Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #nebal lit des bons bouquins tag

Recueil des joyaux d'or

Publié le par Nébal

 

Recueil des joyaux d’or et autres poèmes, traduit [du japonais] et présenté par Michel Vieillard-Baron, Paris, Les Belles Lettres, coll. Japon, série Fiction, [1335] 2015, 243 p. + 64 p. de pl.

 

Aujourd’hui, je ne vais pas me livrer à une chronique à proprement parler – parce qu’à force, tous mes articles consacrés à la poésie japonaise classique, et parfois aussi à la contemporaine, se ressemblent un peu. Je vous renvoie donc, le cas échéant, à d’anciens articles, par exemple ma chronique de l’Anthologie de la poésie japonaise classique, ou de De cent poètes un poème, pour comprendre ce dont il s’agit.

 

Rapidement, tout de même : le poème court, ou tanka, au rythme 5-7-5/7-7, est la forme traditionnelle du poème japonais (waka). À l’époque classique, il était particulièrement en vogue, et l’activité poétique était prise très au sérieux dans l’aristocratie (voire au-delà), et jusqu’à la cour impériale, où il y avait un ministère de la Poésie. Les concours étaient nombreux, et les meilleurs poètes se voyaient confier la compilation d’anthologies officielles, dites impériales, qui rassemblaient les trésors de la poésie du jour et de jadis.

 

Mais, parallèlement aux anthologies impériales, il en existait d’autres davantage privées, recueils familiaux ou compilations toutes personnelles, piochant le cas échéant dans les anthologies impériales pour n'en garder que le meilleur. Ce dernier cas est bien celui du Recueil des joyaux d’or qui nous intéresse aujourd’hui, lequel est complété dans cette édition par deux autres brèves compilations du même ordre, Le Style excellent en poésie et un Recueil sans titre – qui datent des XIIIe et XIVe siècles approximativement (le manuscrit du Recueil des joyaux d’or étant plus précisément daté de 1335). Le grand poète (et critique ?) Fujiwara no Teika y a probablement eu sa part, et cela tombe bien, cette édition est traduite du japonais et présentée par Michel Vieillard-Baron, le plus grand spécialiste français de Teika.

 

Ces anthologies portent exclusivement sur des tanka, classés par thèmes classiques de composition (éventuellement imposés lors de concours et autres jeux) : les saisons, l’amour, etc. On y croise aussi bien des hommes que des femmes, des noms fameux, comme Ki no Tsurayuki, Izumi Shikibu, Ariwara no Narihira ou encore Ise, au côté d’anonymes (au sens strict), avec ici un empereur, là un moine bouddhiste. Certains de ces poètes sont des habitués des anthologies impériales, qui y ont été plusieurs fois publiés (parfois plusieurs dizaines de fois), tandis que d’autres ne sont éventuellement connus que pour un unique poème ou peu s’en faut. L’ensemble est forcément de haute tenue.

 

Il faut insister sur ce point : la présente édition est exemplaire – au point où c’en est passablement impressionnant. L’ouvrage s’ouvre sur une longue préface de Michel Vieillard-Baron, qui présente la poésie japonaise classique en termes aussi bien historiques que stylistiques, de manière parfois assez pointue, et en mettant en évidence les difficultés de la traduction en la matière.

 

Après quoi un même modèle est repris pour les trois recueils compilés : sur la page de gauche se trouvent des notes, indiquant de manière générale la provenance du poème, tout spécialement l’anthologie impériale dont il est le plus souvent issu, avec les éventuelles notes introductives des anthologistes, variations incluses, ainsi que des explications de texte, tout spécialement quand des jeux de mots de divers ordre opèrent (et c'est très souvent le cas).

 

Sur la page de droite, on trouve généralement trois poèmes. Ceux-ci sont numérotés (il y en a 203 en tout). Dans la colonne de gauche, on trouve le texte japonais en caractères romains, et dans la colonne de droite la traduction française, en principe sur cinq vers comme de juste (mais parfois six quand il n’y a pas de meilleur moyen d’exprimer en français un jeu de mots, comme c’est fréquemment le cas).

 

Chaque poème est bien sûr suivi du nom de son auteur, et on trouvera en fin d’ouvrage un « Répertoire des noms des poètes » d’une vingtaine de pages, chaque poète ayant droit à sa notice biographique développée, et parfois étonnamment pour les plus obscurs d’entre eux (on y relève notamment le nombre exact des publications dans les anthologies impériales). L’appareil scientifique comprend également deux index des poèmes, le premier dans l’ordre alphabétique des premiers vers (japonais…), le second fonction de la provenance dans les anthologies impériales.

 

Mais il faut y ajouter une chose et non des moindres : cette édition comprend également, non seulement les versions originales, c’est-à-dire en kanji et kana cette fois, des poèmes du Recueil des joyaux d’or, mais aussi la reproduction intégrale en fac-similé de l’ensemble du manuscrit du Musée Guimet qui a servi de base à cette publication, en 64 planches en couleurs, poussant le perfectionnisme jusqu’à la reproduction de l’intérieur de la couverture ou de pages vierges. La (jolie) couverture de la présente édition irréprochable correspond en fait au revers de la couverture du manuscrit, avec papier d’or à empreinte de toile. C’est vraiment un travail admirable.

 

Et la traduction a l’air d’être à l’avenant, sonore, imagée, et juste. Michel Vieillard-Baron me paraît occuper ici une sorte de place intermédiaire très enviable entre René Sieffert, et son goût des tournures archaïsantes, et Gaston Renondeau, peut-être plus fidèle à l’esprit qu’à la lettre, pour citer deux traducteurs français qui ont régulièrement travaillé sur la poésie japonaise et que j'ai régulièrement lus.

 

Un très bon recueil pour qui s’intéresse à la poésie japonaise classique – et, encore une fois, une édition proprement exemplaire.

 

Voici pour finir, et c'est peut-être le principal objet de cet article, un petit florilège de certains poèmes qui m’ont plus particulièrement touché – dans l’ordre où ils apparaissent dans cette anthologie (cette sélection couvre les trois recueils compilés).

 

Avoir entendu :

C’est aujourd’hui le printemps

Nous fera-t-il prendre

Pour des fleurs la neige qui

Peine à fondre sur les monts Kasuga ?

– ÔSHIKÔCHI NO MITSUNE

 

Ce bas monde

Mais à quoi le comparer ?

Aux vagues blanches

Qu’à l’aube laisse derrière elle

Une barque que la rame conduit

– LE MOINE DÉBUTANT MANZEI

 

La splendeur des fleurs

Est passée, hélas, tandis

Qu’en vain j’ai vieilli,

Pensive, le regard perdu,

Dans ces pluies interminables

– ONO NO KOMACHI

 

En ce jour de printemps

Que baigne la douce lumière

Du ciel éternel

Pourquoi les fleurs tombent-elles

Le cœur plein d’inquiétude ?

– KI NO TOMONORI

 

Le barrage que

Sur la rivière de montagne

Le vent a dressé

Est fait de feuilles rougies

Que le courant n’a pu charrier !

– HARUMACHI NO TSURAKI

 

L’hiver, dans le bois,

A fait tomber les feuilles

Que couvre le givre :

La lune y dépose son reflet

D’une saisissante froidure !

– FUJIWARA NO KIYOSUKE

 

Dans le jour naissant

Semble luire la lune de l’aube

Tant il est tombé

De neige immaculée sur

Ce hameau de Yoshino

– SAKANO.UE NO KORENORI

 

Rosée au bout des feuilles

Et gouttes au pied des plantes

Nous montrent, n’est-ce pas ?

Que tous en ce bas monde

Tôt ou tard devons disparaître

– LE RECTEUR MONACAL HENJÔ

 

Est-ce le sommet

Qu’une fois l’aube levée

Je devrai franchir,

Celui où dans un blanc nuage

La lune achève sa course ?

– FUJIWARA NO IETAKA

 

Comme les eaux rapides

Dont un rocher entrave le cours

Et par lui fendues :

Même si l’on nous séparait

Nous finirons par nous rejoindre

– L’EMPEREUR SUTOKU

 

Nous nous quittâmes,

Elle, froide comme la lune de l’aube

Que je vis dans le ciel,

Depuis, rien n’est pour moi plus triste

Que la première lueur du jour

– MIBU NO TADAMI

 

Disant : « Souffre donc ! »

La lune nous plonge-t-elle dans

D’amoureux pensers ?

Non ! Mais je feins qu’elle est la cause

Des larmes que je verse…

– LE MAÎTRE DE LA LOI SAIGYÔ

 

Fine est la trame

Du vêtement de brume

Que porte le printemps :

Le vent de la montagne

Le froissera sans doute

– ARIWARA NO YUKIHIRA

 

La lune d’automne

Se cache sur le haut sommet

Au-delà des nuées :

Elle attend l’obscurité

De ce ciel qui se dégage

– FUJIWARA NO TADAMICHI

Voir les commentaires

Le Visage Vert, n° 31

Publié le par Nébal

 

Le Visage Vert, n° 31, Cadillon, Le Visage Vert, septembre 2019, 189 p.

 

Cela faisait un bail que je n’avais pas chroniqué de revue – et par exemple Le Visage Vert : de cette excellente revue de littérature fantastique et décadente, je n’avais plus parlé en ces lieux interlopes depuis le n° 24… et nous en sommes au 31. Or Le Visage Vert vaut bien qu’on en parle – et ce numéro au très joli sommaire en témoigne assurément.

 

Dans ce numéro, nous avons onze fictions courtes, dont une pièce radiophonique due aux excellents Yves et Ada Rémy – il faut y ajouter un essai du toujours impressionnant Michel Meurger ; commençons par-là, allez. « Du côté des loups (V) : Garous et meneurs de loups littéraires – « Viens, allons vivre avec les loups » s’inscrit dans une série au long cours dont j’ai raté les précédents épisodes... En même temps, cet article abondamment annoté a un objet probablement plus précis que son titre à rallonge ne le laisse supposer, car les considérations tournant autour de l’historiographie, disons, de la Bête du Gévaudan, y occupent une place centrale. Cependant, au-delà, l’article envisage un certain nombre de cas de loups prédateurs, mangeurs d’adultes et d’enfants, en Europe occidentale essentiellement, et en s’appuyant le plus souvent sur de très obscures monographies d’histoire locale. On retrouve sans surprise, et avec un immense plaisir, dans cette étude, l’impressionnante érudition caractéristique des travaux de Michel Meurger, même si, pour le coup, elle a peut-être les défauts de ses qualités ? J’ai parfois eu l’impression que l’auteur plaçait peu ou prou toutes ses sources au même niveau – tout en concédant que, dans cette perspective historiographique, c’est une approche qui peut se tenir… Ajoutons aussi que l’article a une dimension vaguement partisane, peut-être ? Pour Michel Meurger, semble-t-il, à moins qu'il ne s'agisse... de littérature, les cas de prédations à l’encontre d’humains sont largement attestés, et bien plus que ne le prétendent les écologistes désireux de réintroduire l’animal croquemitaine par excellence ici ou là – il ne semble guère porter ces militants dans son cœur, à en croire quelques menues piques éparses… C’est peut-être ici, en fait, que la tendance à mettre toutes les sources sur un même plan me paraît plus particulièrement problématique – les archives, au fond, pouvant susciter les mêmes périls à cet égard que l’Internet saturé de fake news, etc., que l'on vilipende à bon droit à ce propos, mais le problème n'est pas si inédit qu'on le prétend parfois (ce sont ses proportions qui le distinguent). Michel Meurger est sans doute un chercheur trop accompli pour tomber dans ce navrant panneau, heureusement. Il y a quand même de gros délires dans le tas de ces sources, et, comme l’auteur l’analyse pour le coup très judicieusement, des biais politiques, philosophiques, religieux et moraux qui déforment les comptes rendus et leur confèrent une portée allant bien au-delà du simple fait-divers sordide – et l’étude de ces biais figure parmi les éléments les plus saisissants de cette communication, et peut-être les plus susceptibles d’extrapolations contemporaines. Car, avec ces menus bémols, demeure une belle somme d’érudition, très pointue, mais aussi très stimulante et tout à fait passionnante – Michel Meurger égal à lui-même.

