses facultés de repositionnement sont tout autres.

 

Acteris, après sa boulette concernant Rhymer, s’est montré plus prudent, et, à bon droit, a concentré ses attaques sur mes Aggressors : il me les a sortis tranquillou, en prenant son temps, et, paf, j’ai perdu 102 points d’escadron, qui ne m’ont quasiment servi à rien de toute la partie. Sauf erreur, quand nous avons arrêté les hostilités pour cause d’horloge, il me restait mes deux Bombardiers, et en relativement bon état ? Mais, avec ces savonnettes de Dark Vador et de « Countdown » en face, je ne pouvais pas espérer faire grand-chose…

 

Acteris l’a emporté, donc – large.

 

Et j’ai regardé mes Aggressors d’un sale œil.

 

Non, le test ne s’est pas montré concluant…

 

0-1.

 

 

GIRL POWER À L’ACADÉMIE – 200 POINTS

 

 

Ma deuxième liste impériale de la journée doit elle aussi beaucoup à une discussion avec le camarade Albu. Nous évoquions les nuées de Chasseurs TIE. Je « défendais » celle que j’avais jouée précédemment contre Acteris, comprenant six vaisseaux avec des pilotes uniques bénéficiant d'une Initiative relativement élevée (trois vaisseaux à Initiative 5, et trois à Initiative 4 – ces derniers étant trois des quatre pilotes de l’Escadron Inferno), mais, à l’évidence, on peut envisager pas mal de formats de nuées différents et efficaces.

 

J’avais envie de reprendre, d’une certaine manière, une configuration que j’avais parfois jouée en v1, de manière plutôt satisfaisante, avec un vaisseau de soutien et quatre ou cinq Chasseurs TIE – à l’époque, j’avais fait une nuée amusante avec une Navette de Commandement de Classe Upsilon (éventuellement pilotée par le Major Stridan) qui appuyait des Pilotes de l’Académie. Je supposais qu’il était possible de faire quelque chose dans cet esprit en v2 – mais, certes, avec un autre vaisseau de soutien, du fait de la scission des factions Empire Galactique et Premier Ordre. Cela dit, la Navette de Classe Lambda avait bien profité du passage à la v2, hein ?

 

Et, surtout, je crevais d’envie de jouer un Équipage plus qu’aguichant dans une configuration « swarm » : l’Amiral Sloane…

 

(J’étais intéressé aussi, de manière générale, par Ciena Ree, mais probablement pour un autre format.)

 

Et, sur ces bases, une liste s’est comme dégagée toute seule…

 

 

Commençons donc par le vaisseau de soutien, qui est bien une Navette T-4A de Classe Lambda. Nous nous sommes posés la question du pilote, en envisageant un simple Pilote du Groupe Omicron, mais je tendais à croire que la capacité spéciale du Capitaine Kagi (48) pourrait être utile à ma nuée : en effet, au début de la phase d’Engagement, je peux ainsi choisir… autant de mes vaisseaux que je veux à portée 0-3, et transférer les marqueurs d’Acquisition de cible ennemis sur la Navette, hop ! Et ça peut s’avérer utile.

 

La clef de cette liste (enfin, en théorie, voyez plus bas…) était donc l’Équipage Amiral Sloane (10), et ladite dame a un effet très, très rigolo : quand un autre vaisseau allié à portée 0-3 a défendu, s’il est détruit, le vaisseau qui l’a attaqué gagne deux marqueurs de Stress. Ce qui est sympathique – mais, en outre, tous mes vaisseaux alliés à portée 0-3 peuvent relancer un dé d’attaque quand ils s’en prennent à un ennemi stressé ! J’aime bien – c’est assez « Premier Ordre », peut-être, comme approche ? Du genre : « Vas-y, fais-moi mal, et plus tu me feras mal, plus tu vas en chier… » Oui, j’aime bien.

 

Maintenant, la Lambda risquait de se prendre le feu ennemi – d’autant plus peut-être si elle accumulait les Acquisitions de cible hostiles. Il m’a donc paru utile de prendre, en guise de deuxième Équipage, la Ministre Tua (7) : au début de la phase d’Engagement, si la Navette est endommagée, elle peut faire une action de Renforcement rouge. Hop ! Ce qui lui permet de conserver en guise de « véritable » action la Coordination, par exemple.

 

Et, là je fais les choses à l’envers, parce qu’il me restait trois points d’escadron à dépenser après m’être occupé de mes Chasseurs TIE : j’ai décidé de prendre au cas où un Canon Rayon tracteur (3) : c’est une attaque à trois dés rouges dans l’arc de tir avant (rappel : la Lambda a aussi un arc de tir arrière, mais sauf erreur cette amélioration ne fonctionne pas dans cette direction), à portée 1-3 ; mais elle n’inflige pas de Dégâts, tous les Dégâts et Critiques sont remplacés par autant de marqueurs de Rayon tracteur. Pour des raisons qui seront bientôt évidentes, je n’ai pas eu l’occasion de l’utiliser…

 

 

Bon, les Chasseurs TIE/ln, maintenant ! Il me fallait un chef d’escadrille, et la question de qui qui donc ne se posait même pas : l’indispensable « Howlrunner » (40) s’est donc invitée dans la partie : tout vaisseau allié à portée 0-1 peut relancer un dé d’attaque quand il effectue une attaque d’arme principale – merci Madame ! Cette liste est très « girl power », décidément…

 

Pas d’améliorations : « Howlrunner » n’en a pas besoin…

 

 

… et les grouillots qui l’accompagnent non plus : on fait simple et sobre, quatre autres Chasseurs TIE/ln, qui sont tous des Pilotes de l’Académie à poil, les moins chers du jeu (23 points d’escadron chacun).

 

Et c’est parti !

 

 

Cette bataille a été assez improbable – largement du fait du choix audacieux d’Acteris de m’opposer une liste impériale peu orthodoxe, constituée d’un Décimateur VT-49 piloté par le Capitaine Oicunn en mode « bump », et... d’une autre Navette T-4A de Classe Lambda, mais pilotée cette fois par le Lieutenant Sai (afin de faire de la Coordination-Renforcement avec le Décimateur).

 

Très honnêtement, je crois que c’était la pire configuration possible face à ma nuée. Et cette partie n’a donc pas duré – moins d’une demi-heure, si je me souviens bien. La Coordination-Renforcement n’a fonctionné qu’un temps, et le Décimateur d’Acteris se prenait tous mes vaisseaux dans la gueule – avec « Howlrunner » pour les booster tous (et dans les ténèbres les rebooster), « Howlrunner » qui, par ailleurs, même Traquée par l’Agent Kallus sournoisement embarqué à bord du Décimateur, échappait aux Acquisitions de cible ennemies du fait de l’intervention du Capitaine Kagi.

 

Bref : mes TIE sont arrivés en formation (les quatre Pilotes de l’Académie alignés devant, « Howlrunner » juste derrière au centre) face au Décimateur, lui ont fait très, très mal, puis ont eu assez de champ pour faire chacun un virage Koiogran sans rompre la formation et sans qu’aucun ne « bumpe » (wahou, je ne pensais vraiment pas pouvoir faire ça un jour…), et finir le gros machin par derrière : j’ai fumé ses quatre Boucliers et ses douze points de Coque en deux tours, Renforcement ou pas. De son côté, Acteris n’est pas parvenu à me sortir le moindre de mes Chasseurs – il a amoché un unique Pilote de l’Académie, mais pas suffisamment. Restait ma liste entière et bien à fond contre une Lambda isolée – Acteris a logiquement concédé. La partie la plus expéditive que j’aie jamais jouée (et remportée, en tout cas…).

 

 

Et pour le coup c’était un peu frustrant, en fait : j’ai tapé comme un mulet, et, oui, c’était assez jouissif, mais je n’ai qu’à moitié joué cette liste – et, notamment, je n’ai pas eu l’occasion de voir ce que donnait l’Amiral Sloane en jeu, or c’était bien l’objet premier de ma compo… Il me faudra donc la retenter dans d’autres conditions, pour la tester vraiment.

 

Quoi qu’il en soit, ce fut un massacre. Littéralement.

 

1-1.

 

 

DÉFENSE ACTIVE – 200 POINTS

 

Pour ma dernière liste impériale de la journée, je voulais essayer un truc qui… m’effrayait un peu ? À savoir piloter deux Défenseurs TIE/d. Le problème étant surtout le prix à mon sens un brin excessif de ces vaisseaux certes excellents… Du coup, on a vite fait d’atteindre les 200 points – ce petit vaisseau coûte plus cher que bien des gros, et pourtant son impact dans la composition est tout autre… Placer un Défenseur, et a fortiori un pilote unique, limite un peu les possibilités pour compléter. Mais, tant qu’à faire, j’ai voulu essayer une liste composée de deux Défenseurs ET PIS C’EST TOUT. Ce qui ne me mettait pas à l’aise : en tant que joueur impérial, j’ai régulièrement des palpitations quand je n’aligne que deux vaisseaux – en fait, c’est encore pire en v2 : là où je jouais souvent trois vaisseaux en v1, j'en joue de plus en plus souvent quatre désormais. Alors seulement deux petits vaisseaux, ou en tout cas deux chasseurs, si vous préférez… Pas n’importe lesquels, certes, mais…

 

Bref.

 

 

Je jouais donc deux Défenseurs TIE/d, l’un piloté par Rexler Brath (84), et l’autre par ma chouchoute la Comtesse Ryad (86). Et tant pis pour le Colonel Vessery ! Mine de rien, cela ne laisse déjà que 30 points d'escadron pour les améliorations...

 

Lesquelles se ressemblent beaucoup d'un vaisseau à l'autre, car ils ont en commun les mêmes Senseur et Missiles : côté Senseur, un Détecteur anti-collision (5), qui, en gros, permet de ne pas tenir compte des effets négatifs d’un obstacle pendant un round entier quand on dépense une charge (et il y en a deux) ; et côté Missiles, des Missiles groupés (6) : attaque à trois dés rouges dans l’arc de tir avant à portée 1-2 (sans bonus de portée), une Acquisition de cible est requise, et, après cette attaque, on a droit à une attaque bonus, sans prérequis de verrouillage, contre une cible différente à portée 0-1 du défenseur ; et il y a quatre charges.

 

Mais les deux pilotes ont un Talent particulier, en lien avec leur capacité spéciale. Rappelons tout d’abord que tous les Défenseurs TIE bénéficient de la faculté générique Plein Gaz, qui leur confère une action d’Évasion gratuite quand ils exécutent pleinement une manœuvre à vitesse 3-5. Zoooooooooooom !

 

Rexler Brath joue avec les marqueurs d’Évasion, justement : quand son attaque touche, s’il a un tel marqueur (et c'est donc plus que probable), il expose une des cartes de Dégâts de son adversaire. Tant qu’à faire, je lui ai du coup donné le Talent Feinte (4) : quand il attaque, s’il a un marqueur d’Évasion (bis), il peut changer un résultat Évasion du défenseur en un résultat Concentration.

 

Ce talent, parce que Défenseur TIE et Plein Gaz, fonctionne très bien avec la Comtesse également, mais j’ai voulu la distinguer un peu. Sa capacité spéciale lui permet, en augmentant leur difficulté, de changer toutes ses manœuvres Tout Droit en Virages Koiogran – elle peut ainsi se retourner à vitesse 2-5, sans prendre de stress, et donc virtuellement chaque tour. Ce qui en fait un candidat de choix pour le Talent Manœuvre improbable (6) : tant qu’elle effectue une attaque dans l’arc avant, si elle n’est pas dans l’arc de tir de sa proie, celle-ci lance un dé de défense en moins.

 

 

Et… ça a bien mieux fonctionné que je ne le pensais. En fait au point où cette partie également a été très expéditive – guère plus d’une demi-heure si je me souviens bien…

 

En face, Acteris était passé aux Racailles et Scélérats, sa faction de prédilection. Il alignait trois vaisseaux : un Patrouilleur de Classe Firespray (je ne me souviens plus avec certitude du pilote, c'était soit Krassis Trelix, soit Koshka Frost, même si je penche plutôt pour la première hypothèse), un Chasseur M-12L Kimogila piloté par Torani Kulda, et, pour compléter, un Chasseur de têtes Z-95-AF4 en mode kamikaze, plus précisément un Soldat du Soleil Noir.

 

Le Firespray est une de mes bêtes noires – un des vaisseaux que je crains le plus dans les factions d’en face. Cela m’a incité à concentrer mes assauts sur les deux autres. Rexler Brath a bien profité de son Détecteur anti-collision et de sa Feinte (même si Torani Kulda veillait pour ce qui était des marqueurs verts), tandis que la Comtesse enchaînait les Koiogran à son habitude – les deux vaisseaux s’en sont pris au Kimogila en priorité, mais, en attaquant avec des Missiles groupés, ils infligeaient en fait également des Dégâts au Z-95 tout proche. En deux tours de combat, les deux vaisseaux ont dégagé du tapis, et mes Défenseurs étaient sauf erreur peu ou prou intacts – Acteris avait encore son Firespray indemne, mais il a aussitôt concédé...

 

À la différence de ce qui s’était produit avec la liste précédente, je suppose que je peux cette fois considérer que cette compo à base de deux Défenseurs TIE a bel et bien été testée, et de manière concluante – mais je la ressortirai quand même un de ces jours, pour voir ce qu’elle donne dans d’autres configurations.

 

2-1 !

 

 

CHEWBACCA-WING – 200 POINTS

 

 

Bon, encore une partie à livrer, et j’ai voulu, cette fois, tenter de (me la) jouer rebelle… et sans grand succès. En fait, chaque partie où je rallie l’Alliance me convainc un peu plus que je ne suis pas fait pour cette faction – outre qu’il y a assez peu de choses qui m’excitent la concernant.

 

Attention, je ne dis certainement pas que les rebelles sont nuls, qu’ils ont souffert en passant à la v2, ce genre de trucs que j'entends ou lis çà et là, et qui me paraissent infondés – je dis seulement que je ne sais pas comment les prendre, et que je les joue mal, et probablement parce qu’ils m’ennuient un peu. Du coup, en fait de « faction alternative » (car je continuerai probablement de jouer au premier chef impérial), je louche de plus en plus sur les Racailles et Scélérats – qui m’ont quand même l’air autrement fun. Du moins au regard de mes envies de jeu.

 

Mais bon : là, j’avais donc fait une liste rebelle – et à l’arrache, au dernier moment, avec au moins un choix peu ou prou inutile... Je crois que cette tendance à bâcler en dit long à sa manière… outre que je n’ai pas vraiment cherché à faire dans la synergie ou truc : j’ai très bourrinement pris le gros socle qui me plaisait le plus, et l’ai associé à deux petits socles… eh bien, « presque impériaux », je suppose…

 

 

Nous commençons donc avec un Cargo Léger YT-1300 modifié, piloté par ce bon vieux Chewbacca (84) : avant qu’une carte de Dégâts ne lui soit assignée face visible, il peut dépenser une charge pour qu’elle lui soit assignée face cachée à la place – et le vaisseau dispose d’une charge récurrente. Bien, ça.

 

Bien sûr, ce YT-1300 n’est autre que le Faucon Millenium (6), car tel est son Titre, qui lui donne une action d’Évasion blanche, et fait que, s’il a un marqueur d’Évasion, il peut relancer un dé de défense (certes, il n’en a en principe qu’un seul).

 

Et Chewie a ses copains à bord. Tout d’abord, côté Artilleur, nous avons rien moins que Han Solo (12) : pendant la phase d’Engagement, à Initiative 7 (bon, en clair, avant tout le monde), il peut faire une attaque de tourelle (en l’espèce l’arme principale du YT-1300) – mais il ne peut pas remployer cette tourelle plus tard durant cette même phase. 12 points d’escadron juste pour être sûr de taper le premier, mf… Je suppose qu’il y a de la combo à faire pour rentabiliser cette carte – en fait j'en suis à peu près convaincu ; mais ce n’est pas en bâclant mes listes que je la trouverai…

 

Côté Équipages, deux gaziers, deux potes : d’abord et surtout, Lando Calrissian (5), le joueur – il donne une action bizarre où on jette deux dés verts, et on gagne les marqueurs Concentration et/ou Évasion correspondants – si les deux résultats sont vierges, c’est l’adversaire qui choisit un de ces deux types de marqueurs, et on en gagne un. C’est rigolo – aléatoire mais sans trop de risques non plus, j’aime bien. Et ensuite nous avons Nien Nunb (5), qui diminue la difficulté des manœuvres de virage sur l’aile – je l’ai sélectionné sans regarder le cadran du YT-1300, parce que j’étais à l’arrache, et ça en dit long…

 

 

C’est tout pour le Faucon. J’ai choisi (très vite...) de lui associer deux A-Wing RZ-1 – des petits vaisseaux agiles, que mes camarades jouant rebelles ne prisent généralement guère, mais moi j’aime bien, ils sont un peu impériaux dans le pilotage, faut dire… Ils sont nativement équipés de Propulseurs vectoriels : après avoir effectué une action, on peut faire une action d’Accélération rouge – ils ont de manière générale une excellente économie d’actions, à vue de nez la meilleure de toute l’Alliance (avec les E-Wing, peut-être ?).

 

Le premier pilote est Jake Farrell (40) : après avoir effectué une action de Tonneau ou d’Accélération, il peut choisir un vaisseau allié à portée 0-1, qui peut alors faire une action de Concentration – autrement dit, ce que je venais de louer à propos de l’économie d’actions générale des A-Wing est encore accru en ce qui concerne Jake Farrell ; je crois me souvenir d’un blog, mais c’était probablement encore en v1, où une combo lui permettait de faire à chaque tour un nombre d’actions parfaitement improbable, à faire pâlir un Dark Vador ou un Soontir Fel… C’est vraiment un pilote au profil d’as, et je n’ai pas l’impression qu’il y en ait tant que ça dans les rangs de la sédition.

 

Le deuxième pilote de A-Wing est assez bizarre : il s’agit d’Arvel Crynyd (36), qui peut effectuer des attaques principales à portée 0, et peut considérer ses Accélérations qui « bumpent » comme des manœuvres partielles plutôt que comme des actions échouées. Ce tout petit machin qui entre délibérément en collision avec un gros truc, c’est un peu surprenant…

 

Quoi qu’il en soit, les deux A-Wing, parce qu’ils sont en principe compétents en repositionnement, sont équipés du même Talent, Manœuvre improbable (6), voyez plus haut.

 

Et... c’est tout.

 

 

Bon, sans surprise, ça n’a pas été très efficace, hein – la compo était bâclée, mon pilotage relevait totalement de l’improvisation, sans vraie tactique bien mûrie… Je ne pouvais que perdre.

 

En face, Acteris jouait une autre liste racaille, avec deux vaisseaux seulement : un Cargo Léger YV-666 piloté par Bossk (et qui est bien le Hound’s Tooth, avec sa ch’tite navette d’évacuation, un Chasseur de têtes Z-95-AF4 qui n’a pas eu l’occasion de montrer le bout de son nez), et un Chasseur d’assaut Aggressor, piloté sauf erreur par le droïde IG-88B (qui avait un de ses copains, IG-88D, dans le Hound’s Tooth).

 

Il n’y a probablement pas grand-chose à dire de la partie : l’Aggressor a esquivé à peu près toutes mes attaques, Chewie ne s’est pas montré très utile, les A-Wing naviguaient bien mais ne faisaient pas suffisamment de Dégâts. Acteris s’est concentré sur eux – et, mon repositionnement n’étant pas toujours au top, il a pu leur taper dessus, suffisamment pour les faire dégager : il faut dire qu’ils sont très fragiles, surtout pour des vaisseaux rebelles – ce qui les rapproche là encore de nombre de chasseurs impériaux… Mais c'est assez frustrant, pour le coup. Je crois qu’Acteris a dégagé d’abord Arvel Crynyd, puis Jake Farrell, mais sans grande certitude – quoi qu’il en soit, je venais à peine de commencer à endommager IG-88B, et le Hound’s Tooth était peu ou prou indemne ; mon Faucon Millenium aussi, mais j’avais été amené à lui faire faire des manœuvres d’évasion qui l’avaient éloigné du cœur de l’action, et je ne croyais pas un seul instant pouvoir retourner la situation. J’ai donc concédé – peut-être un peu hâtivement, mais…

 

Honnêtement, je ne m’amusais pas.

 

Si je ne m’applique pas dans la composition, et pas davantage dans le jeu, dès l’instant que je sors des figouzes rebelles, je suppose qu’il me faudra bien en tirer un jour les conséquences…

 

Et ça pourrait bien être de tenter de bidouiller des listes « Scum ».

 

Quoi qu’il en soit : 2-2.

 

 

Suite au prochain épisode...

Mes articles consacrés à X-Wing ont désormais leur blog dédié, Random Academy Pilot ! La suite là-bas !

Voir les commentaires

The Lord of the Rings, de J.R.R. Tolkien

Publié le par Nébal

The Lord of the Rings, de J.R.R. Tolkien
The Lord of the Rings, de J.R.R. Tolkien

TOLKIEN (J.R.R.), The Fellowship of the Ring, Being the First Part of The Lord of the Rings, edition based on the 50th Anniversary Edition published 2004, Note on the Text by Douglas A. Anderson, Note on the 50th Anniversary Edition by Wayne G. Hammond and Christina Scull, Foreword to the Second Edition by J.R.R. Tolkien, London, George Allen & Uwin – Harper Collins Publishers, [1954, 1966-1967, 1991, 2004] 2007, XXVII + [1-531] p.

The Lord of the Rings, de J.R.R. Tolkien

TOLKIEN (J.R.R.), The Two Towers, Being the Second Part of The Lord of the Rings, edition based on the 50th Anniversary Edition published 2004, London, George Allen & Uwin – Harper Collins Publishers, [1954, 1966-1967, 1991, 2004] 2007, VIII + [532-971] p.

The Lord of the Rings, de J.R.R. Tolkien

TOLKIEN (J.R.R.), The Return of the King, Being the Third Part of The Lord of the Rings, edition based on the 50th Anniversary Edition published 2004, London, George Allen & Uwin – Harper Collins Publishers, [1955, 1966-1967, 1991, 2004] 2007, XII + [972-1567] p.

(PLUS DE) VINGT ANS APRÈS

 

Cet été, j’ai enfin fait une chose que je voulais faire depuis très, très longtemps : relire Le Seigneur des Anneaux, mais en VO. J’ai eu l’occasion de le dire çà et là, mais, très banalement je suppose, je fais partie de ceux pour qui ce roman fleuve a tout changé, quand je l’ai lu vers l’âge de 11 ans. Je lisais déjà avant, mais c’est vraiment ce livre qui a fait de moi un bibliophage, en même temps qu’il a constitué une porte d’entrée idéale pour les littératures de l’imaginaire – c’est, oui, littéralement, le livre qui m’a fait aimer les livres, et tout particulièrement ceux de science-fiction, de fantasy et de fantastique (à une époque où je ne faisais vraiment pas la différence).

 

En mettant de côté mon « faux départ », quand j’avais tenté de le lire vers 10 ans et avais abandonné au « Conseil d’Elrond » (souvenir traumatisant !), j’ai lu et relu ce livre au moins trois fois quand j’étais ado, parallèlement à mon approfondissement du « Légendaire » tolkiénien – avec un attachement particulier pour Le Silmarillion (que j’ai encore plus souvent lu et relu).

 

Mais, pour le coup, je n’avais pas relu ce livre précisément, le livre phare, depuis au moins vingt ans – période durant laquelle j’ai pourtant beaucoup lu et relu Tolkien de manière générale. Je voulais donc y remédier ; un temps, j’ai pensé le faire au travers de la nouvelle traduction française… et puis, je me suis dit : Bah ! Tant qu’à faire, tentons l’anglais !

 

Et si je l’ai fait plus particulièrement cet été, c’était dans l’espoir que cela débouche sur une campagne de jeu de rôle, Ténèbres sur la Forêt Noire, à la base avec le système de L’Anneau Unique, ou bien avec son « portage » D&D5, c’est-à-dire Adventures in Middle-Earth – hélas, mes joueurs ne se sont pas montrés très réceptifs, bon, il faudrait peut-être que je tente une ultime relance, et sinon…

 

Maintenant, disons les choses : je ne vais pas faire, à proprement parler, une chronique d’un livre que vous avez tous lu, ça serait absurde. Et je ne vais pas non plus en faire un commentaire érudit et précis, je ne suis pas assez à fond dans l’exégèse tolkiénienne pour tenter la chose, et vous trouverez en un clic des dizaines de gens autrement compétents pour le faire. La raison d’être de cet article est donc un peu douteuse, hein… Quand j’avais relu, dans les mêmes conditions, The Hobbit, quelques mois plus tôt, j’avais certes pris mon pied mais, de quelque manière que je tourne le problème, je ne voyais pas comment je pourrais en livrer une chronique, pour les mêmes raisons – aussi avais-je choisi de faire l’impasse : chose rare, car en principe je chronique (absurdement...) tout ce que je lis, bon ou mauvais, et qu’importe le genre, mais, oui, il y a bien quelques exceptions.

 

Mais j’ai supposé, dans le cas de The Lord of the Rings, que je pourrais en lieu et place émettre quelques remarques d’un ordre relativement intime, bien loin de toute volonté critique ou érudite donc – des remarques portant sur les différences (nombreuses !) entre ce que j’ai relu et le souvenir que j’en avais, avec au moins vingt ans d’écart. Ces remarques, par ailleurs, ne relèvent donc pas d’un argumentaire précis, et je vais les livrer, ou en tout cas en livrer quelques-unes, comme elles me viennent. Et, bien sûr, ces remarques pourront paraître naïves à bien des lecteurs – ça n’est en rien un problème en ce qui me concerne, ça fait partie du truc.

 

Et, oui, je vais m'étaler. Forcément.

 

QUESTIONS DE VOLUME

 

Il y a quand même une remarque d’ordre global qui doit prendre la première place, je suppose : ce n’est pas un roman si long que ça… Il est long, assurément, dans les 1500 pages dans cette édition (en zappant les textes de présentation et le colossal index à la fin de The Return of the King), mais il n’est pas si long. En fait, avec son caractère de modèle de la trilogie de fantasy, il a depuis largement été enfoncé par des cycles autrement volumineux, constitués de tomes autrement volumineux (oui, George R.R. Martin, je parle entre autres de toi).