 

Mais cet article, hors notices bien sûr, est la seule non-fiction de cette trente-et-unième livraison du Visage Vert – le reste consiste en nouvelles généralement assez courtes, s’il y a quelques exceptions notables ; et, comme souvent dans cette revue, on alterne auteurs français et étrangers, mais aussi et peut-être surtout actuels et plus anciens, dont certains sentent passablement la poussière, tandis que les noms connus sont mêlés d’autres bien davantage obscurs.

 

Commençons par les « vieilleries ». Et évacuons d’emblée la seule vraie fausse note, en ce qui me concerne, de ce numéro, à savoir « Le Mendiant – conte fantastique », très poussive nouvelle d’un très obscur auteur du nom de Pascal Mulot (rien à voir avec le bassiste, de toute évidence, eh). La plume de plomb et le rythme mal assuré du récit en rendent la lecture pénible, et il y a trop d’exemples plus enthousiasmants de cet archétype du cauchemar forestier dans la littérature fantastique (je vous reparlerai prochainement d’Algernon Blackwood…) pour justifier véritablement que l’on sorte ce conte maladroit de son carton.

 

Par chance, et sans vraie surprise, le reste est autrement convaincant. Ainsi la « Chinoiserie » de Sauphus Bauditz : tout est dans le titre, ou presque, et un lecteur chinois en ferait peut-être une attaque cardiaque, mais ce conte aux faux airs de fable, et pour le coup dépourvu de tout élément fantastique, s’avère très amusant – une aimable satire que l’on lit le sourire aux lèvres.

 

On atteint tout de même un tout autre niveau avec « N », un conte inédit du grand Arthur Machen. Cette nouvelle est assurément bavarde, surtout dans ses premières pages, où l’on dissèque la géographie insolite (ou pas toujours tant que cela) de Londres, tout en questionnant les souvenirs des promeneurs, ou, au même niveau, leur tendance à s’illusionner quant à ce qu’ils voient et choisissent plus ou moins consciemment de garder en mémoire. Mais la conclusion de la nouvelle, riche d’images fortes et de personnages joliment peints, compense sans peine cet éventuel défaut initial (qui justifie au passage de nombreuses notes, si pas exhaustives, car, pour le lecteur francophone, tout cela risque de s’avérer plutôt hermétique). Une magie opère, en définitive, fond et forme, qui convainc tout à fait. Machen était un grand auteur, et il serait souhaitable que son œuvre soit autrement disponible en français qu’elle ne l’est aujourd’hui (soit quelques recueils chez Terre de Brume, éditeur dont je ne sais jamais s’il est mort, vivant, ou les deux).

 

Mais, à propos d’auteurs à redécouvrir, il en est un ici qui a eu droit à quelques heureuses rééditions ces dernières années, notamment chez L’Arbre Vengeur et dans la collection des « Orpailleurs » de la Bibliothèque Nationale de France, et c’est Maurice Renard. Le Visage Vert est également de la partie, qui a édité, en même temps que sortait ce numéro, le recueil Celui qui n’a pas tué, que je lirai prochainement. Mais, en guise d’amuse-bouche, nous avons droit ici à deux très brèves nouvelles justement issues de ce recueil. « Hippolyte », avec son cadre militaire que l’on retrouvera plus loin chez Camille Mauclair, est un récit qui parvient étrangement à combiner le grotesque, l’émotion et la rêverie, et dont la conclusion soulève des perspectives enthousiasmantes en même temps qu'imprégnées d'une nostalgie irraisonnée mais d'autant plus délicieuse. « Une odeur de souffre » est un conte peut-être un peu plus convenu, mais la narration habile et les personnages hauts en couleur en rendent la lecture tout à fait agréable.

 

Maintenant, dans le registre antique de cette trente-et-unième livraison du Visage Vert, je crois en définitive que la palme revient à Camille Mauclair – que je ne connaissais guère, et vraiment très, très vaguement, qu’en tant que critique. Aussi détestable ait été le personnage et nauséabondes ses idées, demeure le fait qu’il savait écrire. Le premier de ses deux textes au sommaire de ce numéro, l’inclassable « Vie des Elfes », ne m’avait pourtant pas fait, initialement, une très bonne impression : on fait ici dans la littérature très chargée, et le risque de s’y étouffer n’est pas négligeable. Pourtant, une musique se met en place, insidieusement, les sonorités des phrases ravissent, et en conséquence le tableau de même – au sortir de ce poème en prose, si c’est bien de cela qu’il s’agit, nous avons effectivement la conviction d’avoir délicieusement erré, pour quelques paragraphes, dans les territoires enchanteurs mais aussi intimidants de la Faërie. Le meilleur est pourtant encore à venir, avec la très brève nouvelle qu’est « L’Évocation », récit de guerre étonnamment touchant, souvent cité semble-t-il, et qui m’a fait l’effet d’être peu ou prou parfait.

 

Et côté auteurs contemporains ? La récolte est peut-être plus inégale – si aucun de ces textes n’est le moins du monde déshonorant (encore une fois, le conte fantastique de Pascal Mulot est en ce qui me concerne la seule fausse note de ce numéro). Je dois toutefois confesser ne pas penser grand-chose de deux d’entre eux…

 

Et tout d’abord de « Quelques aspects de la cosmogonie et de la géographie du Fleuve, considérations sur sa Grande Encyclopédie », d’Yves Letort, qui s’inscrit dans un ensemble plus vaste aux allures de projet démiurgique – typiquement, en fait, le genre de projet littéraire qui devrait me botter, mais je crains d’être passé totalement à côté de ce court texte, d’une prose que je devine très poétique, mais qui ne m’a jamais vraiment touché.

 

« L’Île morte », de Pascal Malosse, est un récit plus classique, qui puise dans divers modèles gothiques, décadents ou symbolistes, ce qui lui confère comme un parfum d’anachronisme pas désagréable. Mais j’en ai trouvé le style inégal, et le récit un peu trop convenu. Un peu trop médiocre, en somme, je suppose…

 

« Les Effigies », de Mark Valentine, m’a davantage parlé. Là encore, on ne réinvente pas l’eau chaude, loin de là, mais la narration est habile, et les images saisissantes, même quand la conclusion s’avère étonnamment prosaïque, ou du moins est-ce l’impression qu’elle m’a fait. Qu’importe : cela fonctionne très bien.

 

Mais, côté auteurs contemporains, la palme revient sans surprise aux excellents Yves et Ada Rémy. « Transsibériennes d’Armen Bertossian » n’est pas une nouvelle à proprement parler, mais l’adaptation inédite, sous forme de pièce radiophonique, d’une nouvelle inédite elle aussi titrée « Le Piano de Bertossian, sonate fulminante pour 10 bourreaux et 88 esclaves » (quel titre !). Le couple d’auteurs y met en scène une émission de radio très typée France Culture, où des musicologues devisent (agressivement…) à propos de l’œuvre d’un compositeur soviétique qui prisait beaucoup le train. La scène est parfois cocasse, et je suppose que les écrivains s’amusent bien à démonter l’office même de critique, mais, en fond, la destinée de Bertossian suscite des images fortes, et une ambiance très particulière s’instaure, qui conduit le récit jusqu’à une conclusion fantastique marquante. Le texte bénéficie aussi de l’érudition musicale des auteurs, dont la passion est sensible, et le résultat s’avère tout à fait séduisant. On n’atteint certainement pas ici le niveau des Soldats de la mer, mais cela n’est en rien un reproche, tant le niveau de ce recueil le place dans une catégorie qui lui est propre. Mais cette pièce fait plus que convaincre, elle enchante et ravit – bonne pioche, donc, mais on n’en attendait pas moins des excellents époux Rémy.

 

Bilan remarquable, donc, pour ce n° 31 de l’excellente revue qu’est Le Visage Vert – dont on louera par ailleurs la réalisation : beau papier, mise en page agréable, nombreuses illustrations très diverses et de bon goût, notices exhaustives… Le Visage Vert vaut toujours le détour, et qui en douterait ?

Voir les commentaires

Feu et sang, vol. 2, de George R.R. Martin

Publié le par Nébal

 

MARTIN (George R.R.), Feu et sang, vol. 2, [Fire and Blood], traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrick Marcel, Paris, Pygmalion, [2018] 2019, 480 p.

 

Ma chronique de (la seconde partie de) ce livre, sorte de préquelle au « Trône de Fer », a été publiée directement en ligne dans la rubrique Objectif Runes en Plus #2 associée au n° 96 de Bifrost, et vous la trouverez ici.

 

(Si vous voulez d’abord vous penchez sur la première partie, c’est là-bas que ça se passe.)

 

Comme d’habitude, vos commentaires, critiques, etc., sont les bienvenus !

Voir les commentaires

La Trilogie du Pont, de William Gibson

Publié le par Nébal

 

GIBSON (William), Lumière virtuelle, [Virtual Light], traduit de l’anglais (américain) par Guy Abadia, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction, [1993, 1995] 1999, 444 p.

 

 

GIBSON (William), Idoru, [Idoru], traduit de l’anglais (américain) par Pierre Guglielmina, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction, [1996, 1998] 1999, 349 p.

 

 

GIBSON (William), Tomorrow’s Parties, [All Tomorrow’s Parties], traduit de l’anglais (américain) par Philippe Rouard, Vauvert, Au Diable Vauvert – Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction, [1999, 2001] 2004, 317 p.

Ma critique de la « Trilogie du Pont » de William Gibson, laquelle est composée des romans Lumière virtuelle, Idoru et Tomorrow’s Parties, se trouve dans le dossier consacré à l’auteur dans le n° 96 de Bifrost, pp. 159-164.

 

Le moment venu, elle sera mise en ligne sur le blog de la revue, après quoi je la reprendrai ici, avec la vidéo qui ira bien.

 

Mais n’hésitez pas à réagir dès maintenant !

 

EDIT : la critique a été mise en ligne, vous la trouverez ici.

Voir les commentaires

Genocidal Organ, de Project Itoh

Publié le par Nébal

 

PROJECT ITOH, Genocidal Organ, [Gyakusatsu kikan 虐殺器官], traduit du japonais par Jean-Louis de la Couronne, [Vanves], Pika, coll. Pika Roman / SF, [2007] 2019, 315 p.

 

Ma critique de ce premier roman de Project Itoh se trouve dans la rubrique Objectif Runes du Bifrost n° 96, pp. 79-80.

 

Le moment venu, elle sera diffusée en ligne sur le blog de la revue, après quoi je la reprendrai ici, et ferai la vidéo qui ira avec.

 

Mais n’hésitez pas à réagir d’ici-là !

 

EDIT : la critique a été mise en ligne, vous la trouverez ici.

Voir les commentaires

Une cosmologie de monstres, de Shaun Hamill

Publié le par Nébal

 

HAMILL (Shaun), Une cosmologie de monstres, [A Cosmology of Monsters], traduit de l’anglais (États-Unis) par Benoît Domis, Paris, Albin Michel, coll. Imaginaire, 2019, 404 p.

 

Parfois, pour quelque raison indicible, les étoiles s’alignent et un premier roman devient un événement avant même sa (putain de) sortie : tel est bien le cas pour Une cosmologie de monstres, signé Shaun Hamill, bouquin dont le projet d’adaptation en série TV est antérieur à sa date de publication. Et, à propos de celle-ci, il faut relever que la présente traduction française, due à Benoît Domis, est sortie « officiellement » quelque chose comme deux semaines seulement après la version originale.