 

Si j’y ai mis l’été, c’est parce que je voulais y aller tranquillement, et sans m’imposer de ne faire que ça – mais, justement : cet été, j’ai lu par exemple Lyonesse de Jack Vance, qui fait a priori une longueur comparable… De même que j’ai lu Les Jardins de la Lune, le premier tome du « Livre des Martyrs » de Steven Erikson, pavé lançant une série dont les tomes ultérieurs sont encore plus pavés, ou, plus récemment, j’ai échoué, cette fois, à lire L’Enfant de poussière de Patrick K. Dewdney, censément le premier d’une série de sept, qui pèse comme le Erikson ses 620 pages et y a pas de raison pour que ça diminue vraiment par la suite, à en juger par le tome 2, La Peste et la vigne, sorti tout récemment… Non, le roman de Tolkien n’est pas si long – du moins au regard de critères contemporains qu’il a certes probablement contribué à définir.

 

Mais, au-delà, c’est aussi qu’il est merveilleusement prenant ! Et là, oui, je sais, vous allez me dire : « Les chansons, c’est horrible… », ou : « La Comté, qu’est-ce que c’est chiant… », ou : « Tom Bombadil, non mais allô quoi… », ou : « Hey, Tolkie-chou, c’est un roman que je veux lire, pas un précis de botanique et de philologie ! », ou : « Mais ils vont arrêter de papoter, oui ? », ou : « Hey, les deux porteurs de l’Anneau, vous pouvez pas accélérer un peu le pas ?! », ou : « On doit vraiment se taper tout le savoir des Ents ? », ou : « Les putain d’aigles, z’auriez pas pu débouler plus tôt ?! », ou : « On doit vraiment se retaper la Comté ? » Et il y a de quoi abonder dans votre sens dans tous ces exemples. Et pourtant… Ben, non, je ne me suis pas emmerdé un seul instant. Les pavés lus en parallèle, c’est beaucoup moins vrai – et pas pour rien que j’ai lâché l’affaire avec les années de formation de Syffe (*bâille*)… Non, je crois que tout est à sa place – pour l’ambiance, comme pour l’histoire.

 

UNE TEMPORALITÉ DISTORDUE

 

Et pourtant, dans la confrontation de mes souvenirs antédiluviens et de ma relecture présente, un même phénomène de temporalité s’est régulièrement présenté : j’avais une vision complètement distordue du rythme du roman, et de la longueur (ou de la brièveté, pour le coup) de ses séquences. C’est tout particulièrement vrai pour les scènes « de bataille », systématiquement.

 

J’ai été particulièrement surpris de constater combien le périple dans la Moria était… court, en fait – et plus encore la bataille livrée à la fin de ce périple. C’était probablement le passage du roman que j’avais le plus idéalisé au fil des années, en me souvenant toujours de cette frousse ressentie quand j’avais lu le roman ado – quand j’entendais, littéralement, les tambours des Orques… même si ça n'a pas fait de moi un adepte du dungeon-crawling, bizarrement. Mais, en fait, ça va très vite : en comparaison, la Lórien juste après, c’est peut-être… trois fois plus long que toute la Moria ?

 

La même chose s’est reproduite, plus loin, pour le Gouffre de Helm – et, surtout, le siège de Minas Tirith et/ou la bataille des Champs du Pelennor : dans mon souvenir lointain, le livre V du Seigneur des Anneaux était en gros « une énorme bataille » ; or ça n’est absolument pas le cas – et si la bataille est parfois à l’arrière-plan de chapitres plus posés à l’intérieur des murs de la forteresse-cité du Gondor, les scènes martiales à proprement parler sont très, très brèves ; tout particulièrement, dans le cas présent, aussi bien la mort de Théoden, que celle du Roi-Sorcier du fait de la bravoure commune d’Éowyn et de Merry – c’est expédié en quelques lignes, quelques paragraphes au plus ! Tous ces moments épiques sont donc en vérité fort brefs – qu’ils marquent autant en dit… long, aha, d’une certaine manière.

 

Reste que Le Seigneur des Anneaux est un roman où l’on parle – beaucoup. Et c’était une chose dont je ne me souvenais pas ; ou dont je me souvenais vaguement, mais avec comme un biais ? Comme dit plus haut, lors de ma première tentative de lecture, je m’étais pété les dents sur le Conseil d’Elrond, au début du livre II. Je me souvenais que le début du roman, tout particulièrement avec Bilbon, était riche de savoureux dialogues, mais la complexité du tableau dressé par les invités d’Elrond m’avait alors assommé (aujourd’hui, c’est probablement ce que je préfère chez Tolkien, d’où mon goût pour le Premier Âge…). Mais, pour une raison ou une autre, c’est comme si j’avais concentré ce « ressenti » des dialogues sur ces deux séquences – et probablement, entre elles, celle, toujours aussi WHAT THE FUCK ?!, qui voit les Hobbits bénéficier de l’hospitalité (?) de Tom Bombadil et de Baie d’Or.

 

Rien de plus faux, car, par la suite, on cause beaucoup – vraiment beaucoup. En Lórien, donc, immédiatement après la Moria, mais aussi sur les bateaux en descendant l’Anduin (deux séquences incomparablement plus longues que dans mon souvenir), mais encore, ensuite, en Rohan ou chez les Ents, en Isengard même, en Ithilien surtout (là encore une séquence beaucoup, beaucoup plus longue que ce dont je me souvenais), ou derrière les murs de Minas Tirith, avant, pendant et après la bataille, sans même parler du long voyage de retour vers la Comté.

 

Mais ce n’est pas un reproche ! Ces scènes sont régulièrement brillantes, et les dialogues savoureux, qu’ils jouent d’un registre archaïsant très soutenu et élégant, ou se montrent plus légers, généralement du fait de l’intervention bonhomme des Hobbits comme de juste. Mais, oui, vraiment, je n’en avais absolument pas conservé le souvenir, mais The Lord of the Rings est un roman où l’on parle beaucoup – et où l’on parle en tout cas considérablement plus, incomparablement même, que l’on ne se bat ou ne se livre à d’autres prouesses « héroïques » : Tolkien est beaucoup plus concis dans les moments d’action, et même lapidaire, parfois. Je suppose, à vrai dire, que ces deux tendances n’ont rien d’innocent, et peuvent renvoyer aux inspirations de l’auteur, dans les sagas épiques et autres dits légendaires, qui ont parfois quelque chose de ces deux formes ? En tout cas, si l’on fait le match des fondateurs de la fantasy moderne, Tolkien est à cet égard plus que jamais à l’opposé d’un Robert E. Howard – sans déconner ? Et, oui, il parle (aha) bien plus à mon cœur…

 

Mais je suppose qu’il me faut aussi relever que certaines scènes « à dialogues » du Seigneur des Anneaux se sont en sens inverse avérées plus brèves dans les faits que dans mon souvenir – ainsi du séjour à l’Auberge du Poney Fringant, ou, dans les annexes, des fragments de l’histoire d’Aragorn et d’Arwen. Ces cas sont cependant bien plus rares – des exceptions.

CHAMPION OF THE WORLD(BUILDING)

 

Bien sûr, Tolkien brille particulièrement, encore aujourd’hui, par la précision méticuleuse avec laquelle il a conçu son univers, en partant des langues, et en enrichissant sans cesse un matériau qui, à l’époque de la parution originelle de The Lord of the Rings, avait déjà été cultivé pendant environ 35 ans. Cette précision que d’aucuns qualifieraient de maniaque ressort particulièrement des annexes concluant The Return of the King – et, j’avoue, même si tout cela me fascine, je ne me suis pas acharné sur le calendrier ou les systèmes d’écriture, hein… Ou les généalogies, je suppose – même si j’ai pris, à la lecture des pages consacrées par exemple aux rois de Númenor, un plaisir qui doit quelque chose à ma fascination et à mon admiration pour Le Silmarillion, et son caractère de chronique épique davantage que de roman. Quoi qu’il en soit, dans ce registre, Tolkien n’a pas d’égal, et trône tout au sommet de la pyramide des créateurs d’univers. Et ce même s’il y a des « blancs », dans cet univers, et qui peuvent renvoyer à des questions pas exactement superficielles (l’insertion des Hobbits même dans le Légendaire ? Nous n’avons pas de mythes des origines pour eux…).

 

Ceci étant, ce dont j’ai envie de parler ici relève essentiellement, disons, de la géographie de cet univers – et plus particulièrement de la Terre du Milieu telle qu’elle est décrite dans les romans et les cartes qui les concluent. Deux points m’intéressent tout particulièrement, que la lecture de la gamme de L’Anneau Unique m’avait déjà amené à prendre en considération avant d’entamer cette relecture – et, là encore, cela a pu contredire les souvenirs que j’en avais, et qui remontaient à vingt ans au moins. Pour faire dans le lapidaire : le premier point est que ce monde est petit – le second qu’il est d’une certaine manière désertique.

 

Le premier point est déterminant. Les romans de Hobbits, comme les adaptations qui en ont été faites, au cinéma ou, plus particulièrement en ce qui me concerne, en jeu de rôle, mettent l’accent sur le voyage. Il est au cœur de la narration, ce qu’illustre notamment ce sous-titre du Hobbit, comme « Histoire d’un aller et d’un retour » ; il faut d’ailleurs rappeler combien le retour est d’une importance cruciale pour Tolkien, dans les deux romans de Hobbits (et Peter Jackson a bien sabré en largeur, ici), ce qui renvoie probablement là encore aux sagas et autres dits épiques, mais aussi, je suppose, aux variations qu’un William Morris avait déjà pu travailler à l’aube de la fantasy moderne, ainsi dans La Source au bout du monde.

 

Mais cette importance majeure du voyage ne change finalement rien au fait que le monde que nous décrit Tolkien, et où se déroulent ses romans de Hobbits, est très petit. Cela ne tient pas seulement aux cartes dressées par Christopher Tolkien sur les indications de son père, et qui ont une échelle, on peut donc mesurer les distances en miles si l’on y tient : sans même se livrer à cet exercice, on a l’impression d’un monde que l’on pourrait traverser de part en part en quelques semaines au plus – les porteurs de l’Anneau galèrent dans le Mordor en raison des conditions de voyage particulières que cet environnement particulièrement hostile et dangereux implique, mais, en dehors de cet aspect, la Terre du Milieu s’explore probablement bien plus vite que l’Europe, voire que la seule Europe de l’Ouest.

 

On sait, bien sûr, que ce monde s’étend au-delà – et ceci sans même franchir l’océan jusqu’en Valinor ou même Tol Eressëa, ce que la « courbure » du monde à la fin du Deuxième Âge prohibe à tous hormis les Elfes et, pour le coup, les porteurs de l’Anneau. On sait que les terres s’étendent bien à l’est des cartes en fin de volume, où vivent diverses peuplades barbares (ils viennent toujours de l’est, hein), ou au sud, où, au-delà d’Umbar, s’étend le désert du Harad, pour le coup très vaste, et probablement bien davantage que la « Terre du Milieu » que nous connaissons. Mais nous n’en savons pas davantage – du moins « officiellement » : je me souviens d’une « Carte de la Terre du Milieu », qui était un supplément pour Le Jeu de Rôle des Terres du Milieu (JRTM), et… qui était totalement délirante à cet égard, je suppose, même si l’idée était bien de limiter la Terre du Milieu que nous connaissons, disons, du nord au sud, entre la Baie du Forochel et les Havres d’Umbar, et de l’océan à l’ouest, à la mer de Rhûn à l'est, à un tout petit coin au nord-ouest de la Terre du Milieu entendue comme continent – maintenant, je suppose que les auteurs de cette carte avaient extrapolé, si c'est le mot, en free-style, pour le moins, car JRTM n’était pas exactement la référence la plus solide et orthodoxe pour le « lore » tolkiénien (j’ai des sueurs froides à l’idée de ces magos noldos qui balançaient des boules de feu, sans même parler des Umli, les demi-nains…). Mais, oui : ce monde est très petit.

 

Et il est aussi quasiment désertique – pas au sens de vastes étendues de sable où il fait une chaleur à crever, non, ça c’est la prérogative d’un Harad que nous ne visitons jamais dans les romans de Hobbits ou ailleurs, mais au regard de la population, humaine ou non, qui habite la Terre du Milieu.

 

C’est un monde essentiellement sauvage, où les villes sont rares, et peu peuplées – Bree, littéralement un village, a droit à son point sur la carte parce qu’il n’y a finalement pas grand-chose d’autre en matière d’urbanisation, surtout d’ailleurs dans cette région de l’Eriador, que Tolkien lui-même, pour le coup, présente comme étant dépeuplée depuis les guerres avec l’Angmar qui ont anéanti le pouvoir de l’Arnor et des royaumes plus petits qui lui avaient succédé (ce que j'avais relevé en chroniquant deux suppléments pour L'Anneau Unique, Fondcombe et Les Vestiges du Nord, et en notant que ce terrain de jeu était finalement bien plus « sauvage » que les « Terres Sauvages » à l'est des Monts Brumeux, cadre privilégié de la gamme originelle de ce jeu de rôle). Mais cela vaut pour à peu près tout le reste dans la moitié nord de la carte : si l’on peut concevoir Esgaroth et Dale comme des villes de taille honnête, une fois Smaug défait, et si l’on ne sait guère ce qu’il en est de la démographie des Nains, en Erebor ou dans les Montagnes Grises ou dans les Collines de Fer, les sites majeurs des Elfes ne sont guère que des palais « un peu augmentés » (Fondcombe, la Lórien ou le Palais de Thranduil) – ce qui se tient, certes, dans la mesure où ce sont les ultimes demeures d’une race déclinante et dont l’essentiel vit alors au-delà de la route perdue ; mais, plus au sud, et ce alors même que la malédiction ayant frappé l’Arnor était supposée avoir épargné le Gondor et le Rohan, certes pas avares de dangers propres, les effectifs sont de même très limités (je note au passage que, pour quelque raison bizarre, je me figurais le Rohan bien plus à l'ouest...).