 

Cerise sur le gâteau, le Maître Stephen King himself adoube le jeune auteur et son roman dans un blurb plus qu’élogieux (et on notera au passage que la quatrième de couverture s’en tient à ce blurb – il n’y a pas le moindre résumé du roman, et ça n’est pas plus mal, au fond). Bon, maintenant, avec toute l’estime que j’ai pour le grand Stéphane Roi, je me méfie un peu de ses blurbs… Non que je doute forcément de leur sincérité, hein ! C’est plutôt qu’il me fait l’effet d’avoir l’enthousiasme un peu expansif, parfois, et du coup plus ou moins lucide (qui suis-je pour le lui reprocher…) – un peu comme son confrère Neil Gaiman, disons, dont le nom figure, durant la bonne saison, sur trois bandeaux rouges sur cinq. En fait, à cet égard, j’ai sans doute abordé la lecture d’Une cosmologie de monstres avec un biais un tantinet fâcheux, hérité de, par exemple, Les Mortes-Eaux d’Andrew Michael Hurley (même si j’avais oublié, et le nom du bouquin, et le nom de l’auteur, bordel, et c’est en soi éloquent) : soit la crainte d’un soufflé qui retombe vite… Un roman certes pas mauvais, globalement, mais pas génial non plus, et qui ne restera pas.

 

Bien sûr, il y a ici une accroche supplémentaire : la référence à Lovecraft. Il est partout, hein ? Pour autant, Une cosmologie de monstres ne relève probablement pas de la lovecrafterie à proprement parler. Aussi la (très belle) couverture d’Aurélien Police (l'excellent Aurélien Police) a-t-elle pour cette raison suscité quelques haussements de sourcils… De fait, les tentacules de la couverture sont grosso merdo absents du roman – comme ils le sont de la majeure partie de l’œuvre de Lovecraft, à vrai dire… Mais qu’on associe pavloviennement Lovecraft et tentacules en dit peut-être plus sur les lecteurs que sur l’auteur, et si l’illustrateur et l’éditeur en jouent, ma foi… Pourquoi pas ? C’est de la référence en biais, dans un livre assurément très référentiel, et ça se tient – on n’est pas obligé d’y voir de la putasserie (et je la vois pourtant volontiers, de manière générale). Je l’aime bien, moi, cette couv… Et, thématiquement, je la trouve en fait appropriée. Mais je reviendrai sur le contenu lovecraftien (ou pas) du roman un peu plus tard.

 

Commençons en présentant un chouia l’histoire – sans aller trop loin non plus, encore que je ne pense pas qu’Une cosmologie de monstres soit un roman « à spoilers ». C’est l’histoire d’une famille, sur cinq décennies environ – au Texas ; et rappelez-vous que seuls les fourmis et les Texans survivront à l’hiver nucléaire ! Mais je m’égare…

 

Nan, notre histoire commence en 1968 environ, et nous parle tout d’abord d’amûûûr. Margaret, une jeune fille issue de la petite bourgeoisie WASP par essence coincée du cul, choque ses géniteurs en même temps que son milieu social en convolant, plutôt qu’avec le quarterback bon chrétien et héritier de la fortune de papa de service, avec l’excentrique Harry, geek jusqu’au bout des pulps et des comics plastifiés, et véhicule idéal à la projection du lecteur de SFFF mâle (dit-il d'expérience). Le couple Turner s’installe dans sa petite banlieue médiocre (on voit très bien les palissades blanches et le gazon impeccable), et pond des gosses, parce que c’est comme ça qu'il faut faire – chronologiquement, deux filles, Sydney la danseuse sarcastique qui a comme un petit souci de complexe d’Électre, Eunice la nerd tourmentée, et plus tard Noah, le mini-Harry qui nous raconte tout ça. Las, Papa a des soucis, puis ses filles, et tout ceci dégénère mollement au fur et à mesure que les années passent. Ce qui pourrait être le tableau parfaitement banal d’une petite famille américaine parfaitement banale.

 

À ceci près que.

 

Tout d’abord, Harry… est un fan de Lovecraft, et plus généralement d’horreur, qu’il cultive et savoure dans les pulps comme dans les salles de cinéma de quartier. Ses goûts vont de La Famille Addams à Yog-Sothoth en passant par Les Contes de la Crypte et Rosemary’s Baby, ce qui couvre un large spectre (si j’ose dire). Il aime probablement aussi les citrouilles d’Halloween, et se découvre en définitive une vocation : il bâtira dans son jardin une maison des horreurs, une sorte de train fantôme sédentaire, où les banlieusards du coin, pour une modique somme, viendront éprouver quelques frissons amusants. En fait, la passion pour l’horreur qui caractérise Harry dévie de sa voie la famille entière, jusqu’à constituer pour elle une norme dont il faudra bien s’accommoder – ce dont le roman se fait nécessairement l’écho.

 

Mais ensuite… Eh bien, rien que de très naturel, au fond : le petit Noah a un copain imaginaire – c’est le cas de nombre d’enfants, paraît-il, et de la totalité des croyants, alors bon.

 

 

Il est forcément imaginaire, hein ?

 

Mais ce qui ne l’est pas, ce qui pèse de tout son poids sur la famille maudite des Turner, c’est la réalité affreusement concrète de la mort et de la souffrance. Oh, oui.

 

Sur ces bases… Eh bien, on ne s’étonnera pas vraiment que Stephen King ait aimé. Les Turner pourraient aussi bien vivre à Castle Rock, Maine, et Shaun Hamill consacre l’essentiel de son roman à nous narrer par le menu la destinée de cette famille. Ce qu’il fait globalement très bien, je suppose – encore que je doive aussitôt préciser qu’à titre tout personnel, le thème de la famille, ben, de manière générale, je m’en bats copieusement les glaouis… Et l’amûûûr… Bon. Mais, oui, ça fonctionne, indéniablement – et la plume fluide y est pour beaucoup.

 

En fait, à certains égards, le sort des Turner pourrait relever avant tout d’une sorte de soap opera deluxe, un peu tordu certes, le fantastique n'en constituant qu’un soubassement (même si comme tel fondamental) ; pendant une bonne partie du roman, le fantastique et a fortiori l’horreur relèvent plus de la citation que de l’expérience authentiquement vécue ; puis le surnaturel s’immisce dans le récit – en même temps qu’une horreur très humaine s’insinue çà et là, qui à vue de nez tiendrait plus du thriller que du fantastique : l’horreur surnaturelle, ce sera pour les dernières pages du roman seulement. Du coup, j’ai lu quelques retours sceptiques à cet égard – éventuellement liés d’ailleurs aux critiques adressées à la couverture tentaculaire : Une cosmologie de monstres ne serait pas très horrifique, etc. Peut-être… En même temps, paradoxe du jour, et de tous les jours qui ont précédé, l’horreur littéraire ne me paraît que rarement très horrifique… Pour frissonner à la lecture d’un bouquin, j’ai besoin du talent des meilleurs : Lovecraft ou King, oui, ou Dan Simmons, ou Clive Barker… Au-delà, le fantastique n’a pas à se montrer nécessairement horrifique, et l’horreur me paraît souvent opérer au mieux quand elle est ponctuelle – en conclusion d’un récit, mettons. Ce en quoi Une cosmologie de monstres me paraît remplir son contrat, et à vrai dire d’une manière assez… banale. Le King lui-même a souvent procédé de la sorte – assez récemment encore dans le plutôt lovecraftien également Revival, par exemple.

 

Mais justement : et Lovecraft, dans tout ça ? Eh bien, à s’en tenir à cette brève présentation du roman, il est très, très, trèèèèèès loin de tout ça. Je veux dire… Bordel : les gens, les sentiments, la famille ?! On ne fera pas plus anti-lovecraftien – le gentleman de Providence aurait trouvé tout cela parfaitement répugnant. Et à bon droit, bien sûr. Alors que les tentacules non-euclidiens, ça va. Et ça va avec tout. Ceci dit, il n’y en a guère ici – et pourtant il y a bien Lovecraft.

 

Mais il y est, durant la majeure partie du roman, essentiellement sous forme de citations. Souvent explicites, d’ailleurs : les titres des différentes parties du roman renvoient tous à des nouvelles de Lovecraft – « L’Image dans la maison déserte », « La Tombe », « Le Monstre sur le seuil », « Celui qui chuchotait dans le noir », « La Cité sans nom », « La Maison maudite », « Celui qui hantait les ténèbres » enfin. Shaun Hamill balaye (devant sa porte) un large spectre (toujours) : il évoque de la sorte aussi bien la première nouvelle « adulte » de Lovecraft, soit « La Tombe », que la dernière, « Celui qui hantait les ténèbres » ; entre les deux, on a du « conte macabre » aussi bien que du « Mythe de Cthulhu ». Ces titres sont globalement pertinents, même s’ils m’ont régulièrement fait l’effet d’être un peu trop forcés. Mais la citation explicite ressort également de passages commentés des œuvres de Lovecraft – plutôt critiques, d’ailleurs, comme il se doit : je ne vous détaille pas le blabla « mal écrit », « personnages ineptes », etc., vous le trouverez dans 95,2 % des romans et nouvelles de la « nouvelle littérature critique lovecraftienne ». Avec pertinence le plus souvent, mais disons que ça se répète. En cela aussi le roman de Shaun Hamill est somme toute banal.

 

Y a-t-il du Lovecraft au-delà, dans Une cosmologie de monstres ? Au-delà notamment de ce titre pour le moins connoté, d'ailleurs, veux-je dire ? Probablement – mais de manière un peu plus subtile cette fois : dans les procédés, et dans les thèmes. Encore qu’en fait de subtilité… Car le premier procédé à évoquer est probablement celui de l’attaque en force. Une cosmologie de monstres, passé l’exergue associant Bradbury à Lovecraft (eh, Weird Tales bro), s’ouvre sur une sentence pour le moins perturbante : « Je me suis mis à collectionner les lettres de suicide de ma sœur Eunice à l’âge de sept ans. » Difficile ici de ne pas penser à la fameuse ouverture du « Monstre sur le seuil », j’ai logé tout un chargeur dans la trogne à mon pote mais je vais vous expliquer qu’en fait je ne l’ai pas tué… C’est assez grotesque, bien sûr – et plus ou moins honnête ; mais de manière pertinente, le cas échéant, car, comme dans la nouvelle de Lovecraft, cette entrée en matière tient du gros panneau rouge clignotant affichant « LE NARRATEUR DE CETTE HISTOIRE N’EST PAS FORCÉMENT TRÈS TRÈS FIABLE ». D’autres techniques de ce genre ponctuent le roman, même s’il est parfois plus difficile de faire le tri entre ce qui relève de la référence lovecraftienne consciente… et de la mécanique passablement aseptisée du thriller pondu en atelier d’écriture (on y reviendra). À moins que cela ne fasse justement partie du jeu ?

 

Cela dit, en définitive, je tends à croire que, au-delà de la citation et des procédés techniques, c’est du côté des thématiques que le roman de Shaun Hamill affiche bel et bien une certaine parenté, si j’ose dire, avec Lovecraft. Car si le gentleman de Providence ne prisait guère les sentiments humains en littérature, il pouvait certes lui arriver, et assez régulièrement, de traiter pourtant de la famille – mais sous l’angle perverti de la généalogie morbide, de l’ascendance maudite et qui marque nécessairement de son empreinte funeste les générations suivantes, en guise d’héritage imposé sans bénéfice d’inventaire (ce qui est plutôt approprié, ici, pour le rapport de Noah à son père Harry). Si Une cosmologie de monstres, pour l’essentiel, ne fait pas vraiment dans le « Mythe de Cthulhu », et s’en tamponne en tout cas le coquillard des divinités extraterrestres indicibles et des cultes impies et non-euclidiens qui les révèrent, en revanche, dans son approche de la famille, il suscite de nombreux échos lovecraftiens – des textes comme, parmi ceux qui ont fourni les titres des parties du roman, « Le Monstre sur le seuil » (bis – en fait, le titre de cette nouvelle est sans doute le plus pertinent à l’égard du roman dans son ensemble ; oui, on gratouille à votre fenêtre en ce moment même, à défaut d’émettre des borborygmes aqueux) ou « La Maison maudite » (qui souligne l’ambiguïté fondamentale des murs dans lesquels demeurent et travaillent les Turner), mais aussi, en vrac, L’Affaire Charles Dexter Ward, « Les Rats dans les murs », « Le Festival », « Le Cauchemar d’Innsmouth », « Faits concernant feu Arthur Jermyn », « La Peur qui rôde »… C’est en fait un thème extrêmement fréquent, chez Lovecraft – et qui, oui, a éventuellement ses connotations génético-racistes, pour le coup absentes (eh) du roman de Shaun Hamill. Et ça, yep, c’est très bien fait, et ça fonctionne très bien – c’est là, pour moi, l’âme de cette histoire, et ce qui rend la référence lovecraftienne pertinente en définitive. Sans le supplément de tentacules – on s’en passe très bien.