 

D’ailleurs, les grandes batailles, même les plus épiques, semblent mobiliser des centaines d’hommes plutôt que des milliers – on le constate au Gouffre de Helm comme aux Champs du Pelennor, ou devant la Porte Noire du Mordor. À vrai dire, les troupes les plus colossales à cet égard sont unilatéralement celles du Mordor – mais, même dans ce cas, les Orques ou les Orientaux ne constituent pas forcément des hordes à proprement parler, ou du moins est-ce l’impression que les romans donnent, ceci alors même qu'ils jouent du contraste avec les Peuples Libres du Nord.

 

C’est d’autant plus sensible que la campagne, même en paix, mais habitée et cultivée, n’est quasiment jamais décrite dans ces romans, en dehors bien sûr du seul cas (qui semble se suffire à lui-même) de la Comté. Plus encore à cet égard que du fait des dimensions géographiques de cet univers, la Terre du Milieu s’avère incroyablement resserrée : malgré les millénaires de civilisations qui précèdent la Guerre de l’Anneau, on n’en retire que davantage l’impression d’un « pré-monde », globalement, à l’aube des temps – à vrai dire, j’ai toujours eu l’impression que le Beleriand du Premier Âge était considérablement plus peuplé que la Terre du Milieu à la toute fin du Troisième Âge, ce qui ne s’explique pas totalement (le cataclysme ayant noyé le Beleriand n’y suffit en effet peut-être pas).

 

Comprenez bien, ça n’est pas nécessairement un reproche de ma part, mais plutôt le constat, pas bien assuré lors de mes premières lectures, de ce que l’univers si fascinant de Tolkien est en fait étonnamment restreint ; mais cela peut certes faire sens, au regard de l’unité du background – dans cette dimension, comme dans celle des limites de la Terre du Milieu décrite, le cadre de l’aventure, même s’il est censé avoir des répercutions cruciales à une échelle mondiale dès lors difficile à envisager, ne décrit en vérité qu’une sorte de finistère très dépeuplé, essentiellement pré-européen. Ce qui en dit long, j’imagine…

 

Et cela a peut-être une contrepartie : ce monde est si peu peuplé que, d’une certaine manière, tout le monde y connaît tout le monde – et cela a son impact sur l’aventure globale, en même temps que cela confirme le caractère d’exception bien singulière d’une Comté naïvement repliée sur elle-même. C’est probablement un trait essentiel de l’ambiance des romans de Hobbits – mais aussi, ai-je l’impression, une approche très particulière de la création d’univers qui, pour le coup, distingue assez radicalement Tolkien de ses contemporains et successeurs dans le registre de la fantasy-avec-des-cartes.

 

CARACTÈRES

 

Quelques mots maintenant sur les personnages. 

 

...

 

Gaffe, je vais me ridiculiser...

 

Enfin, plus encore que d'habitude, quoi...

 

Bref : une chose qui m’a particulièrement marqué, lors de cette relecture, et qui pouvait contredire pour partie mes souvenirs antédiluviens, n’était peut-être (probablement ?) pas dans les intentions de Tolkien, mais m’a bien plu quand même, na, et c’est que les héros ne sont pas unilatéralement bons – même dans un monde que nombre de critiques expéditifs blâment pour son manichéisme (et je reste convaincu que c’est plus compliqué que cela – et que, bordel, il va falloir arrêter de qualifier l’auteur de nazillon à cause de ses Elfes censément blonds aux yeux bleus, blah blah blah – je n’ai plus la force d’en discuter, honnêtement). Tous les héros ont leurs défauts – tous, notamment, les membre de la Communauté de l’Anneau. Ils sont bien pour l’essentiel « héroïques », des personnages assurément positifs, mais ils ont tous leurs tares, si elles ne se révèlent véritablement qu’à l’occasion.

 

Bon, de toute évidence, je surinterprète, hein… Mais je vous avais prévenu quant au contenu très personnel de cet article ! Et donc, en ce qui me concerne moi, je, me, myself, I… Côté Hobbits, Frodon (ah tiens, si, je note un truc qui m’a surpris : même au regard des critères des Hobbits, Frodon est bien plus âgé que dans mon souvenir, et cela vaut aussi pour Pippin et Merry), Frodon, disais-je, est à fond dans le pathos, au point où il en devient agaçant (oui, c'est moi qui dis ça...), mais aussi très conscient de son rang – dans une sorte de gloubi-boulga élitiste qui a quelque chose d’aristocratique dans le contexte autrement plutôt bourgeois de la Comté, et la condescendance fait partie du lot. Sam est certes dévoué, mais il est à vrai dire avant tout servile, et obtus – tout « peuple » qu'il soit, c'est un conservateur qui prise ses entraves comme autant de signes de distinction, et qui se montre très méfiant à l’encontre de tout ce qui n’est pas « normal », entendre « de chez lui » (fascination pour les Elfes ou pas, on n’est jamais à une contradiction près) ; c’est horrible à dire, ça noue le ventre, mais, de la sorte, le personnage le plus attachant du roman… est de droite. Merde ! D’ailleurs, tant qu’on y est, Pippin et Merry sont des dilettantes un peu crétins, et des héros peut-être davantage parce qu’ils s’attachent au qu’en-dira-t-on qu’en raison d’une bravoure désintéressée (ils doivent briller, avoir chacun son moment de gloire), et les aperçus de leur destin après le retour à la Comté en rajoutent, là encore, sur leur caractère aristocratique et plus qu’un peu m’as-tu-vu. Côté humains, le cas de Boromir n’a pas à être discuté plus avant, mais le destin d’Aragorn l’obnubile au point de l’arrogance, et il se montre souvent condescendant, en même temps qu’à la Frodon il tend à porter tout le poids des péchés du monde sur ses épaules – ce qui n’a au fond rien de contradictoire, mais se montre également pénible. Il y a de ça chez Legolas, mais, de toute la Compagnie, j’ai le sentiment que c’est le personnage qui a été le moins creusé ? Son comparse Gimli, par contre, est tout naturellement borné, brutal, et mesquin – je regrette par ailleurs qu’il tende, un peu trop souvent, à faire office de ressort comique : certes pas autant, ouf, que dans les flims de Peter Jackson (qui, en Néo-zélandais, n’en avait certes pas grand-chose à péter de la jurisprudence Morsang-sur-Orge), mais les Nains du Hobbit, même avec le ton plus enfantin/rigolo de ce roman, s’en sortaient considérablement mieux… sans être nécessairement plus sympathiques, notez bien (voire encore moins). Et Gandalf ? Gandalf est un tyran, qui sait tout mieux que les autres – franchement, à relire Le Seigneur des Anneaux maintenant, je comprends pourquoi Théoden, originellement, d’une part, et Denethor, de l’autre, ne peuvent pas le blairer : Tolkien nous explique que c’est parce qu’ils sont les victimes, pour le premier des poisons de Saroumane et de Grima Langue-de-Serpent, pour le second de Sauron via un dernier palantír, mais, honnêtement, même sans cela, il y aurait de quoi s’agacer un peu du vieux sage qui déboule inopportunément, comme en pays conquis, et dont le mépris de l’étiquette tient de la morgue la plus agressive – pas exactement le comportement d’un diplomate, plutôt celui d’un meuwine imposant sa vision du monde par les armes et… oui, la condescendance à l’encontre d’absolument tout le monde. Encore.

 

OUI, JE SURINTERPRÈTE.

 

BIEN SÛR QUE ÇA N’ENGAGE QUE MOI.

 

ET QU’IL NE FAUT PAS PRENDRE TOUT CELA TROP AU SÉRIEUX.

 

VOIRE PAS DU TOUT.

 

L’essentiel est que ça n’en fait que de meilleurs personnages à mes yeux ! C’est tant mieux, qu’ils aient des défauts !

 

Bon, plus sérieusement : il y a une chose de claire, à cet égard et c’est que le, euh, « double binôme », composé de Frodon et Sam d’une part, et de Sméagol/Gollum de l’autre, est vraiment très réussi, remarquablement bien pensé et mis en scène – sur ce point, je rejoins parfaitement l’immense Ursula K. Le Guin, qui en disait quelque chose, et à plusieurs reprises, avec un enthousiasme marqué, dans Le Langage de la nuit.

 

Maintenant, je dois dire que certains personnages m’ont « moins convaincu » que dans mes souvenirs. Je suppose que cela concerne essentiellement les (rares…) personnages féminins – et tout particulièrement Éowyn ; je continue de l’aimer beaucoup, et sa dimension… eh bien, suicidaire, m’a touché, au-delà de son seul archétype d’amazone/walkyrie/truc, mais j’ai quand même eu l’impression que Tolkien gâchait un peu tout en lui associant en dernier ressort Faramir – ce qui nuisait d’ailleurs aussi à ce dernier personnage, même si de manière moins franche (et navrante). Galadriel demeure globalement la déesse ultra-charismatique (mais en même temps fondamentalement « inhumaine », au sens large) de mes souvenirs, mais ses premières apparitions sont étonnamment en demi-teinte, comme si Tolkien tentait assez maladroitement, pour le coup, de mettre d’abord en avant le fadissime Celeborn – qui ne soutient tout simplement pas la comparaison ; le contraste était-il souhaité par l’auteur, sous cette forme précisément ? Vu le temps qu’il y a passé, je le suppose, mais ça ne me convainc pas totalement… Par contre, Arwen est aussi inexistante que dans mes souvenirs ; pas plus mal, je suppose, car elle n’est qu’un ersatz bien tardif d’une Lúthien autrement marquante (même si à peine évoquée dans The Lord of the Rings, et dont les lecteurs ne savaient rien de plus en 1954-1955). Je suppose que cela relativise un peu ce que j’avais pu écrire en rendant compte de ma lecture de Beren et Lúthien

 

Reste le cas de Saroumane – le plus problématique en ce qui me concerne, car c’est un personnage que j’ai beaucoup « idéalisé », même dans le vice, depuis mes lectures adolescentes. En fait, dès mes premières lectures, j’ai eu tendance à en faire un personnage vraiment central, et un des plus réussis et intéressants de tout le roman. Le problème est que j’en avais une vision très biaisée… Quand j’ai vu Les Deux Tours au cinéma à sa sortie (c’est la seule des adaptations de Peter Jackson dans ce cas), je suis sorti de la salle littéralement furieux – pour plein de raisons, et la romance comme les « petits sourires » d’un Viggo Mortensen qui m’avait pourtant plutôt convaincu dans La Communauté de l’Anneau n’y étaient pas pour rien, mais la principale, c’était ce qu’ILS avaient fait de Saroumane, même si c’était déjà sous-jacent dans le premier film… Notez, je n’avais absolument rien contre le choix de le faire incarner par Christopher Lee, ce qui, visuel et voix, me paraît toujours une bonne idée. Mais en faire un vulgaire laquais de Sauron ?! JAMAIS ! SAROUMANE ROULE POUR SA POMME !!! Sauf que, dans le roman, c’est en fait plus compliqué que cela – plus ambigu aussi, peut-être. De fait, à terme, Saroumane est bel et bien au service de Sauron – il croit peut-être travailler pour sa seule gloire, c’est bien ce qu’il faisait à l’origine, et peut-être le croit-il encore jusqu’à un moment assez tardif, mais, dans les faits, il ne se contente plus dès lors d’agir inconsciemment en faveur du Mordor, il semble bien embrasser sa condition de vassal, le palantír étant un élément crucial de cette évolution… L’idée principale, qui faisait de toute façon de Saroumane un très bon personnage, demeure : même les meilleurs, les mieux intentionnés et les plus puissants peuvent succomber à la corruption – Frodon lui-même en fournissant d’ailleurs l’ultime exemple, et le plus douloureux. Mais le rôle objectif de Saroumane, contrairement à celui que je lui avais pour quelque raison fabriqué dans mes souvenirs (et je me demande à vrai dire si le jeu de cartes à collectionner Le Seigneur des Anneaux : Les Sorciers n’y avait pas contribué, quand j’étais au lycée, en introduisant un mode de jeu dans lequel les « sorciers déchus », Saroumane en tête, pouvaient jouer sur les deux tableaux en toute indépendance…), le rôle objectif de Saroumane, donc, renforce en fait la dimension manichéenne du Seigneur des Anneaux, je suppose – ce qui affecte forcément ma vision de ce roman comme « pas si manichéen qu’on le dit »…

 

LO AND BEHOLD !

 

Quelques mots, très vite, sur le style. Déjà, une première remarque s’impose : même si je craignais de ne pas avoir le niveau en anglais pour apprécier Tolkien dans le texte, eh bien, si, ça s’est fait sans vraies difficultés – ou plutôt une seule, qui vaut essentiellement pour le tout début du roman : les toponymes et patronymes de la Comté m’ont bel et bien posé problème, car ils sont les principaux exemples dans le roman d’une « traduction » en anglais contemporain, sur la base d'associations et de déformations populaires, comme Tolkien lui-même présente les choses dans les annexes de The Return of the King. En dehors de cela, je n’ai pas rencontré de difficultés majeures.