 

Car il y a bien aussi, en dernier ressort, cette histoire d’un monde derrière le voile, qui permet enfin à l’horreur véritable et véritablement surnaturelle de s’immiscer dans le récit, mais ça me paraît à ce stade secondaire. Cela suscite certes quelques images plutôt fortes, mais probablement pas autant que la conclusion de Revival (donc) de Stephen King, dans un registre très proche – je relève au passage que cette dimension du roman de Shaun Hamill m’a beaucoup, beaucoup fait penser à la nouvelle « Waller », de Donald Tyson (dans l’anthologie lovecraftienne Black Wings III, éditée par S.T. Joshi), même si celle-ci joue à donf de la carte du grotesque en flirtant ouvertement avec le ridicule, là où Une cosmologie de monstres se veut à ce stade parfaitement sérieux, et joue davantage du pathos.

 

Reste à causer rapidement de la forme – et c’est lié, car l’émotion est au premier plan : dans l’ensemble, ouais, ça marche bien, très bien même, et on ressent véritablement les personnages des Turner, leurs sentiments, etc. Ils sont humains, authentiques, on est régulièrement amené à s’y identifier, bref, ils sont parfaitement pas lovecraftiens du tout, donc. On n’est pas à l’abri, cependant, de l’excès de pathos occasionnel – et, lors de certaines séquences, j’avais au fond du crâne ces putains de violons sirupeux, ou ces pas moins putains de ballades folk fades, que l’industrie cinématographico-télévisuelle américaine se sent obligée de nous balancer à la moindre « séquence émotion », ce que j’ai toujours trouvé excessivement pénible (oui, c’est de toi que je parle, calamiteux dernier épisode de The Haunting of Hill House – entre autres – beaucoup trop d’autres).

 

Mais, dans l’ensemble, oui, tout cela se lit très bien – c’est fluide, on tourne les pages sans y penser, on se rend compte un peu tard qu’on a prolongé le séjour chez les Turner jusqu’à une heure indécente et qu’il serait bien temps d’éteindre la lumière, ce genre de choses. Shaun Hamill écrit plutôt bien, son traducteur Benoît Domis aussi, en tout cas ça coule tout seul.

 

Maintenant, ici, Une cosmologie de monstres a peut-être les défauts de ses qualités… Il y a cette critique qui revient de temps en temps, et qui, de tel ou tel texte, consistera à dire : « C’est un pur produit formaté des ateliers d’écriture à l’américaine. » Et cette critique me laisse plus qu’à mon tour perplexe. Mais là… Ouais. Là, ouais. Grave. De fait, Shaun Hamill a bien travaillé son roman en atelier, et s’étend copieusement à ce sujet dans les remerciements d’usage en fin d’ouvrage. Et, pour le coup, ça se sent. Ça fonctionne, oui, c’est très pro pour un premier roman, mais, justement, ça l’est peut-être un peu trop. Parce que, du coup, ça a quelque chose d’un peu mécanique parfois, d’un peu fade trop souvent, car finalement assez convenu… Lovecraft, si décrié pour son adjectivite et compagnie, avait néanmoins un style qui lui était propre, comme le relevait très justement Le Terrible Michou.

 

Cela dit, en faisant la part des choses, oui, Une cosmologie de monstres est un bon roman, et se lit très bien. Vraiment très bien. C’est bien fait, c’est réfléchi, ça touche, bref, ça fonctionne. Ça n’est pas un chef-d’œuvre. Ça ne mérite probablement pas tout ce battage événementiel. Mais c’est bien – au-dessus du lot à n’en pas douter. Une lecture recommandable, donc, à condition de ne pas trop en attendre non plus : Shaun Hamill n’est pas le messie, avec ou sans tentacules.

Voir les commentaires

A Thousand Sons, de Graham McNeill

Publié le par Nébal

 

McNEILL (Graham), A Thousand Sons – All is Dust, Nottingham, Games Workshop – Black Library, coll. Warhammer 40,000 – The Horus Heresy, [2010] 2018, 558 p.

 

Retour aux bouquins Warhammer 40,000, et plus précisément à la série « The Horus Heresy ». Ma dernière lecture à cet égard, c’était le désastreux Descent of Angels de Mitchel Scanlon – de quoi dériver un fâcheux « Non, merci, plus jamais ça » tristement définitif. Pourtant certains titres continuaient à me faire de l’œil… et je me suis dit, enfin, écoutant la voix de la sagesse, que je n’étais pas obligé de tout lire dans cette colossale saga. Alors j’en ai sauté quelques volumes, cinq en fait – dont certains sur lesquels je reviendrais bien ultérieurement, comme Légion de Dan Abnett et surtout Mechanicum de Graham McNeill, les deux meilleurs auteurs de la série jusqu’alors (avec une préférence pour le second en ce qui me concerne, responsable des Faux Dieux et de Fulgrim)… et il se trouve que le bouquin dont je vais vous causer aujourd’hui est signé Graham McNeill, et forme un diptyque avec un autre bouquin signé cette fois Dan Abnett – étonnant, non ?

 

C’est que j’ai voulu me pencher sur un épisode majeur de l’Hérésie d’Horus : la chute des Thousand Sons, la légion de Magnus le Rouge, avec comme moment clef l’assaut mené par les Space Wolves sur Prospero. A Thousand Sons (Un millier de fils en french in ze texte), douzième livre de la série, contextualise et rapporte ces événements pour l’essentiel du point de vue des Thousand Sons – mais il fonctionne donc en binôme avec le tome 15 de « The Horus Heresy », soit Prospero Burns (Prospero brûle, donc), de Dan Abnett, qui développe à vue de nez plutôt le point de vue des Space Wolves (et qui a, pour autant que je sache, une excellente réputation pour un roman Warhammer 40,000).

 

Cette histoire est d’une ampleur mythique impressionnante, aussi glorieuse que navrante, épique et terrible – comme il sied à l’Hérésie d’Horus, cet affreux gâchis bigger than life qui décide de dix mille années de guerres à venir. Elle figure des personnages à la stature colossale, semi-divine, et d’autres héros plus complexes. Or les Thousand Sons sont une des pistes que j’ai envie d’explorer pour une éventuelle seconde armée à Warhammer 40,000 – je me suis donc dit qu’il pourrait être intéressant d’en savoir un peu plus sur eux avant de me lancer dans des achats, d’où ces lectures, rendues plus attrayantes par le nom des auteurs, et tout spécialement celui de Graham McNeill.

 

À vrai dire, ce dernier reproduit ici pas mal ce qu’il avait fait dans Fulgrim (mais peut-être aussi du coup Dan Abnett dans Légion ?) : c’est le récit de la chute des héros, avec une longue mise en place qui rend inévitable le moment de fauter et de sombrer – un mythe des origines en forme de tragédie grecque, segmentée en trois actes ici, où le destin a comme de juste sa part. Magnus le Rouge renvoie à Fulgrim, et le goût en définitive fatal de la connaissance chez les Thousand Sons rappelle l’intérêt à terme morbide pour l’art et les lettres chez les Emperor’s Children en quête de perfection – et, dans les deux livres, ces nobles passions incitent le lecteur à la sympathie pour les futurs hérétiques, dans un premier temps du moins, même s’il sait très bien que Tzeentch veille d’un côté, et Slaanesh de l’autre. D’autant que, dans les deux cas, la légion qui est dépeinte en train de chuter se retrouve confrontée à une autre légion spécifique, loyaliste quant à elle et qui le restera, ici les Space Wolves, là les Iron Hands, et si les membres de ces dernières et leurs primarques font figure de brutes épaisses, intellectuellement repoussantes, dans l’univers perverti de Warhammer 40,000 alors en gestation, elles ont tristement… « raison ». Le récit de la déchéance est inévitablement ponctué de batailles assurément épiques, une par acte, et qui ont toutes leur spécificité (ce qui n’est pas le moindre atout de Graham McNeill, pour ce que j’en ai lu – trop de bouquins Warhammer 40,000 font dans la baston permanente, mécanique et parfaitement interchangeable, je vous causais de La Chute de Damnos il y a peu, mais, ici, il y a toujours le truc qui fait qu’on s’y intéresse et qu’on s’en souvient, outre qu'il y a beaucoup d'autres choses en dehors des batailles). À l’arrière-plan, les commémorateurs illustrent le propos sur un plan plus humain – et plus ou moins nécessaire, à vrai dire. Car les tares de Fulgrim se retrouvent également ici, et A Thousand Sons, qui est plus long que votre roman 40K lambda, est probablement un peu trop long.

 

Détaillons un peu plus l’histoire – ce qui implique des SPOILERS seulement pour qui n’en connaîtrait pas déjà les grandes lignes : A Thousand Sons contextualise et développe, mais les moments clefs des deux derniers actes sont bien connus des adeptes du lore de Warhammer 40,000 sans avoir à lire ce roman. Ceci dit, méfiance si vous n’êtes pas de ces adeptes et êtes en plus allergiques aux révélations intempestives mais néanmoins curieux de lire ce genre de bouquins, car… euh, je vais tout raconter, même si à gros traits et en m’en tenant à l’essentiel.

 

Le premier acte est une longue mise en place. Les Thousand Sons se trouvent sur la planète Aghoru – où ils s’attardent un peu trop au goût des autres légions, et tout spécialement des Space Wolves, avec leur barbare primarque Leman Russ, qui auraient bien besoin de leur soutien dans tel ou tel théâtre d’opérations de la monumentale Grande Croisade. C’est que le primarque des Thousand Sons, Magnus le Rouge, est intrigué par des découvertes archéologiques majeures sur cette planète isolée – il y a des choses à en apprendre, et, pour les Thousand Sons, la connaissance est la vertu cardinale. Au risque de jouer avec le feu, et la conclusion de ce premier acte en sera une démonstration éloquente… tout en incitant d’ores et déjà à envisager le passé trouble de la XVe légion, avec l’idée d’un pacte méphistophélique, conclu par Magnus avec des entités du Warp qu’il ne comprend pas, destiné à libérer ses « fils » de leur malédiction génétique, mais aussi en présageant du futur, et concrètement de l’Hérésie d’Horus (qui ne s’est pas encore déclenchée quand le roman débute – et n’a encore rien d’officiel quand il s’achève), mais aussi, éventuellement, de la destruction de Prospero… Le type même d’avertissement qu’on ignore parce qu’on refuse d’y croire, en même temps que la malédiction de Cassandre s’abat sur ceux qui seraient davantage disposés à ouvrir les yeux. Le vrai héros de cette histoire, Ahriman, oscille entre ces deux tendances.

 

Le deuxième acte s’ouvre sur la colossale bataille d’Ullanor, opposant l’Imperium aux Orks – mais Graham McNeill n’en fait pas trop : on n’assiste qu’à quelques épisodes éparts du combat, la grosse bataille de ce roman sera pour plus tard. C’est un triomphe – mais pas sans conséquences, et de taille : l’Empereur annonce qu’il est temps pour lui de retourner sur Terra, et il confie la poursuite de la Grande Croisade à son fils préféré, Horus. Mais une autre affaire concerne plus spécialement les Thousand Sons : Magnus le Rouge est convoqué sur Nikaea, où se tiendra… un concile. Forcément. Le Roi Pourpre s’y rend très confiant, et ne réalise que bien tardivement que c’est en fait de son procès et de celui de sa légion qu’il s’agit… L’objet du concile est de trancher la « crise des archivistes » – ainsi que l’on désigne les psykers au sein des légion de Space Marines –, mais ce sont bien les Thousand Sons qui sont concernés au premier chef, eux qui manipulent les énergies du Warp avec bien trop de nonchalance, à en croire leurs détracteurs, tous portés à la superstition et à l’ignorance bigote (et tous passablement hypocrites !), tout spécialement Leman Russ des Space Wolves et Mortarion de la Death Guard (qui présente pourtant déjà, et assez logiquement au fond, des signes de sa corruption par Nurgle). : les Thousand Sons, à les en croire, ne seraient qu’un « convent de sorciers », et les laisser continuer de la sorte pourrait avoir des conséquences fatales : ne sont-ce pas les psykers qui ont plongé l’humanité dans la Longue Nuit ? C’est un coup dur pour Magnus – et il choisit d’ignorer les résolutions du concile… qui, au passage, a interdit l’usage des psykers dans toutes les légions, et je ne sais pas dans quelles circonstances on y est revenu après coup.

 

Avec le troisième et dernier acte, la tragédie des Thousand Sons passe la mesure (ce n’est certainement pas une critique : on fait dans le gros mythe ultra épique, ici). De retour sur leur monde originel de Prospero, Magnus et ses fils cultivent plus que jamais les arts occultes. Mais le primarque réalise qu’Horus va trahir l’Imperium, et, s’il a désobéi aux ordres de son père résultant du concile de Nikaea, il demeure farouchement loyaliste, tel qu’il voit les choses : il essaye d’interférer dans le processus devant aboutir à la corruption du Maître de Guerre – sans succès. Alors, il entend au moins en prévenir son père, avant qu’il ne soit trop tard : il use pour cela d’un sortilège de grande ampleur, nécessitant moult sacrifices… et les conséquences sont catastrophiques. L’Empereur ignore les avertissements de Magnus : tout ce qu’il voit, c’est que le Roi Pourpre lui a désobéi, et au vu et au su de tous – furieux, il envoie les Space Wolves punir les Thousand Sons (il semblerait qu’Horus y a eu sa part, peut-être Prospero brûle en dira-t-il davantage à ce propos). La légion emmenée par Leman Russ frappe sans prévenir : il s’agit d’anéantir Prospero et les Thousand Sons. Magnus, horrifié, reste calfeutré dans sa tour – réalisant son erreur un peu tard, il considère à ce stade que le seul moyen de demeurer loyal à son père consiste à ne rien faire pour prémunir sa légion de l’anéantissement… Une trahison de plus ? Mais les Thousand Sons, avec ou sans le soutien de leur primarque, ne comptent pas se laisser massacrer par les loups de Leman Russ – Ahriman, tout spécialement, ne mange pas de ce pain-là : la bataille est totalement déséquilibrée, la planète et la légion sont condamnées, mais ils se battront jusqu’au bout, eux qui ne se sont jamais perçus comme des traîtres à l’Empire, bien au contraire même. Et là je peux vous assurer qu’on fait dans le sacrément épique, avec des saynètes d’une puissance d’évocation admirable…

 

En dernier ressort, pourtant, Magnus ému par le sort de ses fils se joint au combat, affrontant en personne Leman Russ. Et quand tout est perdu ou presque, il fait usage d’un ultime sortilège, en évacuant la capitale de Tizca sur un autre monde au cœur du Warp – ce sera la Planète des Sorciers… Mais le Warp réveille les mutations génétiques latentes des Thousand Sons – le déterminé Ahriman y mettra bientôt un terme, avec sa rubrication… et tout ne sera plus que poussière. À ce stade, la partie est perdue : ils ne le désiraient pas spécialement, et jusqu’à la dernière minute, mais les Thousand Sons sont alors voués à servir le Chaos, Tzeentch plus précisément – leur loyalisme parcellaire les a précipités dans l’hérésie, et ils seront bel et bien, tout au long de la Longue Guerre, ce « convent de sorciers » qui avait été si injustement dénoncé à Nikaea. Et ils chercheront à se venger de l’Imperium et des Space Wolves…

 

Il s’en passe, des choses, hein ? Et avec le ton qui va bien. Oui, répétons le mot : A Thousand Sons est une tragédie – et si l’esthétique de la XVe Légion et de Prospero renvoie clairement à l’Égypte antique, c’est quelque chose de grec qui infuse tout du long, dans ce récit qui fait l’effet d’un triste gâchis, fatal mais d’autant plus navrant, comme un condensé du tableau plus général de l’Hérésie d’Horus.

 

Mais si cette histoire fonctionne aussi bien, au-delà du seul art narratif de Graham McNeill, très professionnel mais pas au point de manquer d’âme (on ne tranchera pas la question du style, guère pertinente ici, mais c’est plutôt honorable dans son genre, je suppose), cela tient probablement aux personnages mis en scène, très différents, très singuliers, globalement très bien vus. Deux, surtout, doivent être mis en avant, dont les rapports complexes font une bonne partie du sel du roman : Magnus le Rouge, et Ahriman.

 

Le primarque des Thousand Sons est forcément au-dessus de tous les autres. C’est un géant, à tous points de vue, un colosse – mais pas une brute. Son désir de connaissance, absolu, et qui précipitera sa perte, suscite à vue de nez plutôt la sympathie du lecteur – même si, encore une fois, il y a cette ambiguïté fondamentale de l’univers de Warhammer 40,000 qui fait du savoir une menace et de l’ignorance une bénédiction… C’est en fait au cœur du propos. Mais, si la soif de connaissance a incontestablement sa part dans la déchéance du Roi Pourpre, le vrai souci est peut-être ailleurs – et c’est l’arrogance de Magnus. Voilà un être qui s’est toujours considéré comme largement supérieur à tous les autres. À bon droit souvent : c’est un primarque, après tout, un surhomme conçu comme tel. Mais la conviction qu’a Magnus de sa supériorité s’étend à absolument tout le monde – en y incluant les autres primarques, mais aussi, encore qu’il ne s’en rende pas forcément compte, l’Empereur (c’est bien ce qui fait enrager ce dernier !)… et enfin ces entités du Warp dont il n’a jamais bien perçu le potentiel menaçant avant qu’il ne soit trop tard. En fait, Magnus, au-delà de son attrait pour le savoir, n’est pas sympathique – ce n’est pas un héros. Et, pire encore, on a toujours plus envie de le baffer au fur et à mesure qu’il enchaîne les mauvais choix. Car il ne fait que ça tout au long de A Thousand Sons : cet être censément si intelligent, si parfait, prend systématiquement les pires décisions, parce que son arrogance ne lui permet pas de faire autrement – la scène est révélatrice, du Roi Pourpre gagnant Nikaea en étant persuadé que ce sera son triomphe, quand c’est sa condamnation qui l’attend en vérité… Magnus, en fait, aveuglé par sa propre gloire, et par la dévotion que ses fils lui vouent, se trompe, et s’est toujours trompé : il a fait le mauvais choix pour mettre un terme à la malédiction génétique de son Millier de Fils, ou sur Aghoru, ou sur Ullanor, ou à Nikaea, ou en tentant d’interférer dans la corruption d’Horus, ou bien sûr dans sa très maladroite tentative de prévenir son père du danger, et après cela il enchaîne les erreurs sur Prospero en flammes, son indécision entraînant des milliers de morts dans les rangs de ses fils, avant de parachever le sort funeste de sa légion en exilant Tizca dans le Warp.

 

Il lui fallait une contrepartie, plus sympathique, plus humaine (mais dans une certaine mesure seulement, comme de juste : c’est un Space Marine, après tout), et plus héroïque (d’une certaine manière, là encore) – et c’est Ahriman, un des personnages les plus attrayants et complexes de l’univers de Warhammer 40,000, le sorcier par excellence (un des plus puissants du jeu, à vrai dire). Ahriman étant membre des Thousand Sons, et donc des Space Marines du Chaos, on pourrait avoir tendance à y voir par essence, au 41e millénaire en tout cas, un « méchant », du moins si l’on s’attache à une lecture très premier degré de cet univers – sauf que dans cet univers, il n’y a pas de gentils, l’Imperium n’est certainement pas gentil, et le qualificatif de « méchant » n’a donc pas forcément de sens, relativement. Mais cet Ahriman des origines, dans tous les cas, n’a rien de maléfique : à la différence de l’arrogant et finalement borné Magnus, Ahriman suscite bel et bien la sympathie, et tout du long. Si les autres officiers supérieurs de la XVe Légion cultivent l’arrogance de leur primarque, et font preuve du dédain habituel des Space Marines pour les humains, Ahriman, en même temps qu’il est plus puissant que tous, se montre plus ouvert et généreux envers ceux qui lui sont inférieurs. Il n’est certes pas sans cynisme, loin de là, mais, dans ce roman, il se montre finalement très moral tant que la situation n’est pas totalement désespérée, ce qui le rapproche des commémorateurs humains qui accompagnent les Thousand Sons (même si, pour le coup, ils en feront les frais à terme). Surtout, lui n’est pas arrogant : il doute, il n’a pas une confiance absolue en ses capacités ou en celles des Thousand Sons, il entrevoit les menaces derrière le voile, quelles qu’elles soient et quel que soit le voile. Il a des émotions, aussi – en cela, il est humain. Au fond, sa tare, dans cette histoire, c’est la confiance qu’il voue à un autre : son primarque Magnus le Rouge. Ahriman est un personnage qui va de déception en déception, en fait – et cela aussi le rend humain et sympathique. Il est courageux, enfin – et, à terme, il ne se laisse pas indéfiniment marcher sur les pieds : si cela lui en coûte énormément, il ose en définitive dire quand son primarque ou ses comparses se trompent – et il prend des initiatives, au risque de la désobéissance, dont il s’accommode même dans la douleur, quand la subordination aveugle équivaudrait au plus absurde des suicides ; c'est le type qui prend les choses en mains quand tout s'effondre autour de lui. Ce n’est sans doute pas un hasard si le roman se conclut sur une phrase lapidaire annonçant la rubrication à venir – et par-là même les relations très tordues que le sorcier entretiendra avec son primarque dans les dix mille années qui suivraient. Ahriman est clairement un atout majeur de ce roman.

 

Et, oui, avec ses défauts, A Thousand Sons m’a fait l’effet d’une réussite. En fait, c’est probablement le roman Warhammer 40,000 que j’ai préféré jusqu’à présent. Et comme le précédent était probablement Fulgrim (même s’il présentait plus de défauts encore), eh bien, cela entretient mon sentiment que Graham McNeill est un des auteurs Black Library les plus doués, et que son nom sur la couverture peut inciter à d’autres lectures.

 

Ceci étant, la prochaine, ce sera donc un roman de Dan Abnett : Prospero Burns, le reflet de A Thousand Sons, où le point de vue est celui des Space Wolves. Forcément, les brutes poilues de Leman Russ m’inspirent moins de sympathie que les sorciers de Prospero à première vue, mais le roman a pour ce que j’en sais une très bonne réputation, alors on verra bien…

Voir les commentaires

Le Problème à trois corps, de Liu Cixin

Publié le par Nébal

 

LIU Cixin, Le Problème à trois corps, [San Ti], roman traduit du chinois par Gwennaël Gaffric, Arles, Actes Sud, coll. Babel, [2006, 2016] 2018, 495 p.