 

Et je crois même avoir pu apprécier, si c’est le mot, la variété des styles employés. La relecture en anglais du Hobbit avait confirmé les impressions que m’avait de tout temps fait la traduction française : le roman est étonnant, qui commence comme un conte très enfantin, avec plein de gags, mais aussi d’interventions du narrateur, ce genre de choses, mais n’en finit pas moins comme une saga épique (enfin, avant le retour à la Comté, hein !), tous les traits enfantins ayant disparu à ce stade, notamment au moment de la Bataille des Cinq Armées – mais je suppose qu'il en allait ainsi depuis un certain temps : j’ai l’impression que la frontière se situe approximativement, et adéquatement, au passage des Monts Brumeux ? Quoi qu’il en soit, ce qui m’a surpris, à la relecture en anglais de The Lord of the Rings, est qu’il y a encore un peu de cette disparité dans ce roman qui, contrairement à son prédécesseur, n’avait pas été édité et commercialisé comme un livre pour enfants. Mais peut-être est-ce simplement dû à la Comté – une contrée qui ne pourrait tolérer tout autre registre stylistique… Je ne sais pas. Cela dit, j’ai déjà touché quelques mots plus haut de ce que cela donnait dans le traitement de certains personnages, Gimili en tête, comme un rappel plus ou moins pertinent de la compagnie de Bilbon.

 

Mais je parlais donc de variété des styles – elle est très sensible tout au long du roman, et pourtant elle ne nuit paradoxalement pas à l’unité du récit. Ce qui m’a surtout marqué, c’est combien le style de Tolkien, lors des séquences les plus épiques de la Guerre de l’Anneau, change du tout au tout : j’ai déjà opposé, tout à l’heure, les séquences d’action plutôt lapidaires et les séquences de dialogues autrement conséquentes, mais le style y a résolument sa part – sur les Champs du Pelennor, plus encore qu’au Gouffre de Helm, Tolkien fait vraiment dans la saga, avec une plume délibérément archaïque et grandiloquente, qui, en même temps, doit peut-être aussi à la Bible du Roi Jacques ? Ce qui le rapprocherait d’un Lord Dunsany, notamment ? Quoi qu’il en soit : lo, and behold ! Mais j’aime beaucoup ce style très affecté, et en même temps doté d’une puissance d’évocation inégalée – et cela m’incite à prolonger l’expérience un de ces jours, en tentant Le Silmarillion, voire les tomes non traduits de L’Histoire de La Terre du Milieu, en anglais…

 

Maintenant, au regard du style, c’est donc aux dialogues que je dois m’intéresser – puisqu’ils occupent une part si importante dans le roman, qui m’a surpris. La plume de Tolkien change sans cesse de registre, mais toujours avec à propos – il sait, avec pertinence, opposer le langage rude et franc du collier des Rohirrim et les circonvolutions aristocrates des Elfes ou d’un Denethor, qui font plus volontiers dans le thee et le thou, et usent d’une syntaxe plus contournée. Mais Tolkien, à cet égard, ne brille jamais autant qu’avec deux personnages opposés et en même temps liés (donc), d’une registre autrement familier : Sam, d’une part, dont la bonhomie paysanne a quelque chose d’irrésistiblement authentique, et Sméagol/Gollum, qui a d’une certaine manière son langage propre, et que Tolkien rend extrêmement perturbant en même temps qu’évocateur, et, surtout, délicieusement sonore… même si, depuis les films, la voix d’Andy Serkis parasite forcément toutes les représentations qu’on avait pu s’en faire avant 2001 ; par chance, elle est parfaite !

 

Et, très franchement, je n’attendais pas spécialement Tolkien sur ce terrain-là : cela a fait partie des très bonnes surprises de cette relecture dans le texte.

 

OUI – PARFAITEMENT OUI

 

Et il y en a donc eu, des surprises ! Ou des constats un brin étonnés de ce que le livre dont je me souvenais « aussi bien » n’était pas seulement l’œuvre de Tolkien, mais comme une révision forcément partiale où le lecteur compte presque autant que l’auteur, je suppose…

 

Quoi qu’il en soit, surprises ou pas, le bilan reste toujours aussi favorable. Le Seigneur des Anneaux n’est assurément pas sans défauts, et il y aurait beaucoup à y redire. Seulement, ce n’est pas l’objet de cet article – je n’ai aucune envie de m’engager dans cette voie.

 

Je ne pourrais de toute façon jamais prétendre à ne serait-ce qu’un semblant d’ « objectivité » avec ce roman – ce livre qui m’a fait aimer les livres. J’ai pris beaucoup de plaisir à le relire (et toutes les lectures de jeunesse revues à l’âge adulte ne peuvent certes pas en dire autant – n’est-ce pas, Isaac Asimov ?), et j’ai envie de prolonger encore l’expérience : à ce stade, c’est tout ce qui compte.

Voir les commentaires

Deathco, vol. 4, 5 et 6, d'Atsushi Kaneko

Publié le par Nébal

Deathco, vol. 4, 5 et 6, d'Atsushi Kaneko
Deathco, vol. 4, 5 et 6, d'Atsushi Kaneko

KANEKO Atsushi, Deathco, vol. 4, [Desuko デスコ], traduction [du japonais par] Aurélien Estager, [s.l.], Casterman, coll. Sakka, [2016] 2017, [208 p.]

Deathco, vol. 4, 5 et 6, d'Atsushi Kaneko

KANEKO Atsushi, Deathco, vol. 5, [Desuko デスコ], traduction [du japonais par] Aurélien Estager, [s.l.], Casterman, coll. Sakka, [2016] 2017, [208 p.]

Deathco, vol. 4, 5 et 6, d'Atsushi Kaneko

KANEKO Atsushi, Deathco, vol. 6, [Desuko デスコ], traduction [du japonais par] Aurélien Estager, [s.l.], Casterman, coll. Sakka, [2017] 2018, [208 p.]

Retour à Deathco de Kaneko Atsushi, pour une chronique portant sur les volumes 4 à 6 de la série… sachant que celle-ci n'en comprendra que 7, elle est finie au Japon, et la traduction de cet ultime volume devrait paraître dans quelques jours à peine.

 

Ces trois volumes ont une certaine unité de ton, ainsi qu’une trame plus resserrée, qui peuvent contraster avec la mise en place de la série sur les trois premiers tomes. L’essentiel demeure, hein : les Reapers qui se livrent aux assassinats les plus fantasques, avec cette guedin de fillette tueuse qui l’emporte à la fin, en foutant les chocottes à tout le monde, BEUAAAAAAAAAAAAAH – et un dessin très soigné, jouant beaucoup sur le noir, au fil d’un découpage très cinématographique. La différence, et plutôt positive je suppose, est que l’on s’oriente progressivement vers une intrigue de fond courant sur l’ensemble de la série, là où, après un tome d’introduction assez déstabilisant, les volumes 2 et 3 avaient quelque chose d’un peu décousu (mais pas désagréable), au rythme des missions confiées par la Guilde, qui découpaient le récit de manière assez marquée, en entités largement indépendantes les unes des autres – même si Kaneko Atsushi prenait le temps d’approfondir ses personnages récurrents, et notamment le savoureux Lee, domestique dévoué au point du fanatisme, à l’irrésistible dégaine de vampire cartoonesque.

 

Madame M ? Aussi… mais pas tant que ça, car nous n’avions guère droit qu’à de très petites touches çà et là. Le mystère l'emportait. Et c’est en fait là que ces trois tomes se distinguent, je suppose. Dans les précédents, nous avions appris certaines choses : Madame M avait été une Reaper, probablement la meilleure de tous, et, pour une raison ou une autre, elle vivait désormais retirée dans un château gothique saturé de pièges, à se gaver de pizzas, en attendant le moment où sa protégée Deathko – et personne d’autre ! – accomplirait sa tâche essentielle, la mission de toute une vie, en la tuant.

 

Or, sur les volumes 4 et 5 surtout, Kaneko Atsushi opère une bascule : le vrai personnage, d’une certaine manière, celui qui compte vraiment en fournissant leur fonction aux autres, c’est Madame M ; au fil de ces deux tomes (surtout), nous aurons droit à de longs flashbacks revenant sur la carrière époustouflante de la mythique Reaper – oui, bel et bien la meilleure de tous. Parce que la plus efficace, mais aussi la plus classe – et c’est crucial ! À vrai dire, quand bien même elle n’aurait pas occupé la première place (mais il se trouve que si…), Madame M aurait de toute façon incarné à la perfection l’archétype du Reaper, cet assassin amateur qui mène une double vie : femme au foyer dévouée et amoureuse le jour, machine à tuer fantasque et impitoyable la nuit ; même si ce caractère impitoyable doit être atténué, ne valant que pour les Trophées eux-mêmes, car Madame M entend, ou prétend, limiter les dommages collatéraux, et ça fait partie de sa classe. C’est ainsi seulement qu'elle se distingue vraiment des Reapers moins doués, tels les toujours très drôles Super Skull et Hyper Skull, mais la passerelle existe, quand on découvre le quotidien bien morne de ces faux tueurs plus bouffons qu’autre chose : leurs masques grotesques ne parviennent pas à dissimuler qu'ils sont « dans la vraie vie » de navrants vendeurs de hot-dogs exploités par un connard de patron, et un peu trop coulants à ses yeux avec les clodos du coin (dont un ex-Reaper de bon conseil, certes). La classe de Madame M leur est en tout cas inaccessible ; je suppose qu’on pourrait y voir un commentaire amusé sur le manga d’action lambda et ses héros badass sous la pluie…

 

Mais ces (longs et détaillés) retours sur la vie passée d’une Madame M qui a bien changé entre-temps ne déboulent pas de nulle part : ils tiennent à ce que Deathko, en accomplissant ses contrats (toujours plus dangereux, comme de juste), tombe malencontreusement sur un vieux Reaper particulièrement efficace et pas moins impitoyable : Deevil, figure démoniaque (oui…) et torturée, avec sa langue bifide caractéristique et, sinon son masque de diable, un uniforme de policier probablement bien plus inquiétant en vérité. L'assassin fait son grand retour, et il est du genre à éliminer la concurrence avant de fondre sur sa proie – la folie du premier tome se reproduit dans ces trois volumes, la Guilde lançant quantité de Reapers sur les mêmes Trophées, ce qui ne peut que déboucher sur une sorte de darwinisme cynique n’autorisant la survie que des meilleurs, en purgeant régulièrement les rangs des assassins amateurs. Et Deevil fait à n’en pas douter partie des meilleurs. En fait, il était le grand rival de Madame M, comme de juste… et il en a après elle. Personnellement. Et de manière obsessionnelle.

 

Deathko en fait les frais, quand elle tombe sur cet os considérable. Nous l’avons déjà vue, dans les précédents tomes, succomber, au moins pour un temps, aux mains de Trophées plus coriaces que la moyenne, mais, dans une logique de montée en puissance, je suppose, Deevil est d’un tout autre calibre. La petite fille tarée est donc un peu en retrait, dans ces trois tomes, car elle doit laisser du champ à la rivalité séminale entre Madame M et Deevil, mais elle est toujours là, et sa folie meurtrière sous-jacente imprègne les pages de la BD même quand elle n’y apparaît pas – en fait, Deathko connaît sa propre montée en puissance, d’une certaine manière, car, pour survivre, elle doit se montrer toujours plus dingue. Et terrifiante. C’est bien elle la star de la BD, non ? Elle doit s’immiscer dans la lutte entre Deevil et Madame M – car, qu’elle en ait bien conscience ou non, d’une manière ou d’une autre, c’est elle, et pas un quelconque fantôme du passé, qui devra en dernier recours mettre fin à la vie de sa protectrice ! Du moins est-ce ainsi que Madame M voit les choses. Même si, eh bien, le passé, ou encore les fantômes, peuvent prendre des formes très concrètes dans cette histoire…

 

Je crois que cette plus grande unité de ton bénéficie globalement à la série, qui prend ainsi de l’ampleur et de la gravité, de manière pertinente. Cette approche a peut-être toutefois ses limites, en ce que la démesure qu’elle implique vire, dans le tome 6, à la baston quasi permanente – enfin, surtout au début, qui m’a moins parlé que tout le reste. Cela dit, cela fonctionne toujours bien, et sans doute pour une bonne part en raison du dessin de Kaneko Atsushi, toujours aussi remarquable : cette maîtrise du noir et des contrastes au sein des planches vaut bien celle d’un Frank Miller, mettons.

 

Je note cependant, ou du moins ai-je cette impression, que le dessin évolue au fil de ces trois volumes ; ou, plus exactement, c’est là encore le sixième tome qui se distingue, avec un dessin qui m’a fait l’effet d’être plus « rond » ? Il y perd peut-être un peu en personnalité ce qu’il y gagne en fluidité – à voir ce qui importe le plus à ce stade de la BD.

 

Il y a toutefois un aspect récurrent du graphisme de Deathco que j’ai envie de mettre en avant, ici, s’il n’a rien de neuf, et était déjà sensible dès le premier tome : le jeu sur les onomatopées, qui ne figurent que dans des phylactères – dont la disposition savante, la variété et l’abondance contribuent sans doute pour une bonne part au dynamisme des planches, de manière surprenante, et en tout cas à l’ambiance globale. Je ne sais pas ce que cela donne en VO, mais je suppose que cela doit du coup avoir un rendu assez différent du caractère très stylisé des onomatopées en katakana, principe qui m’a l’air assez récurrent dans nombre de mangas que j’ai lus ; en tout cas, sous cet angle, Deathco est aux antipodes, mettons, de No Guns Life de Karasuma Tasuku… et finalement bien plus convaincant en ce qui me concerne.

 

Si le premier tome de Deathco m’avait tout d’abord laissé un peu indécis, je me suis pris au jeu au fur et à mesure, et j’ai beaucoup apprécié ces volumes 4, 5 et 6, en m’attardant sur chaque planche. Si le tome 6, ou surtout son début, m’a un peu moins emballé en raison de son caractère passablement bourrin, j’y ai finalement retrouvé ce que j’aimais dans Deathco, même, le cas échéant, au travers d’un graphisme un brin différent.

 

Ne reste donc a priori plus qu’un tome pour conclure cette série – à bientôt, donc…

Voir les commentaires

X-Wing 2.0 : Soontir Fail (Again)

Publié le par Nébal

X-Wing 2.0 : Soontir Fail (Again)

Encore du X-Wing 2.0 – mais cette fois avec le camarade Albu. Nous n’avons joué qu’une seule partie – où j’ai été humilié.

 

Parce qu’il faut que je me rentre ça dans le crâne, bordel : JE NE SAIS PAS JOUER SOONTIR FEL (ou les autres Intercepteurs TIE, mais bon). C’est typiquement le genre de vaisseau/pilote que je trouve fun à jouer, sauf que je ne peux pas m’empêcher, dès l’instant où je les aligne, de faire connerie sur connerie. Cette partie tout particulièrement en a fait la démonstration – par l’absurde.

 

Bon, voyons ma liste…

 

 

Rien de foufou. Pour l’essentiel, j’ai associé trois profils de vaisseaux que j’avais déjà joués séparément contre Acteris, et donc déjà décrits dans les deux précédents articles de ce type. J’avais un TIE Punisher, un TIE Fantôme, et… oui, un Intercepteur TIE. Pour un total de 200 points d’escadron.

 

 

Commençons par le TIE/ca Punisher, piloté (classiquement) par « Deathrain » (42 points d’escadron) ; le vaisseau que j’ai le plus joué en v2… mais c’est que je n’avais jamais fait ce genre de choses avant, hein ! Bon… Sa capacité spéciale est que, quand il largue ou lance un Engin, il peut faire une action. Il peut lancer des Bombes au lieu de les larguer, avec le Senseur Simulateur de trajectoire (3) ; celui-ci impose normalement d’utiliser le gabarit de manœuvre à vitesse 5, mais l’Artilleur Bombardier compétent (2) permet d’augmenter ou de diminuer le gabarit de 1 de manière générale, et il peut donc lancer à 4 ou 5, et larguer à 1 ou 2. Ses Bombes sont de deux types : des Bombes à protons (5), qui ont deux charges, et qui infligent un Critique à tous les vaisseaux à portée 0-1 quand elles explosent, et des Charges sismiques (3), qui ont également deux charges, et qui détruisent en fait un Obstacle à portée, et c’est l’explosion de ce dernier qui affecte les vaisseaux proches. Mais le 2 rouge du Punisher m’incitait à lui confier tout de même quelques Missiles – au cas où, hein… J’ai choisi des Missiles groupés (5), qui attaquent dans l’arc de tir avant à portée 1-2 avec trois dés rouges, et disposent de quatre charges ; l’attaque nécessite une Acquisition de cible, et, si un autre vaisseau ennemi est à portée 0-1 du défenseur, on a droit à une attaque bonus contre ledit passant malencontreux, attaque qui se passe du prérequis du verrouillage. Par mesure de sécurité, j’ai complété ce profil avec la Modification Munitions à sûreté intégrée (2), ce qui me permettait en gros d’annuler une attaque de Missiles ratée pour en conserver la charge.

 

 

La plutôt convaincante expérience contre Acteris m’a incité à rejouer contre Albu un même profil (en gros) de « Whisper »/Vador. Le deuxième vaisseau de la liste est donc un TIE/ph Fantôme, piloté par « Whisper » (52). Rappelons comment fonctionne maintenant l’Occultation/Désoccultation des TIE Fantômes, avec leur capacité générique Réseau de stygium : quand on se désocculte, durant la phase de Système, on doit faire une accélération avec le gabarit 2 Tout Droit, ou un tonneau avec le même gabarit, et on gagne alors un marqueur d’Évasion ; à la fin du tour, on peut échanger un marqueur d'Évasion contre un marqueur d’Occultation. Du coup, à moins de choisir de rester occulté, on ne bénéficie jamais des deux dés verts bonus au moment de l’Engagement – mais, si on est occulté à ce moment-là, on ne peut pas tirer : le marqueur d’Occultation vaut Désarmement. La capacité spéciale de « Whisper » rend beaucoup plus probable la possibilité pour elle de s’occulter à la fin du tour, car, si elle fait une attaque qui touche, elle gagne un marqueur d’Évasion ; dans cette partie comme dans la précédente avec Acteris, « Whisper » a ainsi régulièrement eu deux marqueurs d’Évasion avant la fin du tour, ce qui accroît éventuellement ses capacités en défense d’une manière différente de l’Occultation en v1. Ce jeu avec les marqueurs d’Évasion a décidé du Talent à allouer à la pilote : Feinte (4), que j’aime décidément beaucoup – quand « Whisper » attaque, si elle a un marqueur d’Évasion (et elle a donc de bonnes chances d’en avoir un), elle peut remplacer un des résultats Évasion du défenseur par un résultat Concentration. Et, pour ce qui est de l’Équipage, j’ai donc choisi Dark Vador (14) : au début de la phase d’Engagement, je peux choisir un vaisseau ennemi à portée 0-2 dans mon arc de tir avant et dépenser un marqueur de Force (fourni par la carte et récurrent – il est bien sûr possible de l’utiliser « normalement » comme tout marqueur de ce type) pour infliger un Dégât audit vaisseau, à moins qu’il ne sacrifie un jeton vert. Dans ma liste contre Acteris, j’avais complété avec une Modification Coque améliorée, mais, ici, j’ai voulu essayer plutôt un Système d’occultation, carte à coût variable : « Whisper » ayant une Agilité de 2, cette Modification coûte six points d’escadron pour elle ; elle permet d’avoir un dé vert de plus jusqu’à ce que le vaisseau prenne un dégât : alors, la charge unique de la carte est consommée.

 

 

Restait de la place pour un dernier vaisseau… et j’ai craqué, j’ai voulu retenter l’Intercepteur TIE/in, piloté par Soontir Fel (52). La faculté native de ces chasseurs d’élite s’appelle Autopropulseurs : après avoir effectué une action, ils peuvent faire un Tonneau rouge ou une Accélération rouge. Soontir Fel plus précisément gagne automatiquement un marqueur de Concentration si, au début de la phase d’Engagement, il a un adversaire dans son « Bullseye ». Le Talent Prédateur (2) y est d’une certaine manière associé : quand Soontir effectue une attaque principale, si le défenseur est dans son « Bullseye », alors je peux relancer un dé d’attaque. J’ai complété là aussi avec un Système d’occultation, mais, l’Agilité de Soontir étant de 3, cette amélioration coûte pour lui 8 points d’escadron.

 

Et…

 

 

Bordel.

 

Bon, Albu, en face de moi, jouait une compo rebelle à base de deux paires de vaisseaux génériques autrement identiques. Il y avait donc deux K-Wing BTL-S8, qui étaient deux Pilotes de l’Escadron Warden, et deux Y-Wing BTL-A4, sauf erreur deux Vétérans de l’Escadron Or. Je ne me souviens plus des compositions exactes, mais tous les vaisseaux avaient un arc de tir mobile, les K-Wing avaient des Roquettes de barrage, sauf erreur, et les Y-Wing des Torpilles à protons ; il y avait aussi des Bombes à protons.

 

Mon Initiative supérieure m’a permis de me placer après les rebelles d’Albu, mais on ne peut pas dire que j’en ai vraiment profité… J’ai surtout commis l’erreur de placer « Whisper » bien trop à ma droite : je pensais pouvoir la ramener plus vite que ça dans le combat, mais… non.

 

Mais ma grosse, colossale, cyclopéenne boulette, d’emblée, a été de me montrer trop agressif avec Soontir Fel.

 

Comme d’hab’.

 

Mais en pire.

 

Le baron a ôté quelques boucliers à un K-Wing, mais il a aussitôt pris le feu : une première attaque d’un Pilote de l’Escadron Warden a fait sauter le Système d’occultation de l’Intercepteur, une deuxième a fait... ben, dégager le baron – nous étions au deuxième tour seulement, et, dans ma tête, je me répandais en insultes contre moi-même…

 

À ce stade (un tantinet précoce, hein ?), je n’avais déjà plus vraiment de chances de l’emporter (on va dire), mais nous avons continué. « Whisper » étant hors-jeu, car beaucoup trop loin, « Deathrain » faisait seul face aux quatre vaisseaux rebelles – mais le Punisher ne s’en est pas si mal sorti ? Une Charge sismique lancée en avant a incité Albu à éloigner un peu ses K-Wing en faisant un SLAM ; la Bombe n’a finalement touché personne, mais je suppose qu’elle a eu son utilité – en tout cas, « Deathrain » a pu se concentrer sur les Y-Wing, en formation, ce qui m’arrangeait : les Missiles groupés ont fait du gros, gros dégât. Mais « Deathrain » a « bumpé » au moment crucial, alors qu'il tentait un Koiogran 4 qui aurait pu le sortir des arcs de tirs rebelles – ceci à peu près au moment où « Whisper » arrivait enfin dans la zone de combat, faisant d’ailleurs aussitôt la démonstration de ses capacités de nuisance, en attaque « normale » mais aussi avec l’effet de Dark Vador. Mais c’était trop tard : « Deathrain » stressé et mal placé s'est fait démontrer la trogne. À ce stade, les deux Y-Wing étaient à l’agonie, avec seulement un point de Coque chacun – je pense que j’aurais pu les achever assez rapidement avec « Whisper », mais il aurait été absurde d’aller au-delà : j’ai concédé.

 

Et continué à m’auto-insulter.

 

J’ai entendu dans ma tête la voix de Soontir Fel, aussi.

 

Pas très amène…

 

À suivre…

Mes articles consacrés à X-Wing ont désormais leur blog dédié, Random Academy Pilot ! La suite là-bas !

Voir les commentaires

Le Puissant Royaume du Japon, de François Caron

Publié le par Nébal

Le Puissant Royaume du Japon, de François Caron

CARON (François), Le Puissant Royaume du Japon – 1636 : la description de François Caron, introduction, traduction [du néerlandais] et notes de Jacques et Marianne Proust, Paris, Chandeigne, [1636, 1639-1641, 1648, 1664, 2003] 2018, 298 p.

UN MARCHAND HOLLANDAIS AU JAPON

 

Après La Découverte du Japon et le petit traité Européens et Japonais de Luís Fróis, voici un troisième ouvrage publié aux Éditions Chandeigne et qui porte sur les premiers contacts entre Japonais et Européens, encore que celui-ci soit un peu plus tardif que les précédents, dans la mesure où il porte sur les premières décennies du XVIIe siècle, soit l’époque d’Edo.

 

Le Puissant Royaume du Japon se distingue aussi des précédents titres en ce que sa langue d’origine n’est pas le portugais… mais, essentiellement, le néerlandais – si le nom de François Caron sonne assurément français, le personnage, né vers 1600 à Bruxelles, avait gagné les Provinces-Unies et s’était engagé très jeune au service de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, ou VOC, dont, parti de rien, il gravit rapidement les échelons ; et il était huguenot… Mais, comme rien n’est simple, l’aventurier, après une brillante carrière, non seulement au Japon, mais à vrai dire dans toutes les Indes Orientales, s’est plus tard mis au service du roi de France, via Colbert – ce qui a comme de juste été considéré comme une véritable trahison par ses anciens concitoyens et employeurs… Du coup, des trois textes compilés ici, les deux premiers ont été rédigés en néerlandais, mais le troisième en français.

 

Caron était donc essentiellement un marchand – ce qui orientait sans doute le regard qu’il portait sur le Japon, d’une manière différente de celle des Jésuites qui l’y avaient précédé. Mais, comme Luís Fróis, Caron a non seulement bénéficié d’une longue expérience au Japon, où il est resté une vingtaine d’années, mais il a aussi fait preuve de curiosité en même temps que de compétence dans son appréhension de la culture japonaise : il parlait la langue parfaitement, ce qui en faisait un diplomate de choix en sus d’un marchand, et il avait même épousé une Japonaise, avec laquelle il eut six enfants. Comme Luís Fróis, dès lors, il se montre un témoin globalement bien plus fiable que beaucoup, même s’il faut manipuler ses écrits avec précaution car ils ne sont pas totalement exempts d’informations erronées – mais surtout quand l’auteur s’essaye à l’histoire, et rapporte un peu légèrement des anecdotes de seconde ou troisième main (comme la rumeur de l’empoisonnement de Toyotomi Hideyoshi, par exemple, très répandue à l'époque) ; mais le reste, ce qui est le fruit de sa pratique de marchand, est globalement très pertinent – et à vrai dire assez unique en son genre.

 

Cela tient aussi aux raisons l’ayant amené à rédiger les trois textes rassemblés ici : ils ont tous une visée éminemment pragmatique – ils sont utiles dans les affaires. D’ailleurs, ils n’avaient pas été conçus pour être publiés (même s’ils l’ont été, assez rapidement, et dans plusieurs langues – hélas avec des ajouts malvenus et des traductions malencontreuses… notamment en français, et c’est pourquoi ils sont retraduits ici, par Jacques et Marianne Proust, également responsables d'un abondant et passionnant appareil scientifique) : les deux premiers de ces textes, tout particulièrement, étaient en fait des documents internes à la VOC.