 

Ces dernières années, pour diverses raisons, je ne me suis pas vraiment attelé à la lecture des nouveautés qui faisaient le buzz dans les littératures de l’imaginaire, à quelques rares exceptions près. Non que je doutais de la qualité de ces titres suscitant l’enthousiasme, c’est simplement que je n’en avais pas la curiosité et/ou le temps (avec la littérature japonaise qui a pas mal phagocyté ce blog). Alors, tout ce qui a agité le landernau m’est passé sous le nez, j’ai fait l’impasse sur les bouquins primés, etc. Et j’ai envie d’y remédier, maintenant – ou en tout cas de revenir un peu plus à l’actualité, car cela ne va pas forcément être rétroactif.

 

Mais parfois, si – et c’est bien le cas pour Le Problème à trois corps, roman dû à l’auteur chinois Liu Cixin, inaugurant une trilogie (les deux volumes suivants, La Forêt sombre et La Mort immortelle, ont depuis été traduits chez Actes Sud dans la collection « Exofictions »). Initialement paru en Chine en 2006, ce roman avait été traduit en anglais par l’excellent Ken Liu (aucun lien), et récompensé par le prix Hugo 2015 du meilleur roman – une première. Ce qui a incité, je suppose, Actes Sud à traduire le roman (directement du mandarin, pas en passant par l’anglais, et merci pour ça aussi), et il rencontré pas mal d’écho de par chez nous également. J’avais envie de le lire depuis longtemps, mais n’ai vraiment trouvé l’occasion de m’y mettre que tout récemment.

 

Ici, même si j’évoque ce livre bien après la bataille, il me faut au cas où renouveler un avertissement constant dans les chroniques des blogocamarades : ne lisez pas la quatrième de couverture. Elle raconte absolument tout le bouquin, et c’est d’autant plus fâcheux que le caractère longtemps mystérieux des événements décrits est pour beaucoup dans la réussite du roman. Ce qui, notez bien, ne facilite pas exactement la tâche du chroniqueur non plus, le risque d’en dire trop de toute façon n’est pas négligeable… Mais on fera difficilement pire que l’éditeur, pour le coup.

 

Le roman s’ouvre sur des scènes fortes et terribles : nous sommes en 1967, et la Chine subit de plein fouet la folie absurde de la Révolution Culturelle – un épisode historique dont je ne connais certes pas les détails, mais qui m’a toujours inspiré une sorte de terreur morbide, où la fascination horrifiée le dispute à la répugnance la plus viscérale. Les jeunes gardes rouges, quand ils ne s’entretuent pas pour quelque obscure entorse supposée à la doxa maoïste, s’en prennent aux intellectuels, considérés comme étant par essence réactionnaires – si le Big Bang, ou Darwin, ou que sais-je, ne vont pas dans le sens de l’idéologie révolutionnaire telles qu'ils la lisent à la manière de la parole divine, c’est donc qu’ils sont des mensonges impérialistes et réactionnaires, propagés par les capitalistes oppresseurs…

 

Ye Zhetai est un astrophysicien, et donc coupable. Et sa confession publique (guère productive) dégénère forcément en lynchage. Sa fille, Ye Wenjie, n’oubliera jamais cette scène horrible. Elle n’est pas épargnée : forcément teintée de réaction elle aussi, elle est envoyée au plus profond de la Chine rurale pour y être rééduquée. Là, les ardents militants comme les éléments réactionnaires à réformer accomplissent un labeur incessant et parfaitement absurde, destructeur enfin – ceci alors même que la jeune fille est sensibilisée à la cause écologiste par un très mesquin personnage. Mais Wenjie a hérité de son père de solides compétences en astrophysique – le Parti n’étant pas aussi fanatique que les gardes rouges, il décide finalement de l’affecter à vie à un projet scientifique top secret, du nom de Côte Rouge, à l’ombre d’une immense antenne…

 

Puis nous passons au XXIe siècle (mais on reviendra régulièrement à Ye Wenjie et à Côte Rouge au travers de flashbacks parfois imposants). La Chine a bien changé. Wang Miao a mis ses connaissances scientifiques au service de l’industrie, et travaille sur des nanomatériaux révolutionnaires… Non, ce n’est pas le mot – en tout cas, ils devraient susciter de juteux profits. Eh... Tout irait pour le mieux, n’était cette étrange épidémie de suicides qui semble affecter la communauté scientifique, et qu’une enquête policière révèle à Wang.

 

D’une manière ou d’une autre, les victimes, dont certaines étaient connues de notre héros, semblent avoir partagé un bien étrange lien : toutes, elles s’étaient intéressées à un mystérieux jeu vidéo en réalité virtuelle, appelé Le Problème à trois corps. Cette expression renvoie à un fameux problème mathématico-physico-astronomique que je serais bien en peine de vous présenter – mais le jeu l’expose sous un angle très inattendu, en développant un univers dont le cycle solaire est fondamentalement instable, au point d’anéantir ponctuellement les civilisations qui parviennent à s’y développer durant les « bonnes périodes ». Les joueurs y font la rencontre de fameux penseurs et scientifiques mythiques ou historiques, chinois comme occidentaux (Aristote, Galilée, etc.), qui élaborent des théories très diverses visant à expliquer ces curieux phénomènes et, sinon à y mettre un terme, du moins à développer des capacités de prédiction suffisantes pour que les civilisations à leur apogée ne soient pas ravagées par les ères « chaotiques » futures. Mais la tâche est rude – Wang Miao comme les autres joueurs sont invités à faire des propositions de modèles, mais les résultats s’avèrent souvent décevants… La question demeure : n’est-ce qu’un jeu ? Probablement pas… et c’est là qu’il faut que je me taise, sous peine de trop en dire (et j’espère ne pas en avoir déjà trop dit).

 

Le Problème à trois corps associe au fond deux genres bien distincts : la science-fiction dans son versant le plus hard science, et le thriller passablement conspirationniste. Ce n’est probablement pas le premier roman à tenter cette approche – mais c’est peut-être bien le premier, à ma connaissance en tout cas, à trouver l’équilibre pertinent pour que les deux dimensions aient leur intérêt propre tout en s’accommodant très bien entre elles, sans s’entredévorer, mais en se complétant harmonieusement. Même si la balance n’est certes pas toujours aisée : vers le milieu du roman, quand intervient la (première ?) Grande Révélation, l’auteur funambule joue un jeu dangereux, et le récit m’a paru à deux doigts de s’effondrer dans le ridicule le plus complet… Et pourtant non. S’il y a bien un chapitre trop grotesque à mon goût pour emporter pleinement l’adhésion, Liu redresse rapidement la barre, et parvient à ranimer l’intérêt du lecteur pour cette trame extrêmement complexe et aux implications insoupçonnées – jusqu’à atteindre un finale grandiose, où le sense of wonder règne en maître absolu, comme dans les meilleurs exemples de hard science (disons par exemple un Stephen Baxter en forme). Mais, on s’en doute, au regard de tout ce qui précède, la profondeur du roman ne réside pas seulement dans ses développements hard science, et il pose en même temps des questions éthiques voire métaphysiques pas moins rudes et fascinantes.

 

Et puis… Bon, j’ai déjà eu maintes occasions de le dire : je ne raffole généralement pas des thrillers (littéraires…), essentiellement parce que je les trouve bien trop souvent bien trop mécaniques, fond et forme. Mais Liu Cixin s’en tire bien, à cet égard, et son roman, dont la trame complexe a quelque chose d’un peu feuilletonesque, est tout à fait palpitant. Il est sans doute intéressant, d’ailleurs, de relever combien l’auteur use dans les hypothèses philosophico-scientifiques du jeu du Problème à trois corps des mêmes « tricks » que dans les passages de son roman davantage tournés vers l’investigation policière : l’ensemble est très prenant, et les ressorts spéculatifs en même temps que narratifs ne sont au fond pas si éloignés.

 

À cet égard, Liu Cixin fait l’effet d’un bon écrivain : il a des choses intéressantes à raconter, et les raconte de manière intéressante. Pour autant, on ne se fera pas d’illusions quant à ses capacités stylistiques, pour autant du moins que l’on puisse en juger au travers du prisme de la traduction française. Là n’est de toute façon pas le propos. C’est prenant, c’est fluide, on n’en demandera pas forcément davantage.

 

Il est plus ennuyeux, sans doute, que ses personnages manquent autant de caractère : Ye Wenjie est probablement celle qui s’en tire le mieux, mais Wang Miao est pour le moins fade – son compère policier Shi Qiang a sans doute davantage de couleur, mais il n’est pas très crédible… Une chose à leur propos, toutefois, qui participe peut-être de l’intérêt du roman, même si, de la part de votre serviteur, c’est un aveu empreint d’une vague gêne : tous ces personnages ont bien, dans leurs manières, quelque chose de « non occidental ». Il me paraît difficile d’en dire davantage, ou de citer des exemples précis, mais, oui, si l’exotisme n’est pas forcément supposé constituer en tant que tel une qualité intrinsèque au roman, de toute évidence, demeure le fait que nos héros ne se comportent parfois pas exactement comme le feraient leurs contreparties notamment anglo-saxonnes, dans un imaginaire science-fictif où ces dernières dominent de manière écrasante.

 

J’ai lu Le Problème à trois corps bien après la bataille, mais j’y ai pris beaucoup de plaisir, donc. C’est un roman palpitant, inventif, d’une grande richesse et d’un propos fort. Il méritait bien qu’on en parle autant, et sans doute méritait-il aussi son Hugo. Ai-je pour autant envie de lire les suites ? Eh bien, probablement… mais sans en faire une priorité absolue non plus ; à tort ou à raison, j’ai envie de laisser filer un peu de temps avant de m’y remettre. Quoi qu’il en soit, merci à Actes Sud, et au traducteur Gwennaël Gaffric, pour cette traduction : je suis très preneur de cette science-fiction… venue d’ailleurs.

Voir les commentaires

Le Dessin au sable, de Nosaka Akiyuki

Publié le par Nébal

 

NOSAKA Akiyuki, Le Dessin au sable et l’apparition vengeresse qui mit fin au sortilège, [Sunae shibari gonichi no kaidan 砂絵呪縛後日怪談], traduit du japonais par Jacques Lalloz, avant-propos de Jacques Lalloz, Arles, Philippe Picquier, coll. Picquier poche, [1971, 2003] 2013, 132 p.

 

Nosaka Akiyuki a eu une vie compliquée, et une carrière littéraire chaotique. Si certaines obsessions demeurent sans doute d’un bout à l’autre ou presque, et ce Dessin au sable en témoignera, le ton, le propos, peuvent différer profondément. Le Dessin au sable n’est pas pour autant une anomalie dans cette œuvre : à vrai dire, il m’a beaucoup fait repenser à La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés, que j’avais adorée. Mais qui ne connaîtrait Nosaka Akiyuki que pour La Tombe des lucioles (sans même parler du hélas médiocre Nosaka aime les chats, dans un tout autre registre) pourrait bien être surpris par ce petit livre ; et si l’obscénité y règne comme dans Les Pornographes, une obscénité tellement extrême qu’elle suscite un rire nerveux, le ton me paraît assez différent – mais ça se discute.

 

Pour ce que j’en ai compris, Le Dessin au sable et l’apparition vengeresse qui mit fin au sortilège, pour donner le titre complet, n’a pas été publié au Japon sous forme de livre indépendant, mais en tant que récit figurant dans un recueil de nouvelles – c’est une longue nouvelle, certes. Je ne saurais dire du coup comment elle s’insère dans le recueil, sinon dans la bibliographie de l’auteur.

 

Mais, à vue de nez, c’est un texte assez singulier de manière générale : déjà parce que c'est un récit historique, situé durant l’époque d’Edo, et dépeignant un monde passablement sordide, où la misère la plus crasse et la prostitution jouxtent la bourgeoisie en plein essor et très portée à faire étalage de sa vulgarité caractéristique – un univers en fait qui m’a pas mal fait penser à celui des récits de Saikaku, et je suppose que cela n’est pas un hasard (les deux auteurs exposent, mais ne jugent pas forcément, par ailleurs).