 

LA VRAIE DESCRIPTION DU PUISSANT ROYAUME DU JAPON

 

Commençons donc par le premier et le plus long de ces écrits, qui donne son titre au recueil – plus précisément, il s’agit de La Vraie Description du Puissant Royaume du Japon. C'est une « commande », d’une certaine manière : la VOC avait besoin d’en savoir plus sur le Japon pour mener au mieux ses affaires sur place, et a donc posé à son représentant local, très au fait de toutes ces choses, des « questions », d’un ordre très pratique. Caron s’attache à y répondre, de manière également pratique, et sans s’autoriser de fantaisies : il s’agit de répondre aux questions que ses employeurs lui posent, pas d’aller au-delà ; notamment, il ne se permet pas (généralement...) de répondre à « d'autres questions » qui lui auraient paru pertinentes.

 

Certaines questions, d’ordre politique et commercial tout particulièrement (le pouvoir central, la monnaie, que sais-je), appellent des réponses détaillées, courant sur plusieurs pages, et au fil desquelles l’auteur se montre un observateur pointu, rigoureux, et toujours essentiellement pratique. Mais d’autres questions – par exemple concernant la pratique religieuse des Japonais – peuvent être expédiées en quatre lignes, car elles n’intéressent qu’assez peu les affaires commerciales : on voit bien ici tout ce qui distingue Caron des Jésuites comme Luís Fróis. Cependant, le tableau que François Caron dresse ainsi du Japon s’avère révélateur au-delà des seules ambitions de la VOC – ce qui lui permet, par exemple, de livrer d’assez longs et précis développements portant sur le rituel du seppuku.

 

En outre, si la pratique religieuse des Japonais n’appelle pas ici de longs développements, Caron se trouve dans l’archipel, censément déjà fermé aux Portugais et aux Espagnols, au plus fort des persécutions anti-chrétiennes (je vous renvoie comme d’habitude au roman Silence, d’Endô Shûsaku – qui cite certains personnages historiques figurant également dans les rapports de Caron) : ce qui le protège, mais dans une certaine mesure seulement, c’est que la VOC (peut-être d’ailleurs confortée dans cette approche par les rapports de Caron lui-même ?) a bien pris soin, dès le départ, de ne pas faire dans le prosélytisme – ils sont des commerçants, ils ne marchent pas main dans la main avec des évangélisateurs, à la différence des Portugais et des Espagnols, qui ont systématiquement des missionnaires jésuites dans leurs bagages. La description des supplices infligés aux chrétiens n’en est pas moins atroce – et ceci alors même que des mauvaises langues affirmaient à l'époque (sans preuves et à tort) que Caron lui-même n’était pas sans reproches dans cette affaire : on est allé jusqu’à dire que ce sont ses manœuvres qui ont définitivement mis fin aux activités (théoriquement déjà bannies, pourtant) des Portugais et des Espagnols au Japon, certains l'accusant même d'avoir pesé dans la condamnation et la mise à mort de missionnaires catholiques ! Mais le huguenot n'était probablement pas insensible au sort des chrétiens, même papistes...

 

L’absence de prosélytisme dans les entreprises commerciales de la VOC tendait à protéger quelque peu les Hollandais, mais dans une certaine mesure seulement : le principal comptoir de la VOC au Japon, à Hirado, est démantelé et les affaires de la compagnie sont cantonnées à l’îlot artificiel de Deshima (ou Dejima), en face de Nagasaki, ceci alors même que Caron est en poste – et il quitte le Japon peu après, les deux événements étant liés. Jusqu’à la fin de l’époque d’Edo (plus précisément jusqu’à l’arrivée des « vaisseaux noirs » du commodore Perry en 1853), les Hollandais conserveront quelques possibilités de commerce avec le Japon des Tokugawa, faveur dont ne bénéficieraient pas les autres nations européennes, mais dans des proportions bien différentes : le pic des relations commerciales correspondait à la présence de Caron sur place.

 

EXTRAITS DU REGISTRE JOURNALIER (1639-1641)

 

Le deuxième document consiste en extraits du Registre journalier tenu par François Caron, chef de la factorerie de Hirado (4 février 1639-13 février 1641). Encore moins destiné à la publication que le précédent, ce texte largement expurgé de ses considérations les plus banales et de peu d'intérêt pour un lecteur contemporain et non érudit, de la météorologie à l’état des stocks et au bilan comptable, en passant par le listage des daimyôs (les historiens, par contre, y ont abondamment eu recours, c'est une source très utile pour eux !), ce document, donc, s’est étrangement avéré le plus intéressant à mes yeux, pour les récits détaillés qu’il livre sur le vif des activités de Caron et de ses rapports avec les autorités japonaises, « impériales » (c'est en fait le shogunat que Caron désigne ainsi, mais il avait bien compris, et expliqué dans ses écrits, ce qui distinguait le shôgun de celui que nous appelons aujourd'hui l'empereur) comme locales (les daimyôs qu'il qualifie dans le même registre de « rois »), en même temps qu’il aborde le quotidien des Japonais sous un angle différent de la sécheresse des « réponses » dans La Vraie Description du Puissant Royaume du Japon.

 

Si ce précédent texte démontrait combien Caron était un observateur lucide et judicieux, celui-ci décrit davantage le marchand madré et le diplomate pas moins habile – les deux activités étant indissolublement liées, et impliquant abondance de cadeaux aux seigneurs appropriés (des cadeaux par ailleurs mûrement réfléchis et personnalisés avec soin : par exemple, ce daimyô féru d'astronomie serait ravi de se voir offrir un télescope, tel autre apprécie l'orfèvrerie et se réjouira de ce candélabre, etc.). Aussi était-il globalement très apprécié de ses interlocuteurs japonais – qui se félicitaient en outre de ce qu’il s’était aussi parfaitement imprégné de la langue et de la culture japonaises ; ce qui lui a été très bénéfique ! Il faut dire que ses prédécesseurs n’avaient pas toujours fait preuve d’autant de tact et de pertinence – Caron a dû travailler d’arrache-pied pour réparer les torts causés par tel ou tel imbécile arrogant totalement inconscient des réalités du terrain…

 

Parmi les passages les plus intéressants, je relève ceux où Caron fait la démonstration de mortiers et autres armes à feu qui enthousiasment ses interlocuteurs japonais – même quand les tests, une fois sur deux au bas mot, se passent très mal, faisant des blessés sinon des morts !

 

Mais Caron livre aussi de saisissants développements sur le sort des marchands et prêtres portugais, déjà censément bannis, mais qui reviennent pourtant sans cesse au Japon – n’y récoltant que le bannissement définitif, et l’exécution sommaire de ceux qui ont encore l’audace de poser le pied sur l’archipel (et qui semblent invariablement surpris de leur sort !). Blâmer Caron pour tout cela ne faisait aucun sens…

 

En parallèle, l’auteur saisit bien que la situation des Hollandais était en vérité des plus précaire également – celle des Chinois, aussi : en fait, les deux étaient d’une certaine manière liées. Quand le pouvoir shogunal se déchaîne contre les Portugais, Caron pèse bien les menaces qui planent sur les intérêts de la VOC et sur la personne de ses représentants – menaces qui prennent un tour plus concret quand « l’inquisition japonaise » obtient le démantèlement de la factorerie de Hirado et son « exil » à Dejima ; à vrai dire, « l’inquisiteur », un personnage assez charismatique qui figure dans le roman d'Endô Shûsaku, est visiblement frustré de ce que Caron, toujours d’une politesse et d’une docilité exemplaires, n’ait pas opposé la moindre résistance…

 

MÉMOIRE POUR L’ÉTABLISSEMENT DU COMMERCE AU JAPON

 

Après quoi Caron quittera le Japon, et connaîtra encore bien des aventures dans les Indes néerlandaises – il y fera des affaires brillantes, dans des opérations où le commerce s’avère indissociable des opérations militaires opposant les nations européennes (il en mène quelques-unes lui-même) ; une figure à Batavia, notamment après son second mariage (après le décès de son épouse japonaise, qu'il avait fait suivre), il obtiendra diverses récompenses, étant même pour un temps gouverneur de Formose, puis directeur général à Batavia. Mais – décidément – les rumeurs pèsent toujours sur lui : la VOC elle-même s’inquiète de certaines allégations concernant les pratiques de son fidèle employé… Il se défend très bien, mais un soupçon demeurera – quoi qu’il en soit, il doit rentrer en Europe, en 1651.

 

Et c’est alors – enfin, en 1664 – que Caron commet cette fois bel et bien une « trahison ». La France était beaucoup moins active que la plupart de ses rivales dans le commerce des Indes orientales – et Colbert, tout particulièrement, souhaitait y remédier : il voulait créer une Compagnie française des Indes Orientales, à même de rivaliser avec la VOC mais aussi avec la Compagnie anglaise des Indes Orientales, qui ne cessait de gagner en puissance. Toujours l’homme réfléchi, il prit soin tout d’abord de se documenter sur les réalités du terrain, auprès de ceux qui les maîtrisaient le mieux : le nom de François Caron s’imposa tout naturellement. Le huguenot y répondit volontiers – protégé dans sa foi « hérétique » par l’édit de Nantes, qui ne serait révoqué qu’une vingtaine d’années plus tard, et sans doute appâté par la perspective de juteux profits et d’une position d’autorité (que la VOC quelque peu méfiante tendait alors à lui refuser ; c'était aussi l'occasion de quitter à nouveau l'Europe !), et, cerise sur le gâteau, afin d’assurer ce statut, des traficotages dans les archives et autres manipulations de registres, destinés à faire tardivement de M. Caron un digne représentant d’une ancienne lignée aristocrate française…

 

Afin d’éclairer Colbert (et Louis XIV, encore jeune, mais sur le trône depuis une vingtaine d’années déjà…) sur ce qui se passait aux antipodes, ce qui pouvait y être fait, et ce qui devrait l’être, Caron rédigea (en français cette fois) un Mémoire pour l’établissement du commerce au Japon, dressé suivant l’ordre de Monseigneur Colbert par Mr Caron. Si le titre met en avant le Japon, le mémoire a en fait des vues bien plus larges, et Caron s’y intéresse probablement davantage à Madagascar et à Ceylan qu’au Japon – car ces deux grandes îles (outre l’Inde elle-même) seraient à même de fournir chacune une base arrière indispensable pour que la France puisse faire quoi que ce soit plus à l’est, où les Hollandais mais aussi les Anglais étaient en position de force, et avaient opposé leur puissance à toutes les tentatives françaises dans la région. Or c’était une question qui devait être réglée avant même que l’on s’attelle à la rude tâche de décrisper le shogunat isolationniste pour entamer de nouvelles relations commerciales avec lui, après tout ce qui s’était passé… notamment quand Caron lui-même était au Japon.

 

C’est un texte assez étrange, en vérité. Les dignes interlocuteurs de Caron ne sachant pas vraiment ce qui était envisageable dans ces contrées lointaines, et c’était bien pour cela que Colbert s’était directement référé à lui, le marchand y faisait à la fois les questions et les réponses. Cela allait même plus loin, car il était ainsi amené à rédiger, à la fin de chaque partie, et sous le nom même de Louis XIV, rien que ça, des instructions royales à lui adressées !

 

Les bons conseils de Caron s’avèreraient judicieux, et lui-même prendrait part aux opérations sur place, y compris militaires (non sans conflits avec ses « collègues »). Un coup du sort mit toutefois fin à ses entreprises : rentrant en Europe en 1673, il fit naufrage dans la bouche du Tage – et y mourut. La Compagnie française des Indes Orientales continuerait sans lui – mais le commerce français avec le Japon ne prendrait pas.

 

LE BON MARCHAND CONNAÎT SA CLIENTÈLE

 

Ces trois documents constituent un ensemble très intéressant – la figure charismatique de Caron y est pour beaucoup, mais surtout en ce que le marchand se montre d’une compétence en même temps que d’une acuité exceptionnelles : il est un commerçant avisé, et un diplomate subtil et efficace, mais il n’aurait jamais pu briller dans ces deux registres sans une connaissance pointue et curieuse du pays dans lequel il exerçait.

 

Même avec quelques boulettes çà et là, La Vraie Description du Puissant Royaume du Japon demeure une des études européennes les plus lucides et justes du Japon prémoderne – ce qui associe Caron à son étonnant prédécesseur le Jésuite Luís Fróis. En fait, ce texte resterait longtemps un des plus fiables, et peut-être le plus fiable, portant sur ce lointain pays si étrange et méconnu, et qui avait alors déjà entrepris de se replier sur lui-même – il faudrait attendre presque deux siècles après la mort de Caron pour que les échanges, en toutes matières, se développent à nouveau, au-delà de la seule « exception hollandaise » de Dejima. Ce document « professionnel » n’en est que plus important.

 

Mais les extraits du Registre journalier, dans cet ensemble, sont peut-être plus intéressants encore, en ce qu’ils adoptent une perspective plus « quotidienne » qui n’entrave en rien l’acuité des observations de Caron, bien au contraire.

 

Le Mémoire commandé par Colbert joue dans une tout autre catégorie, mais témoigne pourtant encore, à sa manière, de la compétence éclairée de Caron.

 

L’ensemble est donc particulièrement utile pour qui s’intéresse aussi bien à l’histoire du Japon, et notamment des relations entre les Japonais et les Européens avant Meiji, qu’à l’histoire du commerce des Indes Orientales.

 

Un très bel ouvrage, pointu mais toujours passionnant, et orné, ce qui ne gâche rien, de belles illustrations d’époque, incluant encore mes cartes adorées, dont bon nombre en couleur. Encore une belle et intrigante réussite des Éditions Chandeigne – qui ont publié d’autres livres sur la question, il faudra que je mette la main dessus…

Voir les commentaires

De beaux et grands lendemains, de Cory Doctorow

Publié le par Nébal

De beaux et grands lendemains, de Cory Doctorow

DOCTOROW (Cory), De beaux et grands lendemains, [The Great Big Beautiful Tomorrow, plus…], suivi de « Créativité vs. Copyright », et d’une interview de Cory Doctorow par Terry Bisson, traduction [de l’anglais (Canada) par] Antoine Mottier, Rennes, Goater, coll. Rechute, [2011] 2018, 200 p.

Il y a quelques années de cela, j’avais été très enthousiasmé par différentes publications de l’auteur (et blogueur/essayiste/etc.) canadien Cory Doctorow – tout particulièrement son roman Dans la dèche au Royaume Enchanté, qui avait suscité comme une hype, et qui m’avait vraiment, vraiment intéressé : je n’adhérais pas à tout ce qui s’y trouvait, loin de là, mais ça n’en était pas moins un bouquin d’une grande richesse et d’une grande pertinence – une lecture à même de faire envisager le monde différemment, ou du moins à même de susciter des questionnements qui nous auraient échappé sans cela ; d’une certaine manière, l’essence de la meilleure science-fiction. Le très geek (enfin, plus encore, quoi) recueil Overclocked, en anglais, m’avait fait peu ou prou le même effet. Si le roman « young adult » Little Brother m’avait moins emballé (mais il a semble-t-il été décisif dans l’orientation de l’auteur vers ce registre), je l’avais néanmoins trouvé très recommandable, tout particulièrement pour initier nos pas nécessairement chères petites têtes pas nécessairement blondes à certaines thématiques science-fictives et plus. Depuis, cependant, je n’en avais rien lu…

 

Et je suis tombé tout récemment sur cette publication française aux éditions Goater – dans la collection « Rechute », qui s’inscrit ouvertement dans la filiation de l’antique collection « Chute libre » des éditions Champ Libre ; la (chouette) couverture signée Pierre Bunk en témoigne assez, parfaitement dans l'esprit. Bon, « Chute libre », c’était y a un bail, et je ne peux pas prétendre avoir « connu » la chose, même a posteriori – et je suppose que le « mythe » qui nimbe certaines expériences éditoriales passées justifie toujours une certaine méfiance, au cas où. L’allure mise à part, je ne saurais donc vous dire si De beaux et grands lendemains est bien dans la continuité de « Chute libre ». Mais il est probablement plus utile de relever que cet ouvrage, et semble-t-il d’autres de « Rechute », est la traduction d’un volume en anglais de la collection « Outspoken Authors » des éditions californiennes PM Press – d’où sa composition assez particulière : la novella-titre, qui occupe environ 150 pages, est suivie d’une conférence datant de 2010 et intitulée « Créativité vs. Copyright », où Cory Doctorow monte avec toujours autant d’enthousiasme son dada sur les DRM et autres impostures supposées protéger les droits des auteurs quand elles ne protègent que les bénéfices des grands groupes (il se montre plutôt convaincant, pour être franc, mais je ne peux pas prétendre être vraiment partie prenante à ce débat), tandis qu’une interview de Cory Doctorow par son collègue Terry Bisson, interview qui m’a globalement laissé indifférent, conclut l’ouvrage. Il n’a rien d’un puzzle anarchique pour autant : en fait, la conférence (probablement) et l’interview (très certainement), même sans que cela débouche sur de la citation explicite, peuvent éclairer certains aspects de la novella.

 

 

… qui aurait bien besoin d’être éclairée ? Parce que, comme souvent chez l’auteur, elle comprend plein de choses intéressantes… mais je ne suis pas bien certain de comprendre ce que Cory Doctorow voulait y dire au juste. Au point où c’est un peu frustrant – d’une certaine manière, j’y ai retrouvé ce qui m’avait tant plu dans Dans la dèche au Royaume Enchanté, mais le ressenti a pourtant été très différent…

 

Présenter cette histoire n’a du coup rien d’évident – et la résumer serait très malvenu, je suppose, en plus d’être passablement difficile… Cela tient pour une bonne part à son univers, que j’ai du mal à saisir. D’une certaine manière, cette anticipation post-cyberpunk, ou post-singularité, ou en tout cas post-quelque chose, évoque l’anticipation assez proche de Dans la dèche au Royaume Enchanté – au point peut-être du clin d’œil, parce que ce monde se situe ouvertement quelque part entre le post-Disney et le, euh, para-Disney ? méta-Disney ? ou peut-être anti-Disney ? truc ? avec en tout cas des transhumains qui kiffent les antiques attractions de la bande à Walt, en l’espèce le Carrousel du Progrès, relique absurde en même temps que fascinante d’un lointain passé lorgnant sur le futur en chansons, et qui fournit à elle seule un commentaire perpétuel à l’action de la novella, et, bordel, le héros s’appelle Jimmy Yensid, et ça, non, mon Cory, faut pas, c’est pas bien. Faut pas. C’est interdit.

 

Mais ce monde, donc, quel est-il ? Transhumain ou post-humain pour une part, si on s’en fie à notre héros Jimmy et à son papounet. Et, oui, définitivement post-singularité, sans trop en dire (mais on s’en doute). Au-delà, il ne rentre pas bien dans les cases : la novella s’ouvre quand même sur un Jimmy pilotant un mécha qui mitraille des wumpus, des sortes de robots très fous endémiques, et tout ça nous a quand même un air post-apo prononcé – surtout quand on navigue ainsi dans les ruines de Détroit avec la conviction qu’il n’y a rien autour. Bien loin de la bombe humaine par ailleurs, on a aussi l’impression d’un monde où l’humanité se limite à quelques communautés extrêmement restreintes, et plus qu’à leur tour sectaires, ce qui rentre dans les cases du post-apo, mais elles ont aussi une dimension utopique, libre et volontaire, en même temps, qui ne vire peut-être pas systématiquement au dystopique – c’est compliqué. Cela dit, ces petites communautés, en attendant de se faire ravager par les wumpus d’ici quelques années ou quelque décennies, semblent vivre dans une relative insouciance tranquille et paisible, qui nous éloigne pour le coup de Mad Max ou Fallout… Même si nous aurons droit aussi à des milices combattant désespérément les wumpus. OK, post-apo, alors ? Mais ce monde est en même temps connecté, et très avancé technologiquement : Jimmy et ses proches communiquent régulièrement, via une sorte d’Internet, avec des cols blancs partout de par le monde, notamment en Inde, et, dans ces scènes, on n’a clairement pas le même ressenti qu’avec les ruines de Detroit : l’humanité ne s’en sort pas si mal, alors ? Eh bien, je n’en sais rien. Il y a sans doute plein de choses intéressantes dans cet univers, qui m’intriguent et régulièrement me séduisent, mais sa cohésion d’ensemble me laisse passablement perplexe – du moins jusqu’à ce que les toutes dernières pages viennent régler la question en changeant tous les termes de l'équation, hein.

 

Mais ce souci de cohésion vaut probablement pour la novella dans son ensemble – qui aborde vraiment plein de choses différentes ; et c’est ici que la sensation de patchwork se fait la plus prégnante, bien plus que dans le format même du livre, novella + conférence + interview. Une scène cruciale attrape le lecteur par le col et lui braille dans les oreilles : « LA CLEF POUR COMPRENDRE L’HISTOIRE SE TROUVE ICI !!! » Il s’agit d’une petite dissertation sur les notions de progrès et de changement – avec le sentiment que le monde de Jimmy est post-progrès (tout est ici très post-truc, décidément), il ne connaît plus que le changement. Les connotations de ces deux termes orientent le débat vers l’éthique, mais la réponse n’est probablement pas si claire – ce qui n’est au fond pas plus mal, je suppose. De mes anciennes lecture doctorowiennes, j’avais hérité l’image peut-être infondée d’un auteur, disons, « technophile raisonné » : plutôt favorable et optimiste quant au progrès technologique et scientifique, peut-être plus sceptique pour ce qui est du progrès moral (on sait que ces deux progrès ne sont pas nécessairement liés, loin de là, outre que le progrès quel qu'il soit n'a donc rien d'une certitude, loin de là bis, cachez cet historicisme que je ne saurais voir, et plus encore cet évolutionnisme au sens de l'anthropologie sociale), mais tout disposé à soulever les difficultés, voire les périls, que ces paradigmes d’évolution comportent nécessairement. Cette idée est peut-être fausse – et une projection de ma part, car je suppose que je suis quant à moi ce technophile raisonné, intrigué positivement par le transhumanisme, même si pas au point de l’aveuglement religieux, et qui pique en revanche des colères noires au moindre soupçon de luddisme, il plaide coupable…

 

Ceci étant, cette problématique du changement et du progrès se concrétise dans la novella au travers du personnage même de son héros-narrateur, Jimmy. Jimmy n’est pas qu’un pilote de mécha qui takatakatake les wumpus : il est un post-humain ; virtuellement (enfin…), selon ses termes qui sont ceux de son papounet, un « immortel ». Et ça lui pose comme un souci – parce qu’il est encore un enfant, au moins physiquement : il a l’allure d’un gamin de onze ans, à peu près, et ne vieillit que très, trèèèèèèèès lentement. Ce qui est frustrant. Peut-être pas tout à fait au sens propre, car son corps décide pour une part de sa mentalité : les hormones ne le perturbent pas, la sexualité ça n’est pas encore ça – la copine Lacey est très jolie, mais elle n’a plus onze ans, elle, Jimmy s’en rend bien compte… Et il soupçonne quand même que le monde serait beaucoup plus intéressant s’il avait, mettons, dix-huit ans ? Allez ? Alleeeeeeeeeeez ! Or ça ne semble pas prévu avant un bon moment. Changement/progrès, tout ça… La perfection utopique, statique par essence, a ses inconvénients – illustrés de la sorte dans leur mode le plus absurde. Jimmy n’est donc pas très satisfait de sa condition d’immortel – il aimerait vieillir, au moins… au prix à terme de la mort, le cas échéant. Sa vie, oui, serait quand même beaucoup plus intéressante…

 

Seulement De beaux et grands lendemains (oui, ce titre vient ironiquement d’une chanson du Carrousel du Progrès) contient plein d’autres trucs – sans revenir sur les détails d’ambiance de l’univers. Et, à terme, via les wumpus qui l’emportent (oups, je l'ai dit ? mais je ne crois pas spoiler quoi que ce soit...), la novella associe à ce premier discours sur le progrès et le changement un second discours qui pousse les notions de post-singularité et de post-humanité bien au-delà, en les accompagnant plus que jamais d’un commentaire éthique que je n’ose pas dévoiler ici, mais qui n’est pas à son tour sans une certaine ambiguïté.

 

Mais, oui, plein, plein d’autres trucs – et une novella d’autant plus difficile à appréhender dans sa globalité. Un héros pré-ado mais pas « young adult », dans une utopie qui est une dystopie qui n’en est pas une, un futur post-apo mais pas post-apo, de beaux et grands lendemains terriblement ironiques ou en fait pas du tout ironiques… Et dans l’ambiance, et dans la forme, les ruptures sont brutales : nous parlons d’un récit somme toute subtil et « philosophique », si cela veut dire quelque chose, mais avec quand même un gosse dans un putain de mécha qui massacre robots tueurs fous et pillards bikers clonés mutants (oui, aussi). Et c’est plus ou moins convaincant selon les passages – parfois un peu trop « forcé », en tout cas, au point regrettable de la dispersion.

 

Cela tient peut-être au format de la novella ? Je fais banalement partie des science-fictionneux qui prisent ce format intermédiaire – que les mauvaises langues, du coup, diraient le cul entre deux chaises. Régulièrement, devant un roman, je me dis que tailler dans le gras aurait été profitable, et qu’il aurait mieux valu en faire une novella. Plus rarement, devant certaines nouvelles, je me dit que davantage d’ampleur, mettons celle d’une novella, eh, aurait été également profitable. Ici, nous somme dans une tout autre situation : pour une fois, je le crains, c’est le format de la novella qui se montre assez peu adapté… Parce qu’il y a beaucoup de choses dans De beaux et grands lendemains, on pourrait en déduire qu’un peu plus de place aurait été une bonne chose – d’autant que les dernières parties du récit tendent au laconisme, probablement un peu trop. Un roman, alors ? Pas dit, car je tends à croire, finalement, qu’il aurait mieux valu scinder tout ça – en plusieurs nouvelles, en fait.

 

Ce en quoi je me gourre peut-être totalement, hein. Ce qui illustrerait avant tout que je suis passé totalement à coté du propos. Pas impossible, ça… Parce que si je vois plein de choses intéressantes dans De beaux et grands lendemains, je ne suis vraiment pas certain de ne serait-ce qu’entrevoir ce que Cory Doctorow voulait dire au juste dans cette affaire.

 

Un sentiment mitigé, du coup – et, hélas, cette édition française tire un peu plus le bouquin vers le bas… La traduction est parfois un peu lourde, et, surtout, la relecture est défaillante : beaucoup de coquilles, de mots « oubliés », de phôtes diverses et variées – au début ça va à peu près, mais, plus on avance dans le bouquin, plus c’est rude ; ça l’est tout particulièrement dans la conférence et l’interview, ai-je l’impression…

 

Oui, sentiment mitigé – c’est bourré de choses intéressantes, mais il n’y en a pas moins beaucoup à redire.

Voir les commentaires