 

En même temps, Le Dessin au sable est un récit fantastique, et en cela il fait davantage penser à des récits un tout petit peu plus tardifs, même si datant toujours de l’époque d’Edo, ces histoires de fantômes qui étaient en vogue durant notre XVIIIe siècle, et dont les Contes de pluie et de lune d’Ueda Akinari sont probablement le plus fameux exemple – la matière dans laquelle piocherait ultérieurement Lafcadio Hearn pour son Kwaidan. Ceci dit, l'approche graveleuse de Nosaka évoque les plus populaires de ces récits, dont la tradition remonte peut-être à la partie profane des Histoires qui sont maintenant du passé ? D'où une parenté plus moderne avec certains contes d'Akutagawa Ryûnosuke, si ça se trouve...

 

Ces deux aspects se mêlent pour justifier un style assez alambiqué, aux longues périodes, plutôt baroque à vrai dire, même si mêlé de savoureux dialogues louchant plus qu’un peu sur l’argot le plus gouailleur. Ce dernier point mis à part, on est aux antipodes des Pornographes, mettons – mais peut-être pas tant que cela de La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés.

 

Tout commence par une histoire d’amour triste des plus classiques : la charmante Koto était amoureuse d’un beau jeune homme du nom de Yoshinosuke, qui désirait devenir peintre, mais tout conspirait contre leur union – les amants ont été séparés, non toutefois sans avoir eu l’occasion de concevoir une fille du nom de Tomi, qui n’a du coup jamais connu son père, lequel n’était probablement même pas au courant de son existence. Koto a dû se résoudre à une carrière de courtisane, qui l’a amenée à rencontrer bien des hommes, la plupart plus répugnants les uns que les autres. Mais, l’âge passant, Koto, qui n’a jamais oublié, et qui regrette que Tomi n’ait jamais connu son père, décide de partir sur le Tôkaidô avec elle pour retrouver l’amant perdu.

 

Las, Koto affaiblie meurt en chemin – non sans avoir confié à sa fille un bien étrange talisman, un dessin que nous qualifierons… d’intime. L’ex-courtisane assure Tomi que cette œuvre d’art d’un goût très particulier lui permettra de retrouver son père.

 

Mais voici la jeune Tomi seule dans un monde hostile. L’adolescente naïve ne sait rien de la cruauté des hommes et des femmes, elle est une Justine japonaise, en somme, et en paiera le prix comme sa contrepartie française. Trop confiante, elle atterrit entre les mains cruelles d’un certain Senkichi-des-lavoirs-aux-morts, qui gagne sa vie, notoirement, en profanant des sépultures, et d’une certaine O-Roku, faiseuse d’anges (qui était censée avoir « fait passer » Tomi des années plus tôt, et avait visiblement raté son coup – une coïncidence parmi tant d’autres dans ce récit qui en est forcément riche), prostituée et proxénète aussi, vaguement chamane et/ou apothicaire, escroc dans tous les cas. Deux compères pas exactement étouffés par la morale, et qui comptent bien tirer de l’argent, beaucoup d’argent, du véritable don du ciel qu’est cette sotte beauté.

 

L’affaire dérape, on s’en doute. Je n’ai pas envie de trop en dire ici, pour le principe, mais sachez du moins que le plan d’O-Roku pour faire fortune est probablement bien plus sordide et grotesque que vous ne l’imaginez…

 

Tant de méfaits, toutefois, appellent une cinglante et irrépressible vengeance : tandis que le dessin rapproche Tomi de son père (d’une certaine manière…), l’apparition du sous-titre fait un sort aux coupables, tous les coupables, les châtiant par où ils pèchent – ce qui laisse un certain nombre d’options, si la quéquette et le porte-monnaie sont assurément des cibles prioritaires.

 

Le sexe et la mort. Nosaka n’est certes pas le premier ni le dernier écrivain à être obsédé par les rapports entre les deux, mais c’est visiblement un thème important pour lui : La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés en témoignait particulièrement, mais c’est encore plus vrai du Dessin au sable, d’autant que la coloration fantastique du récit lui permet de mettre au premier plan ce duo, de la manière la plus frontale et premier degré qui soit.

 

Il en résulte un conte baignant en permanence dans l’obscénité la plus sordide, parfaitement outrancière, et tant d’excès suscitent donc comme un rire plus ou moins nerveux chez le lecteur, et à vrai dire un peu gras aussi à l’occasion – et si on se pince parfois le nez en détournant les yeux, c’est avec un certain ravissement plus qu’un peu pervers.

 

Nosaka prise l’obscénité – comme Imamura Shôhei, qui l’a adapté au cinéma avec Le Pornographe (introduction à l’anthropologie). Tous deux, par ailleurs, et dans la lignée de Saikaku peut-être, apprécient ce monde interlope et miséreux, notamment celui qui se situe à la frange de la classe marchande urbaine. Cela contribue, pour partie, à rendre la dimension morale du texte un peu ambiguë : sans doute, le caractère fantastique du récit, qui est donc en définitive celui d’une apparition vengeresse, implique un dénouement « moral » au sens où les coupables sont châtiés. Pour autant, l’auteur se délecte à mettre en scène la vilenie de ses personnages, très humains dans leur abomination, et le lecteur, idéalement, s’en délecte aussi – et si l’apparition peut se permettre de « juger », au fond l’auteur ne le fait pas vraiment, ou pas plus que ça… Il a visiblement une certaine sympathie pour Senkichi – et peut-être même pour la Merteuil du caniveau qu’est O-Roku, encore qu'avec bien plus de réserves. Les bourgeois qui profitent de leurs services, c’est peut-être une autre histoire… Maintenant, cette sympathie pour l’ordure et le crime, qui est bien plus flagrante que la compassion chargée de pathos pour la pauvre Tomi j’imagine, rapproche Nosaka d’un Sade ; mais, d’une certaine manière, et peut-être plus pertinente, la « morale » du Dessin au sable, c’est un peu, et assez logiquement au fond, celle du rape and revenge au cinéma : oui, elle est passablement ambiguë, voire nauséeuse, car la satisfaction des bas instincts les plus coupables prime sans doute sur le châtiment un tantinet hypocrite des méfaits.

 

Le style a sa part dans l’effet produit par le récit : le contexte historique incite donc Nosaka à broder sur la manière du temps, et il en résulte une forme bien plus contournée et baroque que d’usage. C’est assez savoureux, pour le coup – et de même, on l’a dit, pour ces répliques grasses et vulgaires qui caractérisent tous les échanges de Senkichi et O-Roku, et quelques autres, représentants typiques du bas peuple, le plus authentique qui soit, tandis que les bons bourgeois, à peine extraits de la fange, en présentent parfois encore les symptômes dans leur conversation. Je suppose que la traduction de Jacques Lalloz est plutôt bonne, si j’ai l’impression qu’il en fait parfois un peu trop, au risque notamment de susciter la confusion du lecteur en abusant des longues périodes. Mais, oui, c’est assez savoureux.

 

Le Dessin au sable, pour peu que l’on ne soit pas rétif à son approche particulièrement sordide du récit historico-fantastique, est un bon livre. Toutefois, pour ce que j’en ai lu, je ne le placerais certainement pas au sommet de la bibliographie de Nosaka : Le Dessin au sable n’émeut pas comme La Tombe des lucioles, à l’évidence, et ça n’était pas le moins du monde le propos, il n’est pas aussi vigoureusement hilarant que Les Pornographes, il ne produit pas la même fascination baroque que La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés – en revanche, il est incomparablement plus convaincant que le très dispensable Nosaka aime les chats (mais ça n’était pas placer la barre bien haut).

 

Pas une lecture incontournable, donc, mais ceux qui apprécient Nosaka, et ils ont bien raison de le faire, pourront y jeter un œil pour découvrir, au milieu des réminiscences thématiques, une approche formelle éventuellement surprenante chez cet auteur.

Voir les commentaires

Ada ou la beauté des nombres, de Catherine Dufour

Publié le par Nébal

 

DUFOUR (Catherine), Ada ou la beauté des nombres – Lovelace, la pionnière de l’informatique, Paris, Fayard, 2019, 244 p.

 

Sacrée activité éditoriale pour l’excellente Catherine Dufour, ces derniers temps : deux romans coup sur coup, après une longue absence, Entends la nuit et Danse avec les lutins, que j’aurais déjà lire et il me faudra y remédier sous peu, mais aussi la présente non-fiction (elle en a écrit un certain nombre ces dernières années, parmi lesquelles L'Histoire de France pour ceux qui n'aiment pas ça), Ada ou la beauté des nombres, publiée chez Fayard, un éditeur qui aime bien les biographies, à la base.

 

De fait, ce (court) livre est une biographie, la première en français portant sur Ada, née Byron, épouse King et comtesse Lovelace (1815-1852 – une carte de visite un peu dense) ; et c’est un sacré personnage. Reste que ce livre n’est pas votre biographie Fayard lambda : l’étude est sérieuse et sourcée, comme il se doit, mais le ton, lui, n’appartient qu’à Catherine Dufour – dont on retrouve avec plaisir la plume savoureuse et riche de sarcasmes et autres formules punkoïdes qui frappent sans prévenir et, tout à la fois, détonnent et font mouche. Pour qui a adoré les romans et nouvelles signés par Catherine Dufour dans la décennie 2000-2010, c’est comme des retrouvailles, oui, et des plus heureuses ; mais j’imagine que ça pourra faire un choc, initialement du moins, à qui ne connaîtrait rien de tout cela et s’attendrait à une biographie à la forme plus ouvertement docte et surtout posée.

 

D’autant qu’il y a une dimension que je suppose pouvoir qualifier de militante dans cette non-fiction. Ada ou la beauté des nombres ne serait certes pas la première biographie à entendre « réparer une injustice », même s’il y a assurément de cela, et à très bon droit. Mais cela va au-delà, la focale est plus large, et le propos résonne fortement avec le contexte de publication, dans la foulée du mouvement féministe contemporain post-#MeToo – une dimension dont l’autrice ne fait pas mystère, et de sa part cela n’a rien d’une nouveauté (écriture inclusive incluse, on entend déjà hurler certains lecteurs). Il ne s’agit pas seulement, ici, de retranscrire au quotidien la vie brève et l’œuvre scientifique fascinante et révolutionnaire mais somme toute guère riche en publications d’Ada Lovelace, et point barre : l’après-Ada compte presque autant, qui dessine une histoire étendue de l’informatique, et des informaticiennes.

 

Car c’est bien d’informatique que Catherine Dufour, elle-même ingénieure en informatique, traite ici – même si Ada est morte un siècle avant que le premier ordinateur ne voie le jour. Qu’importe : elle n’en avait pas moins écrit le premier programme informatique au monde, ou la première boucle plus précisément (n’étant pas le moins du monde informaticien, je ne peux absolument rien dire de plus quant à cette nuance). Et, au-delà, elle avait bel et bien anticipé ce que serait un jour l’informatique – d’une manière parfaitement visionnaire, en allant bien au-delà des préoccupations immédiates de Charles Babbage, lequel entendait d’abord et avant tout concevoir un calculateur qui permettrait enfin aux mathématiciens tels que lui-même (et Ada…) de se passer une bonne fois pour toutes des tables de calcul jusqu’alors indispensables, et forcément constellées de frustrantes erreurs.

 

Pourtant, Ada Lovelace, sans être à proprement parler inconnue, loin de là à vrai dire, a trop longtemps été cantonnée au rôle un peu navrant de note de bas de page dans la biographie des autres – deux autres tout spécialement : son illustre (et invivable – ça tombe bien, elle ne l’a jamais connu) poète de père, Lord Byron, d’une part, et d’autre part son mentor (ou à vrai dire un de ses mentors), le mathématicien Charles Babbage. Ici, on peut supposer que les informaticiens et/ou les amateurs de science-fiction étaient d’ores et déjà dans une position un peu plus favorable que les autres lecteurs, pour avoir au moins une vague idée de qui était Ada Lovelace – parce que le langage informatique Ada, ou parce que des romans comme La Machine à différences de William Gibson et Bruce Sterling (au-delà, le courant steampunk dans son ensemble a régulièrement fait référence à Ada Lovelace). Mais c’était probablement insuffisant – et je dois confesser que, au regard de mes lectures, Ada demeurait bel et bien une note de bas de page à la biographie de Babbage, dans ce cas précisément (pour quelque raison, je me la figurais à vrai dire comme l’assistante de Babbage – ce qu’elle n’était pas le moins du monde ; mais les connotations de ce terme en disent sans doute tristement long, sur moi, mes lectures, notre société, etc.). Même dans ce contexte, les louanges ne manquaient certes pas : quitte à ce que ce ne soit qu’au travers de notes de bas de page, on admirait généralement Ada – mais de ce type pernicieux d’admiration qui fait plus qu’un peu loucher sur la condescendance. Il était donc bien temps de remettre les pendules à l’heure.

 

Mais, pour pouvoir envisager à sa mesure la biographie d’Ada Lovelace, il faut comme de juste apprécier tout d’abord le contexte de sa vie. Le plus globalement, tout d’abord : la société victorienne, oppressive, pudibonde, hypocrite – nous parlons bien sûr tout spécialement ici du monde, celui des salons, de la bonne société… Une aristocratie brimée dans l’enfance par des théories pédagogiques délirantes, à la conjonction des délires sadiens et de la répression puritaine, et qui survit tant bien que mal en se camant jusqu’à l’os au laudanum. Le sort des femmes y est nécessairement pire, qui doivent se marier au plus tôt, un bon parti se mesurant aux seuls critères valides de la fortune et des titres de noblesse ; trop souvent, bien sûr, ces aristocrates n’ont rien de noble, et, en fait de fortune, ils ont surtout des dettes, contractées notamment au jeu (Ada elle-même était une addict à cet égard – en plus du laudanum, hein)… Après, il faut pondre des enfants, au risque d’en crever – et s’accommoder des coucheries de Monsieur. Rassurez-vous, Madame découche au moins autant – et c’est toujours matière à scandales : le monde, c’est d’abord les cancans. On condamne la débauche de la plus hypocrite des manières.

 

Mais il faut dire qu’avec le papa d’Ada, on atteignait des sommets dans le genre ; il était typique pourtant de ces Anglais contraints de fuir la mauvaise renommée sur le continent, et on en croisera quelques autres dans le livre de Catherine Dufour… Cela dit, Lord Byron, c’était quand même la classe au-dessus – tour à tour adulé comme le plus grand poète de son temps, et haï comme le pire des monstres lubriques. On s’en doute, il n’était ni un mari idéal, ni un père idéal. Il n’a jamais vraiment connu Ada, sa seule fille légitime – il s’était très tôt barré (pour ne pas dire immédiatement) du foyer conjugal pour goûter à l’inceste et/ou aux gitons, plus savoureux. Il avait cependant eu le temps de se montrer un époux détestable, violent et ingérable – Annabella, Mme Byron, n’a pourtant pas salué son départ comme une libération, cultivant dans les décennies qui suivraient de lourdes rancœurs à l’encontre de cette fuite et de ses responsables à ses yeux (l’amante/demi-sœur du poète au premier chef, forcément). Surtout, Annabella, produit typique de la répression victorienne, qui lui interdisait de cultiver son goût pour les sciences, à elle que son volage et fugace époux surnommait « la princesse des parallélogrammes », s’est attelée à la tâche de réprimer à son tour sa fille et ses inclinations : si ça fait mal, c’est que ça fait du bien, etc. Maman avait en outre quelque chose de sacrément envahissant, on va dire…

 

Par chance, et grâce à divers mentors successifs (hommes et femmes, parmi elles la très impressionnante Mary Somerville, dont je n’avais jamais entendu parler et qui serait bien digne d’une biographie dans ce genre elle aussi, à vue de nez), Ada a cependant pu entretenir son goût pour les sciences et notamment pour les mathématiques. Certes, il lui a fallu faire son entrée dans le monde, trouver mari, et faire des enfants – mais, pour un temps du moins, elle a pu côtoyer les grands noms de la science de son temps.

 

La bonne société anglaise, au-delà des cancans et du marché matrimonial, appréciait de subventionner , ne serait-ce que pour le lustre, artistes et savants aux ingénieuses trouvailles – parmi ces derniers, Charles Babbage, mathématicien génial, travaillait d’arrache-pied (mais en tenant lui aussi salon le cas échéant) sur son projet pharaonique de « moteur à différences », soit un calculateur unique en son genre, et qui serait à même, donc, de libérer les scientifiques du fardeau du calcul mental ou à base de tables trop souvent erronées. C’était, dans son principe, le premier ordinateur – Babbage l’avait conçu théoriquement, mais il n’est, notoirement, jamais parvenu à le construire : la machine était trop complexe, exigeait la production de trop nombreuses pièces, trop précises,  les mécènes (y compris au niveau du gouvernement) ont fini par se décourager – et, semble-t-il, l’ego broussailleux du savant ne lui facilitait probablement pas les choses.

 

Mais le projet enthousiasme les savants – et Ada parmi eux. Mathématicienne douée, elle perçoit très vite l’intérêt de la machine de Babbage ; mais, plus visionnaire que ce dernier, elle entrevoit derrière l’informatique telle que nous la connaissons aujourd’hui. Pour se faire un nom dans la communauté scientifique de ce temps, un bon moyen était de commencer par livrer des traductions d’œuvres scientifiques (Mary Somerville avait plus ou moins procédé de la sorte). Ada traduit donc un article italien, dû à un certain Ménabréa… consacré à la machine de Babbage (qu'elle connaissait personnellement). Seulement, elle ne s’en tient pas à la traduction : avec l’aval de Babbage, elle introduit dans sa version des notes toutes personnelles, et c’est ici notamment qu’apparaît son génie – d’une part dans la conception prophétique d’une « science poétique », d’autre part et surtout dans la note G qui contient donc le premier programme informatique de l’histoire, en témoignant des capacités du « moteur à différences » via le traitement des nombres de Bernoulli. Si Babbage a conçu l’ordinateur, c’est donc Ada qui a conçu l’informatique et la programmation (même si Turing, notamment, passerait par-là un siècle plus tard) – et le mathématicien soupe-au-lait était conscient et admiratif du talent de la jeune femme (les deux ensemble, c'était une merveilleuse conjonction à la fois d'ego et de génie).

 

Hélas, son rang, son sexe, son époque, sa société, à peu près tout en somme conspirait contre la carrière scientifique d’Ada – même si elle a livré quelques autres travaux et surtout traductions d’importance, notamment, et pas des moindres, de la Mécanique céleste de Laplace. En femme de la bonne société victorienne, elle devait se consacrer à son foyer – lequel était hélas parfaitement toxique. Son mari n’était pas le plus sot des hommes, et ils avaient bien des engouements en commun, mais il était d’un naturel colérique, et l'a parfois battue ainsi que leurs enfants. Lesdits enfants, Ada ne savait tout bonnement pas quoi en faire – et elle s’en rendait bien compte, confessant qu’elle était la pire des mères possible… à part peut-être la sienne, dont elle a du coup reproduit les errances – il faut dire qu’Annabella faisait le pied de grue devant sa porte, et jusqu’à la toute fin. Quoi qu’il en soit, les enfants d’Ada la détestaient. Elle-même ne trouvait guère à se réfugier dans la science, au bout d’un certain temps – un amant, le laudanum, le jeu, où elle a contracté des dettes colossales, étaient des échappatoires plus accessibles, et, pour les deux dernières en tout cas (frontalement...), moins susceptibles d’être taxées d’unladylikeness. Épuisée, affaiblie, déprimée, Ada tombe malade – et le médecin auquel elle choisit de faire confiance s’avère le moins capable : son cancer de l’utérus est identifié tardivement, et Ada King, née Byron, comtesse de Lovelace, meurt dans d’atroces souffrances, à l’âge de 36 ans. Un sort presque banal, pour quelqu’un qui ne l’était pas.

 

L’histoire d’Ada aurait pu s’arrêter là – avec quelques nécrologies « élogieuses, et vigoureusement misogynes : "Outre une intelligence complètement masculine dans sa solidité, sa pertinence et sa fermeté, Lady Lovelace avait toutes les délicatesses du plus raffiné des caractères féminins." » Ce qui n’est pas exactement pour nous surprendre.

 

Son souvenir persiste, pourtant – quoique placé entre parenthèses en même temps et pour la même durée que le « moteur à différences » de Babbage. On reviendra pourtant à celui-ci – et les premiers ordinateurs, dans les années 1940, en seront les héritiers directs. C’est alors que le souvenir d’Ada resurgit. Les pionniers de l’informatique, comme Howard Aiken ou Alan Turing, la redécouvrent, et perçoivent son rôle dans cette affaire, si des incertitudes demeurent un temps quant à la paternité (ou maternité…) du premier programme informatique, parfois attribuée à Babbage comme le concept de sa machine analytique (mais la question est semble-t-il tranchée aujourd’hui, en faveur d’Ada Lovelace). Les premiers ordinateurs conçus à cette époque, en outre, sont souvent confiés à des programmeurs… qui sont presque systématiquement des programmeuses, la plus célèbre étant Grace Hopper ; laquelle a pu dire, d’ailleurs, que si les femmes ont joué un tel rôle dans l’histoire de la science informatique à cette époque, c’était probablement parce que l’activité paraissait « indigne » de ces Messieurs… Elles sont du coup à plus d’un titre les héritières d’Ada, première programmeuse de l’histoire.

 

De manière discrète tout d’abord, via quelques hommages et articles, puis de moins en moins, mais avec les bémols envisagés plus haut, Ada ressuscite – ce qui passe par certains clins d’œil au sein des communautés scientifiques et technologiques (du langage de programmation Ada à l’hologramme d’authentification des produits Microsoft, qui est en fait son portrait), puis de manière plus étendue, et jusque dans la culture populaire, via le steampunk notamment – la première programmeuse de l’histoire a sous cet angle quelque chose aussi de la première geek (enfin, probablement pas « la première », pour le coup, mais je cite la dédicace de l'autrice : merci Catherine !).

 

Geek, Catherine Dufour l’est aussi. Sous cet angle également le projet d’une biographie d’Ada Lovelace lui collait parfaitement – et son récit est émaillé d’allusions à la part geek de la destinée d’Ada, via La Machine à différences et compagnie… voire au-delà : elle ne pouvait passer à côté d’un aparté sur certaine soirée à la Villa Diodati, près de Genève, en 1816 – où un certain Lord Byron, qui avait déjà mis les voiles alors qu’Ada était née l’année précédente seulement, causait littérature fantastique avec son médecin John Polidori et le couple Shelley, Mary et Percy ; Polidori, en conséquence, fonderait le mythe moderne du vampire, quitte à ce que ce soit au travers d’un texte un peu médiocre, mais, surtout, la géniale Mary Shelley créerait le chef-d’œuvre Frankenstein – et la science-fiction avec : pas mal, pour un début ! Et probablement déjà une préfiguration de ce que pourrait être la « science poétique » dont Ada parlerait quelques années plus tard… Catherine Dufour renvoie du coup au roman de Tim Powers Le Poids de son regard – ça n’est pas la première fois, et je suppose que ce ne sera pas la dernière (il faudrait que je le retente ; j’avais essayé à « un mauvais moment » et n’avais pas accroché…).

 

Le livre de Catherine Dufour vibre de passion, d’enthousiasme, de colère aussi parfois, qu'elle communique sans peine à ses lecteurs. Sa plume qui n’appartient qu’à elle est le véhicule parfait pour cette histoire, à tous les niveaux. Ada ou la beauté des nombres passionne et se dévore – c’est un livre assez court, cela dit, et c’est peut-être bien sa seule limite : j’en aurais volontiers repris du rab.

 

Chaudement recommandé, donc – et maintenant faut que je lise Entends la nuit et Danse avec les lutins. Parce que Catherine Dufour

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 > >>